II. PROGRAMME 116 : CHAINE FRANÇAISE D'INFORMATION INTERNATIONALE
Le programme 116 rassemble pour la première fois en loi de finances 65 millions d'euros destinés au financement de la chaîne française d'information internationale soit près de 19 % des crédits consacrés à la mission « Médias ».
Voulue par le Président de la République 17 ( * ) afin d'assurer le « rayonnement de notre pays » et de représenter, pour les expatriés, « un lien vivant et immédiat avec la métropole » ; la création de cette chaîne a pris depuis lors quelque retard en grande partie imputable aux opinions divergentes qui se sont exprimées sur les modalités concrètes de la réalisation de ce projet : le projet imaginé par M. Bernard Brochand 18 ( * ) associant France Télévisions à TF1, validé semble-t-il par les gouvernements successifs, s'est en effet depuis l'origine heurté à l'opposition des tenants d'un projet basé sur les acteurs existants du service public de l'audiovisuel.
A. UN PROJET INDISPENSABLE À L'AFFIRMATION DE NOTRE PRÉSENCE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
« Pas plus que nous ne sommes attendus, nous ne serons rejetés. Et, en tout état de cause, par notre histoire et par le rôle que nous jouons dans ce siècle, nous n'avons pas le droit de garder le silence sur la vision du monde qui est la nôtre ... ». Cette conviction, exprimée dans le rapport réalisé par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale, fait aujourd'hui l'unanimité et chacun a pris conscience qu'à l'heure où tout évènement d'importance internationale donne lieu à une véritable « course » à l'information, l'absence d'une chaîne française est préjudiciable aux intérêts nationaux.
1. L'information télévisée internationale : un domaine déserté par la France
Force est en effet de constater que la France ne dispose d'aucun outil d'envergure internationale lui permettant de diffuser sa vision du monde et de faire partager ses valeurs.
En matière d'information télévisée, la présence anglo-saxonne a longtemps été dominante. Des années durant, toute la chaîne de l'information a en effet été -et demeure à bien des égards encore- monopolisée par des opérateurs anglais ou américains. On pense bien sûr immédiatement aux principaux services d'information en continu (BBC World, CNN, Fox News) ; mais il ne faut pas sous-estimer, tant leur rôle est déterminant dans le traitement de l'actualité, les agences d'images (APTN, Reuters).
Cette situation a récemment évolué : le succès d'Al-Jazira et l'essor d'Abu Dhabi TV ou d'Al-Arabia ont montré que le monopole anglo-saxon en matière d'information était désormais sujet à caution, voire à contestation et qu'une demande insatisfaite pour des « voix » alternatives en la matière existait.
Dans ce contexte, l'absence de vision française et de mise en perspective de l'actualité internationale est devenue un handicap certain pour notre pays, notamment en période d'incertitudes géopolitiques et de vive tension mondiale. En effet, à la différence des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, la France ne dispose pas d'une offre audiovisuelle extérieure complète : ni TV5, chaîne généraliste multilatérale, ni CFI, banque de programmes désormais tournée vers des actions de coopération, ne peuvent prétendre rivaliser avec CNN ou la BBC.
2. Un instrument d'influence essentiel pour la France
Depuis la guerre du Golfe de 1991, la manière dont l'information est sélectionnée, « traitée » voire « mise en scène » par les rédactions des principaux opérateurs télévisuels internationaux a, semble-t-il, accéléré une certaine prise de conscience dans notre pays : une chaîne d'information internationale est un vecteur puissant d'influence politique dont la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, peut difficilement se passer pour faire partager sa vision du monde.
Il convient toutefois d'être clair sur un point : le succès d'une chaîne d'information ne se lit pas à l'aune de son audience ou de ses rentrées publicitaires. En France, l'audience d'Euronews atteint ainsi à peine 0,4 % des téléspectateurs de plus de 15 ans, celle de CNN International environ 0,1 %, celle de BBC World moins de 0,1 % et toutes ces chaînes sont déficitaires. L'important est ailleurs : dans la capacité de ces services à influencer les classes dirigeantes et les « faiseurs d'opinion » et à faire rediffuser leurs images et leurs reportages par toutes les rédactions du monde.
Instrument d'influence essentiel et soutien efficace de notre diplomatie, cette chaîne internationale répond par ailleurs à une véritable attente en faveur d'une information télévisée traitant de l'actualité internationale d'une manière différente de celle proposée par les chaînes anglo-saxonnes et arabes. Les pics d'audience enregistrés par TV5 en 2003, alors qu'elle couvrait la guerre en Irak, ont ainsi permis de constater l'existence d'une véritable demande en ce sens parmi les populations francophones et francophiles. Cette demande d'une vision française de l'actualité internationale ne s'exprime pas qu'en période de crise : elle existe au quotidien et prend sa source dans l'histoire, l'engagement politique et diplomatique d'un pays qui a toujours « cultivé » un regard original sur la vie internationale.
B. LE MAINTIEN DU PROJET « BROCHAND » ?
Pour répondre à l'ambition tracée par le chef de l'Etat, une large réflexion sur les modalités de création d'une chaîne française d'information internationale a été lancée, associant le Parlement, le ministère des affaires étrangères, le ministère de la culture et de la communication, ainsi que les opérateurs publics et privés de l'audiovisuel. Au total, trois rapports (sans compter les rapports d'étape) ont été réalisés sur le sujet : le premier par M. Philippe Baudillon, remis au ministre des affaires étrangères en avril 2003, le deuxième par la mission commune de l'Assemblée nationale présidée par M. François Rochebloine, rendu public le 14 octobre 2003 et le dernier par M. Bernard Brochand, député des Alpes-Maritimes, remis au Premier ministre le 23 septembre de la même année.
En dépit des protestations des membres de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale, c'est le projet proposé par M. Bernard Brochand basé sur l'alliance des deux principaux groupes audiovisuels nationaux (France Télévisions et TF1) qui a été choisi par le Premier ministre.
En choisissant l'option proposée par le rapport Brochand, le Premier ministre de l'époque avait décidé d'unir, dans le cadre d'un partenariat public-privé, les deux principales forces de rédaction d'information télévisuelle française. Il semble que, contrairement à ce que l'on a pu penser, ce projet soit toujours d'actualité.
1. Les grandes lignes du projet Brochand toujours d'actualité
D'après les informations parcellaires recueillis par votre rapporteur, le choix d'associer les deux principaux opérateurs audiovisuels nationaux - option pourtant fermement critiquée tant par la mission commune d'information de l'Assemblée nationale présidée par M. Rochebloine que par le nouveau président de France télévisions ne semble pas être remis en cause. Ce dernier rappelait ainsi récemment devant les commissions des finances et des affaires culturelles de l'Assemblée que « Pour être efficace et pour aller vite, il faut qu'il y ait un seul pilote dans la voiture ».
LES PROPOSITIONS DU RAPPORT BROCHAND
La chaîne d'information internationale (CII) prendrait la forme d'une société créée par TF1 et France Télévisions, dont chaque opérateur détiendrait, directement ou via l'une de ses filiales, 50% des parts. Le rapport Brochand fixe à la CII trois objectifs principaux : 1- Être une chaîne de référence, « diffusée dans les salles de rédaction du monde entier et vers lesquelles les télévisions nationales se tournent dans les situations de crise » ; 2- Diffusée en plusieurs langues (anglais et arabe dans un premier temps), sa ligne éditoriale indépendante relèvera d'une logique internationale, tout en pouvant « être identifiée comme spécifiquement française ». Cette indépendance « suppose que le mode de nomination des dirigeants ne relève pas du Gouvernement ». 3- Pour être attractive, cette chaîne devra proposer des images originales, « qui n'ont pas déjà été vues sur d'autres chaînes ». Les moyens 1- Moyens financiers Aucune chaîne internationale d'information n'étant rentable, le financement sera nécessairement public, l'État subventionnant le service rendu par la nouvelle chaîne. Le budget est évalué à 70 millions d'euros en année pleine durant les 5 premières années, dont 65 millions d'euros de fonds publics et 5 millions d'euros rassemblés par un club d'entreprises françaises fondatrices. 2- Moyens humains La présidence devrait être assurée par « un gestionnaire de grande qualité, versé dans l'économie internationale des médias ». « La responsabilité éditoriale (...) serait dévolue à un rédacteur en chef polyglotte, doté d'une grande rigueur et d'une excellente connaissance des affaires internationales ». Une rédaction de 150 à 200 journalistes est nécessaire. La méthode 1- Montée en puissance : un délai de 5 ans est prévu avec, au départ, une diffusion en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, zones d'influence prioritaires de la France situées sur une fourchette étroite de fuseaux horaires (GMT-1 /GMT+ 3). 2- La diffusion serait assurée sur les satellites numériques, le câble et Internet exclusivement à l'étranger. 3- La fourniture d'images et de reportages nécessitera la mise à disposition de la future chaîne d'un réseau de correspondants permanents « assorti d'une capacité de projection rapide ». Il s'y ajouterait l'approvisionnement en images d'agences (AFP par exemple) et « l'utilisation de tout ou partie du réseau de RFI dans des conditions à déterminer ». Enfin, pour la couverture d'événements importants, le choix se porterait plutôt sur des ressources « free-lance » que sur la constitution d'équipes mobiles au sein de la chaîne, option jugée trop coûteuse. Relations avec le dispositif audiovisuel existant 1- Le financement de la chaîne par le ministère des affaires étrangères s'effectuerait grâce à un rattachement de RFI à Radio France, ce qui permettrait d'affecter la subvention actuellement versée par ce ministère à RFI à la nouvelle chaîne. 2- « La suppression des capacités de traitement de l'information propre à TV5 et à Arte » permettrait un « redéploiement de l'ordre de 15 millions d'euros» au profit de CII. 3- La création de la chaîne entraînerait donc une réorganisation totale du dispositif audio-visuel public bilatéral (Arte) et multilatéral (TV5 et Euronews) ainsi qu'un changement de tutelle pour RFI. |
2. Les inflexions envisagées
Si les grandes lignes dessinées par le rapport Brochand restent d'actualité, certaines inflexions par rapport au projet initial ont toutefois pu être constatées au cours des mois écoulés.
a) Un financement sur fonds budgétaire n'entraînant aucun effet d'éviction sur le budget des autres acteurs de notre audiovisuel extérieur
Les idées innovantes avancées par le rapport Brochand concernant l'éventuel financement par redéploiements budgétaires de la chaîne d'information internationale ont été abandonnées. Le financement de la CFII, assuré par le présent programme, n'aura donc aucune conséquence sur le budget des autres opérateurs de notre action culturelle extérieure.
b) Le développement de complémentarités avec le dispositif audiovisuel existant
Les pouvoirs publics ont réaffirmé leur volonté de prendre en compte les structures audiovisuelles existantes et les efforts de rationalisation dont celles-ci ont fait l'objet au cours des années passées. Quelle que soit la formule juridique finalement retenue, notre pays ne peut se permettre de lancer une chaîne de télévision sans utiliser les ressources et les compétences qui sont d'ores et déjà à sa disposition.
Votre rapporteur rappelle qu'un tel choix est le seul permettant d'éviter l'empilement des structures et de garantir le renforcement de la cohérence de notre action audiovisuelle extérieure.
(1) S'appuyer sur RFI, l'AFP et Euronews en matière éditoriale
La volonté d'optimiser l'utilisation des ressources de l'audiovisuel national dans l'organisation de la chaîne d'information internationale doit ainsi se traduire par le choix de s'appuyer, non seulement sur les 11 bureaux permanents de France Télévisions dans le monde mais aussi sur les implantations à l'étranger de RFI et de l'Agence France Presse (AFP).
RFI dispose ainsi de neufs bureaux, trois filiales (en Bulgarie, en Roumanie et au Portugal) et près de 300 correspondants pigistes présents dans plus de 110 pays s'adressant déjà, en français et en langues étrangères, à l'auditoire cible de la future chaîne d'information internationale. Au total, le personnel de RFI a développé un savoir-faire qu'il serait dommage de ne pas mettre à contribution.
De même, l'AFP peut constituer un partenaire clé pour la future chaîne. Avec ses 116 bureaux, ses 50 correspondants et ses 900 pigistes, l'Agence France-Presse pourrait fournir à la chaîne outre des sujets vidéo et des interventions ou des chroniques audio ou en plateau, un soutien logistique aux envoyés spéciaux de la chaîne travaillant sur place.
Enfin, Euronews, qui diffuse aujourd'hui en sept langues, a acquis une véritable expertise en matière de traduction multilingue et de traitement de l'actualité européenne qu'il convient de ne pas négliger. En effet, bien que franco-français, ce projet de chaîne devra aussi s'inscrire dans une dimension européenne dont l'importance ne doit pas être sous estimée, notre pays, en dépit de ses spécificités, étant de plus en plus perçu par les téléspectateurs étrangers comme un membre influent de l'Union européenne.
Votre rapporteur tient à préciser qu'il ne s'agit pas de faire entrer ces organismes dans le « tour de table » de la future chaîne : leur indépendance, garantie de leur crédibilité internationale (notamment dans le cas de l'AFP) doit en effet être préservée. Il conviendrait simplement de favoriser la signature d'accords de collaboration entre ces prestataires de services essentiels et la CII.
(2) Utiliser les compétences de CFI, TV5 et TF1 en matière de distribution
Alors que le réseau de distribution de la chaîne reste largement à construire, la chaîne pourrait s'appuyer sur l'expérience de TV5, CFI et TF1 tant en matière de distribution qu'en matière de commercialisation de programmes à l'étranger.
D'une part, CFI dispose non seulement d'une capacité satellitaire non saturée pouvant être utilisée pour l'acheminement de la chaîne vers les opérateurs câble et satellite, mais aussi d'un réseau de diffusion non utilisé depuis l'interruption de la diffusion de CFI-TV.
D'autre part TV5, en vingt ans d'existence, a développé une forte expérience de la distribution internationale sur les réseaux câblés et satellitaires et s'appuie, en plus des vingt employés appartenant à sa structure de distribution, sur un réseau d'une quarantaine d'agents pour assurer sa commercialisation.
Enfin, l'expérience accumulée par les équipes d'Eurosport notamment pour le démarchage de capacités de diffusion devrait lui aussi être très précieux à l'initialisation rapide du projet.
Votre rapporteur estime que la possibilité pour la chaîne d'information de bénéficier des compétences de TV5 CFI et TF1 serait essentielle pour assurer une montée en puissance rapide de sa diffusion et pour optimiser les moyens déployés par les trois partenaires pour assurer leur distribution respective.
3. Diffuser la chaîne sur le territoire national
Comme le préconisait déjà notre collègue Louis Duvernois 19 ( * ) , il convient d'assurer la diffusion de cette chaîne internationale non seulement vers les zones prioritaires définies par le Gouvernement mais aussi sur notre propre territoire.
Financée sur fonds publics et proposant une ouverture sur le monde qu'aucun service télévisé français n'est en mesure d'assurer à l'heure actuelle, cette chaîne devrait rapidement devenir un élément incontournable du paysage audiovisuel français, au même titre que BBC World en Grande-Bretagne et Deutsche Welle en Allemagne.
* 17 Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, lors de la réception en l'honneur du Haut Conseil de la francophonie, Paris, Palais de l'Elysée, 12 février 2002 : " Est-il compréhensible qu'année après année, nous en soyons encore à déplorer les insuffisances persistantes de l'information et de l'audiovisuel francophone sur la scène mondiale ? Certes, nous disposons avec l'Agence France Presse d'un remarquable outil d'information qu'il nous faut conforter sans cesse, notamment dans sa vocation mondiale. Certes, chacun s'entend à reconnaître les progrès récents accomplis par RFI, par TV5, par CFI, grâce aux efforts de leurs équipes et à la détermination des pouvoirs publics. Mais chacun constate que nous sommes encore loin de disposer d'une grande chaîne d'information internationale en français, capable de rivaliser avec la BBC ou CNN. Et les crises récentes ont montré le handicap que subissent un pays, une aire culturelle, qui ne disposent pas d'un poids suffisant dans la bataille de l'image et des ondes. Interrogeons-nous, à l'heure des réseaux hertziens, du satellite, de l'Internet, sur notre organisation dans ce domaine et notamment par l'éparpillement des moyens publics qui lui sont consacrés. »
* 18 Rapport remis par M. Bernard Brochand, député des Alpes-Maritimes, au Premier ministre le 24 septembre 2003.
* 19 Louis Duvernois, Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence , rapport d'information n° 91 réalisé au nom de la commission des Affaires culturelles, session 2004-2005.