CHAPITRE II -

LES DIFFICULTÉS DU SECTEUR
DES AGENCES DE VOYAGES

Depuis le début du siècle, les incertitudes internationales se sont ajoutées à la morosité de la conjoncture économique pour interrompre le mouvement de croissance régulière et très dynamique du tourisme qui structurait le secteur depuis des décennies (+ 4,3 % par an entre 1990 et 2000). Ainsi que votre rapporteur pour avis l'avait relevé l'an dernier (11 ( * )), le marché mondial du tourisme , très affecté par les conséquences directes des attentats du 11 décembre 2001, est resté déprimé depuis lors, la guerre en Irak, la menace terroriste généralisée et l'épidémie de SRAS se conjuguant à des difficultés économiques dans les ensembles géographiques fortement émetteurs de touristes (Etats-Unis, Japon, Allemagne...) pour contracter la demande (- 1 % en 2003).

S'agissant plus particulièrement de la France , une succession de catastrophes écologiques et climatiques (naufrage du Prestige en novembre 2002, intempéries de l'hiver 2002/2003, multiplication des incendies de forêt dès le printemps 2003 et canicule de l'été 2003) et un climat social particulièrement agité (grèves lors de la réforme des retraites ou mouvements des contrôleurs aériens) se sont ajoutés au net ralentissement de la croissance économique pour affecter globalement le secteur du tourisme. En 2004, si la saison d'hiver a été satisfaisante , la tendance estivale a été médiocre , malgré un bon mois d'août. Certes, le retour des clientèles américaine, japonaise et proche-orientale est assez net, contribuant notamment à la remontée du taux d'occupation des hôtels 4 *. En revanche, la fréquentation européenne continue à baisser (- 2,6 % par rapport à 2003 et - 8 % par rapport à 2002), de manière même très prononcée pour les clientèles italienne, suisse et scandinave. On observe également des disparités régionales assez importantes et qui s'écartent des modèles traditionnels antérieurs, au profit notamment des bassins du quart Nord-Est du pays (Pays de la Loire, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais et Bretagne).

Mais l'évolution la plus importante à relever concerne sans nul doute la modification des comportements des consommateurs , qui se confirme d'année en année et témoigne ainsi de changements structurels essentiels pour l'ensemble des professionnels du tourisme puisqu'ils se pérennisent : multiplication des séjours mais durée plus brève de chacun d'eux, choix de dernière minute au détriment des réservations (notamment par le recours à l'Internet), préférence pour les hébergements non-marchands (résidences secondaires, famille, amis), attention soutenue pour le rapport qualité/prix et, dans ce contexte, attrait pour les destinations émergentes proches et peu onéreuses (telles que le pourtour méditerranéen ou les pays d'Europe centrale et balkanique) ainsi que pour des modes de transport « low cost », intérêt pour les projets touristiques originaux et « à la carte », orientation culturelle des vacances (tourismes « industriel » et « culturel » notamment), etc.

Ainsi, la valorisation économique de l'activité touristique , qui constitue légitimement l'une des priorités du ministre délégué au tourisme, M. Léon Bertrand, dépend-elle autant de facteurs conjoncturels liés à l'actualité que de conditions structurelles qu'il s'agit d'anticiper pour pouvoir y apporter des réponses adéquates. Observant que le secteur des agences de voyages était exactement placé au coeur de ces problématiques , en raison de sa situation centrale dans l'élaboration des projets touristiques, de l'élasticité de son activité aux conditions tant géopolitiques qu'économiques du moment, et enfin de sa proximité avec les facteurs structurants de la modernité (Internet, compagnies aériennes low cost, services personnalisés), votre rapporteur pour avis a souhaité y consacrer une attention particulière .

La brève étude synthétique suivante, réalisée notamment à l'aide d'informations fournies par les services du ministère délégué au tourisme, examinera ainsi les défis auxquels sont confrontées de manière structurelle les agences de voyages traditionnelles , actrices d'un secteur essentiellement caractérisé par l'âpreté de sa concurrence et sa concentration et victimes d'une profonde remise en cause de leurs rémunérations . Elle présentera également les mesures publiques de soutien et d'accompagnement décidées récemment par le Gouvernement.

I. UN SECTEUR TRÈS CONCURRENCIEL ET TOUJOURS PLUS CONCENTRÉ

En 2002 comme en 2003, la croissance aura été négative dans le secteur des agences de voyages traditionnelles , le ralentissement de l'activité observée depuis 2001 s'étant poursuivi et amplifié. Ainsi, en valeur , le chiffre d'affaires (CA) est en retrait de 2,0 % en 2003, après avoir déjà diminué de 0,4 % en 2002, tandis qu' en volume , le recul atteint respectivement 5,9 % et 3,6 % .

Le secteur de la billetterie est celui qui a le plus souffert de la conjoncture économique en 2003 : son chiffre d'affaires est en retrait de 6,8 % en volume mais, en raison d'une hausse substantielle des prix dans ce segment, il est beaucoup plus limité en valeur (- 1,5 % par rapport à 2002). La situation est différente dans le secteur des voyages à forfait ( i.e. incluant le transport, l'hébergement et les activités, visites, excursions, etc.) : le retrait du chiffre d'affaires en volume y est moins prononcé ( - 3,6 % ) mais, à l'inverse, comme les prix n'ont augmenté que très faiblement dans ce segment (+ 0,4 %), le recul du chiffre d'affaires en valeur est historique (- 3,7 %).

Ainsi que cela a été relevé ci-dessus, le contexte général, géostratégique et économique, n'a certes pas été favorable à la profession. Toutefois, il convient de distinguer ces raisons liées à l'actualité de l'évolution structurelle du secteur . En effet, le boom des compagnies low-cost, la concurrence accrue des agences en ligne et la tendance des tour-opérateurs et des transporteurs à souscrire à la distribution en direct ont entraîné une perte de part de marché des agences de voyages traditionnelles , que renforce par ailleurs le mouvement continu de concentration du secteur , tant par la constitution de réseaux que par les opérations de fusions-acquisitions.

A. L'ÉMERGENCE D'UNE CONCURRENCE NOUVELLE

Les agences traditionnelles ont vu apparaître, ces dernières années, de nouvelles formes de concurrence : celle résultant du développement du commerce en ligne par un plus grand recours aux technologies de l'information et de la communication (TIC), et celle créée par l'arrivée sur le marché des voyages de nouveaux acteurs très capitalistiques : les enseignes de la grande distribution française , d'une part, et, d'autre part, des groupes internationaux intégrés , constitués à l'origine soit par des tours-opérateurs , soit par des fournisseurs technologiques, tels les GDS (12 ( * )).

1. Le recours à Internet se développe

a) Le dynamisme des agences de voyages en ligne

Les agences de voyages en ligne affichent, pour les plus solides d'entre elles, une croissance à deux chiffres, qui les éloigne de plus en plus des agences traditionnelles . Globalement, tous commerces confondus, le chiffre d'affaires du commerce par Internet a augmenté de 56 % en France en 2003 pour atteindre 7 milliards d'€, et elle devrait dépasser + 60 % en 2004 alors que les experts tablaient en début d'année sur un taux de 40 % « seulement ». Ainsi, en 2003, le leader du secteur, Voyages-sncf.com , a affiché une hausse de son volume d'affaires de 72 % tandis que Switch connaissait une progression remarquable (+ 93 %), même si l'entreprise n'occupe que le 17 ème rang des distributeurs de voyages français.

Ces deux entreprises ont également multiplié par trois leurs bénéfices nets . Au reste, pas moins de sept agences en ligne figurent parmi les vingt premiers réseaux de distribution opérant sur le marché français du voyage (voir le tableau de la page suivante), ce qui traduit la montée en puissance de ces opérateurs Internet auprès des consommateurs . De même, à l'exception d' Amadeus , toutes ces entreprises connaissent des taux de croissance très élevés .

Ces agences se sont en partie développées grâce au phénomène des ventes de dernière minute (VDM), qui permet de conjuguer des avantages du côté tant de l'offre que de la demande. Ainsi, leur technologie autorisant une grande réactivité dans le processus de vente et des coûts de distribution très limités , elles sont utilisées par les tour-opérateurs comme lieu de déstockage .

En outre, les Français réduisent leur budget vacances et sont moins réticents à choisir leur destination au dernier moment pour bénéficier des tarifs attractifs des VDM .

LES VINGT PREMIERS RÉSEAUX FRANÇAIS DE DISTRIBUTION
PAR VOLUME D'AFFAIRES (EN MILLIONS D'EUROS)

Entreprises

Type de distribution

CA 2002

CA 2003

? 03/02

1

GIE Manor

RA «affaires»

1 720

1 708 (E)

- 0,7 %

2

Havas Voyages American Express

RA «affaires»

1 704

1 707

0,2 %

3

Selectour

RA «loisirs»

1 220

1 260

3,3 %

4

Protravel

RA «affaires»

865

1 027

NS

5

Afat Voyages

RA «loisirs»

1 006

980

- 2,6 %

6

Thomas Cook

RA «loisirs»

938

972

3,6 %

7

Carlson Wagonlit Travel Affaires

RA «affaires»

1 020

970

- 4,9 %

8

Tourcom

RA «loisirs»

970

965

- 0,5 %

9

Voyages-sncf.com

Agence en ligne

272

467

71,7 %

10

Leclerc Voyages

Grande distribution

230

253

1,1 %

11

Vacances Carrefour

Grande distribution

223

218

-2,2 %

12

Amadeus France

Agence en ligne

189 (E)

185 (E)

- 2,1 %

13

Go Voyages

Agence en ligne

157

185

7,8 %

14

Lastminute France

Agence en ligne

90

176

95,6 %

15

BTI France

RA «affaires»

102

153 (P)

50,0 %

16

Wasteels

RA «loisirs»

135

147 (P)

8,9 %

17

Switch

Agence en ligne

52

101 (P)

94,2 %

18

Karavel - Promovacances

Agence en ligne

NC

100 (E)

NC

19

Club Voyages (groupe Transat)

RA «loisirs»

89

90

1,1 %

20

Anyway

Agence en ligne

60

81

35,0 %

Source : Tourisme & Business - Avril 2004

RA : réseau d'agences - E : estimation - NS : non significatif
NC : non communiqué - P : chiffre provisoire communiqué par l'entreprise

Dès lors, la progression des agences en ligne semble devoir être régulière et durable , même si leur taux moyen de croissance diminue à mesure que le secteur se structure et devient mature. D'après le magazine Tour Hebdo , l'année 2003 s'est achevée avec un taux de croissance global de l'ordre de 40 %, contre 50 % et 100 % les années précédentes. Mais si ces résultats sont impressionnants par rapport à l'évolution du marché, le chiffre d'affaires du secteur l'est beaucoup moins , et la marge reste importante avant qu'il vienne concurrencer directement les « grands » opérateurs. Enfin et surtout, malgré une constante amélioration, la rentabilité de cette activité demeure faible (le taux de Voyages-sncf.com a ainsi été nul en 2002 et de 0,89 % seulement en 2003), même si l'élargissement de la gamme de produits proposée , la concentration du secteur et l'engouement de la clientèle pour ces agences pourraient rapidement corriger le phénomène.

La responsabilité des agences de voyages en ligne va-t-elle s'étendre ?

L'article 15 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LEN) a complété l'article L. 121-20-3 du code de la consommation afin de rendre « le professionnel [...] responsable de plein droit à l'égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le professionnel qui a conclu le contrat ou par d'autres prestataires de services » , sauf si le commerçant apporte la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable « soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure » . Or, la mise en oeuvre de cette protection renforcée du consommateur en ligne dans le secteur du tourisme pourrait poser des difficultés de cohérence avec la législation en vigueur résultant de la loi n°92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d'exercice des activités relatives à l'organisation et à la vente de voyages ou de séjours.

En effet, celle-ci ne rend responsables les agences de voyage de la non-exécution d'une prestation qu'en ce qui concerne les voyages à forfait : s'agissant de la vente d'un voyage « sec », la responsabilité d'un retard, d'une annulation ou de tout autre incident est exclusivement imputable au transporteur. Avec l'article 15 de la LEN, les agences de voyages en ligne pourraient donc se voir soumises à une plus large responsabilité que leurs concurrentes traditionnelles, sauf s'il était clairement prévu, dans l'ordonnance portant réforme de la loi du 13 juillet 1992 ( voir infra ), le maintien des cyberagences de voyages dans le cadre traditionnel de la responsabilité de ces professionnels établi par ladite loi de 1992.

b) La vente directe des prestations par les opérateurs

Le développement de l'Internet ne bénéficie pas qu'aux agences de voyage en ligne : il autorise aussi la vente en direct des prestations touristiques par les opérateurs , notamment les transporteurs. Ainsi, l'essor des compagnies aériennes « low-cost » tient en particulier à leur présence en ligne toujours plus visible. Ce succès grandissant représente dès lors un autre facteur de diminution de l'activité des agences de voyages et, dès lors, de leurs rémunérations .

* (11) Op. cit. - pp. 8 à 12.

* (12) « Proche d'une place de marché dédiée à l'univers du voyage, un GDS (Global Distribution System ou système de réservation centralisé) joue le rôle d'intermédiaire entre les prestataires comme les compagnies aériennes, chaînes d'hôtels, sociétés de location de voitures, compagnies ferroviaires et tour-opérateurs, et les revendeurs finaux du secteur, principalement les agences. A cette fin, un GDS adosse son service à une gigantesque plate-forme de traitement des réservations, affichant généra-lement une connexion à la plupart des grands fournisseurs mondiaux. Parmi les plus importants figurent l'espagnol Amadeus , ainsi que les américains Sabre , Galileo ou encore WorldSpan » .

Extrait d'un article d'Antoine Crochet Damais, in Le JDNet du mardi 30 octobre 2001.

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