C. LES MODIFICATIONS PROPOSÉES À L'ARTICLE 8 DU PRÉSENT PROJET DE LOI
Dans son rapport public pour 2002, la Cour des comptes note les difficultés posées par la fixation annuelle des redevances : « ces révisions sont décidées chaque année sans être inscrites dans une perspective de moyen terme qui donnerait de la visibilité aux compagnies et inciterait ADP à un effort de modération de ses coûts. Plus généralement, aucun contrat entre ADP et l'Etat ne fixe à terme les objectifs ni les moyens de l'établissement ».
L'article 8 du présent projet de loi présente un cadre rénové pour la facturation des redevances aéronautiques. Il introduit dans les faits trois modifications de grande importance :
- l'introduction de la capacité de tenir compte de la rémunération des capitaux investis ;
- les règles de la modulation des redevances ;
- la définition d'un cadre légal stabilisé pour cinq années , à la suite d'un contrat conclu entre ADP et l'Etat.
Ainsi, il est introduit un article L. 224-1 dans le code de l'aviation civile, qui tend à préciser et encadrer le système des redevances.
1. La prise en compte de la rémunération des capitaux investis
Les deux premiers alinéas de l'article 8 définissent le champ d'application des redevances aéroportuaires.
Ainsi, le dispositif d'encadrement est élevé par le présent article au rang législatif, ce qui permet de sécuriser le dispositif, qui relevait auparavant exclusivement du règlement.
Une adaptation par rapport à la pratique actuelle est introduite. Alors que l'article R. 224-1 du code de l'aviation civile indique simplement que « les redevances devront être appropriées aux services rendus », le deuxième alinéa de l'article L. 224-2 du code de l'aviation civile tend à préciser que « le montant des redevances tient compte de la rémunération des capitaux investis, ainsi que, le cas échéant, de dépenses, y compris futures, liées à la construction d'infrastructures ou d'installation nouvelles avant leur mise en service ».
Comme on a pu le voir, en effet, la jurisprudence administrative instaure une stricte proportionnalité entre le service rendu et les coûts . Or la compatibilité de cette proportionnalité à l'ensemble des coûts, passés ou futurs, est incertaine. Il semble sur ce point ne pas y avoir de doctrine claire. Or une société comme ADP doit engager des investissements considérables afin de développer ses installations, pour des projets qui peuvent n'être opérationnels que plusieurs années après le lancement des travaux . Dans ce cas, il semble logique de permettre à l'aéroport de faire supporter une fraction des sommes engagées au profit des compagnies aériennes, qui en seront, in fine , les bénéficiaires.
Ainsi, l'article 8 permet à l'aéroport de comptabiliser dans ses coûts la rémunération des capitaux investis (capitaux propres et dettes financières). Deux logiques sont invoquées pour justifier cette nouvelle forme de tarification :
- une logique financière d'une part : le changement de statut prévoit de transformer ADP en société anonyme, ce qui implique, pour partie, l'entrée au capital d'actionnaires minoritaires l'Etat demeurant majoritaire. En conséquence, il est rationnel de supposer que les investisseurs chercheront à retirer de leur placement un retour moyen sur investissement conforme aux critères du marché ;
- une logique industrielle d'autre part : en effet, la construction de nouvelles infrastructures est une nécessité pour le développement de l'attractivité de l'aéroport. A terme cependant, le coût de ces investissements repose en partie sur les compagnies aériennes. Le fait de leur faire supporter une fraction du coût du capital en amont permet d'éviter de très fortes hausses, le jour où la nouvelle installation entrera en service par exemple : comme une partie des investissements aura déjà été rentabilisé, il ne sera pas nécessaire de rechercher la rentabilité le plus rapidement possible. En conséquence, cette possibilité permet d'optimiser la gestion des infrastructures de manière plus efficace.
2. Vers une « caisse unique aménagée » ?
Comme votre rapporteur pour avis l'a souligné, les aéroports pratiquent en règle générale le système de la « simple caisse », où les activités non directement liées à l'aéronautique (commerce, parking) subventionnent les activités aéronautiques.
Les compagnies aériennes sont extrêmement attachées à ce mécanisme, recommandé par l'OACI, et qui leur permet de ne pas être facturée sur l'intégralité des coûts supportés par l'aéroport . Elles estiment que l'activité autour de l'aéroport étant directement liée au mouvement des avions, il convient de considérer l'aéroport comme une entité économique unique , et, en conséquence, de rechercher l'équilibre économique global entre les activités commerciales et les activités aéronautiques.
La position d'ADP ne consiste pas à revenir sur le système de la simple caisse, mais à l'aménager . En effet, les arguments suivants peuvent être avancés :
- la « simple caisse » freinerait les possibilités d'investissement , puisqu'elle n'encourage pas l'aéroport à investir dans l'accroissement et l'amélioration de ses capacités, mais plutôt dans les activités les plus « rentables » ;
- la ponction opérée sur les commerçants, et qui de fait subventionne les activités aéronautiques, serait dissuasive . A terme, elle pourrait conduire à une baisse de l'offre, si, afin de financer son développement, l'aéroport était conduit à l'augmenter.
Votre rapporteur pour avis estime que les deux logiques ne sont pas incompatibles . Il est de l'intérêt mutuel des compagnies aériennes et d'ADP que les infrastructures soient du meilleur niveau et que les investissements nécessaires soient réalisés. En conséquence, il s'agit de trouver le juste équilibre entre les redevances et le financement par les activités annexes , équilibre qui préserverait la rentabilité des compagnies comme de l'aéroport.
3. Les modulations possibles
Afin de tenir mieux compte de cette nécessité de l'équilibre, et de permettre aux aéroports une meilleure gestion de leurs infrastructures, le troisième alinéa de l'article L. 224-2 du code de l'aviation civile tel que présenté dans le présent projet de loi, autorise les modulations de redevances, dans un cadre défini.
Ainsi, il est précisé qu' « il [le montant des redevances] peut faire l'objet, pour des motifs d'intérêt général, de modulations limitées tendant notamment à réduire ou compenser les atteintes à l'environnement, améliorer l'utilisation des infrastructures ou diminuer leur encombrement ».
Le système actuel des redevances n'autorise en effet que des modulations limitées. Il est possible de baisser le niveau des redevances en dessous du coût moyen du service, mais pas de compenser par la hausse d'une autre redevance.
Les motifs qui permettent de moduler les redevances doivent être « d'intérêt général », ce qui semble exclure toute motivation en termes de simple rentabilité. L'article choisit de ne pas énumérer avec précision ce que sont ces motifs, en prenant trois cas, mais en en nuançant la portée par « notamment », ce qui implique que d'autres hypothèses pourraient être étudiées.
ADP a indiqué à votre rapporteur ce que pourrait être une forme de modulation. Il serait envisagé d'augmenter la redevance de stationnement en fonction du temps passé par l'avion, afin de réduire les temps d'occupation des aires, ou bien de tenir compte des nuisances à l'environnement (voir l'exemple de la DGAC dans l'encadré).
Les modulations pour motifs environnementaux
Les services de la DGAC ont fourni à votre rapporteur pour avis un exemple de modulation des redevances pour des motifs environnementaux.
« Au delà de leur capacité technique liée à la taille de leurs infrastructures, les grands aéroports sont aujourd'hui limités par leur capacité environnementale, malgré les enjeux économiques considérables qu'ils représentent. Là où le consensus entre les professionnels et les populations riveraines concernés ne peut être atteint, les pouvoirs publics interviennent par des mesures administratives en instaurant des restrictions d'exploitation, en limitant le nombre maximal de créneaux horaires attribuables (cas de l'aéroport de Paris-Orly) ou encore en fixant des quotas de bruit : c'est le cas de l'aéroport de Londres-Heathrow pour son activité nocturne ou de l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle pour son activité globale.
« L'augmentation de la capacité technique d'un aéroport nécessite des investissements financiers qui trouvent naturellement leur contrepartie dans les redevances aéroportuaires.
« Il est légitime par ailleurs de considérer que la possibilité d'augmenter le trafic, à capacité environnementale constante, présente un lien direct avec le service rendu aux usagers et que les politiques tarifaires en ce sens peuvent conduire à relever des redevances. Entrent dans cette catégorie les incitations, par exemple sous forme de modulations des redevances, ayant pour effet, dans le cas où des quotas de bruit sont fixés, de soulager les tranches horaires sensibles (soirée et nuit) ou d'améliorer la performance acoustique moyenne des avions fréquentant une plate-forme.
« Une telle démarche est clairement distincte du dispositif fiscal existant sur les principaux aéroports nationaux, destiné à financer les aides aux opérations d'insonorisation des logements de riverains. Récemment réformé, ce dispositif se traduit par une taxe affectée aux exploitants d'aéroports à qui a été confié, par la loi, le financement de ces aides ».
Source : DGAC
En conséquence, il est également introduit un principe de globalisation des redevances par l'alinéa suivant : « Le produit global des redevances ne peut excéder le coût des services rendus sur l'aéroport ». Cet alinéa permet, si une modulation à la baisse est décidée, de la compenser par une modulation à la hausse sur une autre redevance, le seul élément considéré étant le niveau global des redevances, mais également de limiter les possibilités, en s'assurant que le niveau global des redevances ne saurait dépasser le coût des services rendus .
Le principe de la modulation « heure pleine-heure creuse » a par ailleurs été évoqué devant votre rapporteur pour avis. En effet, il pourrait sembler « économiquement rationnel » de faire supporter aux compagnies un coût plus élevé aux heures de pointe, et moins élevé en heures creuses, afin de les inciter à répartir les arrivées sur l'ensemble de la journée. Cette pratique se heurte cependant à un problème spécifique, qui est le « hub » d'Air France à Roissy-Charles-de-Gaulle. Le principe même du « hub » est précisément de concentrer, sur plusieurs moments de la journée, des arrivées et des départs d'avion. Cette possibilité est au coeur de la stratégie de développement d'Air France, comme des principales compagnies mondiales. Des craintes ont donc été émises de voir ADP pratiquer à Roissy ce type de tarification, qui pourrait compromettre l'équilibre économique d'air France, voir conduire la compagnie à déplacer à terme son « hub » dans un autre pays.
Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, une telle crainte n'est pas fondée. En effet, le président d'ADP, M. Pierre Graff, lors de son audition devant la commission des affaires économiques, a indiqué que cela n'était ni envisagé, ni envisageable.
Extrait de l'audition de M. Pierre Graff, président d'Aéroport de Paris, devant la commission des affaires économiques le 19 octobre 2004
Abordant le point de la modulation des redevances , il a souligné le progrès que constituait la modernisation de leurs règles de définition. Il a déclaré solennellement que la modulation des redevances ne porterait pas sur les horaires, ce qui garantissait que le fonctionnement du hub d'Air France ne serait pas affecté. Il a ajouté qu'ADP ne verrait pas d'inconvénient à ce que le décret relatif aux redevances exclue les horaires du champ de la modulation. En revanche, celle-ci serait très profitable à la collectivité dans d'autres domaines tels que l'impact environnemental, la capacité des avions ou leur stationnement sur les parkings.
Source : bulletin des commissions n° 3, session ordinaire 2004-2005, p 308.
Votre rapporteur pour avis partage l'appréciation du président d'ADP : il serait peu rationnel de la part de la société d'handicaper la stratégie de hub d'Air France, qui lui est également profitable en lui assurant un flux régulier d'avions et en positionnant l'aéroport, par le système des alliances, à un niveau mondial.
4. Un modèle de régulation économique pluriannuelle par contrat
La modulation des redevances aussi bien que leur tarifs ne sont pas décidées de manière unilatérale par ADP. Le II de l'article 8 précise les modalités de la régulation économique envisagée pour les redevances.
A l'heure actuelle, il est prévu que le niveau des redevances est revu tous les ans , après concertation des principaux partenaires, et avec un droit de veto de l'Etat.
Le II pose le principe d'un contrat pluriannuel , d'une durée de cinq ans.
Le cadre général est le suivant : « les conditions de l'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires sont déterminées par des contrats pluriannuels d'une durée de maximale de cinq ans , conclus avec l'Etat, qui fixent pour la période considérée une évolution maximale en tenant compte notamment des prévisions de coût, de recettes, d'investissements ainsi que d'objectifs de qualité des services publics rendus par l'exploitant d'aérodrome ».
Le III indique pour sa part que les modalités d'application, et notamment « les règles relatives au champ, à l'assiette et aux modulations des redevances, les principes et les modalités de fixation des tarifs » font l'objet d'un décret en Conseil d'Etat.
Plusieurs points doivent être relevés.
En ce qui concerne la durée du contrat , c'est-à-dire la possibilité d'inscrire les évolutions de redevances dans un cadre pluriannuel, on note que cela va dans le sens des remarques de la Cour des comptes, qui relevait à propos du mécanisme de fixation annuel dans son rapport public pour 2002 qu'« il en résulte une contestation permanente des augmentations des redevances par les compagnies. Ces révisions sont décidées chaque année sans être inscrites dans une perspective de moyen terme qui donnerait de la visibilité aux compagnies et inciterait ADP à un effort de modération de ses coûts. Plus généralement, aucun contrat entre ADP et l'Etat ne fixe à terme les objectifs ni les moyens de l'établissement ».
En ce qui concerne les modalités de négociation du contrat , l'article n'est pas explicite, et se contente de renvoyer à un décret en Conseil d'Etat. A ce stade, seuls des éléments extrêmement généraux sont inscrits dans la loi, et ne préjugent en rien de la manière dont sera déterminé le niveau des redevances. De plus, le « notamment » dans le II semble suggérer que d'autres motifs pourront être invoqués lors de la discussion. Sur ce point, votre rapporteur pour avis a pu recueillir des informations sur ce qui serait envisagé dans le décret d'application. Au niveau des éléments considérés, il serait tenu compte de la situation économique du transport aérien. A ce stade, la procédure serait la suivante :
- transmission par le responsable de l'aéroport d'une étude économique prenant en compte les éléments nécessaires aux ministres des transports et de l'économie, ainsi qu'aux représentants des usagers (les compagnies aériennes) ;
- observations des usagers , et réponses des gestionnaires de l'aéroport, l'ensemble des ces échanges étant communiqué aux ministres de tutelle ;
- rapport de synthèse réalisé par les deux ministres de tutelle , qui sert de base à la négociation entre l'Etat et les gestionnaires de l'aéroport.
On peut remarquer que le mécanisme envisagé n'est pas fondamentalement différent de celui qui existe à l'heure actuelle, avec la commission consultative économique . Il existe de plus une forme « d'incitation » pour l'aéroport à accepter une solution de compromis, si il s'avérait qu'un accord avec l'Etat n'était pas trouvé. En effet, le second alinéa du II précise que « faute pour un tel contrat d'être conclu, les tarifs des redevances aéroportuaires sont déterminés sur une base annuelle dans des conditions fixées par décret ».
Votre rapporteur pour avis a cependant les remarques suivantes à formuler :
- il peut sembler que les garanties et les éléments à prendre en compte lors de la négociation du contrat gagneraient à être affinés et précisés dans l'article , ce dernier laissant une marge de manoeuvre extrêmement large au gouvernement ;
- l'Etat joue dans ce mécanisme un rôle de régulateur . En effet, il se trouve en position d'arbitre et en mesure d'imposer ses choix à ADP si aucun accord n'est trouvé. Cependant, l'Etat est également l'actionnaire principal de la société, ce qui peut amener à un conflit d'intérêt.
Ce point en particulier mérite d'être examiné avec attention. La question de la gestion d'un aéroport, et surtout d'aéroports aussi importants pour le développement de l'économie française que Roissy et Orly, met en jeu de nombreux acteurs :
- la société aéroportuaire , qui a l'obligation de réaliser des investissements lourds, et se trouve de facto en situation de monopole sur son territoire. En conséquence, et compte tenu de cette position de monopole, il est normal que le secteur fasse l'objet d'une régulation et d'un contrôle dans l'application du principe de non discrimination ;
- les compagnies aériennes , qui peuvent jusqu'à un certain point faire jouer la concurrence entre aéroports européens, mais se trouvent dans une certaine mesure contrainte par les investissements passés comme par les demandes de leurs clients ;
- l'Etat , qui ici possède la compétence de régulateur , mais également un intérêt dans l'aéroport , par le biais des actions qu'il détient au capital.
Votre rapporteur pour avis remarque qu'il est de l'intérêt de tous ces acteurs que l'aéroport réalise les investissements nécessaires, à la fois pour les compagnies aériennes qui pourront améliorer leur service, et pour l'Etat, qui valorise au mieux sa participation et peut mener une politique d'attractivité du territoire.
Il convient de plus de rappeler que le tarif des redevances est resté extrêmement stables entre 1990 et 2000, ce qui a conduit ADP à s'endetter, mais est depuis en hausse, ce qui limite la visibilité des compagnies aériennes, mais peut s'analyser comme un phénomène de « rattrapage » par rapport aux années précédentes. De plus, il faut souligner que les différentes redevances représente en moyenne environ 4 % du prix d'un billet d'avion.
En conséquence, les termes du contrat sont déterminants, puisque, pour cinq ans, ils fixent à la fois l'équilibre économique de l'aéroport, l'ampleur des modulations envisagées et les programmes d'investissement qui seront possibles.
Votre rapporteur pour avis estime donc qu'une attention toute particulière doit être accordée à la question du modèle de régulation économique envisagé pour la détermination des redevances. Sur ce point, l'article 8 du projet de loi reste relativement imprécis, en indiquant juste le contrat est conclu entre l'Etat et ADP.
En conséquence, votre rapporteur pour avis est favorable à la création d'une entité indépendante qui pourrait, le cas échéant, éclairer les choix du gouvernement en la matière et s'assurer du respect des grands principes qui doivent régir la gestion des aéroports. L'autorité pourrait également vérifier que les engagements fixés dans le cahier des charges, prévu à l'article 6 du projet de loi, sont effectivement tenus. En effet, il ne paraît pas possible pour une telle autorité de séparer la problématique des redevances de l'équilibre économique global de l'aéroport, qui reste déterminée par la gestion de son domaine.