EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 4 novembre 2004 sous la présidence de M. Maurice Blin, puis de M. Jean Arthuis, président , la commission des finances a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Yvon Collin , sur le projet de loi n° 452 (2003-2004), relatif aux aéroports .
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a tout d'abord précisé que le projet de loi sur les aéroports, examiné aujourd'hui, était le premier texte sur ce thème depuis une cinquantaine d'années, ce qui montrait à quel point les structures héritées de ce lointain passé méritaient d'être enfin modernisées.
Il a rappelé que la commission des finances s'était saisie pour avis du présent projet de loi, traité au fond par la commission des affaires économiques et dont le rapporteur était M. Jean-François Le Grand. Il a tenu à souligner l'excellent esprit qui avait présidé aux travaux communs sur ce thème.
Il a indiqué que ce projet de loi ne devait, à l'origine, concerner que la première société aéroportuaire française, Aéroports de Paris (ADP), dont le statut n'avait pas évolué depuis 1945, et a ajouté que le gouvernement avait cependant profité de l'occasion pour intégrer des dispositions qui concernaient les grands aéroports régionaux. Il a indiqué que la commission des finances, quant à elle, avait choisi de ne se saisir que des éléments relatifs à Aéroports de Paris, car ces dispositions concernaient plus directement sa compétence.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a entamé son propos en précisant, dans un premier temps, les données relatives à ADP, et dont découlait finalement la nécessité de faire évoluer son statut, avant de présenter à la commission les principales innovations du texte. Il a constaté qu'elles visaient à transformer l'établissement public ADP en une société de service et, corrélativement, à lui donner les moyens de son développement.
En préliminaire, il a rappelé la situation actuelle d'Aéroports de Paris, en notant que le chiffre d'affaires de la société s'était élevé, en 2003, à environ 1,5 milliard d'euros, et qu'ADP avait statutairement la responsabilité de la gestion des aéroports en Ile-de-France, ce qui lui conférait le plus grand domaine aéroportuaire d'Europe, avec 6.600 hectares, composés majoritairement des plateformes de Roissy, Orly et le Bourget. Il a précisé qu'ADP employait ainsi 8.000 salariés de droit privé, et était également chargée de missions de sécurité sur les aéroports, missions financées par une taxe spéciale.
Il a souligné qu'il n'était pas besoin d'insister sur les enjeux cruciaux d'un aéroport de cette importance pour l'Ile-de-France et le pays en général, car plus de 70 millions de passagers transitaient, chaque année, par Roissy ou Orly, contre 40 millions pour l'ensemble des autres aéroports. De plus, il a constaté qu'ADP était le « hub » d'Air France, c'est-à-dire le centre des activités d'une des premières compagnies aériennes mondiales, la première en fait, depuis la fusion avec KLM, en termes de chiffres d'affaires, et qu'il était aisé de comprendre à quel point son changement de statut pouvait présenter un intérêt évident.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , s'est interrogé sur la nécessité de faire évoluer ce statut.
Il a ainsi précisé que la réponse n'avait rien à voir avec le droit communautaire, comme dans d'autres secteurs, mais relevait d'une question beaucoup plus triviale, ADP devant faire face, aujourd'hui, à de très lourds investissements, évalués à 700 millions d'euros pour 2005. Il a indiqué que la société devait impérativement se moderniser, améliorer ses procédures et son image et, surtout, se mettre aux normes afin de recevoir l'A380, ce qui nécessitait des investissements très lourds, et qu'il en allait de la place de la plateforme aéroportuaire de Paris en Europe, à l'heure où la concurrence, par exemple avec Heathrow à Londres, était devenue une réalité.
Il a reconnu qu'ADP était endetté, le ratio endettement sur fonds propre dépassant 150 %, ce qui empêchait tout financement futur par emprunt. En conséquence, il a précisé que ce serait à l'Etat de doter ADP des moyens nécessaires à son développement, mais que l'Etat n'avait pas 700 millions d'euros à mettre chaque année dans le capital de l'entreprise.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a estimé que la solution était donc double, et passait, de toute façon, par un changement de statut.
D'une part, il a indiqué qu'ADP devait mener une politique de productivité et d'efficacité, afin de devenir une plateforme plus performante, et que des efforts étaient actuellement menés par son président, M. Pierre Graff, en concertation avec les organisations syndicales. Il a observé que le statut des personnels n'était pas touché par le texte tel que voté à l'article premier.
D'autre part, il a noté qu'ADP devait se doter des moyens juridiques de s'ouvrir aux capitaux privés, ce qui était permis par la transformation en société anonyme, mais devait, également, s'efforcer de devenir un placement rentable pour les investisseurs. Il a jugé que cela « sonnait comme une évidence », mais qu'il fallait relever que la société était étroitement liée à des missions d'intérêt général et au développement économique du pays, ADP devant donc supporter, à ce titre, de nombreuses contraintes, comme d'ailleurs tous les aéroports dans le monde.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , s'est demandé comment le présent projet de loi répondait à ces défis. Il a présenté les deux innovations principales de ce projet, la première concernant la domanialité, la seconde le financement par redevances.
Concernant la domanialité, il a précisé que le passage au statut de droit privé étant acquis, le gouvernement avait la possibilité d'assurer le maintien du régime de la domanialité publique, ce qui entraînerait, de facto, la perte par ADP de terrains qui étaient jusqu'à présent sa propriété. Sur ce point, il lui a semblé que les personnels de l'entreprise s'étaient montrés très attachés à l'intégrité de la société, qui aurait alors été compromise.
De plus, il a rappelé que la valeur d'un actif était égale au flux de trésorerie qu'il permettait de générer dans le futur et que l'Etat, s'il avait conservé la propriété des terrains, aurait dû, soit demander une redevance symbolique ou nulle, ce qui lui était défavorable puisque les terrains ne lui rapportaient rien, ni à la société d'ailleurs, soit, s'il avait choisi de demander une redevance qui correspondait à la valeur des terrains, obliger ADP à augmenter ses propres ressources, ce qui ce serait fait au détriment de ses clients et aurait diminué ses possibilités d'investissement.
Il a en outre ajouté que le passage à un tel régime de domanialité privée avait donc été privilégié, mais en tenant compte des obligations de service public.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a précisé que le projet de loi encadrait, en fait, le passage à la domanialité privée de nombreuses garanties, dont les principales étaient fixées dans un cahier des charges qui serait approuvé par décret en Conseil d'Etat. Il a remarqué qu'il n'y avait aucune perte pour l'Etat, propriétaire de 100 % du capital de la société, les investisseurs qui rentreraient au capital prenant alors en compte, dans la valorisation de la société, un patrimoine immobilier.
Concernant les redevances, il a indiqué qu'elles représentaient 29 % du chiffre d'affaires et un produit total de 489 millions d'euros, qu'elles correspondaient aux différents services rendus par l'aéroport aux compagnies, qui acquittaient donc une redevance pour chaque avion qui se posait, ou chaque passager qui débarquait, et qu'actuellement, elles étaient fixées par ADP, après concertation avec les compagnies aériennes, l'Etat disposant d'un droit de veto.
M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a noté que, dans le passé, on avait pu observer une certaine « sous-évaluation » des redevances, et qu'entre 1990 et 2000, elles avaient progressé à peu près comme l'inflation, ce qui semblait correspondre à une volonté des différents gouvernements de ne pas pénaliser les compagnies aériennes, et notamment Air France. Il a également précisé que, depuis 2001, elles progressaient d'environ 5,5 % par an, ce qui tenait compte des besoins en investissements de la société.
Il a souhaité, à ce moment de sa présentation, faire un point rapide sur le principe dit de la « caisse unique ». Il a reconnu que les redevances perçues par les aéroports ne couvraient pas l'ensemble des coûts et que tous les aéroports du monde pratiquaient le système dit de la « caisse unique », consistant à assurer leur équilibre économique par les recettes provenant des activités annexes, notamment les commerces implantés sur l'aéroport et les parkings. Il a ajouté, en outre, qu'il n'était pas question de remettre ce principe en cause, mais que la tendance était à la « vérité des prix », raison pour laquelle le projet de loi prévoyait, notamment, que les redevances pourraient tenir compte de la rémunération des capitaux investis.
Concernant la procédure, M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a noté une difficulté car, si à l'heure actuelle il existait une large concertation qui précédait la fixation des redevances, demain, on se retrouverait avec un Etat régulateur, un Etat actionnaire d'ADP, et un Etat actionnaire d'Air France. Il a estimé que cela « faisait beaucoup », et que cet état de fait l'avait conduit à réfléchir sur l'opportunité de créer une autorité de régulation indépendante. Il a souligné qu'après analyse, on pouvait penser qu'une telle structure serait lourde à gérer, et serait susceptible d'interférer avec la politique des transports et la politique d'aménagement du territoire, qui restaient de la responsabilité du gouvernement.
Il lui a donc semblé que la formule présentée par M. Jean-François Le Grand, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, qui consistait à créer une « commission de conciliation aéroportuaire », indépendante, et qui adresserait au ministre des avis motivés sur le sujet, allait dans le bons sens. Il a précisé que cette commission de conciliation permettrait également de contrôler l'application du cahier des charges relatif à la gestion par ADP de son domaine public. Concernant la régulation, il a ajouté qu'il était difficile de se fonder sur les exemples étrangers, car il n'y avait pas, en fait, de « modèle » aéroportuaire, précisant qu'en Allemagne, la régulation était directement réalisée par les Länder, propriétaires des aéroports, et qu'en Grande-Bretagne, elle était réalisée par le Conseil de la concurrence.
En conclusion, M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a estimé qu'en conséquence, concernant cette affaire, il fallait avoir, avant tout, présent à l'esprit que les intérêts des compagnies aériennes, comme de l'Etat, actionnaires et régulateurs, étaient convergents, et qu'il fallait donner à ADP les moyens financiers de se développer. Il a jugé que cela passerait certainement par des hausses de redevances, qui ne représentaient que 4 % du prix d'un billet d'avion, et a déclaré que les dirigeants d'ADP étaient tout à fait conscients de leur responsabilité en la matière. Il a souligné qu'il comptait donc soutenir son collègue de la commission des affaires économiques sur ce point.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Maurice Blin a rappelé que le sujet des aéroports était d'une importance cruciale et pouvait susciter de nombreuses et légitimes interrogations.
M. Bernard Angels a précisé que son groupe était extrêmement réticent quant au changement de statut d'ADP, qui posait la question de la sécurité aéroportuaire, et s'est interrogé sur la position de la compagnie aérienne Air France face à une telle évolution.
M. Serge Dassault a relevé l'importance des investissements à réaliser dans les prochaines années. Il a demandé des précisions sur les comptes de résultat et la nature des investissements d'ADP, soulignant qu'il serait difficile de les rentabiliser.
M. Maurice Blin a rappelé l'endettement considérable de la compagnie, en partie lié à l'ampleur des investissements et à la sous-estimation des tarifs des redevances, ce qui conduisait à hypothéquer l'avenir d'ADP.
M. Jean Arthuis, président , s'est inquiété de l'état du terminal 1 de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, estimant nécessaire de procéder à sa réhabilitation.
M. Maurice Blin s'est interrogé sur les exemples internationaux, notamment de Francfort et Londres, remarquant que les commerces de ce dernier rapportaient des sommes deux fois supérieures par rapport aux commerces d'ADP.
M. Jean Arthuis, président , a rappelé que l'objectif principal était de rendre le placement attractif pour les investisseurs afin de permettre à ADP de mener à bien ses programmes, notamment relatifs à l'accueil de l'Airbus A380. Il s'est interrogé sur la cohérence rédactionnelle de l'article 8 du présent projet de loi, qui précisait, d'une part, que les redevances étaient fonction du service rendu et, d'autre part, qu'elles ne pouvaient excéder la somme totale due au titre de ces services.
En réponse aux différents intervenants, M. Yvon Collin, rapporteur pour avis , a indiqué que la société Air France avait manifesté des craintes, liées notamment à une hausse possible des redevances, relevant cependant qu'elles ne représentaient que 4 % du prix d'un billet d'avion et qu'il convenait de permettre à ADP d'assurer son développement tout en rappelant que lesdites redevances avaient été manifestement sous-estimées dans le passé.
Il a précisé qu'il n'existait pas de modèle européen de gestion aéroportuaire, rappelant les exemples de Londres et Francfort. Il a toutefois relevé que la structure des redevances d'ADP indiquait une compétitivité particulièrement bonne sur les vols intérieurs et intra-communautaires, mais moins assurée à l'international.
Enfin, il a exposé que la rédaction de l'article 8 permettait, en fait, de moduler les redevances, précisant qu'il n'était pas possible de les facturer totalement au « juste coût », en application du principe dit de la « caisse unique ».
A l'issue de ce débat, la commission a décidé d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi sans modification, tout en rappelant son soutien aux amendements proposés par la commission des affaires économiques, saisie au fond dudit projet de loi.