II. LES DISPOSITIONS CONCERNANT LES RÈGLES D'ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS

A. L'ACCUEIL ET L'INTÉGRATION DES PERSONNES ISSUES DE L'IMMIGRATION : UN DÉFI QUI RESTE À RELEVER

1. Des flux d'entrée élevés et en hausse

En 2002, l'immigration permanente a augmenté de 10 % soit au même rythme annuel que celui observé depuis 1999 : 156 000 étrangers pour la France entière contre 141 000 en 2001 et 127 000 en 2000. Le nombre de ressortissants de l'Espace économique européen est stable depuis plusieurs années, voire en légère diminution (31 450 en 2002). L'augmentation des flux d'entrées est donc imputable aux ressortissants de pays tiers à l'Union européenne. Par ailleurs, le nombre des demandeurs d'asile conventionnel en 2002 a été de 59 000 personnes, dont 8 000 mineurs auxquels se sont ajoutés 28 000 demandeurs d'asile territorial.

Les flux d'entrées à caractère permanent d'étrangers non ressortissants de l'Espace économique européen 2001 et 2002 se répartissent comme suit :

Année

Travailleurs salariés

Actifs

non salariés

Réfugiés statutaires

Bénéficiaires de l'asile territorial

2001

2002

8 811

7 469

433

510

7 323

8 495

322

195

Année

Regroupement familial

Membres
de famille
de Français

Conjoints
de scientifiques

Membres
de famille
de réfugiés

2001

2002

23 081

27 267

42 567

52 995

366

382

1 422

1 475

Année

Etrangers nés
en France

Mineurs résidant depuis l'âge
de 10 ans

Liens personnels
et familiaux

Résidence
en France depuis + de 10 ou 15 ans

2001

2002

45

50

1 853

1 770

5 564

7 123

2 699

2 155

Année

"Visiteurs"

Titulaires
d'une rente

Bénéficiaires
du réexamen

Total des situations repérées

2001

2002

8 968

9 985

32

28

65

66

103 551

120 448

Sources : OMI, OFPRA

Plus de 70 % des entrées se font de plein droit, pour des raisons familiales. Le motif familial, au sens large, explique à lui seul la quasi-totalité du surcroît d'immigration permanente.

2. Un dispositif d'accueil peu développé et dispersé

Face à ces flux, notre pays n'a pas su réagir et mettre en place une politique volontaire d'accueil et d'intégration coordonnée. Le seul contact entre l'Etat et les primo-arrivants se réduit souvent aux formalités administratives effectuées en préfecture.

L'accueil et l'intégration des étrangers sont le fait de nombreux organismes publics et associations auxquels des collectivités territoriales joignent leur action. Mais il n'existe pas de réelle coordination.

Comme votre rapporteur l'indiquait lors des travaux préparatoires de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité 2 ( * ) , notre pays a renoncé depuis plusieurs années à définir une politique migratoire.

La loi précitée ainsi que la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile ont commencé à doter l'Etat des moyens de définir et mettre en oeuvre une vraie politique migratoire choisie et assumée.

La création du contrat d'accueil et d'intégration à la suite du comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003 et aujourd'hui ce projet de loi s'inscrivent dans cette action globale.

B. LE PROJET DE LOI : CRÉER UN SERVICE PUBLIC DE L'ACCUEIL DES NOUVEAUX IMMIGRÉS ET DÉVELOPPER LE CONTRAT D'ACCUEIL ET D'INTÉGRATION

Conformément aux grandes orientations définies par le comité interministériel à l'intégration du 10 avril 2003, et dans le droit fil du discours du président de la République à Troyes le 14 octobre 2002, ce projet de loi réorganise le dispositif d'accueil des étrangers afin de mettre en place de véritables parcours d'intégration en faveur des primo-arrivants.

1. La mise en place d'un service public de l'accueil des étrangers titulaires, pour la première fois, d'un titre les autorisant à séjourner durablement en France

La réussite de l'accueil des étrangers en France est une condition primordiale pour une bonne intégration. Les premiers contacts avec la société d'accueil sont en effet décisifs pour la suite du processus d'intégration. L'enjeu est de faciliter l'insertion de ces personnes au moment où elles sont souvent fragilisées et où des besoins d'accompagnement s'expriment en matière de connaissance des règles de la vie en France, d'apprentissage de la langue ou d'accès aux droits sociaux.

Pour y parvenir, la solution retenue par le projet de loi consiste à créer un opérateur public unique en capacité d'assurer un accueil personnalisé pour l'ensemble du public concerné. A cette fin, l' article 60 du projet de loi crée une Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) chargée de ce service public de l'accueil des étrangers en France.

Cette agence reprendrait pour l'essentiel les missions actuellement dévolues à l'Office des migrations internationales (OMI) et à l'association « Service social d'aide aux émigrants ». En regroupant les moyens de ces deux opérateurs majeurs, le nouvel ensemble disposerait d'un budget de plus de 70 millions d'euros et d'un effectif d'environ 900 personnes couvrant le territoire.

Principal responsable de ce service public, cette agence pourrait conclure des conventions avec d'autres partenaires pour enrichir le contenu et le suivi des services offerts aux primo-arrivants. Toutefois, sa taille en ferait le coordonnateur et l'organisateur de ce service public qui s'articule autour de plates-formes d'accueil regroupant l'ensemble des intervenants.

Cette logique de guichet unique doit solenniser l'accueil de l'étranger sur le territoire français. Sur un même lieu, il est informé de ses droits et devoirs et des prestations auxquelles il a droit. Surtout, en individualisant l'accueil dans une structure cohérente, il doit vivre son entrée en France comme le début d'un parcours vers l'intégration.

Ce parcours d'intégration doit se poursuivre au delà des premiers mois de l'accueil. Aussi, l' article 61 du projet de loi prévoit-il l'élaboration d'un programme régional d'intégration des populations immigrées sous l'autorité du préfet de région. Il détermine l'ensemble des actions y concourant et fédère les initiatives de tous les acteurs concernés, notamment les collectivités territoriales.

L' article 63 tend à préciser les missions et l'organisation du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD). Cet établissement public assiste l'ANAEM dans sa mission d'accueil des primo-arrivants. D'ores et déjà, le FASILD finance les formations linguistiques prescrites par l'actuel Office des migrations internationales. Plus généralement, il met en oeuvre des actions visant à l'intégration des populations immigrées et issues de l'immigration.

Enfin, l'article 64 du projet de loi règle les modalités du transfert des activités du « Service social d'aide aux émigrants » , association de droit privé, à la future agence, établissement public administratif de l'Etat. Le personnel du SSAE devrait être repris par l'agence sous le régime des agents contractuels de droit public. Les autres modalités de la fusion-absorption (biens, droits et obligations) seraient déterminées par une convention entre les deux organismes.

2. La généralisation du contrat d'accueil et d'intégration et sa prise en compte pour la délivrance de la carte de résident.

Le service public précédemment décrit serait organisé autour d'un instrument principal, le contrat d'accueil et d'intégration (CAI) proposé à tout étranger admis pour la première fois au séjour en France en vue d'une installation durable.

L' article 61 tend à définir le contenu, le régime et les effets attachés au contrat d'accueil et d'intégration. Ce contrat, expérimenté depuis juillet 2003 3 ( * ) , recevrait ainsi une base légale et les conditions dans lesquelles l'étranger signataire bénéficie d'actions destinées à favoriser son intégration ainsi que les engagements qu'il prend en ce sens seraient précisés par un décret en Conseil d'Etat. Celui-ci devrait s'inspirer de l'expérimentation en cours et des premières évaluations.

L'accent serait particulièrement mis sur l'acquisition d'un niveau satisfaisant de maîtrise du français, vecteur essentiel de l'intégration. A cet égard, le plan de cohésion sociale programme 20 millions d'euros supplémentaires pour 2005 au profit du FASILD, afin qu'il finance les formations linguistiques dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration.

Simplement proposé et non imposé, ce contrat serait un élément pris en compte pour apprécier la condition d'« intégration républicaine dans la société française » prévue au quatrième alinéa de l'article 14 de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.

En effet, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration a subordonné, dans la majorité des cas, la délivrance d'une première carte de résident valable dix ans à l' « intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de sa connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent la République française ». Cette modification législative est l'une des principales nouveautés introduites par la loi du 26 novembre 2003. Lors des travaux préparatoires, la prise en compte de ce contrat d'accueil et d'intégration avait déjà été évoquée 4 ( * ) .

3. Les autres dispositions

L' article 62 a pour objet de subordonner la délivrance à un étranger d'une autorisation de travail comme salarié, en cas d'installation durable en France, à l'attestation d'une connaissance suffisante de la langue française ou à l'engagement d'acquérir cette connaissance après son installation en France.

L'article L. 341-2 du code du travail ne prévoit actuellement aucune condition de ce type pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée. L'étranger doit seulement obtenir une autorisation de travail délivrée par le préfet et passer un examen médical. Le projet de loi apporterait donc une innovation très importante aux règles de l'entrée et du séjour en France laquelle n'avait pas été évoquée lors du débat sur la loi du 26 novembre 2003.

Cette nouvelle obligation ne toucherait en réalité que les travailleurs permanents titulaires d'une autorisation de travail d'au moins un an, soit environ 7500 personnes par année. L'objectif est de mieux intégrer cette catégorie de la population étrangère qui a le plus souvent vocation à rester en France et à demander après quelques années le bénéfice du regroupement familial.

Dans un domaine très différent, l' article 65 tend à ne plus opposer de forclusion à la demande de francisation de prénoms émanant de personnes dont le prénom avait préalablement fait l'objet, à leur insu et donc sans prise en compte de leur choix, d'une francisation à l'initiative de l'autorité administrative .

Cette procédure illégale de francisation de facto , fréquente dans les décennies qui suivirent la seconde guerre-mondiale, pose aujourd'hui problème à l'occasion du renouvellement des titres d'identité. Les prénoms francisés n'ayant fait l'objet d'aucune décision légale, les actes de naissance de ces personnes ne comportent que les seuls prénoms étrangers.

Or, lors du renouvellement d'un titre, il convient que les prénoms figurant sur les titres d'identité correspondent à ceux figurant sur l'acte de naissance. Pour conserver leurs prénoms francisés, ces personnes naturalisées depuis longtemps doivent engager des démarches parfois longues et coûteuses. La procédure de francisation des prénoms n'est en effet ouverte que durant l'année qui suit l'acquisition de la nationalité française. Le projet de loi supprime cette condition de délai pour ces personnes.

C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : PRÉCISER LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

Votre commission souscrit à l'ensemble de ce dispositif qui apparaît en l'état équilibré. Elle vous propose plusieurs amendements pour la plupart techniques ou rédactionnels.

Concernant la future agence, un premier amendement à l'article 60 prévoit que l'agence peut conclure des conventions avec d'autres organismes publics ou privés afin de les associer à toutes ces missions , et non uniquement au service public de l'accueil des étrangers.

Par coordination avec ce même article, deux amendements insérant un article additionnel tendent, respectivement, à supprimer les dispositions pénales sanctionnant le non-respect du monopole de l'Office des migrations internationales en matière d'introduction des travailleurs étrangers en France puisque le projet de loi met précisément fin à ce monopole et à harmoniser le nouvel intitulé de l'agence dans l'ensemble des textes législatifs.

Un amendement à l'article 63 précise que l'agence, pour l'exercice de ses missions, met en oeuvre une action sociale spécialisée en direction des populations immigrées. Votre rapporteur tient de la sorte à mieux faire apparaître au sein de l'agence l'apport essentiel de l'association « Service social d'aide aux émigrants » et notamment de son personnel. L'agence, rappelons le, n'est pas une simple transformation de l'Office des migrations internationales, mais une fusion des activités de l'OMI et du SSAE.

Concernant précisément le SSAE et son personnel, votre commission souhaite interroger le Gouvernement sur les conditions de l'intégration des salariés de cette association, personne privée, dans la future agence, personne publique. Elle souhaite en particulier être éclairée sur le devenir des accords collectifs conclus au sein du SSAE ainsi que sur les garanties et les compensations que prévoira le décret portant intégration de ces personnels.

Concernant le contrat d'accueil et d'intégration , un amendement rédactionnel tend à rétablir à l'article 61 l'expression complète « condition d'intégration républicaine de l'étranger dans la société française » au lieu de « condition d'intégration républicaine ».

Enfin, concernant les demandes de francisation des prénoms , votre commission propose qu'il y soit fait droit une fois les vérifications formelles accomplies. L'administration verrait ainsi sa compétence liée.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale dont elle s'est saisie.

* 2 Voir le rapport n° 1 (2003-2004) de M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur au nom de la commission des Lois.

* 3 Expérimenté tout d'abord dans douze départements, ce contrat est mis en oeuvre aujourd'hui dans 26 départements. Il touche au 1 er septembre 2004 environ 40 000 personnes.

* 4 Voir le rapport n° 1 (Sénat, 2003-2004) de M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur au nom de la commission des Lois.

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