II. UN PROJET DE LOI DE MODERNISATION DU SECTEUR, SENSIBLEMENT MODIFIÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
A. UN AMÉNAGEMENT DES COMPÉTENCES ET UN RENFORCEMENT DES POUVOIRS DU CSA
1. Une évolution nécessaire
La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication comportait les germes d'un pouvoir de régulation en matière de communication audiovisuelle.
Toutefois, l'influence du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) souffrait des limitations apportées par le dispositif étroitement encadré de la loi adoptée en 1986, alors même que la reconnaissance de son rôle par nombre des acteurs du secteur allait croissant.
La mission de régulation du secteur audiovisuel confiée à cette autorité administrative indépendante s'est renforcée au cours du temps, donnant les moyens au CSA, davantage qu'à ses prédécesseurs, d'assurer son double rôle de gardien de la liberté de communication audiovisuelle et de « gendarme » de cette liberté. A cet effet, le Conseil s'est vu reconnaître des pouvoirs de réglementation, de décision, de contrôle et de sanction, applicables à tout ou partie du secteur de la communication audiovisuelle.
Notre commission, dans son rapport du 27 octobre 1998 sur l'état des lieux de la communication audiovisuelle 3 ( * ) , analysant les aspects institutionnels et juridiques de la régulation, avait rappelé la définition donnée par M. Hervé Bourges, le 8 mars 1998, alors qu'il présidait le CSA :
« La régulation est une forme moderne de l'intervention de l'Etat dans un secteur économique, afin de préserver les intérêts supérieurs de la collectivités, et de remédier aux dérives qui pourraient affecter le fonctionnement harmonieux et équilibré d'un marché. La régulation, en préservant un certain nombre de principes intangibles, qui ne doivent pas être remis en cause par les lois du marché, permet néanmoins de laisser la plus grande liberté et la plus grande autonomie aux acteurs professionnels. C'est en cela que la régulation est un choix moderne, libéral, raisonnable. Développer la régulation, c'est se donner un cadre dans lequel il est possible, progressivement, d'abandonner des réglementations trop contraignantes ».
Il est vrai que le cadre réglementaire régissant ce secteur -comme d'autres, tel en particulier celui des télécommunications- évolue rapidement, car il doit s'adapter aux mutations technologiques, économiques -avec l'émergence de nouveaux marchés et de nouveaux acteurs- et juridiques, et notamment au cadre réglementaire européen.
C'est dans ce contexte qu'ont été progressivement affirmés l'indépendance, les compétences et les moyens de l'autorité de régulation.
Une nouvelle étape a été franchie avec la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 modifiant la loi de 1986 susmentionnée.
Le présent projet de loi vise, quant à lui, à moderniser les conditions d'exercice du pouvoir de régulation par le CSA.
2. Un aménagement des compétences du CSA
Les évolutions -ci-dessus évoquées- des secteurs de l'audiovisuel et des télécommunications conduisent :
- en premier lieu, à recentrer les compétences du CSA sur l'ensemble des services de radio et de télévision, quels que soient les réseaux de communications électroniques utilisés. Il s'agit de clarifier les règles juridiques s'appliquant :
* d'une part, aux supports de télécommunications, qui seront désormais tous soumis au contrôle de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), ce qui s'accompagnera d'une simplification et d'une harmonisation du régime applicable aux réseaux audiovisuels, aujourd'hui soumis à des règles distinctes selon les technologies employées ;
* d'autre part, aux contenus audiovisuels diffusés, tous les services de radio et de télévision relevant désormais du contrôle du CSA ;
- en second lieu, à préciser les missions du CSA, s'agissant en particulier de la protection de l'enfance et de l'adolescence ainsi que du pluralisme de l'information.
Ces évolutions justifient également un renforcement du pouvoir de régulation sectorielle du Conseil.
3. Un renforcement du pouvoir de régulation sectorielle
• Le projet de loi initial prévoyait d'étendre à l'ensemble du secteur audiovisuel les pouvoirs du CSA en matière de régulation économique dans le secteur audiovisuel, en lui confiant un pouvoir de règlement des litiges entre éditeurs et distributeurs de services, alors qu'il n'existe à l'heure actuelle que pour la seule télévision numérique terrestre. Il fondait partiellement ce dispositif sur le respect du droit de la concurrence.
Cette rédaction risquait de créer une confusion juridique entre le rôle du CSA et celui du Conseil de la concurrence, le premier risquant d'empiéter sur le second.
• L'Assemblée nationale a donc jugé nécessaire de clarifier l'articulation entre la régulation audiovisuelle et le droit de la concurrence, ainsi que l'a d'ailleurs souhaité le Conseil de la concurrence dans son avis complémentaire n° 03-A-08 du 26 mai 2003 sur le présent projet de loi. Celui-ci a également précisé que le droit de la concurrence était limité à des enjeux essentiellement économiques puisqu'il concerne la répression des pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des opérations de concentration, la régulation sectorielle étant, quant à elle, centrée sur l'objectif de pluralisme. Les deux objectifs de concurrence et de pluralisme peuvent bien sûr se rejoindre, une pluralité suffisante de l'offre de contenus pouvant sans doute être mieux assurée par des agents économiquement indépendants.
Le texte initial proposé par le Gouvernement aurait conduit à instituer des règles de concurrence propres au secteur de l'audiovisuel, approche qui fut écartée par la loi n° 89-25 du 17 janvier 1989 créant le CSA, qui prit ainsi acte de l'institution, par l'ordonnance n° 86-1243 du 1 er décembre 1986, d'une autorité de compétence générale en matière de concurrence : le Conseil de la concurrence.
Avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a, par conséquent, procédé à une réécriture globale des dispositions concernées (article 36 du projet de loi) afin notamment d'organiser plus clairement les relations entre le CSA et le Conseil de la concurrence.
4. Un nouveau pouvoir de contrôle sur les opérateurs satellitaires de droit français
a) Le nécessaire renforcement des moyens de lutte contre la diffusion de programmes à caractère raciste, xénophobe ou antisémite par satellite
Le CSA remplit avec vigilance la mission qui lui a été confiée par la loi de veiller à ce que les programmes de radio et de télévision ne comprennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité. En 2003, il est ainsi intervenu à neuf reprises pour rappeler aux opérateurs leurs engagements en la matière.
Un flou juridique préjudiciable explique que plus de 150 chaînes extracommunautaires soient diffusées sur Eutelsat sans être conventionnées, ni en France ni dans aucun autre pays de l'Union européenne.
Bien que diffusées par un satellite d'une société de droit français, ces chaînes n'ont pas été conventionnées par le CSA, alors même qu'en application de la directive « Télévision sans frontières », les chaînes établies hors de l'Union européenne diffusées par Eutelsat relèvent de la compétence de la France et doivent, à ce titre, être conventionnées par le CSA et relèvent de la compétence de celui-ci. Or, le Conseil ne dispose pas à leur égard du pouvoir de prononcer des sanctions administratives et la loi ne prévoit pas la possibilité pour lui d'engager ou de faire engager une procédure à l'encontre des opérateurs de satellite ou des attributaires de capacités satellitaires par l'intermédiaire desquels ces chaînes sont diffusées.
Le caractère inacceptable de cette situation a été récemment illustré par la diffusion d'images et de propos porteurs d'idées racistes et antisémites par le biais d'un feuilleton diffusé par la chaîne libanaise Al-Manar TV, liée au Hezbollah.
Ceci a conduit le président du CSA à attirer l'attention des pouvoirs publics et amené le Gouvernement à déposer à l'Assemblée nationale une série d'amendements sur le présent projet de loi, tendant à mettre en place un dispositif juridique cohérent, établissant notamment la responsabilité des opérateurs satellitaires dans le transport des chaînes non conventionnées en Europe .
Parallèlement, le CSA et la société Eutelsat ont décidé d'instaurer une coopération en vue de recenser les chaînes de télévision non conventionnées diffusées par Eutelsat et de les mettre en conformité avec la législation européenne.
b) Le renforcement par l'Assemblée nationale des pouvoirs du CSA contre les diffusions illégales par satellite
Les amendements ainsi adoptés par l'Assemblée nationale permettraient au CSA de :
- solliciter « auprès des opérateurs de réseaux satellitaires toutes les informations nécessaires à l'identification des éditeurs de services transportés » ;
- sanctionner les opérateurs satellitaires en cas de diffusions illégales ;
- demander au Conseil d'Etat qu'il soit ordonné de faire cesser la diffusion d'un service de télévision relevant de la compétence de la France, dont les programmes portent atteinte à l'un au moins des principes mentionnés aux articles 1 er , 4 4 ( * ) et 15 de la loi du 30 septembre 1986 (respect de la dignité de la personne humaine, sauvegarde de l'ordre public, protection de l'enfance et de l'adolescence, etc.).
* 3 Rapport n° 38 (1998-1999) présenté au nom de la commission des affaires culturelles par M. Jean-Paul Hugot : « Etat des lieux de la communication audiovisuelle 1998. Des progrès au projet ».
* 4 dont les dispositions seront transférées à l'article 3-1 en application du projet de loi sur l'économie numérique en cours d'examen par le Parlement.