III. UN PROJET DE LOI GARANTISSANT UNE PLUS GRANDE EFFECTIVITÉ DU DROIT D'ASILE
Le projet de loi soumis au Sénat par le Gouvernement vise à modifier la loi n°52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile. Il a été amendé et adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 5 juin 2003.
Selon votre rapporteur, il s'agit d'un projet de loi équilibré permettant de rendre plus effectif l'exercice du droit d'asile en donnant de nouveaux droits tout en ouvrant la possibilité d'utiliser des concepts juridiques inspirés du droit européen et de la pratique de nos partenaires. Il contribuera à l'accélération des délais de prise de décision, tout en préservant le caractère protecteur de la législation française.
Votre rapporteur présentera, en outre, trois amendements au projet et fera plusieurs observations afin d'assurer une application adaptée des nouvelles notions introduites dans notre législation et la réduction effective de la durée de la procédure.
A. UN PROJET DE LOI ÉQUILIBRÉ
Le projet de loi présenté par le Gouvernement est, selon votre rapporteur, un projet équilibré visant à mieux assurer l'exercice du droit d'asile.
1. Des droits accrus ou maintenus
Le projet de loi apporte tout d'abord plusieurs avancées importantes visant à accroître ou maintenir les droits des demandeurs et permettant une meilleure administration.
- La procédure unique
Le premier apport du projet de loi est de mettre fin à la dualité des procédures d'asile en cours depuis 1998 et qui est en partie la cause des difficultés actuelles (article 1 er ). En effet, la dualité des procédures a conduit à l'engorgement des préfectures qui n'étaient pas prêtes à faire face à un flux aussi important de demandes d'asile territorial. Elle a provoqué un allongement des délais du fait du cumul possible des procédures de demande d'asile conventionnel et territorial.
Créer une procédure unique, cela veut également dire placer l'ensemble des procédures sous la responsabilité de l'OFPRA et du ministère des affaires étrangères, c'est à dire sous la responsabilité d'un organisme dont la vocation est la protection des étrangers menacés et non la maîtrise des flux migratoires.
Une procédure unique, c'est également assurer aux demandeurs un examen complet et rapide de leur demande au regard de l'ensemble des motifs pouvant justifier une protection internationale . Une telle évolution ne peut apparaître que positive pour les demandeurs et pour l'administration.
- La protection subsidiaire
Le projet de loi modifie la protection accordée par l'asile territorial et lui donne le nom de protection subsidiaire, conformément à l'usage international. Comme l'asile territorial, cette protection a pour objet de couvrir les situations dans lesquelles la convention de Genève ne peut s'appliquer mais dans lesquelles, pour autant, des personnes peuvent avoir besoin de protection . Elle a, par rapport à l'asile conventionnel, un rôle complémentaire et n'a pas vocation à le remplacer. La protection subsidiaire ne remet pas en cause la primauté accordée au statut de réfugié.
Ses bénéficiaires sont des personnes exposées dans leur pays à « l'une des menaces graves suivantes : la peine de mort ; la torture ou des peines ou traitement inhumains ou dégradants ; s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » (article 1 er ).
La rédaction du projet de loi est très légèrement différente de celle du projet de directive qui prévoit pour le dernier motif « des menaces graves et individuelles[...] en raison d'une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international ».
Le projet de loi retient également des conditions légèrement plus restrictives que pour l'asile territorial, mais l'attribution de la protection ne sera plus une faculté, elle sera un droit du moment que le demandeur remplit les conditions posées par la loi.
La protection subsidiaire ouvre des droits moins importants que le statut de réfugié de la convention de Genève . Notamment, elle n'est pas accordée ou peut être retirée, s'il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis « un crime grave de droit commun » sans préciser le lieu où il a été commis. Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé pour une durée d'un an renouvelable .
- La reconnaissance des acteurs non étatiques de persécution
Le projet de loi élargit, en outre, le champ des agents de persécution conformément à la pratique internationale, la France étant jusqu'alors le seul pays à faire une interprétation restrictive de la convention de Genève qui ne comportait pas explicitement de précision sur ce point (article 1 er ). C'est une avancée très importante, saluée par les associations et le HCR , qui élargit considérablement les possibilités de reconnaître la qualité de réfugié.
Le projet dispose, en effet, « les persécutions prises en compte [...] peuvent être le fait des autorités de l'Etat, de partis ou d'organisations qui contrôlent l'Etat ou une partie substantielle du territoire de l'Etat, ou d'acteurs non étatiques dans les cas où [les agents susceptibles de le protéger] refusent ou ne sont pas en mesure d'offrir une protection ».
- L'évolution de la place du HCR au sein de la commission des recours des réfugiés
L'évolution de la place du HCR au sein des formations de jugement de la CRR résulte de la prise en compte d'un risque de censure par le Conseil constitutionnel . En effet, dans sa décision n° 98-399 du 5 mai 1998, saisi de l'inconstitutionnalité de la présence d'un représentant d'une organisation internationale ou de nationalité étrangère au sein d'une juridiction statuant « au nom du peuple français » et sur un droit ayant pour fondement la Constitution, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il pouvait « être dérogé à ce principe dans la mesure nécessaire à la mise en oeuvre d'un engagement international et sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté ».
Considérant la compétence de la commission en matière d'asile conventionnel , il a relevé qu'elle avait « vocation à mettre en oeuvre la protection des réfugiés résultant d'engagement internationaux souscrits par la France » et a estimé que la présence du HCR ne portait pas « atteinte, compte tenu du caractère minoritaire de cette présence , aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».
Considérant ensuite la compétence de la commission en matière d'asile constitutionnel, le Conseil a été beaucoup plus circonstancié . Il a relevé le « lien étroit » entre les deux formes d'asile malgré des fondements juridiques distincts, que les recours requéraient « un examen éclairé des mêmes circonstances de fait », tendront « au bénéfice d'une protection identique » et que l'intérêt des demandeurs et celui d'une bonne administration de la justice permettaient au législateur d'unifier les procédures. « Dans ces conditions [...] eu égard à ces compétences actuelles », il a estimé que la présence du HCR, compte tenu de la double compétence de la CRR n'était pas contraire à la Constitution .
De ce fait, le gouvernement, en élargissant par le présent projet de loi les compétences de la CRR au contentieux de la protection subsidiaire, modifie sensiblement la situation antérieure. Le contentieux de la protection subsidiaire devrait représenter une part importante de l'activité de la commission. De plus les critères de reconnaissance, le contenu de la protection et le fondement juridique de l'asile conventionnel et de la protection subsidiaire ne sont pas identiques .
Dès lors, afin d'éviter une censure du Conseil constitutionnel, il était nécessaire de faire évoluer les modalités de participation du HCR, tout en la préservant puisqu'il s'agit d'une des originalités de la procédure française. C'est pourquoi le gouvernement avait tout d'abord proposé qu'une personne qualifiée de nationalité française, proposée par le HCR, fût nommée par le vice-président du Conseil d'Etat. Cependant, en raison des observations formulées par le HCR qui estimait qu'une telle disposition n'était pas conforme à l'indépendance d'une organisation internationale, et par plusieurs associations, l'Assemblée nationale a adopté une formulation de compromis : un des assesseurs sera une personne qualifiée de nationalité française, nommée par le HCR, après avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat.
2. L'introduction de notions nouvelles fondées sur les projets de directives européennes et la pratique du HCR
Le projet de loi introduit également dans le droit français deux notions nouvelles qui ne figuraient pas dans la loi de 1952 et qui se fondent à la fois sur la pratique du HCR et sur les projets de directives européennes en cours d'adoption. Il s'agit des notions d'asile interne et d'Etats d'origine sûrs.
- L'asile interne
La notion d'asile interne apparaît comme la conséquence logique de la reconnaissance de persécutions non-étatiques (article 1 er ). Ainsi, par exemple, si les persécutions ne sont pas le fait de l'Etat, celui-ci peut offrir sa protection sur une partie du territoire.
L'asile interne est donc un motif qui peut conduire à rejeter une demande , dans la mesure ou le demandeur pourrait se rétablir dans son pays d'origine, soit « une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine si cette personne n'a aucune raison de craindre d'y être persécutée [...]. L'office tient compte des conditions générales prévalant dans cette partie du territoire et de la situation personnelle du demandeur au moment où il statue sur la demande d'asile ». La dernière phrase a été ajoutée par amendement à l'Assemblée nationale afin de préciser les conditions dans lesquelles cette notion sera appliquée par l'OFPRA. Elle tient compte d'une partie des observations du HCR qui estime nécessaire que la possibilité d'asile interne soit appréciée individuellement au jour de la décision. En revanche, il n'a pas été tenu compte du fait que le HCR n'estime pas la notion pertinente dans tous les cas de figure et notamment lorsque les persécutions émanent de l'Etat.
- Les Etats d'origine sûrs
Le projet introduit la notion d'Etat d'origine sûr. Ces Etats, dont la liste sera établie par le Conseil d'administration de l'OFPRA (article 2, suite à un amendement de l'Assemblée nationale), sont définis à l'article 6 : « Un Etat est considéré comme tel s'il respecte les principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ».
Cette notion sera un motif de refus, par les préfets, de l'admission sur le territoire . Elle ne fait , dans tous les cas, pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile et au droit de l'étranger de saisir l'OFPRA de sa demande d'asile . Cette demande est traitée en priorité par l'Office qui l'examine individuellement .
Le HCR ne s'oppose pas à l'usage de cette notion qui permet le traitement accéléré des demandes d'asile en provenance de pays qui ne produisent généralement pas de réfugiés, à condition qu'il ne se traduise pas par une augmentation de la charge de la preuve pour le demandeur d'asile. En outre, le HCR aurait souhaité que le projet de loi, comme le projet de directive, retienne des critères supplémentaires permettant de refléter l'application effective du droit dans le pays, tels que l'existence et l'accès à des recours efficace contre les persécutions et la stabilité du pays.
3. Une accélération nécessaire des procédures
Le projet de loi a pour objectif de contribuer à l'accélération des procédures, à la réduction des délais de traitement des demandes et des recours et à la diminution des procédures abusives. Cette contribution reste néanmoins limitée puisque les délais de la procédure seront traités dans les décrets d'application et les moyens matériels supplémentaires dans la loi de finances. Il retient cependant, outre la procédure unique et l'extension de la procédure prioritaire, l'élargissement de la procédure des ordonnances devant la Commission des recours des réfugiés .
L'extension de cette procédure a été adoptée par amendement à l'Assemblée nationale. Actuellement, le Président de la CRR peut régler par ordonnanc e les affaires dont la nature ne justifie pas l'intervention d'une formation collégiale, c'est à dire essentiellement les recours entachés d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en cours d'instance . Ces ordonnances représentent 14 % des dossiers jugés , soit un peu plus de 3 300 dossiers.
L'Amendement retenu par l'Assemblée nationale vise à étendre aux présidents de section la possibilité de prendre des ordonnances , ce qui paraît opportun compte tenu de leur nombre. Il vise également à étendre le champ des ordonnances, « après instruction » (article 11), aux demandes « qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur de l'office ». Le Président et les présidents de section auraient la possibilité de statuer par ordonnance non plus seulement sur des questions de formes mais également sur des questions de fond, lorsque les demandes sont « manifestement infondées ». Selon M. Jean Massot, Président de la CRR, ces ordonnances seraient susceptibles de représenter 15 % des dossiers jugés , portant à 30 % le nombre des affaires réglées par ordonnances. Celles-ci seraient prises après un examen au fond par un rapporteur et l'étude du dossier par un président. Cette nouvelle disposition apparaît au président de la commission comme indispensable pour améliorer l'efficacité de la CRR et augmenter le nombre d'affaires jugées sans pour autant porter préjudice aux demandeurs. Ces ordonnances sont dans tous les cas susceptibles de recours en cassation devant le Conseil d'Etat.
4. Un projet de loi équilibré par rapport aux pratiques européennes
Le projet de loi apparaît enfin comme maintenant un haut niveau de protection des droits des demandeurs d'asile par rapport à d'autres législations en Europe, qu'il s'agisse du rôle du ministère des affaires étrangères, du HCR, de l'absence de centres fermés, du non recours à la notion de pays tiers sûrs ou de l'accès aux recours.
- Le rôle du ministère des affaires étrangères et la place du HCR
Tout d'abord, la France est le seul Etat dans l'Europe des Quinze où l'examen des demandes d'asile se fait sous la tutelle du ministère des affaires étrangères . Dans treize pays cette tâche est assumée par le ministère de l'intérieur responsable de la maîtrise des migrations, un Etat l'a confiée au ministère de la justice.
En outre, la France est également le seul Etat à donner au HCR une place aussi importante dans la procédure d'examen des demandes d'asile , en permettant à une personne nommée par le HCR de siéger au sein de la Commission des recours et au conseil d'administration de l'OFPRA. Cette situation est profondément originale et résulte d'un compromis, au moment de l'adoption de la loi de 1952, entre les tenants d'un examen des demandes par une organisation internationale et ceux qui souhaitaient qu'il fût effectué au niveau national. En Italie, le HCR est à même de prendre part à l'examen, mais dans des conditions très différentes, et il en était de même en Belgique par le passé.
- L'absence de référence à la notion de « pays tiers sûrs »
Le gouvernement n'a, en outre, pas choisi d'introduire dans notre droit , comme cela lui était possible en se fondant sur le projet de directive, la notion de pays tiers sûrs, qui permet de rejeter une demande sans examen individuel.
- Des procédures de recours ouvertes
Enfin, le projet de loi ne porte pas atteinte à la liberté d'un demandeur débouté de faire appel de la décision de l'OFPRA devant la Commission des recours, même si cette procédure peut être dilatoire dans la mesure où le recours a un effet suspensif. Dans de nombreux pays, l'accès à la juridiction d'appel est très encadré, soumis à des conditions limitatives strictes et il est fait un très large usage de la notion de requête manifestement infondée.