5. Les modalités de la compensation versée aux départements par l'Etat

L'article 3 du présent projet de loi précise que l'attribution par l'Etat de ressources équivalentes constituées d'une partie du produit d'un impôt perçu par l'Etat se fera « dans les conditions prévues par une loi de finances ». Cette précision s'explique par les dispositions de l'article 36 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, selon lesquelles « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale des ressources établies au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ».

En réponse à une question de votre rapporteur pour avis, le gouvernement rappelle que « les modalités d'attribution d'une part du produit de la T.I.P.P. aux départements relèvent de la loi de finances. Elles seront fixées lors de l'élaboration de la loi de finances pour 2004, sur la base d'une première évaluation du droit à compensation des départements ». Par ailleurs, lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 14 mai 2003, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que, s'agissant de la compensation aux départements des charges liées à ces nouvelles compétences (...), celles-ci seraient financées par une quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et qu'il s'agirait d'une quote-part fixe dont le produit suivrait l'évolution du rendement de la taxe.

Votre rapporteur pour avis note avec intérêt le fait que le transfert d'une ressource de nature fiscale, et non d'une dotation, soit envisagé pour compenser le transfert et la création de compétences proposés, mais considère que celle-ci doit permettre aux départements de bénéficier d'une recette dynamique.

Le tableau ci-dessous compare l'évolution des recettes de T.I.P.P. et des dépenses au titre du versement de l'allocation de RMI en France métropolitaine depuis 1993. Sur cette période, les recettes de T.I.P.P. ont augmenté de 24,3 %, soit une évolution comparable à l'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée aux collectivités locales au cours de la même période (+ 25,3 %), tandis que les dépenses de l'Etat au titre des allocations de RMI versées en France métropolitaine ont augmenté de 84,5 %.

Comparaison de l'évolution des recettes de la TIPP, des dépenses au titre du RMI
et de l'indice de progression de la DGF depuis 1993

(en millions d'euros )

Année

Recettes (TIPP)

Evolution (TIPP)

Indice de progression de la DGF

Evolution (RMI)

Dépenses (RMI)

1993

19.273

-

+ 4,33 %

-

2.411

1994

21.517

+ 11,64 %

+ 2,00 %

+ 20,20 %

2.898

1995

21.851

+ 1,55 %

+ 1,70 %

+ 9,56 %

3.175

1996

22.621

+ 3,52 %

+ 3,77 %

+ 7,31 %

3.407

1997

22.938

+ 1,40 %

+ 1,26 %

+ 8,57 %

3.699

1998

23.465

+ 2,30 %

+ 1,38 %

+ 12,27 %

4.153

1999

24.649

+ 5,05 %

+ 2,78 %

+ 4,43 %

4.337

2000

24.271

- 1,53 %

+ 0,82 %

- 0,42 %

4.319

2001

23.409

- 3,55 %

+ 3,38 %

+ 0,09 %

4.323

2002

23.962

+ 2,36 %

+ 4,09 %

+ 3,17 %

4.460

1993-2002

-

+ 24,33 %

+ 25,32 %

+ 84,99 %

-

Source : douanes (recettes de TIPP), CNAF, ministère de l'intérieur.

Il est donc possible, à partir des données figurant dans le tableau ci-dessus, de calculer la perte départementale cumulée, résultant du différentiel d'évolution entre la dépense et la ressource transférées, dans l'hypothèse où la compétence RMI aurait été confiée en 1993 aux départements et aurait été compensée par une quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.

Simulation du transfert de la compétence RMI aux départements en 1993 et comparaison de l'évolution de la dépense et d'une quote-part de la TIPP

(en millions d'euros )

Année

Dépenses

(RMI)

Evolution de la dépense

Quote-part de la TIPP

Evolution de la quote-part de la TIPP

Perte annuelle pour les départements

Perte cumulée pour les départements

1993

2.411

-

2.411

-

0

0

1994

2.898

+ 20,20 %

2.692

+ 11,64 %

206

206

1995

3.175

+ 9,56 %

2.734

+ 1,55 %

441

647

1996

3.407

+ 7,31 %

2.830

+ 3,52 %

577

1.224

1997

3.699

+ 8,57 %

2.869

+ 1,40 %

830

2.054

1998

4.153

+ 12,27 %

2.935

+ 2,30 %

1.218

3.272

1999

4.337

+ 4,43 %

3.084

+ 5,05 %

1.253

4.525

2000

4.319

- 0,42 %

3.036

- 1,53 %

1.283

5.808

2001

4.323

+ 0,09 %

2.928

- 3,55 %

1.395

7.203

2002

4.460

+ 3,17 %

2.998

+ 2,36 %

1.462

8.665

Source : douanes, CNAF

Il ressort du tableau ci-dessus que, dans l'hypothèse où la compétence RMI aurait été transférée en 1993 aux départements et aurait été compensée par une quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, les départements auraient du prendre à leur charge, sans bénéficier de la ressource correspondante, un montant équivalent à 1,462 milliard d'euros en 2002. Sur l'ensemble de la période considérée, le cumul des dépenses des départements supplémentaires par rapport à la quote-part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers se serait élevée à 8,665 milliards d'euros.

Il n'est certes pas possible de connaître l'évolution du nombre de RMIstes et l'évolution de la consommation des produits pétroliers pour les années à venir. On peut considérer que le dispositif du RMI est « monté en puissance » au cours de la première partie de la période considérée, et que l'évolution des dépenses des départements au titre de cette allocation sera moindre que celle enregistrée en moyenne au cours des dix dernières années. Par ailleurs, chacun peut escompter que l'amélioration de la croissance de l'économie ainsi que le vieillissement démographique de la France conduira à une diminution du nombre de chômeurs au cours des années à venir, et donc, du nombre d'allocataires du RMI. Il serait donc imprudent de tirer des chiffres du passé des conclusions définitives pour l'avenir. Toutefois, la comparaison tend à montrer que l'évolution de la charge de la gestion du dispositif RMI est tendanciellement plus forte que celle des recettes au titre de la T.I.P.P.

Votre rapporteur pour avis considère que les dépenses des départements au titre du RMI pourraient évoluer de manière beaucoup plus dynamique que les recettes qui leur seraient attribuées en compensation de cette charge, soit une quote-part de la T.I.P.P.

Votre commission des finances vous propose d'adopter un amendement ayant pour objet de prévoir que les départements pourront moduler le taux de la partie d'impôt perçue par l'Etat qui constituera la ressource attribuée aux départements pour compenser le transfert et la création de compétences proposés par le présent projet de loi.

En effet, dès lors que les départements n'auront aucune maîtrise de la dépense effectuée au titre du RMI 23 ( * ) , il convient de leur accorder une certaine marge de manoeuvre sur leurs ressources. A défaut, le risque existe que les dépenses afférentes au RMI doivent être financées par une augmentation des impôts locaux pesant sur les ménages et les entreprises. Compte tenu de la réforme de la taxe professionnelle, il est probable que la charge éventuelle implique une augmentation des taux d'imposition au titre de la taxe d'habitation, dont les bases sont obsolètes.

Votre rapporteur pour avis rappelle cependant qu'il ne revient pas à la loi ordinaire de déterminer les conditions d'affectation d'une ressource établie au profit de l'Etat, qui relève d'une disposition de loi de finances : l'article 36 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances prévoit en effet que « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'Etat ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ». Cet article s'applique à toutes les affectations, totales ou partielles, de ressources établies au profit de l'Etat, et vise donc le cas de partage d'une ressource de l'Etat entre celui-ci et un tiers, qui nous intéresse dans le cadre du présent projet de loi. Certes, l'obligation de conditionner à une disposition de loi de finances le transfert d'une ressource de l'Etat à une autre personne morale n'empêche pas une loi ordinaire de prendre en compte ce transfert. Toutefois, l'affectation de la ressource ne pouvant résulter que d'une disposition de loi de finances, le législateur ne saurait être tenu par les dispositions d'une loi ordinaire portant sur ce point.

Il résulte de l'analyse de l'article 36 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances que la détermination des modalités de compensation des transfert et création de compétences est soumise à une disposition préalable contenue dans une loi de finances. Ces modalités seront donc soumises au Parlement dans le cadre de la discussion de la loi de finances pour 2004. A défaut, les dispositions du présent projet de loi ne pourraient entrer en vigueur, l'article 41 précisant que « les dispositions de la présente loi sont applicables à compter du 1 er janvier 2004, sous réserve de l'entrée en vigueur à cette date des dispositions de la loi de finances prévue à l'article 3 ».

A cet article 41, votre commission des finances vous soumet un amendement rédactionnel visant à remplacer le mot « prévue » par « mentionnée ». En effet, l'article 3 du présent projet de loi ne prévoit pas la loi de finances, qui est prévue par l'article 34 de la Constitution, dans les conditions fixées par la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

Sous réserve de cette remarque de forme, votre rapporteur pour avis note que le présent projet de loi ne pourra entrer en vigueur au 1 er janvier 2004 qu'à la condition que soit prévue par la loi de finances pour 2004 l'attribution aux départements de ressources constituées d'une partie du produit d'un impôt perçu par l'Etat.

* 23 En réponse à une question de votre rapporteur pour avis, le ministère des affaires sociales rappelle que « Conformément aux principes fondamentaux de l'aide sociale, l'allocation de RMI constitue un droit objectif pour toute personne en remplissant les conditions posées par le législateur aux articles L. 262-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles.

La décentralisation ne change strictement rien à ce principe : le président du conseil général aura donc bien compétence liée en matière de décisions individuelles d'attribution du RMI.

Néanmoins, les départements disposeront, comme à l'égard de toute prestation d'aide sociale, de la faculté de décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements, en en assumant la charge financière.

Les conditions de versement de l'allocation de RMI inscrites dans le règlement départemental d'aide social ne pourront donc différer de la norme nationale que dans un sens positif pour les allocataires. Lorsqu'un département s'oblige à de telles règles plus avantageuses, ces règles doivent être appliquées dans toutes les décisions individuelles, sans pouvoir d'appréciation au cas par cas ».

Page mise à jour le

Partager cette page