3. Une alternance expérimentée dès le collège : l'ouverture sur le monde professionnel en classes de quatrième et de troisième
Force est de constater que l'allongement de la scolarité dans le cadre du collège unique, et le contenu peu valorisant des enseignements technologiques proposés au collège n'incitaient pas les élèves à s'orienter vers l'enseignement professionnel.
La revalorisation de l'enseignement professionnel, qui a cependant considérablement évolué depuis le début des années 80, passe nécessairement par une déconnexion de l'échec scolaire, notamment en développant le concept de lycée des métiers qui devrait autoriser une diversification des parcours du CAP jusqu'à la licence professionnelle.
Dans le même temps, le collège unique dont les parcours ont déjà fait l'objet d'un début de diversification avec les itinéraires de découverte, devrait être maintenu en accordant toutefois une place plus importante aux mesures concrètes de rattrapage scolaire, notamment en direction des élèves les plus en difficulté.
L'implantation de classe de troisième en lycée professionnel, accueillant des élèves conservant leur statut de collégien et le développement de classes de quatrième autorisant des formations professionnelles en alternance, aussi bien au collège qu'en lycée professionnel ou en entreprise, participent de ce souci d'aménager la filière générale du collège.
a) La philosophie du projet Ferry : une diversification réelle des parcours par une triple alternance
Lors de sa seconde audition devant la commission, le ministre a estimé nécessaire de mettre en place, dans le cadre du collège unique, une diversification réelle des parcours pour ouvrir d'autres voies aux élèves en échec scolaire, tout en leur permettant éventuellement de revenir dans la filière générale.
Il a indiqué que le nombre des « classes en alternance » qui pourraient être créées dans les collèges n'était pas très significatif, car les parcours en alternance pourraient aussi être individuels. Il convient par ailleurs de ne pas assimiler la situation des collégiens suivant de tels parcours en restant dans l'enseignement général avec celle des élèves des lycées professionnels qui effectuent des stages obligatoires en entreprise. La découverte des métiers pourrait faire l'objet d'une large expérimentation : des contacts ont d'ores et déjà été pris avec des entreprises qui sont prêtes à « jouer le jeu » et à s'associer à cette expérience. En ce qui concerne l'accueil des collégiens « en alternance », les lycées professionnels seront les premiers partenaires des collèges, tandis que les entreprises devront être choisies avec soin en privilégiant les « métiers de proximité » non susceptibles d'être rapidement délocalisés.
Enfin, les parcours individuels en alternance devront être proposés aussi précocement que possible aux élèves en difficulté, afin de permettre une remédiation en temps utile.
Les recteurs auraient ainsi la possibilité de créer ou d'étendre des classes en alternance offrant le matin des enseignements généraux quelque peu allégés et consacrant les après-midi à la découverte de métiers dans des ateliers situés en collège, dans le cadre de stages en lycée professionnel ou de stages en entreprise : ces trois modalités de l'alternance seraient de nature selon le ministre, à réduire l'échec scolaire, à remotiver les élèves en difficulté dans les disciplines générales et à permettre à certains d'entre eux de reprendre une classe de seconde d'enseignement général.
Ce dispositif qui préserverait formellement le principe du collège unique en maintenant le statut scolaire des élèves, quel que soit leur parcours, devrait leur permettre de s'orienter de manière positive vers l'enseignement professionnel : dans cette perspective, le ministre a indiqué à la commission que les cours de technologie dispensés en collège devraient être repensés en faisant une part plus importante aux métiers et aux sciences appliquées ; il a par ailleurs annoncé une adaptation des enseignements généraux en lycée professionnel qui doivent être plus attrayants et centrés sur les fondamentaux pour autoriser des passerelles à tous les niveaux avec les filières générales, mais aussi des parcours de réussite dans l'enseignement professionnel, dans le cadre des lycées des métiers.
Il ne s'agirait plus, désormais, de conduire les élèves à un « niveau de qualification » mais à un vrai diplôme, ce qui implique de mettre en place des dispositifs de diversification des parcours dès la classe de quatrième. L'objectif est de remotiver les élèves en difficulté scolaire persistante en leur offrant la possibilité de découvrir le monde du travail et d'élaborer progressivement, à la lumière des champs professionnels qu'ils auront ainsi découverts, voire pratiqués, leur propre choix d'orientation. Le retour vers l'enseignement général ne serait pas exclu, si l'expérience réalisée en milieu professionnel leur avait redonné le goût des études.
L'organisation des dispositifs de diversification au collège se fonderait sur un principe d'alternance, entre les disciplines d'enseignement général et la découverte des métiers. Certains collèges ont déjà mis en place une « double alternance » : l'enseignement général, dispensé par exemple le matin, alterne avec le travail en atelier et les stages en entreprise effectués l'après-midi.
Distincts des dispositifs existants, comme les classes d'initiation préprofessionnelle par l'alternance (CLIPA), ces parcours prennent modèle sur des initiatives locales : il n'existe pour l'instant aucune circulaire les formalisant. Les recteurs ont été encouragés à les mettre en place, pour des élèves ayant perdu le goût pour des études générales, et en évitant de créer des classes entières : le ministre souhaite qu'ils privilégient les parcours individualisés. A titre indicatif, une trentaine de collèges par académie devraient pouvoir à terme offrir ce type de solution. Par exemple, le collège Joliot-Curie d'Argenteuil a mis en place depuis cinq ans une classe de troisième en alternance complète, soit 15 jours au collège et 15 jours en milieu professionnel : une vingtaine d'élèves suivant un programme scolaire adapté découvrent chez un employeur un métier, la plupart entrant ensuite en CAP ou en BEP où ils réussissent plutôt mieux que la moyenne.
(1) Au niveau de la classe de quatrième
La mise en place d'une alternance devrait permettre de sensibiliser les élèves à l'environnement économique et professionnel et devraient permettre à l'élève de tester ses goûts et aptitudes. Cette sensibilisation peut se faire dans le cadre existant de la quatrième « d'aide et de soutien » qui peut être proposée à des élèves qui présentent des lacunes majeures dans les apprentissages fondamentaux, dans le but de leur permettre de s'inscrire dans un projet de formation.
La plupart des collèges qui ont diversifié les parcours en classe de quatrième ces dernières années se sont référés à ce modèle. D'autres, cependant, ont expérimenté des modes d'organisation plus individualisés en personnalisant véritablement les parcours de certains élèves. Il s'agit alors de « parcours à la carte » pour des élèves qui restent des collégiens inscrits dans leur établissement mais qui bénéficient d'un accompagnement personnalisé, parfois dans le cadre d'un contrat de courte durée.
(2) La consolidation des classes de troisième à projet professionnel
Ces classes, dont la dénomination varie selon les académies, sont des dispositifs en cours d'expérimentation permettant à des élèves, au terme du cycle central du collège, d'effectuer tout ou partie de leur classe de troisième en lycée professionnel. L'objectif est d'aider ces élèves, qui n'envisagent pas a priori de poursuivre des études longues, à construire un projet professionnel et à préparer les choix d'orientation ultérieurs.
Cette expérimentation sera poursuivie en 2002-2003 sur la base d'un contrat entre les collèges et lycées professionnels concernés, défini à partir d'un cahier des charges académique pour l'élaboration d'un projet pédagogique associant les deux types d'établissements.
Le projet pédagogique inscrit l'ensemble des enseignements en référence aux objectifs terminaux du collège et comporte un volet consacré à la découverte du monde professionnel. L'objectif recherché est de mettre l'élève en contact avec des métiers relevant de plusieurs champs professionnels, secondaires et tertiaires, afin de lui permettre de définir progressivement son projet d'orientation.
Le dispositif de la classe de « troisième à projet professionnel » se distingue des classes de troisième d'insertion qui ont pour objectif d'aider des élèves en grande difficulté à construire un projet personnel et professionnel et à entamer, après le collège, une formation, sous statut scolaire ou sous contrat de travail, en vue d'accéder à une qualification de niveau V.
b) Les observations de la commission
D'après les informations fournies à votre rapporteur, le ministère estime à 10 % de la population collégienne le nombre d'élèves susceptibles de bénéficier de ces actions de pré-professionnalisation.
Tout en prenant acte de la volonté du ministre de diversifier les parcours des collégiens et de déconnecter l'orientation vers l'enseignement professionnel de l'échec scolaire, votre commission garde cependant le souvenir des diverses tentatives infructueuses engagées dans le passé pour répondre aux besoins des collégiens en grande difficulté scolaire.
(1) Les classes préparatoires à l'apprentissage et les classes préprofessionnelles de niveau
Une circulaire de 1972 a créé les classes préparatoires à l'apprentissage (CPA) et les classes préprofessionnelles de niveau (CPPN), qui étaient destinées à prendre le relais des anciennes classes de quatrième et troisième pratiques.
Les CPA s'adressaient à des élèves de 14 ans issus de la classe de cinquième et alternaient un enseignement dispensé en établissement scolaire et une activité de 15 à 18 semaines par an dans une entreprise sous la direction d'un même maître d'apprentissage : les pré-apprentis placés sous statut scolaire étaient rattachés soit à un lycée professionnel, soit plus rarement à un collège, soit à un CFA.
Dans la réalité, ces CPA se sont transformées en véritables filières de relégation, sauf dans le secteur du bâtiment, et se sont révélées peu efficaces en matière de formation puisque moins de la moitié des élèves entamaient ensuite une préparation à un CAP : ces classes, en dépit de leurs défauts, ont survécu à la réforme Haby qui a institué en 1975 le collège unique.
Alors que les effectifs des CPA et des CPPN représentaient encore 180 000 élèves à la fin des années 70, leurs effectifs étaient tombés à environ 30 000 lors de la suppression des CPA en 1991.
(2) Le rétablissement des CPA dans la loi quinquennale de 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle
L'article 36 du projet de loi tendait à autoriser le rétablissement des CPA dans les établissements scolaires et les CFA, afin d'accueillir dès 14 ans des élèves qui souhaiteraient acquérir une préqualification professionnelle par la voie de l'alternance : les plans régionaux de développement des formations professionnelles des jeunes pouvaient ainsi prévoir l'ouverture de classes préparatoires à l'apprentissage dans les établissements scolaires et dans les CFA.
Inspirée du souci de ne pas enfermer ces élèves dans une voie de relégation et de ne pas faciliter le retour des « arpettes » 3 ( * ) , la commission, sur proposition de son rapporteur pour avis, M. Jacques Legendre, avait modifié leur dénomination en les qualifiant de « classes d'initiation pré-professionnelle », rappelé que cette formation serait dispensée sous statut scolaire et réaffirmé le libre choix de l'élève quant à son affectation dans cette voie : la pré-qualification professionnelle devait ainsi résulter d'abord d'une formation générale adaptée sur le plan pédagogique, de préférence au cours de la première année, et d'une expérience professionnelle acquise à l'occasion de séjours en entreprise, afin d'orienter les choix professionnels futurs des élèves.
Ces classes devaient être ouvertes dans les lycées professionnels et les CFA ainsi que dans les collèges lorsque les caractéristiques locales du dispositif scolaire imposaient ce choix et lorsque la présence d'équipes pédagogiques formées et motivées permettait de prévenir le risque d'une « ghettoïsation » de ces classes.
Une telle formule, destinée à constituer un véritable cycle, devait déboucher sur une véritable pré-qualification professionnelle et offrir une possibilité de choix à 16 ans, l'élève pouvant alors se tourner soit vers l'apprentissage, soit poursuivre sa formation en lycée professionnel.
Force est de constater que ces modalités ont été peu utilisées, comme d'ailleurs les formules voisines : pour l'année scolaire 2001-2002, les CLIPA (classes d'initiation pré-professionnelle par alternance), les CPA (classes préparatoires à l'apprentissage), les UPI (unités pédagogiques d'intégration) et les classes-relais accueillaient au total 4 195 élèves, dont 2 039 de 14 ans et moins, 1 655 de 15 ans et 501 de 16 ans et plus.
On est loin des objectifs annoncés plus haut pour les nouvelles actions de pré-professionnalisation qui seraient susceptibles de s'appliquer à quelque 328 000 collégiens.
Au total, votre rapporteur ne voit pas clairement en quoi les nouvelles formules de formation en alternance, qui seraient proposées dès le collège, diffèrent des dispositifs antérieurs qui ont failli et se sont transformés rapidement en filières de relégation.
Elle exprime la crainte que les mêmes causes -insuffisance de personnels formés et motivés, équipement insuffisant des collèges en ateliers, réticences ou indifférence des employeurs déjà très sollicités pour accueillir les stagiaires des lycées professionnels, détournement des objectifs- aboutissent aux mêmes résultats.
Prenant acte des critiques récentes formulées par les enseignants eux-mêmes sur le collège unique, qui n'est plus en mesure de prendre en compte la diversité des élèves, votre commission estime que son adaptation est nécessaire pour donner des chances égales de réussite à tous les collégiens, quelles que soient leurs capacités.
Elle souhaiterait que le ministre indique les moyens qui seront affectés à ces nouvelles actions de pré-professionnalisation et apporte des précisions sur leurs modalités.
* 3 se disait d'une jeune apprentie couturière