ANNEXE II
DISCOURS DE M. CHRISTIAN
PONCELET,
PRÉSIDENT DU SÉNAT,
LORS DE
L'INAUGURATION DE LA FOIRE DU LIVRE À BRIVE
Lors
de l'inauguration de la Foire du Livre de Brive
Vendredi 8 novembre 2002
(extrait)
Le
patriotisme que nous demandons aux chefs d'entreprise -et nous avons tous
été choqués d'apprendre que l'un d'entre eux
considérait que l'exception culturelle était morte- a pour
contrepartie une certaine solidarité avec ceux qui engagent des moyens
dans nos industries culturelles, à la condition naturellement qu'ils
servent notre culture.
Le fait est que l'industrie du cinéma a été plus active et
organisée dans la défense de son exception et que les politiques
ont relayé ses points de vue, notamment en 1994 dans les
négociations du GATT. Je me suis souvent étonné que le
livre soit oublié dans ce combat. J'ai la faiblesse pourtant de penser
-j'espère qu'au moins ici, on ne jugera pas en cela le Sénat
ringard- que, pour la défense des valeurs de la Culture, pour exprimer
le meilleur d'une civilisation, rien n'est plus haut que le livre. Pas
forcément tous vos livres en particulier bien sûr, mais...presque
tous !
Et les enjeux ne manquent pas. Aujourd'hui, les écrivains
français étudiés dans certaines universités
d'Europe de l'Est sont parfois seulement ceux qui sont à l'honneur dans
certaines universités américaines, qui jouent paradoxalement le
rôle de prescripteur et d'arbitre du goût.
La situation est encore plus grave -et je déplore l'incapacité
chronique des pouvoirs publics à se saisir de cette question-, dans le
domaine de l'édition scientifiques et des revues qui sont des lieux de
pouvoir. C'est d'elles que dépend le maintien d'un français
scientifique vivant. C'est d'elles que dépendent la vitalité et
la richesse de nombreux laboratoires et même de nos industries.
Des exemples à foison ont montré que les grandes revues
scientifiques anglo-saxonnes où nos compatriotes rêvent de se
faire publier n'étaient pas forcément des lieux neutres et purs
où seule compte la qualité des travaux. On raconte que la
publication d'une découverte française attend quelques semaines
le temps que le laboratoire concurrent américain dépose le
même brevet, que ces revues sont un formidable lieu d'intelligence
économique voire de pillage. Maintenant qu'un groupe français a
récupéré les publications médicales et
scientifiques, j'appelle à une grande concertation entre les pouvoirs
publics, Recherche, affaires étrangères, culture, francophonie,
défense, industrie, et la profession pour un plan d'ensemble de
reconquête des outils de la publication scientifique.
Il s'agit d'enrayer le déclin et le sentiment d'abandon, qui a saisi par
exemple, je le dis avec un sentiment mêlé de honte, de tristesse
et d'indignation- les responsables de notre propre Académie des Sciences
qui ont décidé l'abandon de la langue française.
A quoi bon se battre pour la culture, prétendre avoir une autre vision
de sa place dans la société, défendre une certaine
idée de la France, si au jour le jour, nous sommes prêts à
ces lâchetés quotidiennes au nom de la soi-disant
efficacité et en général de la simple vanité.
Vanité d'être publié, de paraître international
d'autant plus parfois qu'on est médiocre. Le protocole de Londres sur
les brevets, hélas signé par le précédent
gouvernement, que Jean-Pierre Raffarin avait d'ailleurs dénoncé
lorsqu'il était sénateur, mérite, puisqu'il n'est pas
encore ratifié, un réexamen attentif car nous ne pouvons
accepter ses dispositions conduisant au tout anglais dans ce domaine
stratégique.
Ceci renvoie aux débats sur l'avenir de l'Europe. Nous sommes tous
convaincus que la construction européenne est notre horizon. Pour
autant, ces politiques en faveur des industries culturelles ne seront possibles
que si le cadre juridique communautaire le permet.
Et nous avons l'ardente obligation de d'exiger et d'obtenir que les politiques
culturelles et linguistiques ne soient en rien entravées par les
principes généraux du commerce que la commission applique.
L'exemple du statut de la langue française est édifiant et je
suis sûr que Jean-Marie Rouart qui va remettre le prix de la langue
française, ne me démentira pas. En 1994, le Premier ministre
avait écrit une lettre d'une extrême fermeté à la
commission, qui voulait contester à la France le droit de
légiférer sur l'emploi de sa langue. La Commission s'était
couchée devant l'affirmation politique forte d'un Etat fondateur,
affirmation politique conforme à l'idée même que nous nous
faisons de l'Europe.
En juin 1995, sous les auspices de Jacques Chirac, le Conseil européen a
posé le principe que la diversité linguistique de l'Europe
était un élément essentiel de son identité et que
chaque citoyen de l'union avait un droit à ce que l'Union et les Etats
défendent les langues nationales. Et cet été, nous
apprenons que la commission, cédant aux arguments d'une
célèbre chaîne de restauration rapide, lance une
procédure d'infraction contre la France car celle-ci impose
l'étiquetage en français des denrées alimentaires.
J'affirme que c'est la Commission et même la Cour de Justice de
Luxembourg qui sont en situation d'infraction aux principes mêmes
qui fondent la volonté des européens de vivre ensemble.
Et je voudrais que tous les intellectuels, comme ils l'ont été
pour le cinéma, que tous les politiques, comme l'avait fait le Premier
ministre en 1994, soient rassemblés pour dire au président de la
Commission que nous n'accepterons jamais cette interprétation. Parce que
nous pouvons le dire haut et fort, nous porterions seuls par notre
négligence la responsabilité de ces abandons.
Et j'ai la faiblesse de penser, puisque maintenant nous savons, après
l'accord qui vient d'intervenir après un dernier combat de retardement,
que la PAC sera révisée et réduite à partir de
2006, qu'il y a un combat à terme aussi important et qui mérite
peut-être qu'on en fasse une exigence non négociable, que l'on
tape du poing sur la table, c'est celui de la culture.
La constitution européenne en projet et la Convention sur l'Avenir de
l'Europe doivent donc permettre de figer dans le marbre par un article
spécifique ce principe que rien ne doit pouvoir entraver la
possibilité des Etats de prendre toute mesure de nature à
maintenir la diversité culturelle et linguistique de l'Europe et
à développer la vitalité des cultures nationales, car
elles sont par nature dans l'intérêt de l'Europe.
Telles sont les conditions mêmes pour que le projet européen ait
un sens. Si nous réussissons l'Europe de la défense, mais parce
que nous avons finalement accepté de nous rallier à l'OTAN,
si nous faisons l'Europe, en acceptant que les produits culturels et les
langues soient traités comme des marchandises, et que la langue
des Etats-Unis d'Amérique en soit la langue officielle de fait, nous
serions comme ces cavaliers dont parle Fernando Pessoa qui entrent victorieux
dans une ville conquise mais dont l'étendard porte en lettres d'or le
mot « défaite » !
Voilà pourquoi, mes chers amis, en répondant à
l'invitation de Bernard Murat, j'ai souhaité profiter de cette
décentralisation du monde parisien des lettres dans un
département qui est à certains égards... capital, pour
vous inviter à la mobilisation et vous assurer du soutien du
Sénat dans ces combats.