B. LA NÉCESSITÉ D'UNE DÉFENSE VIGILANTE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Plusieurs incidents récents illustrent la nécessité d'une défense vigilante de la langue française en France, et dans les institutions européennes.
1. L'étiquetage des denrées alimentaires
Les
consommateurs français ont été étonnés
d'apprendre, dans le courant de l'été, que la Commission
européenne avait lancé, à l'encontre de la France, une
procédure contentieuse pour l'obliger à modifier la
rédaction de
l'article R. 112-8 du code de la consommation
qui, conformément à l'article 2 de la loi Toubon, dispose
que «
les mentions d'étiquetage [de ces produits] doivent
être facilement compréhensibles, rédigées en langue
française
».
Par cette mise en demeure, la Commission européenne invitait le
gouvernement à tirer les conséquences d'une décision
rendue par la Cour de Justice des Communautés européennes, le
12 septembre 2000, l'arrêt Geffroy.
a) L'arrêt Geffroy du 12 septembre 2000
Saisie d'une question préjudicielle par la cour d'appel de Lyon, la Cour de Justice a estimé que l'article R. 112-8 du code de la consommation, qui impose purement et simplement un étiquetage en langue française, n'est pas conforme à l'article 30 du Traité et à l'article 14 de la directive 79/112 du 18 décembre 1978 qui pose pour seule exigence que les mentions d'étiquetage obligatoire figurent « dans une langue facilement comprise par les acheteurs, sauf si l'information de l'acheteur est assurée par d'autres mesures ».
b) La jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes
Selon
une jurisprudence constante (voir
Piageme - 12 octobre 1995
),
la Cour
, s'appuyant sur les articles 128 et 129 du Traité,
estime que les Etats membres ne sont pas autorisés à
substituer une norme plus contraignante à celle prévue par une
directive
. Or, l'obligation d'utiliser une langue déterminée
est considérée par la Cour comme plus stricte que celle de
l'emploi d'une « langue facilement comprise ».
La Cour de Justice a développé, au fil de plusieurs arrêts,
son
interprétation jurisprudentielle du sens et de la portée
de la directive 79/112
.
Dans un premier arrêt
Piageme du 18 juin 1991
, elle a
estimé que
l'obligation d'utiliser exclusivement la langue d'une
région linguistique
constituait une
mesure d'effet
équivalant à une restriction quantitative des importations
,
prohibée par l'article 30 du Traité. Elle rappelle que
l'article 14 de la directive se borne à exiger une
« langue facilement comprise » par l'acheteur, et
prévoit par ailleurs que l'entrée des denrées alimentaires
sur le territoire d'un État membre peut être autorisée
quand les mentions pertinentes ne figurent pas dans une langue facilement
comprise « si l'information de l'acheteur est assurée par
d'autres mesures ».
Dans un second
arrêt Piageme du 12 octobre 1995
, la Cour a
dit pour droit que l'article 12 de la directive 79/112 s'oppose à ce
qu'un État membre impose l'utilisation de la langue dominante de la
région de mise en vente,
même si l'utilisation d'une autre
langue n'est pas exclue
.
En revanche, dans un
arrêt Goerres du 14 juillet 1998
, la
Cour a jugé que l'article 14 de la Directive ne s'oppose pas à
une réglementation nationale qui prescrit l'utilisation d'une langue
déterminée pour l'étiquetage des denrées
alimentaires, mais qui permet également,
à titre
alternatif
, l'utilisation d'une autre langue facilement comprise par les
acheteurs.
Le sens de cette jurisprudence est donc bien clair : une
réglementation nationale qui prescrit l'utilisation d'une langue
déterminée pour l'étiquetage des denrées
alimentaires doit permettre l'utilisation d'une autre langue facilement
comprise par les acheteurs, à titre alternatif et non à titre
complémentaire.
c) La nouvelle rédaction de l'article R. 112-8 du code de la consommation
L'arrêt Geffroy rendu le 12 septembre 2000 par la
Cour de
justice à l'encontre de l'article R. 112-8 du code de la
consommation français se situe dans le droit fil de cette jurisprudence.
La Cour de justice a considéré que l'obligation d'utiliser une
langue déterminée -fut-ce notre langue nationale sur notre
territoire- était plus stricte que celle d'employer une
« langue facilement comprise » et qu'elle constituait, en
conséquence, une restriction quantitative des importations, autrement
dit, qu'elle violait le principe de libre circulation des marchandises
posé à l'article 30 du Traité.
Les autorités françaises, après un retard dû
à la période électorale et à l'installation du
nouveau gouvernement, ont trouvé un compromis satisfaisant.
Par un décret du 1
er
août, le gouvernement a
complété l'article R. 112-8 du code de la consommation
incriminé par un alinéa additionnel prévoyant que les
mentions d'étiquetage des produits alimentaires «
peuvent
figurer
en outre
dans une ou plusieurs langues
».
Le recours à une ou plusieurs langues autorisé par cette nouvelle
rédaction ne peut donc se faire qu'
à titre
complémentaire
, et ne remet pas en question l'obligation d'un
étiquetage en français prescrit par l'article 2 de la loi
Toubon.
LES DISPOSITIONS DE LA LOI TOUBON ET DU CODE DE LA CONSOMMATION
*
Article 2 de la loi n° 94-665 du 4
août
1994
relative à l'emploi de la langue française
«
Dans la désignation, l'offre, la présentation, le
mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des
conditions de garanties d'un bien, d'un produit ou d'un service... l'emploi de
la langue française est obligatoire
».
*
Article R. 112-8 du code de la consommation
résultant
du décret n° 2002-1025 du 1
er
août 2002
Toutes les mentions d'étiquetage prévues par le présent
chapitre doivent être facilement compréhensibles,
rédigées en langue française et sans autres
abréviations que celles prévues par la réglementation ou
les conventions internationales. Elles sont inscrites à un endroit
apparent et de manière à être visibles, clairement lisibles
et indélébiles. Elles ne doivent en aucune façon
être dissimulées, voilées ou séparées par
d'autres indications ou images.
Les mentions d'étiquetage prévues par le présent chapitre
peuvent figurer
en outre
dans une ou plusieurs autres langues
.
Il s'agit toutefois du point extrême que nous ne saurions dépasser
sans remettre en cause l'esprit et la lettre de notre législation. Il
doit être clair que nous ne pourrions accepter, par exemple, que
l'utilisation d'une ou plusieurs autres langues soit envisagée
à titre alternatif
, car l'étiquetage en français ne
serait plus alors que facultatif.
Votre rapporteur invite le gouvernement français à opposer la
résistance la plus ferme, dans l'hypothèse qu'il veut croire
improbable, où des pressions seraient exercées en ce sens par les
autorités européennes.
d) La nouvelle rédaction de la directive 79/112, modifiée par la directive 2000/13
Il tient
à souligner dans cette perspective que la rédaction de la
directive CE 79/112 de 1978 a été actualisée
à deux reprises, par la directive n° 97/4 de 1997 et par la
directive 2000/13 du 20 mars 2000,
dans un sens qui
équilibre le rappel du principe de libre circulation des marchandises
par la reconnaissance de la légitimité des exigences
linguistiques
.
La rédaction des directives de 1997 et 2000 se démarque en effet
de celle de 1978 sur deux points :
- elle rajoute dans l'exposé des motifs un sixième
considérant qui dispose que l'impératif d'information et de
protection du consommateur « implique que les Etats membres puissent,
dans le respect des règles du Traité,
imposer des exigences
linguistiques
» ;
- dans le corps du dispositif qui fait l'objet d'une
renumérotation, elle complète l'alinéa relatif
« à l'exigence d'une langue facilement comprise par le
consommateur » par un alinéa additionnel précisant
que :
«
L'Etat membre où le produit est commercialisé
peut, dans le respect des règles du traité, imposer sur son
territoire que ces mentions d'étiquetage figurent au moins dans une ou
plusieurs langues officielles de la communauté » (article 16
paragraphe 2 de la directive 2000/13/CE du 20 mars 2000).
e) Les conclusions du rapporteur
Votre
rapporteur se félicitera de cette nouvelle rédaction qui conforte
nos positions.
Il tire de cette affaire
deux conclusions
.
La première, c'est que la défense de la diversité
linguistique et de la langue française requiert une attention vigilante
du gouvernement, si nous ne voulons pas la voir s'effriter par le jeu de
réglementations qui ne sont souvent techniques qu'en apparence.
Lors de son audition devant la Commission, M. Pierre-André Wiltzer,
ministre délégué à la coopération et
à la francophonie, a estimé que la procédure lancée
par la Commission en matière d'étiquetage des denrées
alimentaires avait mis en relief une
insuffisante coordination des
différents services français concernés
.
Votre rapporteur l'appuie donc sans réserves dans sa volonté de
mettre en place
un dispositif plus efficace de concertation
entre la
délégation générale à la langue
française et aux langues de France, le ministère des affaires
étrangères et en particulier le ministre
délégué aux affaires européennes, le ministre du
commerce et de l'artisanat et le ministère de la recherche.
La seconde conclusion, qui se veut optimiste, c'est que ce combat pour le
plurilinguisme n'est pas perdu d'avance, et que, quand on aperçoit,
à l'usage, les insuffisances ou les effets pervers d'un règlement
ou d'une directive, il est toujours possible de les modifier.
2. L'étiquetage des produits qui ne font pas l'objet d'une harmonisation européenne
L'affaire Geffroy
illustrait la position de la Cour de
Justice des communautés européennes, et celle de la Commission
européenne,
sur l'étiquetage des produits qui, à
l'instar des denrées alimentaires, font l'objet d'une harmonisation
européenne
.
Une autre affaire
, un peu plus ancienne et dont l'issue est, de l'avis
de votre rapporteur, moins heureuse, porte sur
l'étiquetage des
produits pour lesquels l'harmonisation européenne est partielle ou fait
entièrement défaut
.
Dans le cas de ces derniers, les Etats membres restent, en principe,
compétents pour imposer des exigences linguistiques, dans les limites
toutefois que délimite la jurisprudence de la Cour de Justice.
a) La jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes
Celle-ci
considère en effet que les obligations imposées par les
autorités nationales constituent une entrave au commerce communautaire,
dans la mesure où les produits provenant d'autres Etats membres doivent
être revêtus d'étiquetages différents qui
entraînent des frais supplémentaires de conditionnement.
La Cour de Justice leur assigne, en conséquence, pour conditions :
- d'être justifiés par un but d'intérêt
général de nature à préciser les exigences de la
libre circulation des marchandises (comme par exemple l'impératif de
l'information et de la protection des consommateurs) :
- d'être proportionnées au but poursuivi ;
A ce titre, la Cour de Justice juge qu'une mesure imposant l'utilisation d'une
langue aisément compréhensible pour le consommateur ne doit pas
être de nature à exclure l'emploi éventuel d'autres moyens
assurant l'information des consommateurs, tels que l'usage de dessins, symboles
ou pictogrammes.
b) La circulaire du 20 septembre 2001 : une interprétation de la loi Toubon sujette à caution ?
Mis en
demeure par la Commission européenne, en juin 2000, de tirer les
conséquences de cette jurisprudence, le gouvernement français
-à l'issue, semble-t-il d'une difficile négociation avec la
commission- a procédé à un
aménagement par voie
de circulaire des modalités d'application de l'article 2 de la loi
du 4 août 1994
.
Cette
circulaire en date du 20 septembre 2001
a été
signée par le ministre de la culture et de la communication, par la
secrétaire d'Etat chargée du budget, et par le secrétaire
d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat
et à la consommation.
Elle « précise » que l'article 2 de la loi
Toubon ne fait pas obstacle à la possibilité d'utiliser
d'autres moyens d'information du consommateur
, tels que des
dessins,
symboles ou pictogrammes
. Ceux-ci peuvent être accompagnés de
mentions en langue étrangère non traduites en
français
dès lors que les dessins, symboles ou pictogrammes
et les mentions sont soit équivalents, soit complémentaires, sous
réserve qu'ils ne soient pas de nature à induire en erreur le
consommateur.
Votre rapporteur s'était interrogé sur la conformité de
cette circulaire interprétative avec le dispositif de l'article 2
de la loi Toubon
et avait adressé une question écrite au
gouvernement
2(
*
)
le 25 juillet
2002 pour lui demander s'il envisageait de rapporter cette circulaire.
Dans la réponse qu'il a reçue, le 28 novembre dernier, le
gouvernement lui indique que la publication de cette circulaire répond
à une mise en demeure adressée à la France par la
Commission européenne, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour
de justice des Communautés européennes.
Il rappelle que plusieurs arrêts de la Cour pèsent
désormais sur les dispositions de la loi du 4 août 1994,
relatives à la protection des consommateurs, et que la France s'est
efforcée, tout en se pliant à cette jurisprudence d'en limiter
les conséquences sur notre législation linguistique, en retenant
le principe d'un simple aménagement par voie de circulaire des
modalités d'application de l'article 2 de la loi.
Le gouvernement relève que la Commission a officiellement classé
le dossier le 22 mai 2002, que ce classement a permis d'éviter la
mise en oeuvre d'une procédure contentieuse auprès de la Cour
dont l'issue aurait été très incertaine pour notre
politique linguistique, et qu'il n'est donc, dans ces circonstances, pas
envisagé de modifier la circulaire du 20 septembre 2001.
La réponse du gouvernement précise en outre que, dans le souci
d'éviter tout recul dans la politique de protection des consommateurs,
le ministre de la culture et de la communication a sollicité le ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie, pour que soit
conjointement mise au point, en concertation avec les associations de
consommateurs, une liste des dessins, symboles ou pictogrammes, qui ne
nécessiteraient pas d'être accompagnés d'une mention en
langue française. Cette liste contiendrait un nombre limité de
dessins, symboles ou pictogrammes de manière à préserver
les intérêts des consommateurs.
Votre rapporteur souhaite avec insistance que le gouvernement français
représente aux institutions européennes que l'information du
consommateur, en France, est mieux assurée par des mentions en langue
française que par le recours à des pictogrammes. Car il croit que
les hiéroglyphes, de quelque nom moderne qu'on les déguise,
constituent une régression radicale par rapport à
l'écriture alphabétique, et qu'ils resteront plutôt
l'apanage d'un petit nombre d'initiés, que du commun des
mortels !
3. Le programme européen Socrates Comenius 2.2
Le
programme Socrates Comenius 2.2 est un programme européen qui propose
aux enseignants d'une trentaine de pays de se perfectionner dans l'une des
disciplines de l'enseignement scolaire. Mais il en réserve le
bénéfice, semble-t-il, aux seuls candidats qui peuvent justifier
d'une parfaite maîtrise de l'anglais.
Votre rapporteur, qui avait attiré l'attention de Mme la ministre
déléguée aux affaires européennes sur cette
condition choquante au regard du pluralisme linguistique européen que
nous voulons promouvoir, a reçu de cette dernière une
réponse apparemment satisfaisante.
La ministre lui indique en effet que « les formations offertes
peuvent être dispensées dans l'une des langues officielles de
l'Union européenne, dont l'anglais. Il est préconisé
d'offrir le choix entre deux langues. Il est bien sûr demandé aux
participants de posséder une maîtrise suffisante de l'une des
langues dans laquelle la formation doit se dérouler afin qu'ils en
retirent le plus grand bénéfice ».
Votre rapporteur aimerait être sûr que la mise en oeuvre du
programme Comenius 2.2 est aussi irréprochable que la description
qu'en donne cette réponse rassurante.
4. Les tentations de certains décideurs politiques
Ces
pratiques, qui tendent à remettre en cause le pluralisme linguistique et
la diversité culturelle sur lesquels s'est construite l'Europe, ne sont
d'ailleurs pas l'apanage d'une technostructure européenne.
Elle trouve des alliés chez certains décideurs politiques.
Le président d'un important parti politique européen a
récemment notifié à tous les partis membres que la seule
langue de travail du parti serait désormais l'anglais, et qu'il
convenait en conséquence de n'envoyer dans les groupes de travail que
des parlementaires maîtrisant insuffisamment cette langue.
Un parlementaire britannique, allant plus loin, avait d'ailleurs proposé
de n'autoriser à se présenter aux élections
européennes que des candidats ou des candidates maîtrisant
l'anglais.
5. La nécessité de consacrer la diversité linguistique dans le futur « traité constitutionnel » de l'Union européenne
Ces
différentes dérives paraissent révélatrices d'un
état d'esprit qui tend à une remise en question sourde pour ne
pas dire sournoise, du pluralisme linguistique de l'Union européenne.
Il paraît dans ces conditions tout à fait indispensable
d'insérer dans le projet de traité constitutionnel que
prépare la convention sur l'avenir de l'Europe, une disposition
réaffirmant la diversité linguistique comme un des fondements de
la construction européenne.
Ce rappel, figurant dans un texte de référence, au sommet de
l'ordre juridique européen, permettrait de
consacrer le principe de
diversité culturelle et linguistique
sur lequel repose la
construction européenne et de le mettre, à tout le moins en
balance avec les principes économiques comme celui de libre circulation
des travailleurs et des marchandises.
Votre rapporteur a noté avec intérêt les
propositions
avancées par notre collègue
Hubert Haenel,
président de la délégation pour l'Union
européenne du Sénat
, et membre à ce titre de la
convention sur l'avenir de l'Europe.
Celui-ci propose que le
traité constitutionnel
retienne, comme
un des principaux objectifs
communs de l'Union et des Etats membres, non
seulement
le respect de la diversité culturelle et linguistique de
l'Europe
, mais aussi, et surtout, la connaissance réciproque des
cultures, l'apprentissage des langues étrangères, le
développement de parcours européens de formation, l'encouragement
à la circulation des oeuvres.
6. La réforme du brevet européen
Créé par la
Convention de Munich
du
5
octobre 1973
, le « brevet européen » n'est pas
un instrument de protection communautaire. Contrairement au projet de
« brevet communautaire » actuellement en discussion, et qui
viendrait se greffer en quelque sorte sur le brevet européen, il
relève du droit conventionnel classique entre Etats et réunit des
pays qui ne sont d'ailleurs pas tous membres de l'Union européenne.
La convention de Munich a institué une organisation européenne
des brevets, un office européen des brevets, et une procédure
unique de délivrance à l'issue de laquelle le brevet
européen prend la valeur d'un brevet national dans chacun des pays
contractants, et est soumis aux règles nationales en vigueur sur le
territoire de ces derniers.
Ses
langues officielles
sont
l'allemand, l'anglais et le
français
(article 4). Celles-ci sont dotées d'un statut
privilégié : les demandes de brevet doivent être
déposées dans une de ces trois langues, qui devient par la suite
la langue de procédure et la langue dans laquelle est publié le
fascicule du brevet.
Ces fascicules comportent obligatoirement une
traduction des
revendications
dans les deux autres langues officielles de l'Office
européen des brevets (article 14 alinéa 7) sachant que ces
revendications constituent le coeur du dispositif de protection, puisque ce
sont elles qui déterminent l'étendue de la protection (article
69), la description et les dessins ne servant qu'à interpréter
les revendications.
L'organisation européenne des brevets permet :
- aux demandeurs ou aux titulaires de brevets français francophones
de déposer leur demande en français sans être obligé
d'y joindre une traduction ;
- aux entreprises françaises ou francophones de disposer soit de
fascicules complets en français pour les brevets délivrés
en français, soit de la traduction en français des revendications
des brevets délivrés en allemand ou en anglais.
Une disposition de la Convention,
l'article 65
, ouvre
la
possibilité pour les Etats de renforcer leurs exigences en
matière de traduction
. Il les autorise en effet à prescrire
que le texte des brevets qui ne sont pas rédigés dans leur langue
officielle est réputé sans effet sur leur territoire si une
traduction n'est pas produite dans un délai de trois mois. Cette
faculté est ouverte aux Etat dont les langues ont le statut de langues
officielles de l'Office comme aux autres.
La plupart des Etats ont fait jouer cette clause, et la France également
(article L. 614-7 du code de la propriété intellectuelle).
Toutefois, la volonté de réduire le coût du brevet
européen, sensiblement supérieur au coût des brevets
octroyés par les principaux partenaires commerciaux de l'Europe a
conduit à la rédaction d'un
accord consistant dans une
renonciation aux exigences de traduction prévues à
l'article 65 précité
.
Cet accord a été proposé à la signature des Etats
membres à la conférence intergouvernementale de Londres les 15 et
16 octobre 2000.
CONTENU DE L'ACCORD SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 65 DE LA CONVENTION SUR LA DÉLIVRANCE DE BREVETS EUROPÉENS
Les
Etats parties à l'accord sont convenus des dispositions suivantes :
1. Les Etats ayant une langue officielle en commun avec les trois langues
officielles de l'Office européen des brevets renoncent aux exigences de
traduction de l'article 65 ; les autres Etats y renoncent si le
brevet est délivré ou traduit dans une de ces trois langues
à leur choix, mais conservent la possibilité d'exiger une
traduction des revendications.
2. En cas de litige, le titulaire du brevet fournit à ses frais une
traduction complète du brevet au contrefacteur présumé et
au juge.
3. La signature de l'accord est ouverte jusqu'au 30 juin 2001.
4. L'accord ne peut entrer en vigueur que si huit Etats parties y ont
adhéré, dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
Le projet d'accord a suscité une vive inquiétude et votre
rapporteur avait tenu à rappeler dès l'origine
les
inconvénients d'un texte qui prévoit que des titres juridiques,
partiellement rédigés dans une langue étrangère,
pourront créer, en France, des droits et des obligations.
Confronté à cette préoccupation largement partagée,
le secrétaire d'Etat à l'industrie avait confié
une
mission de concertation à M. Georges Vianes
qui a conclu à
l'adoption de cet accord, estimant en outre que celui-ci, « loin de
représenter un abandon de la position de la France et de la langue
française dans le système du brevet européen, la
renforce ». Votre rapporteur ne partage évidemment pas cette
vision optimiste.
La commission des affaires économiques du Sénat avait
consacré à ce sujet un rapport d'information signé par
notre collègue, M. Francis Grignon
3(
*
)
, qui s'était
déclaré favorable à la signature de cet accord, sous
réserve de l'adoption d'un certain nombre de
mesures d'accompagnement
nécessaires
.
MESURES D'ACCOMPAGNEMENT JUGÉES NÉCESSAIRES
PAR LA
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES EN VUE DE LA SIGNATURE PAR LA FRANCE
DE L'ACCORD DE LONDRES
Veille technologique
: traduire en français, sur le budget
de l'INPI
4(
*
)
, comme cela est
envisagé, les revendications et un résumé
« signifiant » des demandes, à la publication. Les
traductions seraient disponibles sur le site internet de l'Institut national de
la propriété industrielle, dont la base de données peut
être interrogée en langage naturel ;
Sécurité juridique
: prévoir, comme c'est le
cas dans le projet de règlement sur le brevet communautaire, qu'un
contrefacteur présumé qui n'a pu avoir à sa disposition le
texte du brevet traduit en français est présumé ne pas
porter atteinte au brevet et que les dommages et intérêts (ou la
confiscation éventuelle des profits) ne pourraient intervenir
qu'après cette mise à disposition d'un texte en
français ;
Traducteurs et conseils
: le changement de régime
n'entrerait pas en vigueur avant, au bas mot, deux ans. L'Etat doit
impérativement utiliser ce délai pour :
- orienter les traductions visées au sur des
professionnels
français
: traducteurs pour les traductions, conseils pour
l'élaboration du résumé. Ceci implique un effort
considérable d'organisation de ces professions (possible, peut
être, via un groupement d'intérêt économique de
chacune d'entre elles et la mise en place, à l'Institut national de la
propriété industrielle, de procédures d'octroi de ces
marchés à la fois transparentes et accessibles à d'autres
prestataires que les grands cabinets étrangers qui risquent de
« capter » ce marché si les professionnels
français ne font pas cet effort d'organisation. Cette solution est plus
difficile à mettre en oeuvre, notamment pour l'élaboration du
résumé, que la simple sous-traitance à une
société étrangère
5(
*
)
, mais elle est, de loin,
préférable. Elle implique toutefois que les professionnels jouent
le jeu de la mise en oeuvre d'un accord qu'ils ont radicalement
défendu ;
- prévoir des
aides spécifiques pour les traducteurs en
brevets
dans le cas probable où la mesure ci-dessus et
l'accroissement du nombre de dépôts ne suffiraient pas à
maintenir leur volume actuel d'activité.
Votre rapporteur
ne s'était pas félicité de la
signature par la France de l'accord de Londres,
regrettant tout
particulièrement que
, sur ce point pourtant essentiel du combat pour
le multilinguisme,
la France se soit désolidarisée de ses
alliés naturels : l'Espagne, l'Italie et le Portugal
, qui ont,
eux, refusé de signer ce protocole.
Il avait souhaité que, à tout le moins, le gouvernement
prête toute l'attention nécessaire aux
mesures
d'accompagnement
préconisées par la commission des affaires
économiques du Sénat.
Il avait également noté que la signature de cet accord avait
été accompagnée d'une
déclaration
précisant que la France avait l'intention d'accompagner la mise en
oeuvre de l'accord de
dispositions nationales
lui permettant de prendre
à sa charge la
traduction intégrale des brevets
qui ne
seront pas rédigés en français.
Votre rapporteur a relevé que, dans un récent discours
prononcé à Brive le 8 novembre 2002,
M. Christian Poncelet,
président du Sénat
, avait estimé qu'
un
réexamen attentif de ce protocole
s'imposait, au préalable.
Il se félicite de cette prise de position, à laquelle il
apporte un plein soutien, et souhaite qu'une réflexion soit
effectivement conduite avant le dépôt devant le Parlement du
projet de loi autorisant la ratification du Procotole de Londres, dont le
ministre délégué à la coopération et
à la francophonie nous a indiqué qu'il était en
préparation
.
En conclusion :
La commission des affaires culturelles rappelle son souhait de voir
la
francophonie dotée d'un ministère qui lui soit propre
, et
dont les compétences engloberaient aussi l'audiovisuel extérieur
et les relations culturelles extérieures.
Elle réaffirme son hostilité de principe à un gel des
crédits.
Elle insiste sur la nécessité d'une
coordination
autour de
ce ministère de toutes les administrations qui ont à
connaître de la francophonie.
Elle réaffirme sa très vive préoccupation devant la
tendance de l'Union européenne à considérer l'anglais
comme la langue de ses relations extérieures. Elle demande au
gouvernement de réagir très fermement à tout manquement
dans ce domaine.
Elle demande que la
Convention européenne
se saisisse du
problème des langues en Europe avec à l'esprit de contribuer
à construire une
Europe multiculturelle et plurilingue
.
Elle soutient l'action de la francophonie pour obtenir que
l'Unesco
abrite un instrument juridique défendant le pluralisme des cultures.