B. LE TOURNANT POLITIQUE DE LA FRANCOPHONIE MULTILATÉRALE
Les
«
conférences des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le
français en partage
», initialement appelées
sommets francophones, constituent l'instance de décision suprême
de la francophonie.
Elles s'appuient sur la
conférence ministérielle de la
francophonie
(CMF), qui est composée des ministres des affaires
étrangères ou de la francophonie, et qui doit veiller à
l'exécution des décisions prises par les sommets, ainsi que sur
le
conseil permanent de la francophonie
(CPF), composé des
représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, qui est plus
particulièrement chargé de la préparation et du suivi des
sommets.
1. Le tournant du sommet de Hanoï : l'affirmation d'une francophonie politique
La
septième conférence des chefs d'Etat et de gouvernement, qui
s'est tenue en 1997 à Hanoï, a marqué un tournant
décisif pour la francophonie.
L'érigeant en organisation internationale à part entière,
il lui a conféré sa pleine dimension politique.
Les principales réformes institutionnelles apportées par le
sommet de Hanoï ont été la nomination d'un secrétaire
général permanent, le renforcement du conseil permanent de la
francophonie et la reconnaissance de l'Assemblée internationale des
parlementaires de langue française comme assemblée consultative
de la francophonie.
* Le
secrétaire général de la francophonie
est
élu pour quatre ans par les chefs d'Etat et de gouvernement auxquels il
rend compte ; il préside le conseil permanent de la
francophonie ; il est le porte-parole politique et le représentant
officiel de la francophonie sur la scène internationale, et le plus haut
responsable de l'agence de la francophonie (AIF).
Le premier titulaire de cette fonction a été M. Boutros-Ghali.
* Le
conseil permanent de la francophonie
(CPF) est
désormais composé des représentants personnels de tous les
chefs d'Etat et de gouvernement et non plus seulement de 18 d'entre eux comme
auparavant. Cette réforme a contribué à asseoir le
caractère représentatif de cette instance.
En outre, c'est le conseil permanent de la francophonie qui, tout en conservant
sa mission initiale de préparation et de suivi des sommets, siège
comme conseil d'administration de l'agence. Auparavant, c'était la
conférence ministérielle qui remplissait ce rôle mais ses
réunions n'étaient pas assez fréquentes pour assurer un
fonctionnement satisfaisant.
*
L'Assemblée internationale des parlementaires de langue
française
a été reconnue dans la charte de la
francophonie, comme
l'Assemblée consultative de la francophonie
.
Elle a pris le nom d'Assemblée parlementaire de la Francophonie.
2. Le sommet de Moncton : la défense de la diversité culturelle
Le
sommet de Moncton n'a souhaité prendre aucune décision
institutionnelle, après les avancées réalisées aux
deux sommets précédents ; il a cependant permis d'engager la
réforme de l'agence universitaire de la francophonie et d'engager un
processus d'évaluation qui doit être étendu à
l'ensemble des opérateurs de la francophonie.
Revenant sur le thème de la
diversité culturelle
, il a
décidé de mettre en place un processus de concertation entre pays
francophones pour accompagner l'ouverture du cycle de négociations de
l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Ce thème a été approfondi lors de la
Conférence
francophone
des ministres chargés de la culture, qui s'est tenue
à Cotonou en juin 2001. Celle-ci a adopté une déclaration
qui réaffirme le droit pour chaque Etat de déterminer librement
sa politique culturelle, les moyens qui y concourent, et de mettre en place des
mécanismes de soutien. Elle a souligné la compétence
privilégiée de l'UNESCO pour débattre de ce thème
et a appelé de ses voeux l'élaboration d'une convention
internationale reconnaissant le principe de la diversité culturelle.
Le sommet de Moncton a également réaffirmé les exigences
posées par l'augmentation internationale de la francophonie en
matière de respect des droits de l'homme et de défense de la
démocratie.
Sur proposition de la France, les membres de la francophonie ont
décidé d'organiser l'année suivante un symposium
permettant de tracer le bilan des pratiques de la démocratie et des
droits de l'homme dans les pays membres.
3. Le symposium de Bamako : l'adoption d'un texte fondateur
Ce
symposium
qui réunissait les ministres et chefs de
délégation des pays de la francophonie, s'est tenu au
mois de
novembre 2000 à Bamako
.
Il s'est conclu par l'adoption d'une
déclaration
qui marque un
véritable tournant dans l'engagement de la francophonie en faveur de la
démocratie. Par les objectifs qu'il se fixe, les engagements qu'il
prend, et les mesures qu'il envisage, il prend la valeur d'un
véritable texte fondateur.
Partant du constat que le bilan des pratiques de la démocratie, des
droits et des libertés dans l'espace francophone au cours de ces dix
dernières années, comporte des acquis indéniables, mais
qu'il présente aussi des insuffisances et des échecs, les
délégués des Etats et gouvernements membres de la
francophonie se sont engagés dans cette déclaration à
consolider l'Etat de droit, à tenir des élections libres, fiables
et transparentes, et à promouvoir une véritable culture
démocratique, ainsi que le respect des droits de l'homme.
Un programme d'action annexé à cette déclaration
comportait une série de mesures organisées autour de
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objectifs
:
- la
consolidation de l'Etat de droit
, avec une attention
particulière à l'institution parlementaire, à
l'indépendance de la magistrature, à la liberté du
barreau, et à l'efficience des organes de contrôle ;
- la
tenue d'élections libres, fiables et transparentes
qui
passe par l'établissement d'un état-civil et de listes
électorales, par la formation du personnel électoral, et par un
appui public au financement des campagnes électorales.
- une
vie politique apaisée,
reposant sur un consensus large
autour de l'adoption des textes fondamentaux régissant la vie publique,
sur le multipartisme et sur des modes pacifiques de règlement des
différends ;
- la promotion d'une
culture démocratique
intériorisée.
Enfin, la francophonie s'est dotée avec la déclaration de Bamako,
d'un texte normatif précisant les
procédures à engager
en cas de crise de la démocratie ou de violation grave des droits de
l'homme
. Les mesures envisagées peuvent, suivant la gravité
des faits, aller de l'envoi de facilitateurs ou d'observateurs judiciaires
mandatés par le secrétaire général, jusqu'à
des sanctions et à la « suspension du pays
concerné ».
Cette dernière décision avait été vivement
souhaitée par l'Assemblée parlementaire de la francophonie
,
qui a eu à coeur de la mettre en pratique, non sans un courage politique
qui n'a sans doute pas été suffisamment remarqué.
Il faut rappeler qu'avant même la tenue du symposium de Bamako,
l'Assemblée parlementaire de la francophonie avait adopté une
recommandation proposant que les dirigeants parvenus au pouvoir en renversant
par la force les institutions, ne soient plus invités aux sommets de la
francophonie.
L'assemblée parlementaire de la francophonie
a donc
joué, en ce domaine,
un rôle précurseur
.
4. La conférence ministérielle de Paris
Le
report du sommet de Beyrouth qui devait initialement se tenir en octobre 2001,
a conféré une importance particulière à la
conférence ministérielle de la francophonie, qui s'est tenue
à Paris le 11 janvier 2001.
La conférence a en effet, adopté la
programmation du biennum
2002-2003
et le budget correspondant des quatre opérateurs de la
francophonie qui relèvent de sa compétence budgétaire.
Sur proposition du Premier ministre canadien, elle a
prorogé le
mandat du
secrétaire général de la
francophonie
, qui venait en principe à échéance en
octobre 2001, jusqu'à la tenue effective du sommet de Beyrouth. Elle a
également reconduit M. Roger Dehayhe pour un nouveau mandat de quatre
ans en qualité d'administrateur général de l'agence de la
francophonie.
Enfin, la conférence a répondu favorablement à la
proposition française de transférer à l'organisation
internationale de la francophonie, avec les moyens afférents à
son fonctionnement pour les trois prochaines années, le
haut conseil
de la francophonie
.
Le nouveau conseil consultatif sera placé auprès du
secrétaire général de la francophonie.
La conférence a condamné la tentative de coup d'Etat du 17
décembre 2001 en Haïti.
Enfin, la conférence a fixé la date du sommet de Beyrouth au
18 octobre 2002 et a posé le principe de la tenue, début
2003, d'une conférence ministérielle thématique sur les
nouvelles technologies de l'information.
5. Le sommet de Beyrouth : une rencontre historique
Tenu
à Beyrouth du 18 au 20 octobre 2002, le IXe sommet de la francophonie a
constitué un moment historique et une incontestable réussite. La
déclaration adoptée à l'issue du sommet a salué la
tenue, pour la première fois, d'un sommet dans un pays arabe, le Liban,
qui soulignait la solidarité avec la langue et la culture arabe et
permettait de réaffirmer la dimension universelle de la francophonie. La
quasi totalité des 55 Etats et gouvernements membres
associés et observateurs y étaient représentés,
dont une quarantaine par leur chef d'Etat. Quoique son pays ne soit pas membre
de la francophonie, le président algérien, M. Bouteflika a
participé à ce sommet et a prononcé un important discours
dans lequel il a exprimé l'intérêt que présentait,
pour son pays, le mouvement francophone.
Le sommet s'est conclu par une
déclaration
et un
plan
d'action
qui reflètent les débats très riches auquel
il a donné lieu.
Ceux-ci ont confirmé la
vocation politique de la francophonie
.
Les débats ont en effet très largement porté sur le
Moyen-Orient, l'Irak et la crise iranienne. La déclaration de Beyrouth
témoigne du consensus auquel est parvenue la francophonie sur ces
questions essentielles :
- sur le
Moyen-Orient
, la déclaration appelle à une
relance immédiate du processus de paix
sur la base des principe
agréés à la
conférence de Madrid
et des
résolutions pertinentes des Nations Unies, et notamment des
résolutions 242 et 338 du Conseil de
sécurité
; elle appuie à cet effet l'initiative
de paix adoptée à l'unanimité du sommet arabe de Beyrouth
les 27 et 28 mars 2002.
- sur la
question irakienne,
la déclaration défend la
priorité du droit international, et le rôle primordial de
l'organisation des Nations-Unies ; elle relève avec satisfaction
que l'Irak a accepté officiellement le 16 septembre 2002 la
reprise inconditionnelle des inspecteurs des Nations-Unies et l'appelle
à respecter pleinement toutes ses obligations ;
- elle condamne la tentative de prise de pouvoirs par la force et la
remise en cause de l'ordre constitutionnel en
Côte d'Ivoire.
Le sommet de Beyrouth a également confirmé l'engagement des pays
francophones en faveur de la démocratie et de l'Etat de droit. La
déclaration a marqué la détermination des Etats à
mettre en oeuvre la déclaration de Bamako
sur le bilan des
pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans
l'espace francophone. A cette fin,
elle a adopté le programme
d'action
annexe à cette déclaration.
Elle a en outre demandé au secrétaire général de la
francophonie de poursuivre un effort en vue de favoriser la ratification des
principaux instruments internationaux et régionaux qui garantissent la
mise en oeuvre effective des droits de l'homme. Elle a incité les Etats
qui ne l'auraient pas encore fait à ratifier
le statut de Rome sur la
Cour pénale internationale
ou à y adhérer dès
que possible.
La déclaration traduit évidemment
l'engagement de la
francophonie en faveur de la diversité culturelle et du dialogue des
cultures
qui constituerait le thème directeur du sommet.
A ce titre, elle consacre l'engagement des Etats à promouvoir le
plurilinguisme, et à assurer le statut, le rayonnement et la promotion
du français comme grande langue de communication sur le plan
international. Les Etats réaffirment plus particulièrement leur
engagement de privilégier l'utilisation du français dans les
organisations internationales et dans les autres enceintes au sein desquelles
ils siègent.
Soucieuse de ne pas laisser réduire les biens et les services culturels
au rang de simples marchandises, la déclaration réaffirme le
droit des Etats et des gouvernements de
définir librement leur
politique culturelle
et les instruments qui y concourent. Elle salue
l'adoption de la Déclaration de l'UNESCO sur la diversité
culturelle et affirme la volonté des Etats et gouvernements de
contribuer activement à l'adoption par l'Unesco d'une convention
internationale sur la diversité culturelle. Enfin, elle invite les Etats
et gouvernements à s'abstenir de tout engagement de
libéralisation auprès de l'organisation mondiale de commerce en
matière de biens et de services culturels.
Enfin, la déclaration consacre l'engagement de la francophonie en faveur
du
développement durable
en proclamant que francophonie,
démocratie et développement sont indissociables. Elle insiste
plus particulièrement sur la nécessité de promouvoir en
priorité l'éducation et la formation, et rappelle que les membres
ont souscrit avec l'ensemble de la communauté internationale, aux
objectifs « d'Education pour tous », définis lors du
forum mondial de l'éducation de Dakar en 2001 prévoyant
l'accès à l'éducation de base et pour tous le enfants, en
particulier les filles, à un enseignement primaire obligatoire, gratuit
et de qualité.
Elle salue la naissance, le 9 juillet 2002, à Durban, de l'Union
africaine, se félicite de l'adoption par celle-ci du « Nouveau
partenariat pour le développement en Afrique », et demande au
secrétaire général de veiller à la synergie entre
ce processus, le plan d'action du G8 et les actions de l'organisation
internationale de la francophonie.
Lors du sommet de Beyrouth, les chefs d'Etat et de gouvernement ont élu
M. Abdou Diouf
en qualité de
secrétaire
général de la francophonie.
Ils ont également décidé l'adoption d'un
rythme de
programmation quadriennal.
Enfin, ils ont invité le secrétaire général
à poursuivre la mise en oeuvre du
processus d'évaluation des
opérateurs
de la francophonie.