N° 69
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 2002
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2003 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,
TOME XIV
FRANCOPHONIE
Par M. Jacques LEGENDRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; M. François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Serge Lepeltier, Mme Brigitte Luypaert, MM. Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Dominique Mortemousque, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jacques Pelletier, Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, André Vallet, Marcel Vidal, Henri Weber.
Voir
les numéros
:
Assemblée nationale
(
12
ème
législ.) :
230
,
256
à
261
et T.A.
37
Sénat
:
67
(2002-2003)
Lois de finances . |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
En octobre 2002, la francophonie avait rendez-vous avec l'histoire, à
Beyrouth, à l'occasion du IX
e
Sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement ayant le français en partage.
C'était l'occasion de mesurer la place que les nouveaux dirigeants
français, issus des élections du printemps accordent à la
francophonie.
On se souvient encore que le précédent chef de gouvernement,
M. Jospin, n'avait pas d'entrée de jeu nommé un ministre
chargé de la francophonie.
Fort heureusement, il en a été différemment cette fois.
Dans son discours d'investiture, le Premier ministre, M. Jean-Pierre
Raffarin a indiqué que la francophonie ferait partie de notre action
internationale, ajoutant que « La Marseillaise, le drapeau, la langue
font partie de ce patrimoine auquel nous sommes attachés ».
La déclaration est sans doute lapidaire. Elle a néanmoins le
mérite d'avoir été prononcée.
Cet engagement a été confirmé par le choix fait à
l'occasion de la composition du gouvernement. M. Pierre-André
Wiltzer est connu pour être un militant de longue date de la
francophonie. Longtemps président du groupe d'Amitié
France-Québec de l'Assemblée nationale, président de la
commission des affaires politiques de l'Assemblée parlementaire de la
francophonie, dont il a présidé aussi la section
française, il a montré depuis des années son engagement au
service de cette grande idée.
Mais, comme son prédécesseur, il est ministre
délégué auprès du ministre des affaires
étrangères chargé de la francophonie et de la
coopération.
Est-il bien raisonnable de rassembler ainsi deux responsabilités dont
l'aire géographique est très différente, alors même
que l'Afrique, traversée de graves crises économiques et
politiques, a besoin qu'on lui consacre beaucoup de soin et que, à juste
titre, le président de la République et le gouvernement entendent
faire de l'aide au développement une priorité de leur action.
Il faut redire ici que si nous approuvons le rattachement du ministère
en charge de la francophonie aux affaires étrangères, il nous
paraîtrait judicieux qu'il soit déchargé de la
coopération mais s'occupe aussi des relations culturelles et de
l'audiovisuel extérieurs.
Le rendez-vous de Beyrouth
Le
sommet de Beyrouth a été un succès.
Il a démontré que, bien loin d'être une
préoccupation marginale, un exercice nostalgique au parfum de
néo-colonialisme suranné, la francophonie est bien une
affirmation politique essentielle.
On ne va pas sans émotion à Beyrouth, la capitale du Liban porte
encore les traces d'une longue et atroce guerre civile.
A deux pas de l'hôtel Phoenicia récemment reconstruit se dressent
les ruines dissimulées par des bâches du mythique hôtel
Saint-Georges. Bien d'autres immeubles sont encore marqués par les
impacts de balles.
C'est une ville en état de siège, quadrillée par
8 000 hommes en armes qui a accueilli les
55 délégations gouvernementales.
C'est un pays, le Liban, où les plaies sont encore vives. La veille du
sommet, des étudiants protestant contre la présence militaire
syrienne ont été violemment dispersés par la police. Et le
haut-clergé chrétien maronite mais aussi les dirigeants d'autres
églises ou communautés ne cachent pas leur aspirations à
plus d'indépendance réelle.
Mais c'est aussi la villa des Pins, ancienne résidence du
haut-commissaire au temps du mandat et symbole de la présence
française qui a été somptueusement remise en état
par la France.
C'est un pays où des élections ont lieu et peuvent être
gagnées par des candidats de l'opposition. C'est un pays à
l'économie fragile, aux équilibres démographiques
perturbés, mais où la vie reprend ses droits.
C'est un pays où le « désir de France » et de
francophonie est réel, profond. Notre pays y répond par un effort
très important même s'il est encore jugé insuffisant.
Et ce désir émane de toutes les communautés. Chacun sait
les liens historiques émouvants qui lient la France aux maronites et
aussi aux sunnites. Mais ce désir est exprimé aussi par des
dirigeants chiites et druzes.
Reçu en compagnie de la présidente de l'Assemblée
parlementaire de la francophonie par le président de l'Assemblée
nationale libanaise, M. Nabih Berry, chiite, j'ai pu l'entendre exprimer
en français pendant une demi-heure son intérêt pour la
francophonie et son souhait de voir se développer un lycée
français à Nagguah, dans le Sud du pays, près de la
frontière israélienne. Il est vrai que nombreux sont les libanais
chiites qui commercent en Afrique de l'Ouest et tiennent à
connaître le français.
A Beyrouth le sommet s'est réuni au plus près d'une des plus
graves déchirures du monde.
Bien évidemment en un tel lieu, la francophonie se devait d'être
politique.
Elle l'a été tout d'abord par son thème : le dialogue
des cultures, en particulier le dialogue entre le monde francophone et le monde
arabophone.
Appeler au dialogue, c'est refuser l'inéluctabilité du
« choc des cultures » annoncé par Huntington.
Tous les discours ont exprimé ce refus.
Le Président Jacques Chirac a été particulièrement
clair :
« La francophonie est par vocation au service du dialogue et de la
diversité des cultures. La mondialisation promet aux hommes plus de
liberté et de progrès. Nous y voyons aussi le risque de
l'uniformisation et une menace pour nos identités. Mais le repli sur soi
mènerait au déclin aussi sûrement que le renoncement
à soi. L'un des défis du monde fluide où nous vivons
désormais est d'apprendre à mieux être soi-même pour
mieux accueillir l'autre. Nous désamorcerons ainsi ce qu'Amin Maalouf
appelle « les identités meurtrières ».
Mais tout aussi explicite -et important- a été le discours du
président algérien, M. Abdelaziz Bouteflika dont le pays
n'adhère pas encore à l'organisation internationale de la
francophonie, mais qui a tenu à être présent :
« L'usage de la langue française est un lien qui assure
notre unité. Mais c'est dans la diversité des cultures
représentées ici que réside notre véritable
richesse, car ces cultures ont ici le moyen de communication qu'offre la langue
française. Le dialogue des cultures est donc ici une
réalité qu'il nous appartient de faire fructifier.
Le mérite d'une langue n'est pas seulement d'être l'expression
d'une civilisation, mais de servir de lien entre des civilisations
différentes, et d'assurer ainsi non seulement leur compréhension
mutuelle, mais l'enrichissement de chacune d'elles par les autres.
Nous participons aujourd'hui à cette réunion dans la conviction
que nos échanges mettront en valeur nos différences et conduiront
ainsi à l'épanouissement de toutes les cultures
représentées ici. Nous avons confiance que dans nos esprits et
dans nos intentions, ce sont ces mêmes préoccupations qui nous
animent et qui traduisent les aspirations de nos peuples à la
paix ; au développement et à la
sécurité ».
Les prises de position sur la situation au Proche-Orient ont permis d'affirmer
l'intégrité territoriale et l'existence politique du Liban, le
droit d'Israël à des frontières sûres et reconnues, le
droit des palestiniens à un Etat et à un pays.
Mais bien évidemment la menace de reprise d'un conflit armé en
Irak hantait tous les esprits.
Le Président de la République Française a
été très écouté et largement approuvé
quand il a affirmé que la France mettrait tout en oeuvre pour que la
légalité internationale soit respectée, qu'il fallait agir
collectivement dans le cadre des Nations-Unies, seul cadre à assurer la
légitimité de toute action, et que
l'option militaire, ultime
recours, n'était pas une fatalité
.
On mesure l'importance d'un tel rappel quand il est effectué devant les
représentants de 55 Etats !
Une diplomatie d'influence au service de la paix
La
francophonie politique est-elle pour autant efficace ?
J'ai pu en vérifier l'importance en participant fin octobre à la
57
e
session de l'assemblée générale de
l'ONU en qualité de parlementaire membre de la délégation
française.
Cette assemblée générale était évidemment
dominée par l'affaire irakienne.
Pour la diplomatie française l'objectif est de tout faire pour
sauvegarder la paix en obtenant de l'Irak un strict respect de son
désarmement sans action militaire unilatérale d'un pays ou d'une
coalition qui n'aurait pas reçu mandat du conseil de
sécurité.
On le sait, le conseil de sécurité est composé de 5
membres permanents avec droit de veto : USA, Russie, Chine,
Grande-Bretagne et France et de 10 membres élus.
Les Etats-Unis voulaient à se passer de l'accord de l'ONU. Le
Président Bush a pourtant été obligé de venir
s'expliquer devant l'Assemblée générale puis de faire
préparer une résolution déposée conjointement avec
la Grande-Bretagne au conseil de sécurité.
Cette motion prescrivait l'envoi d'inspecteurs de l'ONU. Mais au moindre
incident les USA se réservaient le droit d'engager une action militaire
sans décision explicite du conseil de sécurité.
Les Américains ont exercé une énorme pression sur les
membres non-permanents du conseil de sécurité. Hormis ceux-ci
quatre étaient présents à Beyrouth : Maurice, la
Bulgarie, la Guinée et le Cameroun, qui préside d'ailleurs cette
année le conseil de sécurité.
La Bulgarie sans doute, parce qu'elle ressent un besoin vital d'être
intégrée à l'OTAN et peut-être la Guinée,
inquiète pour la sécurité de sa frontière
libérienne, auraient peut-être rallié la position
américaine.
Mais il est clair que l'affirmation politique de la francophonie donne à
la France membre permanent du conseil de sécurité, quand elle
veut se faire entendre, un poids exceptionnel aux Nations-Unies.
La démocratie par l'exemple
D'une
grande signification politique était aussi le choix d'un nouveau
secrétaire général de l'organisation internationale de la
francophonie.
Élu au Sommet de Hanoï, en 1990, Boutros Boutros-Ghali a mis sa
grande culture, sa parfaite courtoisie son expérience internationale
exceptionnelle, au service de la francophonie.
C'est lui qui a entendu en faire une « Organisation
internationale » et la mettre en rapport avec les système des
Nations-Unies. Il a tenu aussi à créer des liens avec d'autres
aires culturelles : monde arabophone, lusophonie, hispanophonie.
Grâce à lui la francophonie s'est affirmée dans les
institutions internationales.
Pour lui succéder, et après quelques péripéties
dues à des rivalités internes à l'Afrique Noire, s'est
imposé le choix de M. Abdou Diouf, qui fut le successeur de
Léopold Sedor Senghor à la présidence du
Sénégal.
Cet homme d'Etat expérimenté s'est soumis au verdict des
électeurs de son pays. Battu, il a accepté sa défaite et
transmis le pouvoir à M. Abdoulaye Wade, donnant ainsi à
l'Afrique un très utile exemple.
Avec l'élection au poste de secrétaire général de
M. Abdou Diouf la francophonie confirme qu'elle entend servir la cause de la
paix mais aussi de l'état de droit et de la démocratie.
Une convention en faveur du pluralisme des cultures
L'affirmation de la francophonie politique ne doit pas faire
perdre
de vue que c'est d'abord « une langue en partage » qui nous
rassemble, une langue qui doit garder son rayonnement international.
Cet aspect n'a pas été occulté à Beyrouth.
Les chefs d'Etat de gouvernement ont marqué leur volonté d'agir
pour que l'UNESCO abrite un instrument juridique protecteur de la
diversité des cultures.
Il s'agit d'opposer aux tenants du libéralisme absolus, tentés
d'utiliser l'OMC pour remettre en cause « l'exception
culturelle » un accord international garantissant aux Etats le droit
de protéger leurs industries culturelles et grâce à elles
leur culture et leur identité. Il s'agit de réaffirmer que les
biens et industries culturelles ne sont pas de simples marchandises.
Certains objectaient que l'UNESCO n'est pas le lieu approprié pour un
tel débat car les USA n'en sont pas membre. Mais
précisément ils vont y reprendre leur place.
Sans doute les tenants les plus « durs » du
libre-échange, en particulier les pays anglo-saxons s'opposeront-ils
à l'adoption de cet instrument juridique mais le poids des francophones
rassemblés donne à cette tentative une réelle chance de
réussite.
L'Europe à plusieurs voix
L'élargissement de l'Union européenne exige que
soit
rapidement précisé son statut linguistique.
On entend couramment dire, en particulier au Parlement européen que
l'extension de 15 à 25 pays va provoquer l'explosion des frais de
traduction.
Cette affirmation dissimule mal la volonté de recourir à
l'anglais comme langue internationale unique de l'Europe. C'est pour nous
parfaitement inacceptable.
Rappelons qu'il existe en Europe un organisme qui rassemble 43 pays
c'est-à-dire la quasi-totalité du continent européen, y
compris l'Ukraine, la Russie et les pays du Caucase. C'est le conseil de
l'Europe.
Il a deux langues officielles, le français et l'anglais. Et 5 langues de
travail. Pourquoi l'Europe à 25 ne trouverait-elle pas une solution
pratique à ses difficultés linguistiques, puisque le Conseil de
l'Europe y parvient ?
Une solution peut être trouvée mais il faut le vouloir et il faut
l'inscrire dans un texte. Il est inquiétant que la convention
présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing n'ait pas
abordé ce point jusqu'ici.
Comment pourra-t-on affirmer notre attachement au multiculturalisme si, dans la
pratique l'Union européenne s'oriente vers une langue internationale
unique qui sera aussi celle des Etats-Unis ?
A l'occasion de l'année européenne des langues 2001, l'Union
européenne et le conseil de l'Europe ont affirmé ensemble leur
souhait que chaque jeune vivant en Europe parle bien sa langue nationale et
connaisse aussi deux autres langues.
C'est cela l'Europe multiculturelle et plurilingue.
Il faut en tirer les conséquences dans le fonctionnement des organismes
de l'Union et prévoir un système de langues pivot. On pourrait,
par exemple, en prévoir quatre : français, anglais,
allemand, espagnol. Mais il est urgent de débattre et de décider.