II. MODERNISER SANS L'AFFAIBLIR LE RÉGIME DE LA DISTRIBUTION AUTOMOBILE

A. UNE ORGANISATION VERTICALE AUX SPÉCIFICITÉS JUSQU'ALORS RECONNUES ET ENCADRÉES PAR LE DROIT EUROPÉEN

La distribution automobile est organisée autour d'un réseau limité de distributeurs, liés au constructeur par un contrat qui peut, à divers égards, contenir des clauses contraires à certains principes du droit européen et, notamment, au principe de liberté de concurrence posé par le Traité instituant la Communauté européenne (Traité de Rome). Tel est notamment le cas de l'exclusivité territoriale octroyée aux concessionnaires, de la limitation pour ces derniers de leur droit à représenter d'autres marques concurrentes, ou de l'interdiction de revente faite aux distributeurs non agréés.

Aussi, au plan juridique, cette forme de distribution sélective doit-elle expressément être autorisée par la Commission européenne, dotée de pouvoirs étendus en matière de droit de la concurrence.

C'est l'objet d'un règlement d'exemption, adopté en 1985, qui tendait à doter la distribution automobile d'un statut réglementaire spécifique (règlement n° CE 123/85). D'autres formes de distribution sélective ont parallèlement bénéficié d'une telle procédure, comme ce fut le cas pour les accords de concessions exclusives, les accords d'achat exclusif ou encore les accords de franchise.

En matière automobile, par le règlement de 1985, la Commission reconnaissait l'opportunité d'encourager la coopération entre les constructeurs automobiles et les distributeurs, afin d'assurer un service de vente et d'après vente adapté au produit. La combinaison des services de vente et d'après vente était considérée comme plus économique qu'une dissociation de ces deux fonctions.

Les constructeurs automobiles ont donc été autorisés, en vertu de cette réglementation, à désigner un nombre limité de distributeurs qui bénéficient d'une double exclusivité de marque et de territoire pour la distribution de leurs véhicules, sous réserve que ces derniers respectent les standards de qualité et de services aux consommateurs établis par la marque. Ce principe a été reconduit en 1995, par le règlement CE n° 1475/95 , sous réserve de quelque aménagements, destinés à renforcer l'indépendance commerciale des distributeurs, à renforcer la position des équipementiers sur le marché et à renforcer et protéger les droits des consommateurs. Compte tenu de l'échéance fixée par ce règlement, ces mesures propres à l'automobile sont appelées à s'appliquer jusqu'en 2002 .

La question de la réforme de cette réglementation communautaire est donc aujourd'hui posée.

B. LA RÉFORME DE LA DISTRIBUTION AUTOMOBILE : CINQ OPTIONS À L'ÉTUDE

Avec l'arrivée à échéance, à la fin de 1999, d'un certain nombre de règlements d'exemption sectoriels précités (règlements 83/8, 84/8, 4087/88 sur les concessions exclusives, l'achat exclusif et les franchises), la Commission européenne a mis en place un règlement général d'exemption concernant tous les secteurs d'activité : le règlement 2790/1999 . Les contrats de distribution pris en application des précédents régimes devaient, dans un délai de 18 mois, être rendus conformes aux nouvelles dispositions.

Pour l'automobile , qui n'est pour l'instant pas concernée par ce nouveau règlement d'exemption générale, à l'échéance de septembre 2002, prévue par l'actuel règlement sectoriel d'exemption, la commission a fait savoir que cinq solutions étaient envisageables pour remplacer la réglementation actuelle.

un système dans lequel des distributeurs indépendants de véhicules automobiles ont le droit d'acheter des véhicules neufs aux constructeurs et/ou à leur réseau « officiel » de distribution ( premier scénario : distribution totalement libre ) ;

un système de distribution exclusive dans lequel le constructeur n'accepte de vendre des véhicules neufs qu'à un seul distributeur sur un territoire déterminé ( deuxième scénario : distribution exclusive ) ;

un système de distribution sélective fondé uniquement sur des critères qualitatifs ( troisième scénario : distribution sélective qualitative ) ;

un système de distribution sélective fondé sur des critères qualitatifs et quantitatifs, mais sans exclusivité territoriale ( quatrième scénario : distribution sélective qualitative et quantitative ) ;

un système de distribution sélective fondé sur des critères qualificatifs et quantitatifs avec exclusivité territoriale limitée, dans lequel les ventes actives et passives sur d'autres territoires ne sont pas restreintes ( cinquième scénario : distribution exclusive qualitative et quantitative avec exclusivité territoriale limitée ). Un « sous scénario » peut être analysé dans ce cadre, selon lequel une exclusivité territoriale limitée assortie d'une nouvelle limitation dans le temps de cinq ans est accordée aux nouveaux distributeurs afin de protéger leurs investissements initiaux.

Un cabinet de Conseil, choisi par la Commission, qui n'a pas encore remis son rapport, a été chargé d'examiner les effets économiques potentiels de ces cinq options. Au vu de ses conclusions, la Commission établira ensuite, sans doute d'ici la fin de l'année, sa proposition de règlement. Bien qu'il s'agisse d'une réglementation propre de la Commission qui ne doit pas, formellement, recueillir l'aval du Parlement européen ni du Conseil, cette dernière organisera, compte tenu de l'enjeu important que représente cette réglementation, une consultation des Etats membres sur sa proposition. Il ressort clairement de ses travaux préparatoires qu'elle entend distendre les liens actuels entre la vente et l'après-vente automobile . Certaines options « médianes » dans les cinq exposés ci-dessus seraient toutefois les plus probablement retenues par la proposition de règlement. Il est en effet vraisemblable que la Commission s'oriente vers une exclusivité de distribution maintenue mais élargie, sur la base de critères qualitatifs établis par le constructeur, même s'il est encore trop tôt pour l'affirmer.

Le moment venu, votre commission compte prendre toute sa place dans ce débat, compte tenu de ses enjeux économiques très importants pour la France.

La France est en effet particulièrement concernée compte tenu de la place centrale qu'elle occupe pour la construction et la distribution automobile.

D'après le Conseil National des Professions de l'Automobile (CNPA), le secteur de la distribution et des services de l'automobile comprend, en France, 92.700 entreprises, dont 67.000 liées au commerce et à la réparation automobile, et 445.000 salariés, pour un chiffre d'affaires de 820 milliards de francs en 2000. Ce secteur assure la vente de 2.500.000 véhicules neufs, 4.700.000 véhicules d'occasion et 388.000 cycles et motocycles. Il contribue à la location de 176.000 véhicules légers, contrôle 14,8 millions de véhicules dans les 4.469 centres de contrôle technique, entretient un parc global de 33.090.000 véhicules et 2.373.000 motocycles et élimine 1.500.000 véhicules hors d'usage.

La distribution automobile stricto sensu, c'est-à-dire les réseaux de marques, représentent en France 4.200 concessionnaires automobiles, 15.000 agents automobiles et 350 concessionnaires de camions et autocars, toutes marques confondues. Au niveau européen, la distribution automobile est assurée par 108.000 concessionnaires et agents. Elle représente en France 230.000 emplois et en Europe 1,5 million d'emplois.

Votre Commission des Affaires économiques est soucieuse de l'avenir de ces entreprises, qui assurent, souvent, un maillage très dense du territoire. Elles auront à subir, en 2002, outre la réforme du système de distribution, le passage aux 35 heures, et pourraient être fragilisées par la concomitance de ces deux échéances .

Quelques chiffres sur le secteur de la construction automobile suffisent à montrer l'enjeu qui s'attache à aboutir à un texte réglementaire équilibré et satisfaisant : la construction automobile représente en Europe 1,2 million d'emplois, soit 4,9 % de l'industrie manufacturière (en France, ce ratio est supérieur , comme indiqué dans le chapitre II du présent rapport), pour un chiffre d'affaires européen de 366 milliards d'euros et pour 29 milliards d'euros d'investissement et 19 milliards d'euros de recherche et développement chaque année.

Votre rapporteur a pu le constater : tant les constructeurs que les distributeurs sont très attachés à la spécificité de la distribution automobile, centrée sur le lien entre la vente et l'après-vente. Les professionnels sont particulièrement inquiets des propositions que pourrait faire la Commission, même si certains n'hésitent pas à reconnaître que le système actuel est perfectible.

En particulier, les constructeurs considèrent que l'automobile est un produit à forte valeur ajoutée technologique et à prix élevé, qui nécessite donc une garantie de qualité de service assurée au client et un entretien régulier afin que soit maintenue sa valeur économique. Il est vrai qu'après le logement, l'achat d'automobiles et la consommation liée à l'automobile représentent en Europe le principal poste de dépenses des ménages (respectivement 3,5 % et 5 % du revenu annuel en moyenne).

A l'échelle de l'Union européenne, le marché de véhicules neufs enregistre près de 14 millions de transactions et plus du double pour les véhicules d'occasion.

Dans ces conditions, les professionnels font valoir que seule une coopération étroite entre constructeurs et distributeurs peut permettre de satisfaire aux exigences de qualité et de sécurité induites par les caractéristiques spécifiques de l'automobile. Les constructeurs considèrent que cette coopération, organisée dans le cadre d'un réseau de concessionnaires exclusifs, permet de fournir au consommateur un degré élevé de qualité des prestations et services dont il a besoin et, en même temps, d'assurer la rentabilité et la pérennité des réseaux, tout en préservant un certain degré de concurrence. La coopération ainsi organisée aurait pour corollaire l'implication financière des constructeurs auprès de leur réseau, tant sont importants les moyens matériels et humains à mettre en oeuvre pour faire face aux conditions de la concurrence européenne et mondiale de l'automobile. En définitive, le mode actuel de distribution automobile, sélectif et exclusif, traduit, au sens des constructeurs, la relation particulière qui lie les marques automobiles et leur clientèle, pour un produit dont ils estiment qu'il a des caractéristiques uniques.

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