IV. LE PROJET DE BUDGET POUR 2001 : UN DÉCALAGE ACCRU ENTRE LES AMBITIONS ET LES MOYENS
Les modifications de nomenclature qu'ont connus en 1999, 2000 et 2001, les crédits consacrés à l'aide au développement rendent souvent difficile le suivi de l'évolution des dotations d'une année sur l'autre. Depuis la fusion des budgets des affaires étrangères et de la coopération, ces changements de présentation ne sauraient cependant dissimuler la baisse tendancielle et très préoccupante de notre effort de coopération.
Crédits votés 2000 |
Loi de finances initiale 2001 |
Evolution
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Concours financiers (41-43) |
160 |
150 |
- 6,25 |
Assistance technique
|
1 042 |
999,5 |
- 4 |
Coopération technique (bourses, appui aux organismes concourant à la coopération au développement, appui local aux projets de coopération, fonds de coopération régionaux) |
669,5 |
630,2 |
- 6 |
Appui aux initiatives privées décentralisées (42-13) |
|
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Aide alimentaire (42-26) |
95 |
98 |
+ 3 |
Coopération militaire et de
défense
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Fonds de solidarité prioritaire
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Dons destinés à financer des projets de
développement économique et social
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TOTAL |
4 833,5 |
4 328,7 |
- 10,4 |
L'évolution des crédits dévolus aux deux piliers traditionnels de notre coopération, l'assistance technique et le Fonds de solidarité prioritaire, illustre la principale faiblesse dont souffre aujourd'hui notre politique d'aide : un écart certain entre les ambitions affichées et les moyens effectivement mis en oeuvre.
A. QUEL AVENIR POUR L'ASSISTANCE TECHNIQUE ?
Etat des effectifs en octobre 2000
(Titre IV)
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Coopérants décret 92 pays de l'ancien champ |
Coopérants décret 67 pays de l'ex " hors champ " |
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Fonctionnaires |
866 |
263 |
|
Contractuels |
480 |
213 |
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Militaires hors budget |
46 |
||
Contrats complémentaires |
27 |
||
CSN |
1 306 |
||
Total |
1 419 |
476 |
1 306 |
Statut |
Coopérants décret de 67 |
||
Titulaires |
Contractuels |
Total |
|
Expatriés |
219 |
65 |
284 |
Recrutés sur place |
44 |
148 |
192 |
Total |
263 |
213 |
476 |
1. Vers la disparition du modèle français de coopération civile ?
L'enveloppe destinée, en 2001, à l'assistance technique se caractérise par un changement de nomenclature et par le poursuite de la baisse des effectifs.
L'intitulé " assistance technique " disparaît pour être remplacé par deux rubriques inédites : " transfert de savoir-faire - expertise de longue durée ", " transfert de savoir-faire - missions d'experts de courte durée ". Ce changement de nomenclature semble traduire de nouvelles orientations pour l'assistance technique , même si celles-ci n'ont pas encore fait l'objet d'un vrai débat au sein du Parlement.
Dans le même temps, l'évolution de l'enveloppe globale dévolue à l'assistance technique (951 millions de francs en 2001, soit une réduction de 5 % par rapport au budget pour 2000) prolonge la tendance continue à la baisse des crédits depuis plusieurs années.
Ces évolutions apparaissent comme une remise en cause du modèle français de coopération fondé sur une présence humaine forte et prolongée dans les pays bénéficiaires de notre aide au développement. A l'expérience, le système français a montré ses atouts : une excellente connaissance du terrain, une capacité d'expertise remarquable, une certaine sagesse qui a prémuni la France contre les excès de dogmatisme parfois manifestés par le FMI ou la Banque mondiale. La présence de coopérants permet également de s'assurer d'une bonne utilisation des fonds d'aide au développement.
En outre, l'action des coopérants -en particulier dans les domaines sociaux comme la santé- apparaît comme une garantie indispensable pour favoriser l'implantation de représentants de sociétés privées françaises et de leurs familles à l'heure où le développement des investissements constitue le complément indispensable de l'aide au développement.
. Les risques de l'alignement du modèle de la coopération française sur les méthodes d'action commune aux autres bailleurs de fonds.
La portée de la modification introduite dans la nomenclature budgétaire dépend pour une large part de la place qui reviendra aux missions d'expert de courte durée au sein de l'assistance technique. L'enveloppe qui lui est allouée dans le projet de loi de finances constitue 4 % de la dotation totale attribuée à l'assistance technique. La priorité demeure à l'expertise de longue durée que représentent les coopérants " classiques ".
Il n'en reste pas moins que l'expertise de courte durée pourra se développer au cours des prochaines années. En premier lieu, le cadre budgétaire le permet désormais. Le glissement de la coopération traditionnelle vers des missions plus courtes sera par ailleurs favorisée par la suppression, décidée l'an passé, de la référence au nombre d'assistants techniques. Désormais, d'après les informations communiquées à votre rapporteur, la " fongibilité " des moyens permettra un redéploiement des crédits " en supprimant des postes au profit du financement de projets ou de missions d'experts ".
En second lieu, les pouvoirs publics ont tout intérêt à développer des missions de courte durée dont le coût pour le budget de l'Etat est bien moindre, naturellement, que celui d'un détachement prolongé. Encore s'agit-il là d'un calcul à courte vue car le rapport coût/efficacité est sans doute plus avantageux pour la coopération classique que pour des séjours trop brefs dont l'impact est négligeable.
Enfin, la part croissante dévolue aux expertises brèves constituerait le prolongement logique de la tendance au raccourcissement de la durée du séjour des coopérants observée depuis plusieurs années. Désormais, le séjour hors de France est considéré comme une " parenthèse " dans un parcours professionnel. Aussi, déjà limitée à six ans pour les coopérants de l'ancien champ, la durée du séjour a-t-elle été ramenée à quatre ans afin de l'aligner sur celle qui prévalait pour les agents exerçant leurs fonctions dans un pays de l'ex " hors champ ". Or l'encadrement de la durée de séjour dans un pays combiné à la réduction générale du temps d'expatriation, s'il répondait au souci légitime de mettre fin à certaines rentes de situation, a montré, à l'expérience, certaines limites. Une application indifférenciée de ces règles conduit en effet la coopération française à se priver de cadres compétents sur des postes de haute technicité pour lesquels il n'est pas toujours possible de trouver des remplaçants. Par ailleurs, la réintégration des anciens coopérants dans leur administration ne se déroule pas toujours dans des conditions satisfaisantes : les intéressés sont loin de retrouver systématiquement des fonctions à la mesure de leurs compétences. Ces difficultés liées à une rotation accélérée de la coopération expliquent dans une certaine mesure la crise de vocation que connaît, depuis plusieurs années, l'assistance technique. Ainsi, quelque 350 postes ne peuvent être pourvus faute de candidats.
Cette situation plaide pour une mise en oeuvre plus souple des règles relatives à la durée de séjour, en particulier pour les emplois de haute technicité. Il semble aujourd'hui indispensable de préserver une assistance technique de longue durée et d'obtenir la garantie des pouvoirs publics que les expertises de courte durée, si elles peuvent se justifier dans certaines circonstances, doivent rester marginales au sein de notre dispositif de coopération.
. L'érosion des effectifs
A bien des égards, la reconnaissance de principe d'une expertise de courte durée peut justifier une baisse du nombre des coopérants et, en conséquence, la diminution de l'enveloppe budgétaire. Le nombre d'assistants techniques a baissé de 31 % en quatre ans, passant de 2 898 postes en 1997 à 1 979 en 2000. Bien que le gouvernement ait indiqué l'an dernier devant la Haute Assemblée que le niveau d'effectif se trouvait alors à l'étiage et que toute nouvelle réduction entamerait gravement notre capacité d'action, de nouvelles suppressions interviendront en 2001.
Par ailleurs, les conditions de remplacement des coopérants du service national (CSN) par des volontaires sur les postes d'assistance technique laissent prise à quelque incertitude : en 2000, le nombre des coopérants du service national s'élève à 238 dans les pays de l'ancien champ. Ils représentent un coût budgétaire annuel de 19 millions de francs (indemnité mensuelle, couverture sociale et voyages). Dès 2001, certains postes de CSN devront être transformés en postes de volontaires civils à coût constant. Un centre d'information, rattaché au ministère des affaires étrangères, a été ouvert en octobre 2000, à la suite de l'adoption de la loi relative au volontariat civil du 14 mars 2000 : il a vocation à encourager les candidatures nécessaires. Il faudra sans doute veiller à rendre suffisamment attractif ces emplois afin d'éviter que des postes -en particulier, ceux qui requièrent une certaine technicité- ne demeurent pas vacants.
. La complexité des statuts
La disparité des statuts a souvent été avancée pour différer toute réforme de notre dispositif de coopération, c'est dire l'ampleur de la tâche qu'il convient de mener à bien pour homogénéiser les règles applicables aux assistants techniques dans le cadre de la fusion des administrations de la coopération et des affaires étrangères. Jusqu'à présent, deux réglementations s'appliquent aux personnels de coopération technique selon leur affectation géographique : un décret de 1992 pour les coopérants des pays de l'ancien champ, un décret de 1967 pour ceux qui exercent leurs fonctions dans une autre partie du monde.
Un groupe de travail constitué au sein du ministère a été chargé d'élaborer le contenu d'un dispositif réglementaire destiné à entrer en application en septembre 2001. Deux orientations principales devraient être privilégiées :
- l'unification des modalités de gestion pour tous les agents de l'Etat expatriés par un arrêté spécifique aux personnels de coopération fixé dans le cadre du décret de 1967 ;
- une meilleure prise en compte de la spécificité des fonctions confiées aux agents de coopération par rapport aux missions dévolues aux personnels diplomatiques ou culturels.
La mission confiée à ce groupe de travail présente cependant un caractère quelque peu paradoxal car s'il doit s'efforcer de favoriser le rapprochement des conditions des uns et des autres, il lui faut également prendre en considération la situation particulière liée aux missions d'expertise de courte durée.
Certaines améliorations ont été apportées l'an passé au régime de 1992 : une réévaluation des majorations familiales au niveau appliqué par le régime de 1967 ; l'alignement de l'évolution des rémunérations sur le mécanisme change-prix de 1967, afin de garantir aux agents affectés dans un même pays une évolution identique de leurs émoluments en utilisant les mêmes données et en adoptant la même périodicité trimestrielle.
. La mise en place longtemps attendue des mesures de titularisation pour certains personnels contractuels
Le principe de la titularisation des contractuels de l'assistance technique avait été posé par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (dite loi " Le Pors ") mais n'avait reçu qu'une application limitée. La situation de quelque deux cents ayants droit parvenus depuis plusieurs années au terme de leur mission, laissés sans affectation et rémunérés par le ministère des affaires étrangères et l'ancien secrétariat d'Etat à la coopération, apparaissait particulièrement choquante. Les décrets fixant les conditions exceptionnelles d'intégration de ces agents non titulaires ont été enfin publiés au journal officiel le 25 août 2000. Ils fixent les principes suivants :
- la répartition des agents par corps et par ministère en fonction de leur expérience professionnelle et de leurs diplômes ;
- la mise à disposition au profit des ministères d'accueil des agents concernés dans l'attente des transferts de crédits du ministère des affaires étrangères vers les administrations d'affectation ;
- la mise en réserve par les ministères d'accueil des postes nécessaires au réemploi des agents ;
- à la date de publication des décrets, les ayants droit à la titularisation dans un corps de catégorie A de la fonction publique de l'Etat bénéficieront d'un délai d'option d'un an pour faire acte de candidature auprès de leur ministère d'affectation, ce délai étant ramené à six mois pour les agents de catégorie B et C. Les intéressés disposeront ensuite d'un délai d'option d'une égale durée pour accepter la proposition, unique, de titularisation formulée par l'administration avec indication du niveau de reclassement.
2. La coopération militaire : le risque de dispersion des moyens
Les crédits affectés à la coopération militaire se caractérisent par deux grandes tendances :
- une réduction globale des crédits -de 754,7 millions de francs à 720,4 millions de francs -soit - 4,5 % ;
- une redistribution au sein de cette enveloppe des moyens au détriment des pays de l'ancien champ. En effet, les crédits consacrés au pays de l'ancien champ passent de 622,5 millions de francs à 577,1 millions de francs, soit une baisse de 7,3 %, tandis que ceux destinés aux pays de l'ex-hors champ s'élèvent à 143 millions de francs contre 132 millions de francs en 2000 (et 86,1 millions de francs en 1998).
. Les effectifs
L'érosion de l'aide en personnel se poursuit avec une baisse de 1,5 % des crédits. Dans la suite des orientations mises en oeuvre depuis deux ans, le nombre d'assistants techniques augmente dans les pays de l' ex-hors champ -onze créations de poste en Europe centrale, sept dans les pays du Golfe.
. La formation des stagiaires étrangers
Les crédits consacrés à la formation connaissent une évolution comparable à ceux affectés à l'appui en personnel : une réduction de 3,4 % par rapport au budget pour 2000 (de 162,8 à 157,2 millions de francs) et un rééquilibrage en faveur des pays hors champ traditionnel (dont la part représente désormais 40,5 % du total contre 35,3 % cette année).
Le nombre de places de stage attribué aux pays de la zone de solidarité prioritaire (1 509 en 2000) sera donc sans doute réduit en 2001. La France privilégie désormais, en Afrique, le soutien à la création d'écoles nationales à vocation régionale.
Onze établissements de cette nature ont ainsi été progressivement mis en place :
• l'école militaire d'administration au Mali (EMA à Koulikoro) ; • l'école d'état-major au Mali (EEM à Koulikoro) ; • l'école nationale des officiers d'active au Sénégal (ENOA Thies) ; • l'école d'application de la gendarmerie en Côte d'Ivoire (Abidjan) ; • l'école du service de santé au Togo (ESSA Lome) ; • le centre d'instruction naval en Côte d'Ivoire (CIN Abidjan) ; • l'école du maintien de la paix en Côte d'Ivoire (EMP Zambakro) ; • le centre de perfectionnement de la police judiciaire au Bénin (CPPJ Porto-Novo) ; • l'école de soutien matériel au Burkina Faso (EDMT Ouagadougou) ; • le centre de perfectionnement du maintien de l'ordre au Cameroun (CPMO D'Awae) ; • l'école de pilotage au Garoua (Cameroun). |
Deux nouvelles écoles ouvriront en 2001 : le centre de perfectionnement de la gendarmerie mobile de Ouakan au Sénégal et l'Ecole d'Etat-major de Libreville au Gabon.
La création et le développement d'écoles en Afrique se poursuivra dans l'objectif, d'ici 2002, de réduire de moitié la formation assurée en France en 1996. Quelque 690 stagiaires auront été formés en 2000 dans les écoles africaines à vocation régionale, 150 stagiaires supplémentaires devraient l'être en 2001 (la croissance des crédits nécessaires à la formation en Afrique, en 2001, doit, en principe, être compensée par les économies réalisées grâce à la diminution du nombre de stages effectués en France).
. L'aide en matériel
Le montant réservé aux pays de l'ancien champ passe de 175,8 millions de francs à 149,3 millions de francs, mais la dotation consacrée aux ex pays " hors champ " se réduit également (de 3,8 millions de francs à 2 millions de francs).
L'évolution des crédits consacrés à la coopération militaire confirme la double appréhension exprimée par votre rapporteur dans son avis budgétaire pour 2000. D'une part, la fusion des budgets des affaires étrangères et de la coopération s'est faite au détriment de l'effort consacré par la France à l'Afrique. Votre rapporteur ne nie pas les besoins de renforcement de notre coopération militaire avec les pays d'Europe centrale et orientale. Cependant, il regrette vivement que cette orientation conduise à une réduction de notre assistance aux pays de la zone de solidarité prioritaire alors même que la mise en place de forces de sécurité efficaces et soumises au pouvoir civil constituent un jalon décisif dans la construction de l'Etat de droit et de la stabilité nécessaire au développement économique.
En outre, le réploiement des moyens financiers, dans le cadre d'une enveloppe budgétaire réduite, condamne à une dispersion certaine de notre action, peu cohérente avec l'influence que notre pays entend mener dans le monde.