Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires, économiques, sociales, environnementales de la canicule et sur la gestion par l'Etat de ses effets
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N°
427
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2002-2003
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 24
juillet 2003
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28
août 2003
PROPOSITION
DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conséquences sanitaires, économiques, sociales, environnementales de la canicule et sur la gestion par l'Etat de ses effets.
PRÉSENTÉE
par Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, MM. Guy FISCHER, Roland MUZEAU et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen(1),
Sénateurs.
(
Renvoyée à la commission des Affaires
sociales, et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale en application de l'article 11,
alinéa I du Règlement
).
(1) Ce groupe est composé de
: MM. François Autain,
Jean-Yves Autexier, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Marie-France Beaufils, M.
Pierre Biarnès, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Robert
Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM.
Guy Fischer, Thierry Foucaud, Gérard Le Cam, Paul Loridant, Mmes
Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan
Renar, Mme Odette Terrade, M. Paul Vergès.
Santé publique |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les milliers de décès, pour l'essentiel de personnes
âgées, survenus ces dernières semaines et ce malgré
l'engagement exceptionnel des personnels soignants et sociaux, ont
plongé la France dans un véritable état de choc.
Comment et pourquoi une telle tragédie a-t-elle pu se produire dans
notre pays ?
Les drames en résultant, inacceptables dans une société
comme la nôtre, et par ailleurs, les situations particulièrement
alarmantes qui se sont accumulées dans cet été
caniculaire, ont bouleversé et révolté nos concitoyens.
De nombreuses et graves questions sont posées qui concernent tant la
politique de santé et de protection sociale, que le niveau des
dispositions mises en oeuvre pour la sécurité civile, la lutte
contre les incendies, la protection des personnes et des biens ; mais
aussi pour la production d'énergie électrique et le respect des
écosystèmes ; ou pour l'agriculture et l'élevage,
sachant l'insuffisance déjà criante des crédits
affectés au Fonds de calamités agricoles, quand les pertes
estimées atteignent ou dépassent le milliard d'euros, et sachant
que près de 60 départements français sollicitent son
concours.
Choqués par les dysfonctionnements et carences découlant
prioritairement de l'insuffisance de moyens disponibles pour des services
publics ; préoccupés par les conditions et temps de
réaction des pouvoirs publics, sceptiques sur la sincérité
et la transparence des informations qui leur ont été
délivrées, au fur et à mesure de l'aggravation de ces
situations, nos concitoyens exigent aujourd'hui clairement du gouvernement,
qu'un bilan exhaustif et précis soit établi : des
évènements météorologiques s'étant
produits ; de la façon dont ils ont été ou non
analysés et pris en compte, et des conséquences humaines,
sociales, financières qui en ont résulté sachant notamment
que de nouvelles victimes risquent malheureusement de venir s'ajouter, dans les
prochaines semaines, au nombre considérable déjà
relevé et qu'il faudra définitivement préciser.
Enfin, les Françaises et les Français souhaitent connaître
les dispositions que le gouvernement entend conduire, et les moyens notamment
budgétaires qu'il prévoit de mobiliser, pour assumer les
conséquences de ces évènements et en prévenir le
renouvellement.
Ce sont d'abord, bien évidemment, les questions de santé qui sont
au coeur des préoccupations de tous, et qui suscitent la plus vive et
légitime émotion.
Comment en effet ne pas s'interroger face au nombre considérable de
décès survenus, sur la pertinence des politiques successives
retenues en matière de santé publique ? Politiques se
donnant l'objectif premier de réduire les dépenses
a
minima
, au lieu de rechercher dans la mise à contribution de
nouvelles sources de financement, les réponses à l'ensemble et
à la diversité des besoins.
Alors que la taxation des revenus financiers des entreprises au même taux
que les salariés dégagerait quinze milliards d'euros ; alors
que la suppression de la taxe sur les salaires acquittée par les
hôpitaux permettrait de financer 50 000 emplois, c'est au contraire
la démarche régressive initiée par le tristement
célèbre plan Juppé de 1995, jamais remise en cause sur le
fond, qui continue de s'appliquer. Et ce malgré les mises en garde
lancées par les milieux médicaux, les syndicats et associations
du monde de la santé, les usagers. Mises en garde exprimées dans
de nombreux mouvements sociaux mais aussi dans les interventions des
sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen.
L'acharnement mis à réduire les moyens de la santé, la
disparition d'hôpitaux de proximité, les milliers de postes de
médecins et d'infirmières ni financés ni pourvus, les
milliers de lits supprimés, le gel de crédits d'Etat pour la
modernisation des maisons de retraite ; toutes les déficiences
accumulées depuis des années au nom d'une
« maîtrise comptable » de la santé des
Français dont témoigne également le désengagement
de l'Etat du financement de l'Allocation personnalisée d'autonomie, ont
pesé lourd tout au long de ces semaines de canicule.
L'argument avancé d'une solidarité insuffisante ou perdue des
générations entre elles, n'est certes pas sans fondement dans une
société ultra-libérale que nourrit la politique
gouvernementale elle-même, et qui conduit à l'exclusion,
à la division, au « chacun pour soi » à force
de déshumanisation des rapports sociaux. Mais cet argument visant
à culpabiliser les populations est-il recevable lorsque des milliers de
morts surviennent ainsi, brutalement, en quelques semaines ?
À l'évidence, les responsabilités ne sont pas à
rechercher du côté de nos concitoyens, mais bien davantage
auprès des Pouvoirs publics dans leur conduite des politiques de
santé et de protection sociale depuis vingt ans.
Oui, ce sont bien les choix politiques qui sont en cause. Et il n'y avait par
conséquent pas de fatalité à ces drames humains qui ne
sont pas survenus comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Beaucoup, sans
doute auraient pu et dû être évités, ainsi que n'ont
pas manqué d'en donner témoignage des intervenants du secteur de
la santé, médecins, urgentistes, personnels soignants et sociaux.
Tout comme beaucoup des problèmes économiques, agricoles ou
environnementaux résultant de l'exceptionnelle sécheresse
auraient dû être affrontés avec davantage de moyens humains
ou matériels ; et il y a lieu à ce sujet de s'interroger sur
les carences des politiques publiques trop longtemps mises en oeuvre dans ces
divers domaines.
Cela concerne d'abord les ravages entraînés par les incendies
dévastant plus de 80 000 hectares de forêts et plantations du
littoral et de l'arrière-pays méditerranéen, ou de la
Corse.
Ces situations ne sont pas nouvelles et font s'interroger, très
au-delà des responsabilités directes de pyromanes ou
d'incendiaires qu'il faut identifier et poursuivre, sur l'insuffisance criante
des décisions engagées alors que cela fait des années que
les régions méditerranéennes brûlent.
Il y a nécessité à tirer, là encore, avec
l'ensemble des parties concernées (élus locaux, populations
sinistrées, sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, personnels
de l'Equipement et de l'Office national des forêts dont on diminue les
effectifs), un bilan des manques qui ont pu être relevés, et qui
ont directement nui à l'efficacité des luttes contre le feu,
engagées avec un extraordinaire courage.
Qu'en est-il notamment du nombre et de la vétusté des
matériels volants, avions Canadair et Tracker ? De l'attente
insatisfaite à ce jour, de matériels gros porteurs ? Quelle
initiative prévoit de prendre le gouvernement pour inciter l'Union
européenne à s'engager dans la construction d'un bombardier
d'eau ?
Quelle part de responsabilité résulte de l'abandon depuis des
décennies, pour cause de rentabilité insuffisante des
possibilités de production forestière ?
Comment la fonction de protection et le rôle écologique de
l'activité sylvo-pastorale ont-ils été pris en
compte ? Et quelles dispositions d'Etat appellent le maintien
d'exploitations agricoles ou forestières existantes, ainsi que
l'implantation d'exploitations nouvelles par le biais des Contrats territoriaux
d'exploitation (CTE) ?
Quelles suites le gouvernement entend -t-il donner à la demande de
définition d'un plan pluriannuel portée par les élus et
responsables locaux ? Plan qui permettrait d'avancer sur ces divers points
et de donner toute son efficacité à une politique de
prévention qui fait encore trop largement défaut.
C'est là encore la politique de service public et d'aménagement
du territoire de l'Etat qui est au centre du débat suscité par
ces catastrophes et par l'impératif d'en éviter le retour.
Ces interrogations qui incitent à poser la question de la contribution
de l'Union européenne au titre de la solidarité financière
avec les populations sinistrées, concernent également d'autres
secteurs de la vie nationale.
Celui d'abord de la production d'énergie à l'heure où le
gouvernement ne fait pas mystère de sa volonté de suivre avec EDF
et GDF un programme de privatisation largement engagé, et la casse du
service public.
Il est indispensable qu'un point soit par conséquent fait des conditions
dans lesquelles a été assurée, au coeur de cet
été, la production d'énergie indispensable au
fonctionnement du pays, à la consommation des ménages et à
la vie des entreprises. De même, il convient que soit établi et
éclairé le problème posé par les exigences de
sécurité concernant les centrales électriques, classiques
et nucléaires. Quelles auront été les conséquences
sur les écosystèmes, sur la faune et sur la flore aquatiques des
dérogations accordées par l'Etat à EDF pour le rejet des
eaux de refroidissement des centrales dans les fleuves jusqu'au 30 septembre de
cette année ? Quelles politiques de gestion des eaux superficielles
et du débit des fleuves appellent les graves difficultés
constatées, pour en éviter la répétition ?
Enfin, l'agriculture française a été directement
frappée par la durée et la violence des phénomènes
de sécheresse et de canicule. C'est vrai des productions
maraîchères et céréalières. Et cela concerne
également les éleveurs et producteurs de volailles ou de porcs.
Les directives exceptionnelles données par des préfectures pour
l'enfouissement d'un nombre considérable d'animaux d'élevage
morts dans cette période, témoignent d'un problème qu'il
convient de cerner tant dans ses causes que dans ses conséquences, en
particulier pour nombre d'exploitants que préoccupe de plus aujourd'hui
une réorientation de la Politique agricole commune, favorisant la
concentration des exploitations pour mieux répondre aux exigences de
l'agrobusiness.
La France a du affronter au cours de cet été une série de
drames et de difficultés révélateurs de l'insuffisance et
de l'inadéquation des politiques suivies d'abord en matière de
santé et de protection sociale ; ensuite en matière de
sécurité civile, de production d'énergie,
d'indépendance énergétique et de préservation des
écosystèmes ; enfin pour s'en tenir à des domaines
essentiels de la vie du pays, en matière agricole.
C'est pourquoi, les sénateurs du groupe communiste, républicain
et citoyen sollicitent la mise sur pied d'une commission d'enquête
parlementaire chargée d'investir l'ensemble de ces questions, pour
contribuer à l'établissement d'un bilan
d'évènements d'une exceptionnelle gravité.
Évènements douloureusement ressentis par nos concitoyens, et dont
les conséquences humaines, sociales, économiques et
budgétaires doivent être identifiées d'urgence afin que le
gouvernement prenne les initiatives législatives, financières ou
politiques, y compris en direction de l'Union européenne, permettant
d'en juguler les suites et d'en éviter le renouvellement.
Nous soumettons donc au Sénat la proposition de résolution
suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, une commission d'enquête de vingt-et-un membres chargée d'établir les conséquences sanitaires, économiques, sociales et environnementales de la canicule survenue cet été en France, de rechercher les causes de ces situations, de définir les exigences de choix politiques d'intérêt général et de développement du service public qui en découlent et d'examiner les contenus de l'information apportée aux Français tout au long de ces évènements.