Proposition de résolution sur la proposition de directive concernant les Offres publiques d'acquisition
Table des matières
N°
167
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SÉNAT
SESSION
ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 5 février 2003
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d'acquisition (n° E 2115 rectifié),
par M.
Yann GAILLARD,
Sénateur
(Renvoyée à la commission des Finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la
Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une
commission spéciale dans les conditions prévues par le
Règlement)
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel,
président ; M. Denis Badré, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM.
Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean François-Poncet, Lucien
Lanier, vice-présidents ; M. Hubert Durand-Chastel, secrétaire ;
MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Jean Bizet,
Jacques Blanc, Maurice Blin, Gérard César, Gilbert Chabroux,
Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul
Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François,
Bernard Frimat, Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec,
Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour,
Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge
Vinçon.
Union européenne .
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition de directive concernant les offres publiques d'acquisition (OPA)
est l'aboutissement d'un long processus de discussion, qui a connu de nombreux
rebondissements. Les principes généraux de ce texte,
au-delà de quelques points perfectibles, méritent d'être
approuvés. Mais son adoption définitive demeure loin d'être
acquise.
1. Une affaire à rebondissements
La discussion de la directive OPA se présente comme un véritable
feuilleton, qui a commencé il y a bientôt quinze ans.
Une
première proposition
de treizième directive en
matière de droit des sociétés concernant les offres
publiques d'acquisition a été présentée par la
Commission en janvier 1989. Il s'agissait d'un texte ambitieux, qui visait
à une véritable unification des législations nationales
relatives aux OPA. Il comportait des dispositions de mise en oeuvre très
détaillées.
Les Etats membres ont refusé de se laisser lier par un texte aussi
contraignant, et ce premier projet fut abandonné.
Une
nouvelle proposition
a été présentée par
la Commission le 8 février 1996, sous la forme d'une
directive-cadre établissant les principes généraux sans
tenter de réaliser une harmonisation détaillée. Il
s'agissait de coordonner simplement les actions des Etats membres. Ce texte fut
encore modifié en 1997
, pour tenir compte des amendements du
Parlement européen et des souhaits du Comité économique et
social.
L'adoption, à l'unanimité, d'une
position commune
par le
Conseil le 19 juin 2000 laissait espérer une adoption rapide. Mais le
Parlement européen, qui entretemps avait été
renouvelé, a voté en deuxième lecture des amendements
contraires à la position commune du Conseil.
Après trois mois de négociations intenses, le
comité de
conciliation
entre le Conseil et le Parlement est parvenu à un
accord le 6 juin 2001. Le Parlement européen devait toutefois encore se
prononcer sur ce texte de compromis.
Or, entre temps, l'Allemagne a
opéré un brusque revirement, et manifeste désormais son
opposition à une disposition de la directive qui interdit à une
entreprise faisant l'objet d'une OPA hostile de prendre des mesures de
défense sans l'accord de ses actionnaires réunis en
assemblée générale.
Ainsi, le 4 juillet 2001, 273 députés européens suivent le
rapporteur allemand pour s'opposer au texte de compromis issu de la
procédure de conciliation, tandis que 273 votent pour : ce partage des
voix vaut rejet, et la proposition de directive est définitivement
caduque.
Outre la question soulevée par l'Allemagne, deux autres
considérations ont motivé le rejet du texte : d'une part, la
protection insuffisante offerte aux employés des sociétés
impliquées dans une OPA ; d'autre part, le risque d'un
décalage avec les règles applicables aux Etats-Unis.
Sans se décourager, la Commission a créé un
groupe de
haut niveau
d'experts en droit des sociétés,
présidé par le professeur Jaap Winter, et l'a chargé de
lui présenter des suggestions pour répondre aux problèmes
soulevés par le Parlement européen. Ce groupe a rendu en janvier
2002 son rapport, dont la Commission s'est largement inspiré pour
élaborer la
nouvelle proposition de directive qu'elle a
présentée le 2 octobre 2002.
2. Le contenu de la proposition de directive
La proposition de directive définit pour tous les Etats membres les
grands principes applicables en matière d'offres publiques
d'acquisition. Une bonne part de ses dispositions est reprise du texte
précédent.
L'article 4
définit l'autorité de contrôle
compétente et le droit applicable : s'il s'agit exclusivement de
questions relatives à l'offre publique d'acquisition, ce seront ceux de
l'Etat où les titres sont échangés et non pas ceux de
l'Etat du siège social.
L'article 5
organise la protection des actionnaires minoritaires :
la personne physique ou morale prenant le contrôle d'une
société cotée se trouve dans l'obligation de lancer une
offre à tous les détenteurs de titres, pour la totalité de
leurs titres, et à un prix équitable.
La proposition de directive définit le prix à payer, ce qui est
un ajout par rapport au texte précédent. Est
considéré comme équitable le prix le plus
élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant
pendant une période de six à douze mois précédant
l'offre. Néanmoins, les Etats membres peuvent autoriser les
autorités de contrôle à modifier ce prix, par une
décision motivée et rendue publique.
L'article 8
prévoit la publicité de
l'offre
:
les Etats membres doivent veiller à ce que
les informations susceptibles d'influer sur le marché des titres
concernés soient rendues publiques selon des modalités permettant
de réduire les risques de création de faux marché et
d'opérations d'initiés.
L'article 9,
relatif aux obligations de l'organe de direction de la
société, est l'une des dispositions essentielles de la
proposition de directive. Il prévoit que les Etats membres doivent
veiller à ce que l'organe de direction de la société
visée par l'OPA s'abstienne de prendre des mesures de défense
s'il n'a pas reçu l'autorisation préalable de l'assemblée
générale des actionnaires.
L'organe de direction doit également rendre un avis motivé sur
l'offre. Les travailleurs de la société visée doivent
être associés à cet avis.
L'article 10
précise que les sociétés cotées
doivent publier les informations sur les dispositifs mis en place afin
d'entraver une éventuelle OPA. L'assemblée des actionnaires doit
se prononcer tous les deux ans sur ces mesures structurelles et ces
mécanismes de défense, que l'organe de direction doit justifier.
Cette disposition est un ajout apporté au précédent texte,
à la demande du Parlement européen.
L'article 11
est une autre disposition essentielle de la proposition de
directive. Il prévoit la neutralisation, pendant la durée de
l'OPA, des restrictions au transfert de titres et au droit de vote qui
pourraient la rendre plus difficile.
Ces restrictions
sont inopposables à l'offrant pendant la
période d'acceptation de l'OPA. Elles cessent de produire leurs effets
lorsque, à l'issue d'une OPA l'offrant détient un nombre de
titres qui lui permettrait, en application de la législation nationale,
de modifier les statuts de la société.
Cet article ne remet pas en cause les droits de vote doubles qui existent en
droit français, comme dans plusieurs autres Etats membres, et
constituent un élément structurant pour de nombreuses
sociétés à capital familial.
En effet, le rapport Winter proposait de supprimer les droits de vote
multiples, mais la Commission n'a finalement pas retenu cette suggestion dans
sa proposition de directive.
L'article 13
, qui prévoit l'information et la consultation des
représentants des travailleurs, correspond à un souci du
Parlement européen.
L'article 14,
qui résulte d'un amendement du Parlement
européen,
organise le « retrait obligatoire »
(ou
squeeze out
) : un actionnaire détenant un certain
pourcentage de titres d'une société à la suite d'une OPA
peut obliger les actionnaires minoritaires restants à lui céder
leurs titres contre une compensation.
L'article 15
, qui est la contrepartie du précédent,
organise le « rachat obligatoire » (ou
sell
out
) : à la suite d'une OPA, un actionnaire minoritaire peut obliger
l'actionnaire majoritaire à lui acheter ses titres.
3. Des points perfectibles
Dans la mesure où le texte est d'harmonisation minimale et
prévoit de nombreuses dérogations arrêtées par les
autorités nationales, il risque de ne pas atteindre ses objectifs
d'égalité entre les entreprises des différents Etats
membres et d'intégration des marchés de capitaux européens.
C'est pourquoi on pourrait envisager une harmonisation plus poussée sur
certains points, tels que la
définition du
prix
équitable
.
De même, la proposition de directive ne définit pas non plus le
pourcentage des droits de vote
à partir duquel le contrôle
de la société peut être considéré comme
acquis, cette question étant renvoyée aux Etats membres. Ce
pourcentage varie entre 25 % et 40 % dans les pays où existe un seuil de
cette nature. Il est de 33 % en France. La fixation d'un plafond de 50 %
pour tous les Etats membres constituerait un progrès.
Il conviendrait enfin de préciser l'article 11 afin de
garantir le
respect des pactes d'actionnaires
lors des assemblées
générales réunies avant la fin de l'OPA. Leur
neutralisation serait limitée aux assemblées ultérieures,
dans l'hypothèse où l'offreur est parvenu à
acquérir un nombre d'actions suffisant pour lui permettre de modifier
les statuts.
4. Une négociation qui s'annonce difficile
Pour le gouvernement français,
ce texte est globalement
satisfaisant
dans la mesure où il reprend les acquis du
précédent projet tout en enrichissant la proposition de
plusieurs recommandations tirées du rapport Winter (équilibre
entre les mesures de défense et le rôle prééminent
de l'assemblée générale, renforcement de la protection des
actionnaires minoritaires, information des salariés).
Le droit français et la pratique des entreprises françaises sont
déjà, pour l'essentiel, depuis longtemps conformes à la
proposition de directive, sans que cela entraîne de
vulnérabilité particulière aux OPA.
En revanche, le gouvernement allemand est
hostile à cette proposition
de directive.
Il souhaite permettre aux organes dirigeants de prendre des
mesures de défense anti-OPA sans avoir à recueillir l'aval de
l'assemblée générale (art. 9) et
réintroduire les droits de vote multiples dans la catégorie des
mesures suspendues en période d'offre publique (art. 11).
La position allemande est motivée par le traumatisme qu'a
représentée l'OPA hostile lancée avec succès en
1999 par Vodaphone sur Mannesman, ainsi que par le cas de Volkswagen, qui se
trouve protégé contre les OPA par une
golden share
détenue par le Land de Basse-Saxe. Plus généralement, la
défense contre les OPA est largement déléguée aux
organes de direction de la société en droit allemand, alors que
la proposition de directive veut donner davantage de pouvoir aux actionnaires.
C'est pour des raisons de tactique de négociation que l'Allemagne s'en
prend aux actions à droits de vote multiples, qui existent en France,
mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède. Il ne s'agit pourtant
pas d'un dispositif qui vise principalement à dissuader les OPA, mais
qui a pour but de récompenser les actionnaires fidèles.
D'ailleurs, jusqu'à ce qu'elle les supprime en 1998, l'Allemagne en
disposait également.
La Commission reconnaît que les titres à droits de vote multiples
s'intègrent dans un système de financement des
sociétés, et qu'il n'est pas prouvé qu'ils rendent les OPA
impossibles. Néanmoins, elle se réserve de revenir sur ce sujet
dans le cadre de la
clause de révision
prévue par
l'article 18, s'il s'avère que ces titres sont utilisés
principalement comme mécanismes de défense.
Le refus allemand est partagé par l'Autriche, ainsi que par les
Pays-Bas, qui disposent des mesures anti-OPA les plus efficaces dans l'Union
européenne.
Pour sa part, le Royaume-Uni soutient la proposition de directive, qui
correspond déjà à son droit et à sa pratique. Il
souhaite toutefois que son adoption se fasse de manière consensuelle, ce
qui semble plutôt difficile en l'état actuel des choses.
D'après les dernières informations, il semblerait prêt
à rallier les positions allemandes.
Quel peut être le sort de cette proposition de directive ?
Il est possible que l'Allemagne, en dépit de sa vive opposition, soit
mise en minorité au Conseil.
La véritable inconnue demeure
l'accueil qui sera réservé au texte par le Parlement
européen.
La Commission a veillé à intégrer les
modifications qu'il avait apportées au texte précédent.
Mais le rapporteur, M. Lehne, n'a pas changé. Etant Allemand, il devrait
refléter l'opposition de son pays d'origine.
Quoi qu'il en soit l'adoption de cette proposition de directive
apparaît éminemment souhaitable. Elle constitue un
élément essentiel du plan d'action pour les services financiers
qui doit entrer en vigueur d'ici à 2005. Son échec
définitif serait un très mauvais message lancé par l'Union
européenne quant au sérieux de sa volonté de
réaliser l'intégration de ses marchés financiers.
*
La délégation a alors conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le
Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil
concernant les offres publiques d'acquisition (n° E 2115
rectifié) ;
Approuve, notamment dans la perspective des négociations à l'OMC,
les objectifs de cette directive-cadre, qui vise à harmoniser les
réglementations en matière d'offres publiques d'acquisition afin
d'assurer une transparence des marchés boursiers européens et
d'offrir aux actionnaires minoritaires des garanties comparables dans chacun
des Etats membres ;
Appelle à l'adoption rapide de ce texte, qui n'a que trop
tardé ;
Demande toutefois au Gouvernement de s'efforcer, dans la mesure du
possible :
- de promouvoir un seuil maximum de 50 % des droits de vote pour le
déclenchement d'une procédure d'offre obligatoire au sens de la
présente proposition de directive ;
- de réclamer un encadrement des dérogations pouvant
être apportées par les autorités de contrôle à
la définition du « prix équitable »
proposé par l'offrant aux actionnaires minoritaires ;
- de veiller à ce que le respect des pactes d'actionnaires soit
garanti jusqu'à la fin de l'offre publique d'acquisition ;
- de s'opposer à ce que soient le cas échéant remis
en cause, au cours de la négociation de la proposition de directive, les
titres à droits de votes multiples.