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N° 708
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2013 |
PROPOSITION DE LOI
tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d' établissements de santé ou leur regroupement ,
PRÉSENTÉE
Par Mmes Laurence COHEN, Annie DAVID, MM. Dominique WATRIN, Guy FISCHER, Mmes Isabelle PASQUET, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Cécile CUKIERMAN, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Christian FAVIER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Pierre LAURENT, Gérard LE CAM, Michel LE SCOUARNEC, Mme Mireille SCHURCH et M. Paul VERGÈS,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Rapportée à des entreprises ou des usines, la multiplication des cas de fermetures d'hôpitaux, de services ou de maternités de proximité, s'apparente à un véritable plan social. Et pourtant, au-delà des représentants des personnels, des usagers de chacun des établissements concernés et exception de a « la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité » rares sont celles et ceux qui mesurent l'ampleur du phénomène dans sa dimension nationale. Pourtant, ce ne sont pas moins de 20 000 emplois qui pourraient être supprimés en 2013 au sein de la fonction publique hospitalière et 15 000 de plus en 2014 si aucune mesure n'est prise pour endiguer une crise budgétaire qui repose à la fois sur la baisse continue des crédits et sur un mode de tarification - dit à l'activité - inadaptée aux missions de service public assumées par les hôpitaux.
La situation économique de ces derniers mois ne cesse de se dégrader. Selon un rapport d'information du Sénat « au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales sur le financement des établissements de santé , », « l'augmentation de la dette des établissements publics de santé a connu une brusque accélération à compter de 2005, avec un doublement de l'encours entre 2005 et 2010 ». Ainsi, la dette des CHU est passée entre 2005 et 2010 de 3,6 à 9,2 milliards d'euros et celle des centres hospitaliers de 6,9 à 12,3 milliards, soit une augmentation de 77 %.
Malgré cette dégradation, qui a notamment contraint certains établissements à recourir à des emprunts - dont certains peuvent aisément être qualifiés de toxiques ou de risqués - les Gouvernements précédents n'ont pris aucune mesure significative. Pire, ces dernières années, les taux de reconduction de l'ONDAM-Hospitalier (Objectif national des dépenses d'Assurance Maladie consacré au financement des hôpitaux) ont connu des progressions insuffisantes, toujours à la limite des taux d'inflation, permettant tout juste aux établissements publics de santé de compenser l'augmentation des prix liée aux dépenses contraintes. Et c'est sans compter la mise en place de gels de crédits, pourtant destinés à financer les dépenses supportées par les hôpitaux, pour la réalisation de leurs missions de service public, les « MIG-AC ». En 2010, ce sont ainsi 525 millions d'euros de crédit qui ont été gelés et retirés aux hôpitaux et 354 millions d'euros en 2011. Dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, le gel des « MIG-AC », particulièrement mal perçu par la communauté hospitalière a été remplacé par un autre mécanisme, là encore générateur d'économies, la baisse des tarifs. Situation d'autant plus inacceptable à nos yeux que la baisse imposée aux établissements publics de santé a été beaucoup plus importante dans les hôpitaux que dans les cliniques commerciales, dont la seule vocation est de générer des profits afin de les redistribuer aux actionnaires. Ces derniers profitant déjà par ailleurs des mesures qui leur sont dédiées dans le cadre du « pacte de compétitivité ».
Comment ne pas souligner, dans le même temps, les conséquences financières pour les hôpitaux, de l'application progressive, depuis 2004, de la convergence tarifaire intersectorielle, dont le but était d'aligner les tarifs du public et du privé.
Cette comparaison n'a d'ailleurs aucun sens dans la mesure où, à la différence des hôpitaux, où les tarifs intègrent tous les coûts, les prix du secteur privé, qui servaient de référence à la mise en oeuvre de la convergence, n'intégraient pas certains frais, laissés à la charge des patients. D'ailleurs dès 2009, un rapport de la MECSS du Sénat - Rapport d'information d'Alain VASSELLE n° 76 (2009-2010), fait au nom de la Mecss, sur le processus de convergence tarifaire et la proposition de report de son achèvement à 2018, novembre 2009 - reconnaissait que si les écarts de champs sont connus depuis l'origine du processus de convergence, aucune solution n'a encore été proposée pour rendre parfaitement comparables les tarifs des établissements.
Cette logique comptable ignorait également les caractéristiques liées aux patients accueillis dans les établissements publics et privés commerciaux, ainsi qu'à la nature des actes réalisés.
Certes, l'actuel Gouvernement a pris la décision salutaire de mettre un terme à ce mouvement. Pour autant, il ne s'est pas engagé à revenir sur les tarifs fixés depuis 2004 alors que, dans la majorité des cas, ce sont les prix pratiqués par les établissements publics qui ont été tirés vers le bas, afin de les aligner sur ceux pratiqués par les cliniques commerciales.
Tarification à l'activité et convergence tarifaire constituent les deux piliers d'une réforme d'ampleur, débutée il y a cela plusieurs décennies et qui tend, irrémédiablement à vouloir transposer les mécanismes de gestion, d'organisation et la philosophie du secteur marchand, y compris industriel, aux établissements publics de santé. La loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoire » s'est précisément inscrite dans cette logique. À tel point que la notion de service public hospitalier, qui avait le mérite d'ancrer la mission des hôpitaux dans une mission d'utilité générale a été supprimée pour être substituée par celle d'«établissements de santé », créant la confusion entre les hôpitaux publics et les structures mercantiles qui, à l'inverse des premiers, choisissent les patients et les pathologies les plus rentables. La loi « HPST » a, comme dans les entreprises, supprimé toute capacité d'intervention des salariés, des équipes médicales et paramédicales pour confier tous les pouvoirs aux directeurs devenus des managers et des gestionnaires, placés eux-mêmes sous la tutelle des directeurs d'Agences Régionales de Santé, véritables préfets sanitaires. Ce mécanisme a fait dire à certains, comme à Jean de KERVASDOUÉ - ancien directeur des hôpitaux - que le « seul objectif fixé à cette immense machine bureaucratique est celui de la rentabilité promue par la généralisation de la tarification à l'activité (T2A). L'augmentation des activités « rentables » est devenue l'obsession partagée des directeurs et des médecins gestionnaires ».
Dès lors, comment s'étonner que certains ne parlent plus de patients, mais de clients.
Comment s'étonner que les gestionnaires d'établissements, constatant l'ampleur de leurs déficits, connaissant les taux d'endettements de leurs structures et sous la pression des ARS, n'hésitent plus à s'associer, au sein de groupement de coopération sanitaire, avec des structures lucratives dont les missions sont partant radicalement différentes.
Comment s'étonner enfin, qu'asphyxiés par l'insuffisance des ressources publiques, certains établissements, pour desserrer la contrainte financière qui pèse sur eux, agissent sur le levier le plus important pour générer des économies : le personnel. Ou bien, comme cela est également le cas parfois, notamment à Paris, en fermant des établissements entiers afin que les locaux soient vendus, permettant ainsi aux gestionnaires de réaliser une opération immobilière particulièrement rentable.
Tout cela conduit inévitablement à la fermeture de service, au regroupement et aux fusions d'établissements. Un processus encouragé par les Agences régionales de Santé qui, faute d'une réelle démocratie sanitaire - où serait pleinement associés les usagers, les personnels et les élus - semblent avoir fait primer l'objectif de réduction des dépenses publiques sur l'objectif prioritaire : la satisfaction des besoins en santé des populations, par la garantie d'accès aux soins - y compris hospitaliers, dans des délais et à une distance raisonnable et aux tarifs opposables.
Des fermetures qui d'ailleurs ne sont rarement justifiées que par des motifs économiques, l'argument récurrent de la sécurité permettant de justifier la fermeture d'établissements, principalement de proximité. Ainsi, les services de chirurgie qui réaliseraient moins de 1 500 opérations durant une année, seraient contraints de fermer. Or, ce chiffre ne tient compte que des actes réalisés au sein d'un même établissement et il arrive, comme le soulignait à raison Nathalie GAMIOCHIPI - Infirmière à l'Hôpital de Saint Girons et Secrétaire fédérale de la CGT santé - « que les chirurgiens réalisent des opérations dans d'autres établissements comme c'est le cas ici où le chirurgien opère aussi au CHU de Toulouse, précisément pour ne pas manquer de pratique ».
Qui plus est, la fermeture de ces établissements n'apporte aucune réponse en matière de sécurité sanitaire. L'éloignement des structures de soins peut être elle-même génératrice de difficultés ou de dangers.
En 2008 déjà, selon un sondage
réalisé par l'institut Ipsos, 17 % de nos concitoyens
déclaraient avoir renoncé aux soins «pour des raisons
d'éloignement géographique ». Depuis, avec la
multiplication de fermetures de services, d'hôpitaux et de
maternités de proximité, la situation n'a pu que se
dégrader. À Vire, Luçon, Die, Aubenas, la Seyne,
Decazeville, Saint-Girons, Montluçon, Valréas, Lavaur,
Saint-André-Saint-Benoit, Thiers, Amber, Carhaix, Pertuis, aux
Lilas, à Paris, à Ivry, Colombes... les cas de fermetures
annoncées ou réalisées depuis 10 ans ne cessent de se
multiplier au point qu'aujourd'hui, c'est tout le maillage sanitaire de notre
pays qui est remis en cause et par voie de conséquence, l'accès
de toutes et tous aux soins.
C'est pourquoi il convient de mettre un terme à ce qui s'apparente à une véritable hémorragie sanitaire en mettant fin aux fermetures d'établissements de santé ou de services, jusqu'à ce qu'une offre de santé au moins équivalente, pratiquant le tiers payant et les tarifs opposables soit garantie aux populations concernées.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
À compter de la promulgation de la loi n° du tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé ou leur regroupement, et jusqu'à ce qu'une offre de santé au moins équivalente, pratiquant le tiers payant et les tarifs opposables soit garantie à la population concernée, plus aucun établissement public de santé ne peut être fermé ou se voir retirer son autorisation, sans l'avis favorable du conseil de surveillance de l'établissement et de la conférence de santé du territoire.
La commission médicale d'établissement et le Comité Technique d'Établissement sont également consultés. Leur avis est joint à ceux prononcés par le conseil de surveillance de l'établissement et la conférence de santé du territoire et adressé au directeur de l'Agence Régionale Santé qui en tire toutes conséquences utiles.
Article 2
Les dispositions mentionnées à l'article précédent ne sont pas applicables aux établissements publics de santé qui présentent un risque grave et imminent pour la santé et la sécurité des personnels, de ses usagers ou des personnes présentes à d'autres titres dans l'Établissement.
Un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles le directeur de l'agence régionale de santé fait application du premier alinéa, ainsi que les voies de recours devant l'autorité administrative.