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N° 179
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 décembre 2010 |
PROPOSITION DE LOI
relative à l' indépendance des rédactions ,
PRÉSENTÉE
Par MM. David ASSOULINE, Jean-Pierre BEL, Simon SUTOUR, Claude BÉRIT-DÉBAT, Mmes Marie-Christine BLANDIN, Maryvonne BLONDIN, Bernadette BOURZAI, MM. Jean-Luc FICHET, Serge LAGAUCHE, Mme Claudine LEPAGE, MM. Jean-Jacques LOZACH, Jean-Marc TODESCHINI et les membres du groupe socialiste (1), apparentés (2) et rattachés (3),
Sénateurs
(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Bernard Angels, Alain Anziani, David Assouline, Bertrand Auban, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Claude Bérit-Débat, Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Yannick Botrel, Didier Boulaud, Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Chastan, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Daudigny, Yves Dauge, Marc Daunis, Jean-Pierre Demerliat, Mme Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Alain Fauconnier, Jean-Luc Fichet, Jean-Claude Frécon, Bernard Frimat, Charles Gautier, Mme Samia Ghali, MM. Serge Godard, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Claude Haut, Edmond Hervé, Mmes Odette Herviaux, Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Claude Jeannerot, Ronan Kerdraon, Mme Bariza Khiari, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Mme Françoise Laurent-Perrigot, M. Jacky Le Menn, Mmes Claudine Lepage, Raymonde Le Texier, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Roger Madec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel, Jean-Jacques Mirassou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, Paul Raoult, François Rebsamen, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Roland Ries, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent, René-Pierre Signé, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, René Teulade, Jean-Marc Todeschini, André Vantomme et Richard Yung. |
(2) Apparentés : MM. Jean-Etienne Antoinette, Jacques Berthou, Jacques Gillot, Mme Virginie Klès, MM. Serge Larcher, Claude Lise, Georges Patient et Richard Tuheiava.
(3) Rattachés administrativement : Mmes Marie-Christine Blandin, Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean Desessard, Jacques Muller et Mme Dominique Voynet.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En novembre 1945, la Fédération nationale (patronale) de la presse déclarait : « La presse n'est pas un instrument de profit commercial. C'est un instrument de culture, sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain. » L'idée de créer des structures juridiques permettant aux entreprise d'information de se développer à l'abri des groupes capitalistiques, n'est donc pas nouvelle. Malheureusement, sa mise en oeuvre n'a cessé d'être ajournée depuis plus de 60 ans.
Informer est une mission essentielle pour la démocratie. Quand la liberté de la presse tend à disparaître, la démocratie est menacée.
Aujourd'hui, avec le jeu des rachats et des fusions, les entreprises de presse passent sous le contrôle d'actionnaires, de groupes industriels ou financiers qui vivent des marchés publics et dont les intérêts économiques et politiques peuvent entrer en contradiction avec le souci d'informer librement et honnêtement.
La concentration des titres aux mains d'un même groupe s'amplifie sans cesse malgré les verrous posés par la loi interdisant à un groupe d'une part, de dépasser le seuil de 30 % de la diffusion de la presse quotidienne d'information politique et générale et, d'autre part, de contrôler plus de deux des trois types suivants de médias : service national de télévision, service national de radio, quotidien à diffusion nationale.
Les deux principaux groupes français Groupe Figaro et Hachette Filipacchi Médias sont contrôlés par de puissants groupes industriels et d'armement (Dassault pour le premier et Lagardère, pour le second).
Le groupe Figaro détient, outre le Figaro et ses déclinaisons, TV magazine, le Journal des finances, Indicateur Bertrand...
Hachette Filipacchi Associés possède Elle, Paris Match, le Journal du Dimanche, Ici Paris.
À noter l'exemple du Groupe Amaury qui détient également des titres nationaux et régionaux : Le Parisien et Aujourd'hui en France, L'Équipe, L'écho au républicain.
On assiste, en France, à un éclatement de la presse quotidienne régionale avec une centaine d'entreprises. Néanmoins quelques groupes concentrent beaucoup de titres en leurs mains.
À titre d'exemple, le groupe Hersant médias détient les titres suivants : Le Havre Libre, Le Havre Presse, Le Progrès Fécamp, Paris Normandie, L'Est Éclair, L'Union L'Ardennais, Libération Champagne, La Provence, Nice Matin, Var Matin, Corse Matin, Marseille Plus, Paru Vendu.
Le groupe Ouest France - troisième groupe de presse français - détient les titres suivants : Ouest France, Le courrier de l'Ouest, Presse Océan, La presse de la Manche, Le Maine libre, Le bon coin, 57 titres de presse régionale hebdomadaire, dont l'Anjou agricole, TV Magazine Ouest.... En outre, ce groupe détient à 50% « 20 Minutes » et est actionnaire dans un quotidien polonais catholique.
Quant au groupe Sud-Ouest, il possède, outre ce titre, La Dordogne Libre, La Charente Libre, La République des Pyrénées, Bordeaux 7, les Journaux du Midi, Midi Libre semaine.
Ces regroupements de titres de presse nationale ou régionale, quotidienne ou magazine, sous la houlette d'un même groupe, laissent craindre des tentations de mutualisation des moyens et des personnels, les journalistes étant concernés au premier titre.
De la même manière, dans le secteur audiovisuel, le phénomène de multiplication des chaînes ou des radios détenues par un même groupe se trouve amplifié par la mise en oeuvre de la technologie numérique.
Les grands groupes privés ont été ainsi renforcés, parfois au détriment de la diversité de l'offre et du maintien du pluralisme
Le groupe Bouygues-TF1 possède ainsi 4 chaînes gratuites et 12 payantes dont, outre la chaîne historique, Eurosport, LCI, TV Breiz, TM6, Histoire, Stylia, Ushuaia TV.
Canal+ Group contrôle, notamment, Itélé, Sport+, TPS star, les 4 chaînes Planète, les 3 chaînes Télétoon, Cinécinéma, Jimmy.
Dans le secteur public de l'audiovisuel, la restructuration de France Télévisions opérée par la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, ne permet plus de garantir l'existence à périmètre constant de ses différentes chaînes et entraîne un resserrement des équipes.
Ainsi, dans l'audiovisuel comme dans la presse, compte tenu de la concentration accrue des titres et des chaînes aux mains de quelques opérateurs, le maintien de l'indépendance des rédactions doit être assuré afin de garantir l'exigence de maintien du pluralisme dans le secteur des médias.
Les atteintes à l'indépendance des rédactions se multiplient : pressions, censures, sont le plus souvent les manifestations de cette concentration excessive auxquelles s'ajoutent des perquisitions dans les rédactions, contraires à la réglementation européenne.
Il semble indispensable, dans une période où la presse vit une mutation économique et technique difficile, que le législateur propose des mesures permettant de garantir l'indépendance des rédactions sans interférer sur le pourvoir légitime des éditeurs.
La nouvelle rédaction de l'article 34 de la Constitution, issue d'un amendement des sénateurs socialistes adopté lors de la révision du 23 juillet 2008, donne compétence au législateur pour fixer les règles garantissant l'indépendance et le pluralisme au sein des médias.
Il convient donc d'actualiser les textes de loi régissant la presse et les médias afin de faire respecter le pluralisme de l'information, garantir l'indépendance des rédactions en les protégeant de la pression économique et politique. Pour que le public soit mieux informé sur les dirigeants réels des groupes de presse, il convient d'instaurer pour ces entreprises des obligations accrues de transparence.
L' article 1 er modifie la loi sur la liberté de la presse en précisant les modalités de mise en oeuvre de l'indépendance des rédactions qui auront le choix entre deux possibilités pour constituer leur rédaction.
L' article 2 propose d'informer les lecteurs de tout titre de presse, des actionnaires détenant plus de 10 % du capital.
L' article 3 porte obligation à la société éditrice d'un titre de presse de porter à la connaissance des lecteurs tout changement de statut de celle-ci, de ses dirigeants ou de ses actionnaires.
L' article 4 assortit de sanctions le non respect de l'obligation de constituer des rédactions indépendantes : suspension des aides publiques dont bénéficie l'entreprise.
Tels sont les principaux objectifs de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1 er
Après l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 6 bis ainsi rédigé :
« Art. 6 bis . - Toute personne physique ou morale employant des journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail, produisant ou diffusant de l'information, constituée sous forme d'une agence de presse, d'une société de publication de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de service multimédia ou de communication électronique est tenue de remplir l'une des deux conditions figurant au 1° ou au 2° suivants :
« 1° Se doter d'une équipe rédactionnelle permanente et autonome composée de l'ensemble des journalistes professionnels au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail qui contribuent à cette équipe. L'équipe rédactionnelle participe à l'élaboration d'une charte éditoriale et déontologique et veille au respect des chartes de déontologie de la profession.
« Sans préjudice des dispositions relatives aux représentants du personnel, cette équipe rédactionnelle désigne son ou ses représentants selon les modalités prévues au livre III de la deuxième partie du code du travail
« Ces représentants ont un rôle de porte parole et organisent les consultations de l'équipe rédactionnelle.
« Ils bénéficient de la même protection que celle dont bénéficient les délégués du personnel en vertu des articles L. 2411-5 et suivants du code du travail.
« L'équipe rédactionnelle doit être consultée par sa direction avant tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle. Les projets éditoriaux lui sont soumis annuellement. Elle peut s'y opposer.
« L'équipe rédactionnelle doit également être consultée lors de la nomination d'un responsable de la rédaction qu'il soit directeur de l'information, directeur de la rédaction ou rédacteur en chef. Elle peut s'opposer à cette nomination.
« En cas de changements importants dans la composition du capital ou dans l'équipe de direction susceptible d'avoir un impact sur la situation économique de l'entreprise, l'équipe rédactionnelle peut prendre l'initiative d'un scrutin de défiance. Elle peut aussi saisir le comité d'entreprise pour faire jouer le droit d'alerte.
« 2° Se doter d'une association de journalistes dont les titulaires de la carte de presse sont membres de droit. Les statuts de cette association sont élaborés selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État.
« Une société de rédacteurs peut se substituer à l'association. Les droits sociaux sont alors détenus par les salariés titulaires de la carte de presse.
« Lorsque la personne physique ou morale édite une publication d'information politique et générale, l'association des journalistes ou la société des rédacteurs désigne un représentant qui siège de droit, avec voix consultative, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance.
« La désignation du responsable de la rédaction donne lieu à un vote, à bulletin secret, de tous les membres de l'association des journalistes ou de la société des rédacteurs.
« Dans le cas où la désignation est opérée, alors qu'elle a été rejetée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, elle est constitutive d'un changement notable, au sens du 3° de l'article L. 7112-5 du code du travail.
« L'association des journalistes ou de la société des rédacteurs participe avec la société éditrice à l'élaboration une charte éditoriale et déontologique, énonçant les engagements souscrits à l'égard des lecteurs par tous ceux qui concourent à la publication. Cette charte est reproduite dans la publication de presse ou fait l'objet d'une communication dans le service de communication, une fois par an. »
Article 2
L'article 5 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les noms des actionnaires détenant plus de 10 % du capital. »
Article 3
L'article 6 de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Toute entreprise éditrice est également tenue de porter à la connaissance des lecteurs de la publication, dans le délai ou selon les modalités prévues au premier alinéa :
« 1° Toute modification du statut de l'entreprise éditrice ;
« 2° Tout changement dans les dirigeants ou actionnaires de l'entreprise.
« Chaque année, la personne morale ou physique employant des journalistes doit porter à la connaissance du public toutes les informations relatives à la composition de son capital, des organes dirigeants. Elle mentionne l'identité et les parts de capital ou les actions détenues par chacun des actionnaires, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales. »
Article 4
Le non-respect des obligations prévues aux articles 1 er , 2 et 3 de la présente loi entraîne la suspension des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie la personne morale ou physique employant des journalistes ainsi que l'obligation pour celle-ci de publier les sanctions dont elle fait l'objet au titre de ses manquements.