EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les 27 États membres de l'Union européenne sont parties à la Convention européenne des droits de l'Homme, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent donc pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, dont le siège est à Strasbourg. En revanche, l'Union européenne en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par les traités.

En effet, l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».

Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ».

S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune, il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur fondement, à deux exceptions près, pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.

Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la CJUE. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.

La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'Homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités.

Elle soulignait que la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.

Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différentes objections de la CJUE. Les enjeux d'ensemble ont fait l'objet d'une présentation détaillée devant la commission des affaires européennes par nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte en 2020 1 ( * ) .

S'agissant de la PESC, les directives de négociation privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités, solution devant permettre d'assurer à la fois le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne soit saisie.

Ce mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 des négociations, relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.

La Commission européenne a alors proposé une autre solution : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative sur la base de laquelle la CJUE pourrait étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de statuer sur une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne se prononce.

Le service juridique du Conseil a soutenu l'approche de la Commission, en estimant qu'au regard des circonstances spécifiques, une déclaration interprétative serait de nature à réconcilier les stipulations contradictoires des traités en établissant que ces derniers permettraient de conférer une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne, par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France, qui fait figure d'exception, est la seule à s'être exprimée contre cette proposition lors du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 9 décembre 2022.

Or une telle proposition soulève de nombreux enjeux opérationnels pour la PESC, mais aussi juridiques, institutionnels et politiques, développés par nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge dans la communication qu'ils ont présentée devant la commission des affaires européennes le 20 octobre 2022 2 ( * ) , puis discutés de manière approfondie lors d'une réunion conjointe de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de la commission des affaires européennes, le 18 janvier 2023 3 ( * ) .

Au regard de ces échanges, considérant que le recours à une déclaration intergouvernementale interprétative s'apparenterait à une révision déguisée des traités et contournerait le contrôle démocratique prévu par la Constitution et exercé par le Parlement, les présidents de ces trois commissions ont souhaité déposer la proposition de résolution européenne suivante :


* 1 Rapport du Sénat n° 562 (2019-2020) - 25 juin 2020 - de MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte, fait au nom de la commission des affaires européennes, sur l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme.

* 2 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221017/europ.html

* 3 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230116/europ.html

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