EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La défiance se creuse dans notre pays entre les citoyens et les élus : les liens se délitent au fil des scrutins par l'abstention, par les votes blancs, par une suspicion en l'action publique, par des fake news sur les réseaux sociaux...
La mission d'information « Comment redynamiser la culture citoyenne ? » a souhaité réfléchir aux fondements actuels de la culture citoyenne, qui permet à chacun de s'inscrire dans un projet commun par des références partagées.
Son analyse de la formation des futurs citoyens l'a conduite à s'intéresser à l'enseignement moral et civique dans le cadre scolaire, à la journée défense et citoyenneté ainsi qu'aux dispositifs d'insertion sociale et professionnelle, dans lesquels l'éducation à la citoyenneté est une dimension importante de l'égalité des chances. La mission d'information a également fait porté sa réflexion sur l'engagement des jeunes et les politiques publiques destinées à l'encourager (notamment le service national universel et le service civique) ainsi que sur les pratiques démocratiques par lesquelles les citoyens contribuent aux débats et aux décisions politiques.
La mission d'information a établi les constats suivants : l'ignorance largement répandue du fonctionnement des institutions, s'agissant plus particulièrement des citoyens les plus jeunes et le sentiment d'illégitimité ressenti par ceux-ci en tant qu'électeurs ; la baisse continue du temps consacré aux questions de défense et de sécurité lors de la journée défense et citoyenneté (moins de trois heures sur un total de huit) ; l'intérêt que présente le service civique ; l'urgence d'un débat parlementaire sur le service national universel ; le goût de nombreux jeunes pour l'engagement ; les obstacles qui peuvent résulter pour certains électeurs du processus électoral et la nécessité de « dépoussiérer » celui-ci.
Adopté à l'unanimité le 7 juin 2022, le rapport de la mission d'information 1 ( * ) est assorti de 23 recommandations visant principalement : à redéfinir le contenu de l'enseignement moral et civique autour de priorités claires, faisant une plus large place à la connaissance des institutions ; à recentrer la journée défense et citoyenneté sur ses finalités essentielles ; à préciser le socle juridique du service national universel ; à accompagner le développement du service civique, plus particulièrement en milieu rural ; à moderniser le processus électoral et à considérer véritablement les jeunes comme des acteurs à part entière de la vie démocratique.
Six de ces 23 recommandations supposent des modifications des dispositions législatives en vigueur. L'objet de cette proposition de loi est donc de tirer les conséquences de ces recommandations sur le code de l'éducation, le code du service national, le code général des collectivités territoriales et le code électoral.
L' article 1 er propose une nouvelle rédaction de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, qui constitue le socle législatif de l'enseignement moral et civique (EMC). Si cet article prévoit une formation aux valeurs de la Républiques « à tous les stades de la scolarité », en revanche il ne se réfère aucunement à la connaissance des institutions, paradoxe soulevé par le rapport de la mission d'information.
Or l'un des enjeux principaux de l'EMC est de rapprocher les citoyens et les institutions, ce qui suppose tout d'abord d'améliorer la connaissance du fonctionnement de celles-ci. La mission d'information a donc recommandé de revoir les contenus de l'EMC en ce sens.
Dans cet esprit, la rédaction de l'article L. 312-15 du code de l'éducation résultant de cette proposition de loi expose la finalité première de l'EMC : « amener les élèves à devenir des citoyens responsables, conscients de leurs droits et de leurs devoirs ». Elle maintient la référence aux valeurs de la République figure dans le texte actuel de l'article L. 312-15 (ainsi qu'aux articles L. 111-1 et L. 131-1-1), en y ajoutant la mention de la laïcité. Elle conserve également le renvoi aux objectifs définis à l'article L. 131-1-1 2 ( * ) . Puis le texte proposé pour l'article L. 312-15 précise le but principal de l'EMC : « permettre aux futurs citoyens de connaître le fonctionnement des institutions français et européennes ». Il mentionne également l'objectif de faire comprendre aux élèves « les enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain ».
Les programmes, dont la rédaction confuse a attiré l'attention de la mission d'information, devront tirer les conséquences de cette reformulation du contenu de l'EMC et rééquilibrer la place des questions environnementales et sociétales par rapport aux enjeux institutionnels, qui doivent constituer le coeur de cet enseignement. Afin que les enseignants puissent s'approprier ces nouveaux programmes, la mission d'information a également appelé le législateur à éviter de trop fréquentes modifications de l'article L. 312-15 du code de l'éducation, contrairement à la pratique de ces dernières années : l'article L. 312-15 a ainsi été modifié une fois par an en moyenne entre 2017 et 2022 (à deux reprises pour la seule année 2021).
Ces modifications ont consisté à revisiter le contenu de l'EMC en fonction de l'actualité législative pour y ajouter des thématiques telles que l'« attitude critique et réfléchie » à l'égard de l'information disponible en ligne, la prise en compte du RGPD en matière de protection des données personnelles ou le respect des animaux de compagnie... Or on constate des redondances entre certains aspects de l'EMC prévus par l'article L. 312-15 et d'autres dispositions du code de l'éducation : par exemple, l'article L. 312-9 développe la sensibilisation des élèves à l'utilisation responsable des outils et ressources numériques de manière suffisamment précise pour qu'il ne semble pas nécessaire d'ajouter ce point à l'article L. 312-15.
De plus, compte tenu des contraintes de l'emploi du temps scolaire, qui limitent à une moyenne de trente minutes par semaine le temps dédié à l'EMC, certaines thématiques relevant de l'EMC pourraient être intégrées aux diverses séquences de formation prévues par le code de l'éducation pendant le temps scolaire telles que l'apprentissage des gestes de premier secours (article L. 312-13-1), l'information sur le don d'organes aux fins de greffe (article L. 312-17-2) ou la sensibilisation aux risques liés aux conduites addictives (article L. 312-18) 3 ( * ) .
Selon une logique comparable, l' article 2 vise à recentrer la journée défense et citoyenneté (JDC), héritière de la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD) créée en 1997 et définie par l'article L. 114-3 du code du service national, sur les priorités suivantes : l'information sur les enjeux de la défense et de la sécurité et sur les métiers accessibles aux jeunes dans ce domaine ; le repérage et l'orientation des jeunes en difficulté ; la présentation des différentes formes d'engagement (service civique, autres formes de volontariat, sécurité civile, réserves...).
Il s'agit de revenir sur une extension régulière du périmètre de la JDC à des thématiques aussi diverses que : l'information sur le consentement au don d'organes à fins de greffe et sur le don de sang, de moelle osseuse, de plaquettes et de gamètes ; l'apprentissage des gestes élémentaires de premier secours et la sensibilisation à la sécurité routière ; les droits et devoirs liés à la citoyenneté et les enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale ; la prévention des conduites à risque pour la santé, notamment celles susceptibles de causer des addictions et des troubles de l'audition ; l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les préjugés sexistes et la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple.
Ce programme particulièrement dense est à l'origine d'une réduction du temps dédié aux questions de défense, désormais inférieur à trois heures. La mission d'information s'est inquiétée du risque de dispersion lié à ces évolutions successives du socle législatif de la JDC. Elle a donc proposé de centrer l'article L. 114-3 du code du service national sur son « coeur de cible » et de limiter les informations dispensées aux appelés à des sujets liés à la défense et à la sécurité civile ainsi qu'aux différentes formes d'engagement (service civique, les autres formes de volontariat, périodes militaires d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale, forces de réserve). Cette nouvelle rédaction de l'article L. 114-3 maintient naturellement les tests d'évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française qui figuraient déjà au programme de la JAPD, le législateur de 1997 ayant souhaité, parallèlement à la suspension de la conscription, préserver la capacité de l'institution militaire à identifier les jeunes en difficultés afin qu'ils puissent être orientés vers les structures susceptibles de les accompagner vers l'insertion sociale et professionnelle, en ouvrant aux jeunes filles cette possibilité de repérage.
Parallèlement à ce recentrage du programme de la JDC, la mission d'information a, comme pour l'EMC, appelé le législateur à s'abstenir d'intervenir trop fréquemment, à l'avenir, sur l'article L. 114-3 du code du service national, qui a été modifié 12 fois entre 2000 et 2021 (deux fois en 2004 et 2011).
L' article 3 vise à modifier l'article L. 130-2 du code du service national pour prolonger l'accompagnement complémentaire de trois mois proposé à certains jeunes qui, titulaires d'un contrat de travail, n'ont plus vocation à bénéficier des prestations de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide), héritier du dispositif « Défense deuxième chance » mis en place en 2005 pour accompagner vers l'insertion sociale et professionnelle des jeunes sans diplôme ou en voie de marginalisation.
Le contrat de volontariat à l'insertion, souscrit pour une durée de six mois à un an (et au plus pour deux ans), prend fin avant son terme si le volontaire trouve un emploi. Si son contrat de travail est un contrat d'apprentissage, un contrat de travail temporaire ou un contrat de professionnalisation, le volontaire à l'insertion peut continuer à bénéficier de certaines prestations de l'Épide, et plus particulièrement du logement.
Actuellement, l'article L. 130-2 du code du service national limite à trois mois « au plus » ce suivi complémentaire qui vise à consolider l'accès à l'autonomie des jeunes. Les travaux de la mission d'information ont toutefois mis en évidence la fragilité de l'insertion professionnelle de certains anciens volontaires, en raison des difficultés de logement fréquemment rencontrées par ceux-ci à leur sortie de l'Épide. La mission d'information a donc recommandé de prolonger cette période de suivi complémentaire. Dans cette logique, l'article 3 vise à permettre de la renouveler une fois après la fin du contrat de volontaire à l'insertion afin que l'ancien volontaire puisse bénéficier de l'hébergement de l'Épide pendant six mois en tout.
Par ailleurs, l'article 3 remplace dans l'article L. 130-2 du code du service national une référence obsolète à un article du code du travail relatif au contrat de professionnalisation.
L' article 4 vise à revenir au système de double procuration qui était en vigueur avant que la loi du 30 décembre 1988 4 ( * ) limite le nombre de procurations dont peut disposer un mandataire à « deux, dont une seule établie en France ».
Le système permettant à un électeur de disposer de deux procurations a été rétabli pendant la crise sanitaire afin de limiter l'abstention liée à la pandémie 5 ( * ) , parallèlement à une autre mesure d'assouplissement consistant à permettre de donner procuration à un électeur inscrit sur une autre liste.
Dans un contexte encore marqué par la crise sanitaire, notre collègue Philippe Bonnecarrère avait proposé, en janvier 2022, en vue de l'élection présidentielle 6 ( * ) et des élections législatives, de permettre à chaque mandataire, « par dérogation à l'article L. 73 du code électoral, de disposer de deux procurations, y compris lorsque ces procurations sont établies en France » 7 ( * ) .
Au-delà de ces mesures temporaires inspirées par la situation sanitaire, la pérennisation de la double procuration fait partie des conclusions de la mission d'information, soucieuse de « faciliter les conditions de participation matérielle des électeurs aux différents scrutins ». Ce système peut en effet apporter une solution appréciable dans de nombreuses situations (parents âgés, enfants étudiants établis loin du domicile familial...) 8 ( * ) , même si cette mesure ne saurait à elle seule apporter une solution à l'abstention.
L' article 5 porte sur l'accès à la propagande électorale, et plus particulièrement aux professions de foi des candidats. Selon la mission d'information, l'impression des professions de foi sur support « papier » et leur distribution par voie postale soulève diverses difficultés : le coût du dispositif, son impact environnemental, sa capacité à atteindre les jeunes électeurs, « souvent conduits par leurs études à résider loin du domicile familial, ce qui contraint leur prise de connaissance effective des professions de foi « papier » et contribue peut-être, avec d'autres facteurs, à les éloigner des élections » et, enfin, la « sécurité problématique de l'acheminement » mise en lumière par les dysfonctionnements survenus à l'occasion des élections départementales et régionales de 2021 (selon le ministère de l'intérieur, 9% des électeurs n'ont reçu aucun document) 9 ( * ) . En amont de l'élection présidentielle de 2022, la menace d'un préavis de grève a fourni une nouvelle manifestation de la fragilité de ce système.
Selon la mission d'information, les nouvelles technologies pourraient permettre de remédier à ces dysfonctionnements regrettables, « à la condition toutefois de trouver un équilibre entre le "tout papier" et le "tout numérique" pour éviter d'exclure les personnes qui, faute d'équipement, de réseau ou de compétences, sont éloignées des nouvelles technologies ». La mise en place d'un système mixte, permettant aux électeurs qui le demandent de recevoir la propagande sous forme électronique, les modalités classiques d'envoi de la propagande électorale étant maintenues à l'égard des autres électeurs, faisait partie des conclusions du rapport de la mission d'information, parallèlement à une campagne d'information ambitieuse sur ces nouvelles modalités de consultation de la propagande électorale.
L' article 6 concerne le statut de l'élu étudiant, dont la création est recommandée par la mission d'information pour favoriser la participation des jeunes à la vie démocratique, plus particulièrement au niveau local.
Les dispositions du code général des collectivités territoriales (CGCT) relatives aux garanties accordées aux titulaires de mandats municipaux, départementaux et régionaux visent les salariés mais ne prévoient pas la même protection à l'égard des étudiants : l'attention de la mission d'information a été attirée sur cette lacune par des élus locaux, lors d'une table ronde et dans le cadre d'une consultation en ligne sur le site du Sénat dont les résultats sont commentés dans le rapport.
De même, le code de l'éducation prévoit des aménagements dans le déroulement des études et des examens pour les sportifs de haut niveau (article L. 611-4) ainsi que pour les étudiants exerçant des responsabilités au sein de bureaux d'associations ou une activité professionnelle, accomplissant des périodes de réserve, réalisant une mission de service civique ou élus dans les conseils d'établissement ou les CROUS (article L. 611-11). Aucune mesure n'est en revanche prévue par cet article pour faciliter la conciliation d'études et l'exercice d'un mandat municipal, départemental ou régional.
L'article 6 vise donc à insérer dans le CGCT trois nouvelles dispositions garantissant aux étudiants des aménagements dans l'organisation des études et des examens, y compris par le recours à l'enseignement à distance, et à modifier l'article L. 611-11 du code de l'éducation pour y introduire une référence aux étudiants titulaires d'un mandat municipal, départemental ou régional.
* 1 Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer (rapport fait par Henri Cabanel au nom de la mission d'information « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », Sénat, n° 648, 2021-2022).
* 2 « Le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté. »
* 3 S'agissant de l'EMC, la mission d'information a également conclu à la nécessité de structurer les programmes d'EMC par classe et non par cycle pluriannuel et de concevoir les programmes de manière à mettre l'accent sur la connaissance des institutions au cours des classes de 3 e , de 2 nde et de 1 re (recommandation n° 2), d'intégrer une question d'EMC aux programmes des concours de recrutement des enseignants d'histoire et de géographie, auxquels incombe le plus souvent l'EMC (recommandation n° 3), de créer à l'attention des enseignants des outils pédagogiques clairs et objectifs sur les institutions françaises et européennes (recommandation n° 4), de généraliser les rencontres entre élèves et élus, dans les classes ou lors de visites d'institutions (recommandation n°5) et d'étendre à l'EMC l'évaluation des acquis à laquelle il est procédé en 6 e et en 2 nde , afin de mieux connaître le niveau des élèves (recommandation n° 6).
* 4 Loi n° 88-1262 du 30 décembre 1988 modifiant diverses dispositions du code électoral et du code des communes relatives aux procédures de vote et au fonctionnement des conseils municipaux, article14.
* 5 Article 1 er de la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020, article 2 de la loi n° 2020-1670 du 24 décembre 2020 relative aux délais d'organisation des élections municipales partielles et des élections des membres des commissions syndicales et article 2 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.
* 6 Proposition de loi organique (n° 346, 2021-2022) visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d'organisation de l'élection présidentielle dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19.
* 7 Proposition de loi (n° 351, 2021-2022) visant à améliorer les conditions sanitaires d'organisation des élections législatives dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19 , article 1 er .
* 8 Cette mesure a également été proposée dans le cadre d'autres travaux qui, au cours de la période récente, ont porté sur des sujets en lien avec l'abstention : Pour une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires : la démocratie implicative (Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, recommandation n° 2) ; rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale (proposition n° 5) ; Engagement et participation démocratique des jeunes , rapport du CESE, mars 2022 (préconisation n° 15).
* 9 Voir le rapport d'information de Jean-Michel Mis et Raphaël Schellenberger sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021 (Assemblée nationale, n° 4561, 13 octobre 2021) et le rapport d'information sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales, fait au nom de la commission des lois du Sénat par François-Noël Buffet, n° 785 (2020-2021).