EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Au cours des vingt-cinq dernières années, la France a connu une hausse vertigineuse des prix de l'immobilier et du foncier. Elle frappe aujourd'hui la quasi-totalité des régions et oblige les populations locales à se loger toujours plus loin de leurs lieux de travail et de socialisation. D'abord cantonné au Sud de la France, ce phénomène d'inflation immobilière et de raréfaction du logement s'est étendu sur tous les littoraux, dans les départements de montagne et dans les grandes villes. De la Bretagne aux contreforts alpins en passant par le Pays basque, le Grand Paris et les métropoles régionales, rares sont les régions épargnées.
L'un des facteurs explicatifs de ce renchérissement des prix de l'immobilier et du coût du logement est l'accroissement rapide du nombre de résidences secondaires, notamment du fait de la transformation d'habitations principales. En 2022 selon l'INSEE, la France compte 3,7 millions de résidences secondaires, soit un logement sur dix. Ces résidences, généralement détenues par des personnes aisées et âgées de plus de 60 ans, se situent principalement sur le littoral (40 %), en altitude (16 %) et dans les agglomérations du Grand Paris, de Lyon, Toulouse et Bordeaux (12 %). Depuis les années 2010 et toujours selon les chiffres de l'INSEE, elles ont vu leur nombre croître à un rythme plus soutenu que l'ensemble du parc de logements. Un exemple régional parmi d'autres, en Bretagne, le nombre de résidences secondaires a été multiplié par trois entre 1968 et 2018, pour dépasser désormais la barre des deux cent cinquante mille logements. Plus généralement, on a assisté ces dernières années à une « ruée vers l'Ouest » qui désorganise à la fois les prix de l'immobilier des villes centres, devenues inaccessibles pour les classes moyennes, et le peuplement des communes littorales où les résidences secondaires peuvent devenir majoritaires. Cette situation a des conséquences préjudiciables sur le dynamisme social et l'activité économique, et participe de la désagrégation sociale et culturelle des territoires : des écoles ferment faute d'élèves, des travailleurs locaux sont poussés à s'éloigner pour se loger, des services publics et de santé disparaissent... Ce faisant, partout en France, la possibilité pour les étudiants et pour les jeunes couples de « vivre et travailler au pays » recule, exacerbant tensions et sentiments d'injustices.
L'autre grand facteur de déséquilibre tire son origine de l'attractivité des villes et métropoles régionales, où il est urgent de rétablir des équilibres sociaux et économiques, et de lutter contre des mouvements centripètes de population, générateurs d'étalement urbain, de consommation des espaces agricoles et naturels, de mobilité subie. La capacité de maîtrise foncière est ici centrale, tant pour permettre de bâtir dans les villes, que de rééquilibrer les implantations économiques vers les pôles secondaires.
Conserver le droit de vivre dans le territoire de naissance et de vie, pour autant que l'on choisit d'y rester, tel est le désir de millions de nos concitoyens qu'obère l'absence de régulation du marché des logements. Il est donc urgent de mettre fin à la ségrégation socio-spatiale dont pâtissent les citoyens les plus fragiles (étudiants, jeunes couples, travailleurs précaires), de renforcer l'intervention des collectivités territoriales, en préemptant les terrains nécessaires, en construisant logements sociaux et intermédiaires. Pour ce faire, il faut renforcer les outils d'action de ces collectivités territoriales. C'est d'autant plus nécessaire que la mise en application des mesures du zéro artificialisation nette (ZAN) issues de la loi Climat et Résilience va renforcer le rôle des régions et du bloc communal dans la régulation du logement, via notamment les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires et leur déclinaison en schéma de cohérence territoriale et en plans locaux d'urbanisme.
Cette proposition de loi du Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires se veut donc un outil de reconquête de l'habitat en France. Première pierre d'un édifice qui devra être plus large et plus ambitieux, il donne dès à présent aux collectivités territoriales des moyens renforcés pour exercer leurs compétences en matière d'aménagement du territoire et de logement. L'exercice effectif d'une politique du logement ambitieuse dans les territoires et au service des habitants passe par un renforcement du rôle planificateur des régions et des collectivités territoriales, dans une logique de renforcement de leur autonomie fiscale. C'est l'esprit de cette proposition de loi.
L'article 1 vise à renforcer la capacité d'animation territoriale des régions en matière de logement en créant une taxe régionale sur les résidences secondaires. Avec la loi du 7 août 2015 portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), la région a compétence pour promouvoir le soutien à l'accès au logement et à l'amélioration de l'habitat. À travers ses principaux domaines de compétence (développement économique, énergie-climat, etc.), la région peut ainsi soutenir des actions liées au logement des jeunes ou à la politique foncière. En outre, le SRADDET joue un rôle prépondérant dans la politique régionale du logement par sa capacité à mettre l'habitat en lien avec les autres enjeux régionaux qu'il aborde (gestion économe de l'espace, démarche zéro artificialisation nette , transports, air, énergie, climat, déchets...), et à fournir plusieurs outils d'information, de diagnostic et d'action en matière d'habitat. Ces capacités de financement, d'ingénierie, d'information et de régulation de la région sont appelées à s'accroître, aussi faut-il lui donner tous les moyens de son action. La mise en place d'une taxe régionale sur les résidences secondaires répond à cet objectif. Elle donne aux régions la possibilité de fixer elles-mêmes le taux le plus adapté à ses réalités de terrain, dans une fourchette comprise entre 0 et 25 % de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires appliquée dans la commune où se situe le logement.
L'article 2 vise à instituer, au profit des établissements publics fonciers d'État et locaux ainsi qu'au profit de l'office foncier de Corse, une taxe additionnelle à la taxe d'habitation due au titre des résidences secondaires et autres logements meublés non affectés à l'habitation principale. Cette taxe, dont le taux peut être fixé dans une fourchette de 0 à 25 %, vise à permettre à ces établissements de préempter et de financer les acquisitions foncières et immobilières participant du rééquilibrage de l'habitat et des activités économiques. Cette action joue un rôle important pour la réalisation de logements, notamment de logements sociaux, en cohérence avec les priorités définies par les programmes locaux de l'habitat.