II. OBSERVATIONS TIRÉES DE LA COMPARAISON DE L'ÉTAT D'AVANCEMENT DE LA TRANSPOSITION
À titre liminaire, on notera que les éléments sur ce dossier sont triplement parcellaires :
- tout d'abord parce que certaines statistiques font défaut dans les études d'impact élaborées lors de la préparation de la directive de 2016 ;
- ensuite parce que le secteur se trouve « à mi-chemin » entre adoption et transposition dans la préparation des actes délégués par la Commission ;
- enfin parce que, aux dires même de l'étude d'impact de la Commission, « [...] les bénéfices [pour le consommateur] ne sont pas quantifiables à cause du manque de données sur le comportement du consommateur, de l'élasticité des prix, etc . » 40 ( * )
1. L'importance des questions de calendrier
Pour la transposition de la directive 2016/97 dans son ensemble, tout comme pour l'élaboration d'actes délégués, les questions de calendrier auront une importance toute particulière car :
- la transposition de la directive 2016/97 est indissociable de celle des directives « MAD » et « MiFID » d'une part, et des règlements « MAR » et « MiFIR », d'autre part, comme le montre le calendrier publié par la Suède (voir infra ) ;
- le Brexit et les négociations qui le précéderont auront une incidence importante dans un marché sur lequel les opérateurs britanniques occuperont -ou pas- une position importante, comme en témoigne leur souci, exprimé dès l'été 2016, de disposer du « passeport unique » afin d'exercer leurs activités dans le marché unique ;
- l'avis que formulera l'AEAPP, sur la base de ses vues propres et des contributions des opérateurs de marché remises à l'automne 2016, qui sera remis en février 2017, aura un caractère incontournable pour la suite des opérations.
À côté de ces questions d'organisation du travail de transposition, plusieurs questions de fond sont posées, à commencer par celle de l'impact de la mise en oeuvre du texte adopté en 2016 complété par les actes délégués susceptibles d'être adoptés en 2017.
2. Des marchés nationaux différenciés ?
La comparaison des exemples étudiés conduit à s'interroger sur les effets divers qu'aura l'entrée en vigueur de la directive - réputée permettre l'établissement d'une concurrence non faussée ( level playing field ) - aussi bien dans les échanges transfrontaliers que dans les différents États de l'Union. Tous ne se trouvent pas, en effet, dans la même position du simple fait que :
- le nombre d'intermédiaires concernés varie fortement de 80 en France contre 389 en Italie pour 100 000 habitants ;
- le recours aux nouvelles technologies (calculateurs...) serait plus avancé dans certains d'entre eux comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas 41 ( * ) ;
- la « maturité » des marchés n'est pas identique ; or selon une étude du cabinet Europe Economics , la durée nécessaire pour parvenir à ce type de changement peut être longue (il aura, par exemple, fallu dix ans au Royaume-Uni pour mettre en oeuvre la réforme connue sous le nom de Retail distribution review 42 ( * ) dans le secteur financier).
Des restructurations tendancielles du secteur semblent à attendre, en particulier un accroissement de la taille moyenne des courtiers aux Pays-Bas et en Allemagne résultant aussi bien d'un accroissement des exigences diverses que du recours à une rémunération payée par le client 43 ( * ) .
Il semble que ni l'évolution du nombre de personnes employées dans le secteur ni la variation du nombre d'entreprises évoluant dans ce marché n'ont été au centre des préoccupations des rédacteurs des deux directives (voir l'absence de statistiques sur ce point, supra ). Or, comme on le verra ci-après, plusieurs innovations tenant à la technologie ou à l'évolution du cadre réglementaire pourraient avoir pour conséquence de favoriser la vente directe. Ces éléments mériteraient d'être pris en compte lors de la préparation des actes délégués eu égard au coût afférent à la mise en oeuvre de ces réformes non seulement sur les professionnels de la branche mais aussi, in fine , sur les consommateurs.
3. La question des rémunérations
Deux actes délégués sont susceptibles de porter sur les questions relatives aux conflits d'intérêt, d'une part, et aux « incitations », d'autre part, elles-mêmes indissociables de celle de la rémunération des intermédiaires.
L'incertitude qui entoure les effets de la réglementation est soulignée par la même étude du cabinet Europe Economics , selon laquelle :
- le développement des courtiers et des agrégateurs pourrait être freiné dans les États où ils occupent une faible position (France, Italie, Espagne) 44 ( * ) ;
- là où prédominent les agences (Allemagne, Espagne, Italie, France), on pourrait assister, d'une part, à une réorganisation des structures de rémunération et de gouvernance entre assureurs et agences et, d'autre part, à un encouragement au recours aux achats sur Internet.
Ceci conduit à s'interroger sur l'applicabilité des dispositions de la directive aux opérations conclues sur Internet et sur le contenu des actes délégués concernant celles-ci.
La question est importante car nombre de clients (peut-être un tiers) se seraient déclarés disposés, sur le marché financier, à régler une commission ex ante à un intermédiaire pour obtenir une consultation 45 ( * ) alors même que l'interdiction des versements de tiers et son remplacement par le paiement d'une commission par le client pourrait :
- favoriser soit la vente directe, soit la vente dans les agences des assureurs ;
- et/ou limiter le développement des courtiers dans des pays tels que l'Allemagne, la France ou l'Espagne.
La même source souligne au surplus le fait que, pour un même distributeur, il est difficile de conserver des modes de rémunération divers en fonction des produits 46 ( * ) .
Tout en conservant à l'esprit la volonté du législateur européen de protéger le consommateur, les réponses formulées par les contributeurs à la consultation organisée par l'AEAPP en ce qui concerne les incitations (inducements) montrent également que la question du mode de rémunération des intermédiaires, dans le nouveau contexte réglementaire, mériterait une attention particulière parce que :
- les intermédiaires craignent, à tort ou à raison, l'assimilation des commissions aux « incitations » ;
- la fixation d'une liste d'incitation considérées comme emportant par nature un effet négatif pour les produits pourrait revenir à les interdire de facto , quelles que soient les mesures prises par ailleurs pour éviter que le versement de ces incitations ne s'effectue au détriment des intérêts du consommateur ;
- même s'ils conviennent de la nécessité d'éviter les pratiques abusives en ce qui concerne les commissions précomptées, de nombreux professionnels craignent que, par un effet de contagion, les systèmes reposant sur une rétribution des intermédiaires par des commissions - qui assurent une mutualisation des coûts pour la fourniture de conseils aux clients quels que soient les moyens de ceux-ci - ne soient mis à mal par l'interdiction de facto d'incitations qui composent une part de leur rémunération ;
- ce mouvement pourrait entraîner une « dé-mutualisation » des coûts pour les consommateurs dont certains n'auraient pas les moyens d'acquitter des honoraires ;
- cette liste, établie sur le fondement de l'article 29-2 de la directive ne saurait rester sans incidence sur les autres incitations visées à l'article 25-3 de la directive qui concerne, pour sa part, la surveillance des produits et les exigences en matière de gouvernance ;
- il s'avère que les modalités et le niveau de rémunération des intermédiaires ont un effet en termes de structure de l'ensemble du secteur de la distribution, les réformes en cours pouvant contraindre certains intermédiaires à cesser leur activité ;
- et parce qu'en ce qui concerne l'accès des consommateurs au conseil, l'exemple du Royaume-Uni - où les autorités ont constaté que certains clients se trouvent désormais exclus du système faute de pouvoir payer des honoraires - montre que le système fondé sur le versement d'honoraires pourrait n'avoir rien d'une panacée.
Enfin, d'une façon plus générale, en l'absence totale d'évaluation relative au bénéfice quantifié que tirerait le consommateur de ces dispositions, il est loisible de s'interroger sur la compatibilité des mesures envisagées pour atteindre deux objectifs de la directive à savoir :
- la constitution d'un marché unique non faussé (level playing field) par le décloisonnement des marchés nationaux ;
- et la protection des consommateurs entendue sans préjudice de l'accroissement du coût qu'ils ont à acquitter, in fine , pour payer le service de distribution des produits d'assurance.
L'ensemble des éléments réunis ci-après sur chacun des pays traduit la difficulté qui s'attache - vu la variété des préoccupations exprimées par les uns et dans les autres - à présenter à ce stade une analyse synthétique des enjeux de chacun des actes délégués préparés par la Commission européenne.
* 40 European Commission, Commission Staff Working Document Impact Assessment, Accompanying the document Proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on Insurance mediation COM(2012) 360 final - SWD(2012) 192 final , 3 juillet 2012.
* 41 Europe Economics, La distribuzione assicurativa in Italia e in Europa. Modelli, evoluzione e prospettive , étude réalisée pour l'Associazione Nazionale fra le Imprese Assicuratrici (ANIA), p. 73.
* 42 Europe Economics, La distribuzione assicurativa in Italia e in Europa [...], op . cit ., p. 73.
* 43 p. 77.
* 44 p. 76.
* 45 p. 77.
* 46 p. 75.