NOTE DE SYNTHESE
La loi
n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à
l'aide juridique
a
profondément remanié l'aide juridictionnelle, destinée
à permettre aux personnes dont les ressources sont insuffisantes de
faire valoir leurs droits en justice. Elle a par ailleurs instauré
une aide à
l'accès au droit
, comprenant l'aide
à la consultation et l'assistance au cours de procédures non
juridictionnelles.
Cette loi a également mis en place le Conseil national de l'aide
juridique (C.N.A.J.) chargé :
" de recueillir toutes
informations quantitatives et qualitatives sur le fonctionnement de l'aide
juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit et de proposer
aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer, de
faire aux conseils départementaux de l'aide juridique des suggestions en
vue de développer et d'harmoniser les actions menées localement,
d'établir chaque année un rapport sur l'activité d'aide
juridique, au vu des rapports des conseils départementaux sur l'aide
juridictionnelle et sur l'aide à l'accès au droit dans leur
ressort ".
Le premier rapport du C.N.A.J. a été publié à la
fin de l'année 1994 ; il analyse les dispositions de l'aide juridique,
entrées en vigueur en 1992, et le résultat de leur mise en oeuvre
sur une période de deux ans.
A cette occasion, et compte tenu du fait que la loi de 1991 faisait, à
l'époque, de la France un des pays précurseurs en matière
d'aide juridique, il a paru intéressant de faire le point. Pour cela, on
a comparé les
prestations de l'aide juridique
française
avec celles de
l'Allemagne, de l'Angleterre et du Pays de Galles
(
1(
*
)
)
, de l'Italie et des
Etats-Unis.
Comme l'aide à l'accès au droit n'existe pas dans tous les pays
étudiés, il a été jugé
préférable d'étudier séparément l'aide
juridictionnelle et l'aide à l'accès au droit.
I - L'AIDE JURIDICTIONNELLE
Tous les
pays sous revue ont instauré une aide juridictionnelle destinée
à garantir l'accès aux cours aux plus démunis, qu'ils
soient nationaux ou simplement résidents. Cette aide a même
été étendue à toutes les personnes morales en
Allemagne, aux sociétés à but non lucratif en France, aux
institutions publiques de bienfaisance pour les affaires civiles en Italie.
Elle est accordée pour tous les niveaux de juridictions dès que
la demande paraît fondée. En outre, en matière civile,
l'Allemagne et l'Italie exigent également que la demande comporte des
chances suffisantes de succès.
En dehors de ces conditions générales, très comparables
d'un pays à l'autre, il existe des divergences notables pour la forme,
les critères d'attribution et les caractéristiques de
l'aide.
1) Dans quatre des cinq pays étudiés, le régime de l'aide juridictionnelle est différent selon les affaires concernées.
Seule la
France a adopté un système valable devant toute juridiction,
civile, pénale ou administrative.
En Allemagne, l'aide peut être accordée pour toutes les affaires,
à l'exception des procédures pénales pour lesquelles le
tribunal procède à la désignation d'office d'un avocat.
En Angleterre, il existe trois systèmes : l'aide légale civile,
l'aide légale criminelle et l'assistance par représentation,
essentiellement utilisée pour les affaires familiales. L'aide
légale civile ne peut pas être accordée pour les affaires
qui ne sont pas soumises aux juridictions proprement dites, mais à des
organismes parajuridictionnels. Ceci exclut donc notamment les litiges relatifs
aux droits du travail, à l'aide sociale ...
Dans l'attente d'une législation générale en
matière "
d'assistance des indigents devant toute
juridiction
", l'aide juridique italienne repose sur une loi de 1990
pour les procédures pénales ainsi que pour les affaires civiles
les plus graves, et sur un décret de 1923 pour la majorité des
affaires civiles.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, le droit constitutionnel "
d'avoir
l'assistance d'un avocat pour sa défense
" ne vaut que pour les
infractions criminelles punissables de peines d'emprisonnement. L'aide civile,
qui est assumée par les barreaux locaux et le plus souvent par des
associations privées, est généralement fournie pour des
affaires familiales. C'est une organisation privée à but non
lucratif, la
Legal Services Corporation
, qui est chargée de
redistribuer les fonds fédéraux et privés
réservés à l'aide civile.
2) Comme l'attribution de l'aide dépend du niveau de ressources des demandeurs, un système d'aide partielle a été mis en place dans plusieurs pays.
a)
Les conditions de ressources
En Allemagne, en Angleterre et en France, la condition essentielle pour
bénéficier d'une aide juridictionnelle est financière : le
revenu du demandeur doit entrer dans les limites de barèmes
établis au niveau national. L'Angleterre et la France prennent
également en compte le capital disponible.
En Italie, l'aide juridictionnelle pénale est soumise à la
justification d'un revenu inférieur à un plafond national. L'aide
civile est attribuée aux indigents "
en état de
pauvreté
", ce critère étant laissé
à la discrétion d'une commission chargée d'accorder l'aide.
Aux Etats-Unis, la fixation du seuil de revenus permettant d'obtenir l'aide est
du ressort du juge ou de l'organisation en charge de l'aide juridique, selon
que la matière est civile ou pénale. Il existe cependant au
niveau fédéral un plafond que la
Legal Services
Corporation
conseille aux organisations privées de respecter.
b)
Le système d'aide partielle
Seules l'Allemagne, l'Angleterre et la France ont explicitement instauré
plusieurs plafonds de ressources, les uns permettant d'obtenir une aide totale
et les autres une aide partielle. En Allemagne et en Angleterre, le
bénéficiaire d'une aide partielle doit, en contrepartie de
l'aide, fournir une contribution variable suivant le niveau de ressources et
échelonnée dans le temps. En France, il supporte la partie des
frais de justice excédant la part contributive de l'Etat,
elle-même variable suivant ses ressources.
Aux Etats-Unis, le juge en matière pénale, et les organisations
privées en matière civile, établissent si le
bénéficiaire de l'aide peut ou non supporter une partie des
frais.
3) Les prestations fournies sont similaires dans tous les pays, mais le choix et l'indemnisation des avocats diffèrent.
a) La
nature de l'aide
Dans les pays européens étudiés, l'aide couvre l'ensemble
des frais liés au procès. Elle ne couvre
généralement ni les dommages intérêts, ni les frais
supportés par la partie perdante.
Aux Etats-Unis, l'aide est extrêmement variable selon les Etats, les
juridictions et les organismes qui la dispensent.
c) Le choix de l'avocat
En Angleterre et en France, le choix de l'auxiliaire de justice est libre.
En Allemagne, le choix est possible pour toutes les affaires, à
l'exception des procédures pénales, tandis que l'Italie a
adopté un système inverse où l'avocat est
désigné d'office dans la majorité des litiges du domaine
civil.
La situation est plus complexe aux Etats-Unis où deux systèmes
sont employés en matière pénale, l'un prévoyant la
commission d'office, l'autre la possibilité de choisir son
défenseur au sein des agences de défense publique. En
matière civile, l'avocat est désigné par l'organisme
chargé de l'attribution de l'aide.
c) L'indemnisation de l'avocat
La rémunération des auxiliaires de justice est effectuée
par les services d'aide légale grâce à une dotation de
l'Etat, sur la base de barèmes nationaux en Allemagne, en Angleterre et
en France.
Il en va de même en Italie dans le domaine pénal, mais en
matière civile, l'aide juridictionnelle reste un office honorifique pour
lequel l'avocat doit prêter gracieusement son concours.
Aux Etats-Unis, les avocats sont soit salariés lorsqu'ils appartiennent
à des agences de défense publique pénale ou à des
organisations d'aide judiciaire civile, soit rétribués
directement par les barreaux sur une base horaire lorsqu'ils sont
désignés d'office.
II - L'AIDE A L'ACCES AU DROIT
1) En Italie et aux Etats-Unis, aucun texte n'organise l'aide à l'accès au droit.
L'absence d'aide à l'accès au droit en Italie suscite
depuis longtemps de vives critiques. Elles s'appuient notamment sur le fait
que, sans conseil, la personne indigente peut difficilement démontrer
"
la probabilité d'un résultat favorable de
l'affaire
", condition essentielle d'attribution de l'aide
juridictionnelle. En effet, le décret de 1923, toujours en vigueur pour
la majorité des affaires civiles, exige que la demande du
requérant comprenne un exposé "
clair et précis
des faits, des motifs et des moyens légitimes de preuves sur lesquels il
entend fonder sa demande
".
Aux Etats-Unis, des initiatives privées ont cherché à
compenser cette lacune par la création d'organisations dispensant des
services de consultation juridique.
2) En Allemagne et en Angleterre, des procédures simplifiées et des structures légères permettent un accès aisé à la consultation juridique.
En
Allemagne, depuis l'adoption à la fin de l'année 1994, d'une loi
modifiant l'aide à la consultation, cette dernière peut concerner
tous les domaines du droit. Il en est de même en Angleterre, où
seules sont exclues de ce type d'aide les transactions immobilières et
la rédaction testamentaire.
Dans ces deux pays, les bénéficiaires de l'aide à
l'accès au droit doivent remplir les mêmes conditions que ceux de
l'aide juridictionnelle et c'est l'avocat assurant la consultation qui
apprécie le niveau de ressources du demandeur.
L'aide peut consister en une simple consultation ou en une assistance pratique.
En Allemagne, elle peut même prendre la forme d'une représentation
extra-judiciaire. Toutefois, elle ne peut pas couvrir les prestations fournies
dans le cadre d'une procédure contentieuse.
Dans le cadre de l'aide à l'accès au droit, les prestations du
solicitor
sont fournies gratuitement, dans la limite de 2 ou 3 heures
selon le sujet en Angleterre. En Allemagne, cette aide peut être
dispensée par un avocat ou par le personnel du tribunal. C'est seulement
dans cette seconde hypothèse que l'aide est totalement gratuite.
Dans les deux pays, si l'on recourt à un avocat, celui-ci est librement
choisi. En Allemagne, il ne peut, sauf motif grave, refuser de prêter son
concours.
3) Le législateur français a souhaité que la mise en oeuvre de l'aide à l'accès au droit s'effectue dans un cadre institutionnel.
Dans
cette perspective, il a été prévu de créer dans
chaque département un conseil départemental de l'aide juridique
(C.D.A.J.) chargé de déterminer les conditions dans lesquelles
l'aide à l'accès au droit s'exercerait.
Dans l'état actuel des choses, et compte tenu du fait que tous les
C.D.A.J. ne sont pas encore institués, on constate de grandes
disparités, tant au niveau des modalités d'attribution de l'aide
que de ses caractéristiques mêmes.
Il ressort du premier rapport du C.N.A.J. que de nombreux départements
ont mis en place des services d'accueil et des consultations juridiques
gratuites. Rares sont cependant les services qui requièrent des
conditions de ressources pour attribuer l'aide à l'accès au droit.
Pour le choix et l'indemnisation des avocats, on constate également des
variations entre les différents départements, l'intervention des
avocats pouvant dans certains cas ne faire l'objet d'aucune
rémunération.
Afin de remédier à de telles situations, le C.N.A.J. souhaite que
soient mis en place des systèmes de bons de consultations permettant le
libre choix de l'avocat.
La nouvelle législation en matière d'aide juridique a permis
à la France de se rapprocher de pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre
pour ce qui concerne l'aide juridictionnelle. En revanche, il est un peu
tôt pour analyser les répercussions de notre nouveau
système d'aide à l'accès au droit, dont la mise en place
n'est pas achevée du fait, notamment, de la lourdeur du processus de
constitution des conseils départementaux et de l'organisation qu'il
prévoit.
Dans les deux autres pays étudiés, les prestations de l'aide
juridique sont nettement moins importantes. L'Italie, malgré une
réforme récente, ne pourra combler son retard sans adopter une
législation générale sur l'aide juridictionnelle et
instaurer une aide à l'accès au droit. Quant au système
mis en place aux Etats-Unis, il semble qu'il soit très contesté,
tant en matière de défense pénale, délaissée
des avocats, que dans le domaine civil où le manque de crédits ne
permet pas de faire face à la demande.