B. CONCEPTION DE LA CULTURE
Autrefois, existaient deux formes de culture
nettement
distinctes : une culture savante réservée aux lettrés qui
pourrait être assimilée au
" cultivé
" et
une culture populaire qui s'apparente au
" culturel "
. La
première concernait essentiellement les domaines littéraire et
artistique, avec une vision du monde élitiste ; la seconde prenait sa
source dans les expressions de la vie quotidienne, avec ses désirs et
ses rêves... Les chapitres précédents ont largement
évoqué la forte influence culturelle chinoise à l'origine
de cette différence.
Aujourd'hui encore, la conception de la culture n'a guère
évolué, elle est toujours considérée comme une
" occupation savante et luxueuse "
, comme le montre
une
enquête réalisée par le Centre de Statistiques Korea
Research, en décembre 1992. Sa définition même,
d'après cette enquête, est automatiquement liée à
une culture élitiste ; la plupart des manifestations culturelles reste
inaccessible au grand public, du fait de leur contenu
" trop
recherché et singulier "
et du prix des places
" trop
élevé "
, sans oublier les problèmes dus à
l'absence de programmation et d'espaces, notamment dans les petites villes.
Par conséquent, la population se tourne vers des loisirs faciles
à consommer : le cinéma, avec une préférence
pour les productions étrangères, la vidéo et la
télévision. Cette dernière a acquis une telle influence
qu'elle est devenue
" la référence de la culture
populaire ".
Un sondage effectué par un quotidien de
Séoul (Donga Ilbo), en août 1993, confirme son impact : pour une
majorité de Coréens (59 %), la télévision
constitue la source essentielle d'informations et de loisirs, suivie des
journaux (28 %), de la radio (8 %) et des revues (5 %). Pour plus des trois
quarts des jeunes (79 %), la télévision représente
l'essentiel de leurs sources culturelles
34
.
Trois chaînes publiques et deux chaînes privées diffusent
divers programmes globalement bien appréciés de l'ensemble de la
population. Les téléspectateurs aiment, par exemple, regarder les
séries, créées à partir d'oeuvres
littéraires ou d'histoires de la vie courante et ces séries
donnent lieu à une forte concurrence entre les chaînes.
Avec la généralisation de la télévision, on
assiste, comme en Occident, à un développement d'une
" culture d'appartement "
35
où
l'écoute de la musique à domicile et celle de la
télévision prennent de plus en plus d'importance. La mutation
technologique dans les secteurs du son et de l'image (baladeur, CDI, disque
laser, ...) ainsi que les transformations de l'offre audiovisuelle
(câbles, vidéo) ont favorisé la progression de
l'équipement des ménages dans ce domaine et sont à
l'origine du développement spectaculaire de cette tendance. Les radios
FM
36
avaient déjà contribué à la
généralisation de l'écoute musicale : leurs
émissions variées sont toujours très suivies, aussi bien
à domicile que dans les lieux publics.
On assiste parallèlement à une diminution de la lecture, surtout
dans la population active. Le livre constituait autrefois le principal vecteur
de diffusion culturelle. Selon l'enquête citée plus haut, les
jeunes se rendent chez les libraires trois à quatre fois par mois et
leurs aînés se contentent d'une visite mensuelle ou bimensuelle.
Au total, on peut interpréter ce changement de pratique culturelle
comme un déplacement du pôle d'activité constitué
par le livre vers le pôle audiovisuel. A l'origine de ces changements
surtout pour la culture quotidienne et comportementale, on trouve, bien
sûr, le rôle majeur des influences occidentales, essentiellement
américaine.
Malheureusement, l'introduction de ces dernières s'est faite de
manière confuse et brutale, en particulier lors de la dernière
guerre de Corée. Les habitants de la péninsule se sont
laissés emporter par cette puissante vague, sans avoir eu le temps de
comprendre ni de s'adapter à ces nouveautés.
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34
Les rapports ne sont pas encore bien tranchés entre
loisirs et culture.
35
La Politique Culturelle, rapport présenté à
l'Assemblée Nationale en décembre 1994.
36
Les radios FM sont exclusivement consacrées à la
musique de tout genre et les radios AM gardent leurs programmations d'origine :
des informations et des divertissements, entrecoupés de cinq à
six heures de musique par jour.
Dans les années cinquante, la culture américaine était
directement liée aux nécessités économiques,
puisque les Américains fournissaient les nourritures de survie et tous
les matériels, tandis que la culture française apparaissait
beaucoup plus raffinée, grâce à l'art, la musique et les
produits de luxe. Pendant cette période, les cultures occidentales leur
semblaient supérieures, au point d'ignorer, voire de mépriser
leurs propres références.
L'influence américaine prenait ainsi le relais des dominations
culturelles chinoise, puis japonaise. Ces expériences malheureuses ont
convaincu les Coréens que seules des sources culturelles diverses et
harmonieuses pouvaient leur être bénéfiques, car au fond,
la culture doit s'appuyer à la fois sur la conscience identitaire et sur
l'ouverture au monde.
La rencontre avec les cultures étrangères a permis finalement
aux Coréens de s'intéresser davantage à leur propre
culture, comme si la présence d'autrui avait réveillé la
conscience de soi. Cette prise de conscience relativement récente les a
entraînés à se rapprocher de leurs traditions et de leur
patrimoine. Un certain nombre d'artistes tente même une synthèse
des expressions artistiques occidentales et orientales, en vue d'une
revalorisation et d'une familiarisation avec les sources culturelles
traditionnelles, et ce travail est fort apprécié du public.
Les mouvements de protection de l'art traditionnel, fondés dès
1930, ont tourné la page : la peur s'est transformée en
désir de s'enrichir à travers les autres cultures.
Par ailleurs, les jeunes sont beaucoup plus autonomes vis-à-vis des
cultures étrangères que leurs aînés : ils ne
s'intéressent plus uniquement à la culture américaine,
mais ils essaient de sélectionner et de s'adapter aux nouveautés
extérieures. Le sentiment d'infériorité envers les
puissances étrangères s'est estompé. C'est plutôt la
curiosité et l'esprit aventurier qui incitent les Coréens
d'aujourd'hui à aller découvrir par eux-mêmes d'autres
horizons.
Le français a la chance de correspondre à cet état
d'esprit, car il a toujours incarné un idéal de culture savante
face à la culture américaine de masse.