III. ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ, LE BENGALE OCCIDENTAL À LA CROISÉE DES CHEMINS
Au cours de sa visite à Calcutta, la délégation a été reçue très chaleureusement par l'ensemble des autorités de la ville et de l'Etat du Bengale Occidental, qu'il s'agisse du Gouverneur de l'Etat, du Ministre en chef, du Parlement local ou du maire de la ville.
En particulier, le dialogue avec le Gouverneur du Bengale Occidental revêtait une dimension particulière du fait qu'il s'agissait du petit-fils du Mahatma Gandhi, dont la ressemblance avec son aïeul est frappante. La délégation a été particulièrement marquée par le dialogue avec cette personnalité qui n'hésita pas à demander un temps de réflexion pour répondre à la question d'un sénateur, attitude rare chez un responsable de ce niveau...
Si ces entretiens ont permis d'évoquer le développement et les difficultés de la ville de Calcutta, qui doit encore résoudre d'importants défis, en ce qui concerne notamment les infrastructures de transport, l'alimentation en eau potable et l'évacuation des eaux usées, ils ont surtout porté sur la crise politique traversée par le Bengale Occidental.
La visite de la délégation est en effet intervenue dans un contexte particulièrement tendu, lié à la question de l'éventuelle implantation d'une usine du constructeur automobile Tata sur des terrains agricoles du Bengale Occidental.
En 2006, le gouvernement du Bengale Occidental a décidé d'accueillir à Singur, à 40 km de Calcutta, le site de production de la Nano, la voiture la moins chère du monde conçue par le groupe Tata.
La construction de l'usine impliquait la libération de quelque 400 hectares de terres particulièrement fertiles cultivées depuis des générations par des paysans pauvres de la région. Le gouvernement de l'Etat du Bengale a proposé à ces paysans de racheter leurs terres en leur garantissant un emploi dans la future usine. Si la majorité d'entre eux ont accepté, 3 000 environ ont refusé cet accord.
Le gouvernement a donc engagé des procédures d'expropriation sur le fondement d'une législation datant de l'époque de la colonisation britannique, ce qui n'a sans doute pas contribué à la bonne compréhension de cette décision.
Cette situation a provoqué un mouvement d'opposition très fort de la part des paysans de Singur, soutenus par certaines forces politiques de l'Etat. Progressivement, ce conflit a pris de l'ampleur au point qu'au début du mois de septembre 2008, les travaux de construction de l'usine ont été interrompus.
Naturellement, la situation à Singur a été évoquée lors de la plupart des entretiens qu'a eus la délégation avec les autorités du Bengale Occidental, qu'il s'agisse du gouverneur de l'Etat du Bengale Occidental, M. Gopalkrishna GANDHI, petit-fils du mahatma Gandhi, du Ministre en chef du Bengale Occidental, M. Buddhadeb BHATTACHARJEE, ou des membres de l'Assemblée législative du Bengale Occidental.
La situation de Singur illustre en effet une question beaucoup plus générale qui est celle du type de développement que doit mettre en oeuvre un pays comme l'Inde. Comme l'a expliqué le Ministre en chef du Gouvernement du Bengale Occidental à la délégation, le développement industriel est indispensable à un Etat comme celui du Bengale et implique de limiter la part de l'espace consacrée à l'agriculture. Il a mis en avant les nombreuses créations d'emploi que permettrait l'implantation du groupe Tata dans la région, bien plus importantes que le nombre des paysans conduits à renoncer à leurs terres.
De leur côté, les opposants à l'expropriation des terres mettaient en avant le sort d'agriculteurs délogés contre leur gré de leurs lopins de terres fertiles pour être conduits à travailler dans la future usine.
Le cas de Singur n'est pas isolé en Inde, et notamment au Bengale Occidental. A Nandigram également, des opérations d'expropriation ont conduit à de violents affrontements entre la police et la population. La mise en place depuis quelques années de zones économiques spéciales, destinées à favoriser l'implantation d'entreprises industrielles, a provoqué de nombreuses manifestations et résistances. Il est vraisemblable, compte tenu de l'importance que représente encore l'agriculture dans l'emploi total des Indiens, que ce type de tensions réapparaîtra en d'autres occasions. Comme l'écrivait en effet, dès 2007, le magazine indien Tehelka :
« Les événements au Bengale Occidental montrent qu'on ne peut pas assurer le développement économique de l'Inde au rouleau compresseur. Nous perdre dans des débats simplistes du type ``usines contre fermes'' et ``industrie contre agriculture'' ne servira à rien. Les projets économiques dans ce pays devront être plus intelligents que cela. Les habitants de Nandigram et de Singur posent une question fondamentale : le développement de l'Inde ne doit-il avoir qu'un seul visage ? N'aurons-nous pas l'imagination, le courage de comprendre que la richesse peut être de différentes natures ? » .
Quelques jours après son retour à Paris, le groupe d'amitié a appris que le groupe Tata avait renoncé à implanter son usine de fabrication de la Nano au Bengale Occidental pour l'installer à Sanand, dans l'Etat du Gujarat.
En avril-mai 2009, lors des élections générales à la Chambre du Peuple (Lokh Sabha), le Communist Party of India (Marxist), à la tête d'une coalition qui dirige l'Etat du Bengale Occidental depuis 1977, a subi une défaite historique. Alors qu'il détenait 26 des 42 sièges revenant au Bengale Occidental lors de la 14 ème législature, il n'en détient plus que 9 dans la nouvelle assemblée. Au contraire, le All India Trinamool Congress Party , qui s'est opposé avec force à l'expropriation des paysans, a remporté 19 sièges alors qu'il n'en détenait qu'un dans l'assemblée sortante.
Dans ces conditions, les élections locales prévues en 2011 pour renouveler l'Assemblée du Bengale Occidental et donc son Gouvernement, pourraient marquer la fin de la domination de la coalition dirigée par le Parti communiste, à la tête du Bengale depuis plus de trente ans. Rappelons que cette coalition s'est engagée en faveur de réformes économiques importantes, caractérisées notamment par une ouverture aux investissements étrangers et une volonté affirmée de développer le secteur de l'industrie et les infrastructures.
Les deux années à venir seront cruciales pour le Gouvernement de cet Etat, qui devra chercher la voie d'un développement industriel accepté par la population.