b.2) Une nouvelle alternative aux médias déjà connus.
Les médias de source peuvent être compris comme un nouveau type de média alternatif qui cherche à apporter au public une information parfois méprisée, minimisée ou déformée par la presse traditionnelle. O'SULIVAN 176 ( * ) classe les médias alternatifs comme des médias qui cherchent à impliquer les individus dans les processus de changements sociaux. Pour ce faire, ils innovent dans la forme et dans le contenu. Un point de vue partagé par TRABER, pour qui l'objectif des médias alternatifs is to change towards a more equitable social, cultural and economic whole in which the individual is not reduced to an object (of the media or the political powers) but is able to find fulfilment as a total human being 177 ( * ) .
Puisqu'ils se présentent en tant que diffuseurs de nouvelles informations, les médias de source doivent également être analysés sous l'angle de la spécialisation informative. MATHIEN estime que, d'une manière générale, le contenu rédactionnel diffusé par la presse traditionnelle n'est pas destiné à tous les lecteurs et que ceci justifierait déjà l'existence de supports spécialisés ou segmentés.
La sélection des messages en fonction de catégories sociales, culturelles, professionnelles, ou de groupes d'intérêts, que l'entreprise médiatique veut toucher, est une manifestation de la doctrine culturelle `pyramidale' (Moles) largement utilisée par la plupart des moyens de communication de masse n'ayant pas une visée essentiellement technique ou professionnelle. Elle vient pondérer la notion de masse dans son sens restreint de `massification', en privilégiant tel ou tel groupe d'individus sans négliger pour autant l'objectif de gagner la plus grande audience possible 178 ( * ) .
Le journalisme spécialisé, comme il est dénommé, est un thème qui suscite des polémiques autour de ses intentions. Le monde des affaires de l'information a provoqué l'apparition d'innombrables cahiers, suppléments, publications spécialisées et même de chaînes thématiques. Par exemple, aujourd'hui, au Brésil il est possible de suivre tout ce qui a trait à l'élevage de bétail via une chaîne par satellite qui consacre toutes ses journées à la retransmission d'expositions et de ventes aux enchères de bétail, de cotations de commodities agricoles et d'autres informations économiques importantes pour l'agronégoce. Néanmoins, ce qu'on appelle la spécialisation de la presse fait l'objet de suspicions de la part de certains chercheurs. DINES la qualifie de journalisme d'occasion et d'opportunité 179 ( * ) . Pour NEVEU, ces contenus seraient construits de façon déconnectée de l'actualité 180 ( * ) , ce serait un journalisme résultant des actions du laboratoire de la logique du marketing. Pour Akrich, le journalisme de haute couture, de bricolage, de cuisine, d'informatique, d'automobilisme, de tourisme, entre autres, est une reproduction sans aucun sens critique des discours et des concepts propagés par les entreprises liées à ces thèmes 181 ( * ) . Dans de nombreux cas, le travail du journaliste se limiterait à une re-rédaction des textes publicitaires et promotionnels. Dans ce cas, l'ancien concept selon lequel le journaliste est un engrenage de la démocratie devrait être substitué par le concept selon lequel il est un engrenage au service de la consommation.
Les critiques visent même le journalisme économique, présent dans la quasi totalité des journaux du monde. MARSHALL voit dans le journalisme économique une preuve claire des influences des classes hégémoniques sur la lecture des faits 182 ( * ) . DUVAL considère que la tendance d'une rubrique d'économie est de fonctionner en tant que support publicitaire du média. La production journalistique serait ainsi soumise aux intérêts externes, plus précisément au champ économique, formé par les actionnaires, les annonceurs, les gouvernements, dont beaucoup se transforment en sources journalistiques en passant par la porte du département commercial-publicitaire du support 183 ( * ) .
Néanmoins, l'apparition d'un moyen informatif spécialisé ne doit pas nécessairement être vue uniquement comme une stratégie pour faire monter les chiffres d'affaires. La nouvelle rubrique ou publication peut être au service de l'intérêt public. Au Brésil, par exemple, la crise économique, qui s'est installée à partir de la fin des années 1950 et s'est prolongée jusqu'à la fin des années 1990, a fait que les journaux ont mis en une les difficiles équations des finances nationales. La situation grave du pays, qui en est venu à connaître des taux d'inflation mensuels supérieurs à 80 %, a favorisé l'apparition d'espaces consacrés à la couverture économique, à l'épargne, aux modes de protection contre la dévalorisation de l'argent et aux conseils aux consommateurs. La presse cherchait à agir comme un traducteur, pour le citoyen commun, de ce qui était qualifié dans le jargon journalistique d'economês (économais - la langue technique des économistes). L'initiative était vue comme une façon de démocratiser le niveau de connaissances et de permettre que les moins cultes souffrent moins de la crise. La phase de réorganisation de notre vie économique et de développement qui l'a suivi ont apportés au niveau du lecteur moyen les sujets qui étaient circonscrits aux organes spécialisés - rappelle DINES 184 ( * ) .
Pendant cette période, divers produits médiatiques sont apparus, certains étant même proposés par le gouvernement, comme le Jornal da Feira, considéré comme l'une des actions pionnières d'utilisation des médias dans un contexte de politique de défense du consommateur. Il consistait en un radiojournal, produit par le Ministère de l'Agriculture et distribué gratuitement aux stations de tout le pays, pour orienter les citoyens sur ses droits et conseiller en particulier la femme au foyer sur les alternatives culinaires pour compenser la hausse constante des prix des aliments 185 ( * ) . Le Jornal da Feira, au lieu de se présenter comme une stratégie de gain commercial, remplissait une des missions prévues par MiÈGE pour la communication publique, à savoir, être un instrument visant à tenter de modifier le comportement du public et de l'impliquer dans de nouvelles tâches et attitudes 186 ( * ) .
La spécialisation proposée par les médias de source tend à remplir un vide informatif laissé par le mainstream media et ne vise pas nécessairement à occuper une niche mercantile, ne serait-ce parce que l'une des principales caractéristiques de ces médias en action au Brésil est l'absence de but lucratif. Dans de nombreux cas, il n'existe même pas d'espace publicitaire et, dans d'autres, la publicité n'est, pour des groupes d'intérêts économiquement fragiles, qu'une façon de financer leurs structures informatives. La plupart, lorsqu'ils ne prévoient pas dans les budgets de leurs entités les dépenses de ces médias, recherchent les fonds nécessaires auprès d'autres entités, certains mêmes à l'étranger. C'est par exemple le cas, rapporté dans la IIe Partie, de la Rádio Zona FM, une station sous la direction de l'Aprosba (Association des Prostituées de Bahia) et qui bénéficie de l'appui du Ministère de la Culture ; c'est aussi le cas du Jornal Fêmea , édité par l'organisation non gouvernementale Centro Feminista de Estudos et Assessoria - Cfêmea avec l'appui financier des fondations Ford et Mac Arthur et International Women's Health Coalition (IWHC).
La spécialisation à laquelle nous faisons référence a une double caractéristique. D'un côté, elle peut être thématique, traitant de thèmes spécifiques tels que l'environnement, les droits de l'homme, les questions juridiques, de genre, l'enfance et l'adolescence, etc. De l'autre, le média peut traiter de tous les thèmes de l'actualité, mais toujours selon une optique spécialisée. À savoir, l'économie, les thèmes sociaux, la politique internationale, autrement dit tout ce que la presse traditionnelle a l'habitude de divulguer. La différence est que le point de vue qui guide le travail éditorial est celui du groupe d'intérêt qui maintient le média de la source. Ainsi la politique d'intégration régionale de l'Amérique du Sud peut-elle être analysée par le magasine Revista Sem Terra du MST, par la Rádio Indústria de la Confédération Nationale des Industries, ou par la TV Senado. Le thème cible est le même, mais l'abordage et les points de vue sont différents.
La présence dans l'espace médiatique en tant que support spécialisé, outre le travail d'information réalisé directement auprès de l'opinion publique, permet d'intervenir simultanément en proposant de nouveaux thèmes et en fournissant des informations à la presse traditionnelle. Cette perception se construit à partir de la capacité à stimuler et à agréger des opinions considérées comme marginales, à intervenir en tant qu'out-spoken, en exprimant avec une liberté éditoriale sa propre opinion 187 ( * ) . Il n'est pas rare, comme nous le démontrerons dans les IIe et IIIe parties, que ces supports fassent même office de sources officielles, bien que leur objectif ne soit pas d'endosser la personnalité de porte-parole. Dans d'autres cas, le MS pourra être vu comme un instrument de transmission d'une contre-information ou d'une contre-culture dans la recherche de changements de valeurs sociales.
L'auteur anglais ATTON divise les supports alternatifs en deux groupes : l'advocacy media, qui intervient pour défendre des causes sociales, et les grassroots media, qui provoqueraient une révolution plus grande en ce qui concerne l'introduction de nouvelles news values188 ( * ).
The alternative advocacy media adopt very different news values from de mass media, introducing alternative social actor. [...] It is the grassroots media, that offer the most thorough version of alternative news values. They are produced by the same people whose concerns they represent, from a position of engagement and direct participation. This need not preclude the involvement of professionals, but they will be firmly in the role of advisers, their presence intended to enable `ordinary people' to produce their own work, independent of professional journalists and editors 189 ( * ) .
À notre avis, dans le cas des média de source, un troisième et un quatrième groupe devraient être ajoutés : le lobbying/relation publique média et l'accountability media. Les actions conventionnelles de lobbying/relation publique visent un profit privé. Différemment, les actions d'advocacy ont comme but des profits collectifs et/ou sociaux. Selon le Fond des Nations Unies pour la population, pratiquer l'advocacy signifie travailler pour la sensibilisation des dirigeants publics et de la société civile à l'importance de sujets d'intérêt social 190 ( * ) . L'accountability media, réunirait les supports qui défendent la transparence des faits publics. L'ère de la transparence implique de nouvelles attitudes informatives et de nouveaux comportements communicationnels qui donnent le ton de l'action des citoyens à l'intérieur de l'espace public 191 ( * ) .
Les caractéristiques d'advocacy media et d'accountability media peuvent nous inciter à inclure ces médias dans la classe de civic journalism. Cette modalité informative est définie par la fondation Pew Center for Civic Journalism comme un type de journalisme dans lequel le professionnel a une obligation envers la vie publique, et où son activité va au delà du simple rapport des nouvelles ou de la découverte des faits 192 ( * ) . Il est aussi possible de penser à ce qu'il a été convenu d'appeler le public journalism. TEIJEIRO 193 ( * ) a recherché chez LAMBETH 194 ( * ) les caractéristiques fondamentales du journalisme public ; nous en citerons deux que nous jugeons être très proches de la proposition des média de source:
a) la capacité à choisir les perspectives qui offrent la meilleure chance de stimuler la prise de décision citoyenne et la compréhension des thèmes par le public ;
b) prendre l'initiative d'informer sur les principaux problèmes publics, de façon à élargir les connaissances du public sur les solutions possibles et sur les valeurs engagées dans des actions alternatives.
Selon SILVA, le public journalism a trouvé au Brésil un dénominateur commun qui est la promotion de la citoyenneté et, avec elle, la promotion du développement social et du développement humain. Le principal élément qui sépare cette modalité du journalisme traditionnel serait dans les critères de notiziabilità appliqués. Dans le premier cas, le différentiel qui prévaudrait serait lié à la citoyenneté et à la prestation de services et de conseils au citoyen. Tandis que le journalisme, d'une manière générale, se nourrit de faits chargés de valeur-nouvelle (news values), on attend du journalisme public davantage que la simple mission d'informer. Il reviendrait au journalisme public de mettre l'accent sur les solutions des problèmes et non sur les problèmes en eux-mêmes 195 ( * ) .
Toutefois, aux États-Unis - où le civic journalism et le public journalism sont présents avec vitalité - les deux modalités éditoriales ne présentent pas nécessairement de liens étroits avec les mouvements sociaux et les organisations, comme c'est le cas des médias de source. Au Brésil, note SILVA, l'existence d'organisations non gouvernementales travaillant intensément en faveur de la diffusion de faits sociaux est évidente, le succès de projets destinés à opérer des changements dans la qualité de vie de segments sociaux, particulièrement en ce qui concerne les populations les plus vulnérables (à risque), comme c'est le cas de l'enfant et de l'adolescent 196 ( * ) .
La caractéristique de se présenter comme un acteur proposant de nouveaux thèmes met en évidence une autre facette particulière des médias de source : leur façon d'opérer selon une logique d'open copyright. Autrement dit, ils ne font pas payer leurs contenus et/ou informations, et ne posent pas non plus de questions sur leur réutilisation, y compris par le mainstream media. Ils n'exigent même pas de sollicitation préalable d'autorisation. Ils leur importent, cependant, d'être identifiés en tant que sources auteurs du matériel informatif réutilisé. Ce procédé - qui n'est pas toujours respecté par la presse - contribue à les faire connaître dans le monde du journalisme traditionnel et à leur donner une sorte d'attestation de crédibilité en tant que fournisseurs d'informations.
* 176 O'SULIVAN, Tim, 1994, p. 205.
* 177 TRABER, 1985, p. 3.
* 178 MATHIEN, Michel, 1992, p. 184.
* 179 DINES, Alberto, 1974, p. 78
* 180 NEVEU, 2001, p. 27.
* 181 AKRICH, Madeleine, 1992 p. 24-32.
* 182 MARSHALL, Leandro, 2003, p. 52.
* 183 DUVAL, Julien, 2000, p. 57.
* 184 A fase de reorganização de nossa vida econômica e de desenvolvimento que a ele se seguiu, trouxeram ao nível do leitor médio os assuntos que circunscreviam aos órgãos especializados. DINES, Alberto, 1974, p. 64.
* 185 Le Jornal da Feira a été produit entre 1983 et 1985. La rédaction centrale était à Brasilia, mais il comptait des unités régionales dans divers États du pays. Il disposait de professionnels des domaines de l'économie, de la nutrition et du journalisme pour la production de contenus visant à conseiller les consommateurs sur leurs droits et à répondre à leurs réclamations. Les auditeurs disposaient d'enquêtes de prix pour savoir où acheter moins cher, ainsi que de conseils de recettes et d'emploi d'aliments alternatifs et meilleur marché. (LUZ, Livia Santos da, 2002, p. 51).
* 186 MIÈGE, Bernard, 1989.
* 187 MATHES, Rainer et PFETSCH, Barbara, 1991, p.53.
* 188 ATTON, Chris, 1999, p. 51.
* 189 Idem, 2002, p. 16.
* 190 SANT'ANNA, Francisco, MOURA, Dione, SILVA, Luiz Martins da, ADGHIRNI, Zélia L. 2006-D, p. 108.
* 191 GOUPIL, Sylvie, 2004.
* 192 Cf. www.pewcenter.org .
* 193 TEIJEIRO, Carlos Álvarez, 1999, p. 122.
* 194 LAMBETH, Edmund B., 1998, p. 17.
* 195 SILVA, Luiz Martins da, 2004, p. 4.
* 196 o sucesso de projetos destinados a operar mudanças na qualidade de vida de segmentos sociais, especialmente no que diz respeito às populações mais vulneráveis (em risco), como é o caso da criança e do adolescente. Idem, p. 7.