E. LE POIDS SECTORIEL DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL ET LE MODÈLE DES ENTREPRISES JOURNALISTIQUES

En comparant les poids proportionnels de chaque segment médiatique dans l'offre globale d'emplois pour les journalistes, on s'aperçoit qu'à chaque phase de réduction des professionnels dans la presse écrite (journaux, magazines et agences), correspond une phase de hausse dans le secteur hors rédaction. Au cours des dix-neuf années étudiées, les médias audiovisuels sont restés à peu près stables (voir graphique 2.1).

Des données segmentées, détaillant séparément les comportements de l'offre de travail dans la radio et la télévision, ne sont disponibles qu'à partir de 1994. Depuis cette date, en termes proportionnels, la radio a présenté un mouvement inverse de celui du secteur hors rédaction, perdant de l'espace à mesure que se produisait l'avancée des structures informatives externes aux rédactions. Entre 2002 et 2003, par exemple, la présence de la radio a chuté de 6,06 % à 4,61 %, alors que le secteur extra-rédaction a progressé de 42,87 % à 60,46 % au cours de la même période. Selon cette méthode de lecture, on pourrait affirmer que la presse écrite et la presse radiophonique sont celles qui utilisent le plus des informations pré-produites par les sources. La raison en est peut-être le format technologique lui-même, puisqu'il est plus facile et meilleur marché pour les sources de produire et de diffuser des textes, des photographies et des enregistrements audio, que des images vidéos destinées aux chaînes de télévision.

GRAPHIQUE 2.1

EVOLUTION DU POIDS SECTORIEL DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL DES JOURNALISTES - BRÉSIL 1986 - 2004

Source : Elaboration personnelle à partir de la RAIS - Ministère du Travail, Sec. des Politiques de l'Emploi et des Salaires - Spes

L'ensemble des données présentées précédemment démontre l'existence d'un modèle d'entreprise journalistique au Brésil qui utilise intensément les contenus produits en externe pour la construction des produits médiatiques qu'elle diffuse (journal radiophonique, journal télévisé, journal et magazine). Ceci rend la présence du journaliste partiellement inutile, ou au moins réduite, au sein des rédactions traditionnelles, mais éminemment nécessaire en dehors de ces dernières, auprès de source. La source, dont le segment thématique n'est pas privilégié par la couverture de routine, se doit, si elle désire obtenir un minimum de visibilité publique, de faciliter et même d'organiser l'accès aux informations. Cette action doit être réalisée auprès des journalistes en tant que professionnel et auprès de la presse traditionnelle, en tant que structure médiatique.

GRAPHIQUE 2.2

EVOLUTION DES POSTES VACANTS POUR LES JOURNALISTES DANS LES SECTEURS RADIO, TV ET HORS RÉDACTION - BRÉSIL 1994 - 2004

Source : Elaboration personnelle à partir de la RAIS - Ministère du Travail, Sec. des Politiques de l'Emploi et des Salaires - SPES

En comparant les divers segments, nous constatons, sur la base des données de 2003 et de 2004, que pour 4 journalistes travaillant dans les rédactions, 6 exercent leur activité auprès de source. Du côté presse, un peu plus de douze mille personnes travaillent dans les rédactions ; hors rédactions, presque 19 000 (voir tableau 2.4 et graphique 2.3). Cette constatation ne prend en compte que le secteur privé. Bien que l'utilisation des structures de communication par les pouvoirs publics soit notoire, il n'existe pas de statistiques du secteur public, mais seulement une estimation syndicale, selon laquelle les pouvoirs publics emploient au Brésil au moins 20 000 journalistes. Ce qui mènerait à un volume de près de 40 000 personnes intervenant dans la production de bulletins d'informations et de contenus pour la presse traditionnelle, mais aussi dans la diffusion directe d'informations auprès de l'opinion publique à travers les médias de source. Selon le même principe d'analyse, en 2004, les journalistes hors rédaction, exerçant dans les secteurs public et privé, représenteraient ensembçe environ 39 000 professionnels, avec une proportion de huit journalistes hors des rédactions pour deux journalistes dans les médias traditionnels.

L'action de ces professionnels, en tant qu'acteurs externes à la presse traditionnelle, représente un élément important dans la construction de l'information, dans le newsmaking, et même dans le processus d'agenda-setting, d'agendamento. Ces statistiques sont significatives si l'on considère que l'accroissement du flux d'informations en direction des rédactions peut entraîner une perte de l'indépendance et une chute de la qualité du travail journalistique, et la conversion de certains secteurs des entreprises journalistiques, ou même de rédactions entières, en authentiques départements de sélection et de triage de nouvelles prêtes à la diffusion 802 ( * ) .

GRAPHIQUE 2.3

LE PROFIL DU MARCHÉ DU TRAVAIL DES JOURNALISTES EN % BRÉSIL - 2004 - INITIATIVE PRIVÉE

Source: Elaboration personnelle à partir de la RAIS 2004 - MINISTÈRE DU TRAVAIL - Sec. des Politiques de l'Emploi et des Salaires - SPES

Les données du Ministère du Travail relatives à 2002 nous montrent que cette année-là, qui ne fut positive sur le plan économique ni pour le pays, ni pour la presse, les journalistes exerçant dans le secteur hors rédaction ont joui d'une stabilité d'emploi plus forte que leurs collègues des rédactions. La crise économique a provoqué, entre 2001 et 2002, une réduction de 18 % du volume de postes de travail dans la presse écrite. La radio et la télé ont présenté une croissance limitée, de 1,88 %. Hors des rédactions, cependant, les recrutements du secteur ont augmenté de 16 %. Il est donc perceptible que malgré la crise économique, les sources au Brésil ont de plus en plus fait appel à des stratégies visant à créer les conditions idéales pour influencer la construction de l'information, le newsmaking.

GRAPHIQUE 2.4

L'ÉVOLUTION DU MARCHÉ DU TRAVAIL DES JOURNALISTES - BRÉSIL 1986 - 2004

Source : Elaboration personnelle à partir de la RAIS - MINISTÈRE DU TRAVAIL, Sec. des Politiques de l'Emploi et des Salaires - SPES

Ce phénomène national s'appuie sur le processus de professionnalisation de source, qui vise à développer, selon les termes de SCHLESINGER 803 ( * ) , une coopération intéressante pour renforcer les relations avec la presse et ses professionnels. Ces relations représentent des outils leur permettant de doter leurs informations et leurs actions d'une plus grande visibilité. Par ce processus, diverses structures professionnelles sont ainsi constituées dans ou en dehors de source, afin d'intervenir en tant que véritables usines de pré-production et de pré-élaboration de contenus visant à influencer l'agenda médiatique 804 ( * ) .

* 802 WOLF, Mauro, 2003, p. 119.

* 803 SCHLESINGER, Philip, 1992 p. 75-99.

* 804 SCHLESINGER, Philip et TUMBER, Howard, 1995, p. 182.

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