II. UNE EXPÉRIENCE DE COEXISTENCE DES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES À PRÉSERVER
A. UNE MOSAÏQUE DE CONFESSIONS
La Syrie fait partie des pays à majorité musulmane comportant des minorités religieuses importantes, en particulier chrétiennes. Faute de recensements fiables, les proportions exactes de chaque communauté restent incertaines. Cependant, le tableau ci-après présente une hypothèse fréquemment retenue par les observateurs.
Principales confessions en Syrie
Ces chiffres sont bien sûr des ordres de grandeur. Ce qu'il faut en retenir, c'est la présence d'une société syrienne certes majoritairement musulmane, mais religieusement composite avec trois piliers principaux : le sunnisme, très présent dans les classes commerçantes, les Alaouites, très bien représentés au sein du pouvoir et des différentes forces de sécurité, les Chrétiens très bien intégrés.
Par ailleurs, contrairement à une idée largement répandue, les Chrétiens sont plus nombreux en Syrie qu'au Liban. Du reste, les communautés chrétiennes en Syrie sont parmi les plus importantes des pays arabes. Si l'on met à part le cas très particulier des États du Golfe, qui accueillent de fortes communautés catholiques et protestantes mais composées de travailleurs étrangers, la Syrie compte, dans l'absolu, le plus grand nombre de Chrétiens, hors l'Égypte, des pays arabes.
B. LES MINORITÉS CONFESSIONNELLES EN SYRIE
Les rapports entre l'Islam et les autres confessions, constituent partout dans le monde l'une des difficultés d'aujourd'hui. Depuis quelques années, les tensions s'accroissent au point que certains chercheurs éminents ont évoqué un « choc des civilisations ».
La guerre du Golfe, puis la guerre en Irak ont cristallisé bien des ressentiments en même temps qu'elles servaient de commodes prétextes pour certains à l'utilisation de la religion à des fins de domination.
Il était intéressant de faire le point sur la situation de la Syrie en la matière. Pays de très ancienne tradition chrétienne, souvenons-nous de la conversion de Saint-Paul sur le chemin de Damas, la Syrie met en valeur ce patrimoine historique et culturel et s'enorgueillit d'être un véritable « carrefour des civilisations ».
L'islamisation de la société est cependant patente si l'on se réfère, par exemple, à l'évolution du port du voile beaucoup plus fréquent aujourd'hui qu'il y a dix ans. Au fil de ses missions sur place, votre rapporteur a pu constater de visu cette évolution.
Les responsables de trois des grandes communautés religieuses du pays, le grand mufti de la République arabe de Syrie, qui représente le sunnisme, le patriarche grec-catholique et le patriarche grec-orthodoxe ont tous fait valoir l'existence d'un dialogue entre les communautés et leurs pasteurs et des relations plutôt harmonieuses entre citoyens syriens.
Certes, de la part des patriarches chrétiens, le ton était sensiblement plus inquiet qu'en 2002, lors d'une précédente visite. Ils notent, en particulier, une volonté croissante des jeunes chrétiens de quitter le pays pour trouver une meilleure situation. Le chaos irakien qui a de terribles conséquences pour les Chrétiens d'Irak suscite aussi, bien évidemment, une sourde inquiétude chez leurs frères de Syrie. Toutefois, les deux patriarches ont souligné la bonne volonté du gouvernement syrien et ses efforts importants pour préserver l'harmonie entre les confessions.
C. UN ÉTAT ENGAGÉ DANS LA COEXISTENCE ENTRE LES COMMUNAUTÉS
L'État syrien s'est construit sur une idéologie nationaliste arabe bannissant les discriminations religieuses. Dominé par la minorité alaouite depuis 1963, le régime syrien a eu à coeur d'éviter une domination par la communauté sunnite et, sans brimer celle-ci, a su donner des gages aux autres minorités très représentées dans l'élite intellectuelle et économique.
A défaut d'être laïc, ce qui n'a guère de sens dans la région, l'État syrien a opté pour la séparation d'avec les religions. Aussi, la Syrie ne connaît-elle pas de religion d'État, même si la Constitution impose au président d'être musulman et reconnaît la doctrine islamique comme « une source principale de la législation ».
Dans la pratique, l'État s'est efforcé, d'une part, de contenir l'expression politique de l'islamisme dans un cadre strict et, d'autre part, de laisser une grande liberté d'organisation aux communautés chrétiennes.
Sur le premier point, on peut, par exemple, relever que sont interdits les mouvements et groupes suspectés d'islamisme. Ainsi est-ce le cas pour les Frères musulmans, dont une loi de 1980 punit de mort les membres. Le gouvernement décourage fermement les activités de prosélytisme trop marquées. Il contrôle les prêches des mosquées. Les militaires sont astreints à un devoir de réserve particulier, illustré notamment par l'interdiction de toute expression de la foi en service.
Sur le second point, il y a lieu de noter que les membres des différentes communautés relèvent, pour les questions de droit civil, des règles de leurs communautés. Le « statut personnel » permet ainsi aux chrétiens de ne pas relever de la Charia, avec toutefois d'importantes exceptions : l'adoption, la garde des enfants et l'héritage obéissent, en principe, au droit musulman. D'autre part, dès lors que survient un problème de relation avec l'islam, c'est ce dernier qui l'emporte.
En 1967, les écoles confessionnelles ont été étatisées. Toutefois, dans la pratique, et sous une stricte surveillance, le gouvernement a laissé la direction de certaines écoles aux communautés religieuses. Depuis les années 2000, l'enseignement privé, et en particulier sous la responsabilité des communautés chrétiennes, s'est à nouveau plus librement développé (à l'image de l'Institution Amal créée à Alep par l'archevêque grec catholique).
Les patriarches chrétiens rencontrés lors de la mission ont souligné l'attitude exemplaire des autorités de l'État, notamment dans l'attribution de terrains pour la construction de lieux de culte, tout en faisant part de leur inquiétude face aux menaces extérieures, notamment irakiennes, et face à l'islamisation croissante de certains groupes sociaux.
D. VERS UNE ÉVOLUTION DU RÔLE DE L'ÉTAT ?
Si l'État syrien est engagé dans le combat pour la coexistence des communautés confessionnelles, de nombreux observateurs ont pu s'inquiéter de certaines évolutions récentes.
Ainsi le gouvernement laisse-t-il davantage de place aux discours et messages à base religieuse dans l'espace public, y compris sous la forme de panneaux ou de bannières. En février 2006, les autorités ont laissé des groupes manifester contre la publication des caricatures de Mahomet. Ces manifestations ont d'ailleurs dégénéré puisque les ambassades danoise, suédoise, chilienne et norvégienne ont été attaquées. En mai, le quotidien officiel Al Thawra ( La révolution ) s'est doté d'une rubrique religieuse, rompant avec le tabou laïciste. Par ailleurs, la radio syrienne diffuse davantage de prières (notamment celles du matin). Plus profondément, le président Bachar Al-Assad a autorisé la création d'une faculté de droit islamique au sein de l'université d'Alep. De la même façon, le gouvernement a autorisé l'installation de deux banques islamiques privées dans le pays.
Tout se passe comme si, confronté à une pression extérieure, notamment de la part des États-Unis, et intérieure, avec la montée de l'islamisation, le gouvernement tentait de donner des gages au sunnisme, très majoritaire dans le pays, de façon à accroître son assise politique.
Il va de soi que le modèle syrien en matière de coexistence des communautés religieuses est d'un grand intérêt pour le monde arabe et pour l'islam lui-même. L'Occident doit en prendre conscience et se garder, par des prises de position hasardeuses dans un contexte régional évidemment très tendu, de le remettre en cause.
* 2 Estimation
* 3 Douze confessions