2. Le centre de ressources audiovisuelles Bophana
Au début des années 90, le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh, en réalisant ses premiers documentaires au Cambodge, prend conscience de l'état critique du patrimoine audiovisuel du pays, ruiné après des décennies de guerre civile et de génocide. Il s'associe alors au cinéaste Ieu Pannakar, responsable de la Direction du Cinéma au sein du Ministère de la Culture et des Beaux Arts du Cambodge pour mettre en place un centre dédié au patrimoine audiovisuel du Cambodge, qui serait à la fois un lieu de mémoire et de création.
La France, par sa coopération bilatérale, ses appuis techniques et financiers, l'accès aux collections des grands centres d'archives, apporte un soutien décisif à cette initiative. L'Institut National de l'Audiovisuel (INA) apporte également un appui déterminant à ce projet, grâce à ses archives et à son savoir-faire.
Le Centre Bophana 26 ( * ) a ainsi été inauguré le 4 décembre 2006 et a ouvert ses portes au public le 12 décembre 2006. La délégation du groupe d'amitié, qui soutient fortement cette initiative 27 ( * ) , a pu visiter ce centre, installé dans un bâtiment emblématique du patrimoine architectural des années 60 au coeur de Phnom Penh et « tester » les bases de données audiovisuelles en accès libre.
Le Centre de ressources audiovisuelles s'est donné plusieurs missions : rassembler les images et les sons de la mémoire cambodgienne pour les rendre accessibles au grand public ; former aux métiers de l'audiovisuel ; soutenir la production audiovisuelle par l'accueil de tournages étrangers et par une production culturelle propre.
Sauver et faire vivre la mémoire d'hier et d'aujourd'hui
La mémoire cambodgienne d'avant les années de guerre ayant été majoritairement détruite, une grande collecte a été organisée pour reconstituer peu à peu ce précieux patrimoine. Démarrée en France, elle a permis de récupérer des documents aussi hétéroclites que les films des frères Lumière, la fête des eaux sur le Mékong dans les années cinquante, des films et émissions radio de propagande khmère rouge... L'ambition est de poursuivre cette collecte à l'international. Le Centre Bophana participe également à la sauvegarde du patrimoine cambodgien survivant.
Tous ces documents sont mis à disposition du public par l'intermédiaire d'une base de données trilingue (français, anglais, khmer). Des animations (conférences, débats, expositions, ateliers) font vivre ces archives pour qu'elles aillent à la rencontre de différents publics et qu'elles suscitent l'échange et la réflexion.
Dynamiser et renforcer le secteur audiovisuel par la formation
Le Cambodge est un pays émergent où près de 40 % de la population est âgée de 15 à 25 ans. La consommation d'images et le besoin d'expression de cette population sont immenses. Malheureusement, les productions télévisées sont limitées et il n'existe pas de cursus complet pour former aux métiers de l'audiovisuel. Pour favoriser l'émergence d'un regard critique et promouvoir une production cambodgienne de qualité, le Centre de ressources audiovisuelles a déjà commencé d'ouvrir une formation aux métiers de l'audiovisuel. Celle-ci est assurée par une équipe d'intervenants professionnels cambodgiens et étrangers. Son contenu repose en grande partie sur des ateliers pratiques. Les travaux réalisés dans ce cadre pourront alimenter au fil du temps la base de données de la médiathèque.
Produire et accueillir des tournages étrangers
Le Centre de ressources audiovisuelles projette de monter une régie de production pour réaliser ses propres productions et accueillir les tournages étrangers 28 ( * ) . Le Cambodge dispose de bons atouts pour inciter les cinéastes du monde à venir y tourner films et publicités. En offrant une palette de services de qualité (de la régie à la location de matériel de tournage, du repérage à certaines prestations de post production) et un vivier de compétences, la régie répondra à un besoin identifié par les professionnels du secteur. Etroitement liés au volet formation, la production et l'accueil de tournages sont envisagés comme un champ d'application pour les jeunes diplômés issus des formations proposées. L'objectif est également de générer des revenus pour garantir la pérennité des activités du Centre.
L'équipe à Phnom Penh est aujourd'hui composée de salariés permanents cambodgiens et de volontaires étrangers en mission. Chaque volontaire étranger (coordination, administration, communication, informatique, audiovisuel) est amené à travailler avec un « binôme cambodgien » dans l'optique d'un transfert progressif de responsabilité. Les documentalistes en charge de la médiathèque sont cambodgiens.
Le cinéaste Rithy Panh Rescapé des camps de rééducation des Khmers Rouges alors qu'il n'avait que 15 ans, ayant fui en Thaïlande puis en France, Rithy Panh est étudiant à l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) dans les années 80. Il signe son premier documentaire, Site II, centré sur les camps de réfugiés cambodgiens, en 1989. Remarqué dans de nombreux festivals, Rithy Panh n'aura dès lors de cesse de montrer la tragédie de son pays à travers des documentaires comme « La Terre des âmes errantes » récompensé en 1999, ou encore des longs métrages de fictions tels « Les Gens de la rizière » présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 1994 et « Un soir après la guerre » en compétition dans la section « Un Certain regard » en 1998. En 2003 il présente à Cannes le documentaire « S21, la machine de mort khmère rouge ». Il présente en 2005 « Les Artistes du théâtre brûlé » autour de l'idée que l'artiste n'a plus sa place ni la parole dans la société cambodgienne contemporaine. Son dernier long métrage « Le papier ne peut pas envelopper la braise », évoque le quotidien tragique de femmes prostituées à Phnom Penh. |
* 26 Le nom de « Bophana » évoque la mémoire d'une prisonnière du centre de détention Tuol Sleng ou S21, devenue symbole de courage et de résistance face au régime génocidaire. Tuol Sleng était un lycée (Toul Svay Prey) de Phnom Penh qui fut transformé par les Khmers rouges en centre de détention, de torture et d'exécution entre 1975 et 1979. Le lycée avait alors comme nom secret prison de Sécurité 21 ou S21. On estime qu'environ 14.000 personnes y ont trouvé la mort.
* 27 Le groupe d'amitié France-Cambodge avait ainsi organisé au Sénat une projection du film de Rithy Panh "S 21, la machine de mort khmère rouge" en 2005, qui fut l'occasion de présenter ce projet.
* 28 Une étude commanditée par l'Agence Française de Développement est en cours depuis avril 2006 sur ce sujet.