B. UNE SITUATION RÉGIONALE TRÈS PRÉOCCUPANTE
1. Un paysage régional assombri par le conflit israélo-palestinien
a) L'aggravation de la "question palestinienne", liée à l'enlisement du processus de paix
Il
est évident que la situation au Moyen-Orient exacerbe les tensions
internes au Liban.
Depuis notre mission de 1998, de grands pas en avant ont pourtant
été franchis, en particulier après le retrait des troupes
israéliennes du Sud-Liban (en mai 2000) - à l'exception notable
d'une enclave : la zone des fermes de Chebaa - et la poursuite du dialogue
entre Israéliens et Palestiniens, sous les encouragements vigilants des
États-Unis. La paix entre Israël et le Liban n'a cependant pas
été conclue et elle ne pourra sans doute l'être que dans le
cadre d'une négociation de paix globale dans la région, dont
l'échéance paraît s'éloigner toujours un peu plus ...
Dans ce contexte, le Liban apparaît un peu comme "l'otage" d'un processus
de négociations qui le dépasse et qu'il subit plus qu'il ne
l'influence.
Avec la dégradation de la situation dans les territoires palestiniens,
s'éloigne aussi la perspective d'un règlement de la "question
palestinienne"
. Comme en 1998, voire plus encore, nos interlocuteurs ont
exprimé leurs préoccupations liées à la
présence de très nombreux Palestiniens sur le territoire libanais
: environ 300.000, davantage d'après certains (pour une population de 4
millions d'habitants, sans compter la présence massive de Syriens, au
nombre de 300 à 400.000). Or,
la situation dans les camps
palestiniens s'est sensiblement détériorée
. Ceux-ci
abritent un certain nombre d'activistes armés, auteurs d'incidents, de
crimes (mort de soldats libanais fin 1999 par exemple) et facteurs de risques,
y compris ceux liés au terrorisme international.
Un certain consensus semble exister au Liban sur le refus de l'implantation
définitive des Palestiniens sur le territoire. Comment le pays
pourrait-il d'ailleurs intégrer 300.000 personnes de confession chiite
sans bouleverser son équilibre politique ? Les autorités
libanaises sont confrontées à un arbitrage délicat : il
leur faut garantir la sécurité sur leur territoire, éviter
que les camps ne deviennent un refuge - voire un terrain d'entraînement -
commode pour des terroristes, sans pour autant trahir le lien de
solidarité qui les unit aux autres pays arabes. Ceci rend difficile le
désarmement des Palestiniens, alors qu'un sommet arabe l'a
autorisé afin qu'ils puissent se défendre en cas d'attaque par
Israël. Difficile jeu d'équilibrisme, Sabra et Chattila
étant encore dans les mémoires ...
b) La cristallisation des tensions autour de l'accès aux eaux du Ouazzani (1)
L'accès à l'eau, bien rare dans cette
région du
monde, constitue également l'un des enjeux d'importance dans les
relations entre le Liban et Israël. Le différend qui les oppose sur
le pompage par les Libanais d'une partie des eaux de la source Ouazzani
(1)
, au sud de leur territoire, était à son comble en
septembre et octobre derniers.
Nombre des personnalités que notre délégation a
rencontrées ont évoqué ce dossier épineux. Les
Libanais reprochent aux Israéliens de leur contester leurs droits sur
les eaux du Ouazzani, après avoir exploité celles-ci pendant la
période de l'occupation du Sud-Liban. Bien qu'Israël ait
déclaré en faire un
"casus belli"
, les autorités
libanaises ont poursuivi la mise en oeuvre d'un projet d'adduction d'eau au
profit de 36 villages du Sud-Liban manquant cruellement d'eau, projet portant
sur quelques mètres cubes d'eau (sur environ 150 m
3
au total).
Les gouvernements français et américain ont appelé les
deux parties à la retenue et envoyé des experts. Des rapports,
non publics, ont été commis par ces experts, français
comme américains, tandis qu'un rapport pouvait être prochainement
rendu public par la Commission européenne qui travaille à
l'élaboration d'un plan prospectif de développement de la zone
concernée.
2. Le spectre de la guerre en Irak
Bien
évidemment, nos interlocuteurs ont souvent évoqué la
menace d'une guerre en Irak et les risques qu'elle ferait peser sur la
situation géopolitique dans la région.
Chiites, sunnites et kurdes continueraient-ils à cohabiter en bonne
intelligence en Syrie, Turquie, Iran, voire même en Arabie saoudite (pour
les deux premiers) ? Ils craignent que la carte géopolitique de la
région ne vole en éclat, avec l'accord Sykes-Picot, et
n'entraîne une recomposition des États. En outre, ils ne croient
pas qu'une telle guerre puisse en aucune façon résoudre le
problème du terrorisme.
Les autorités religieuses musulmanes rencontrées, en particulier
le représentant des sunnites (cheikh Kabbani), ont clairement
exprimé qu'une offensive contre l'Irak serait comprise, dans le monde
entier, comme une offensive contre la Palestine, l'Islam et les Arabes.
________
(1)
Le fleuve Ouazzani est l'un des affluents du Hasbani (Liban-Sud)
; il prend sa source sur le territoire libanais et se jette dans le Hasbani,
toujours sur ce territoire. Le Hasbani coule ensuite en Israël et se jette
dans le lac de Tibériade, qui lui-même alimente le Jourdain.
Si aucun ne défend le bilan du Président irakien, tous se
félicitent de la position française et la soutiennent. Les
Libanais, comme les Syriens, n'ont pas envie d'avoir le feu à leur porte
... Le Président du Parlement libanais a résumé leur
position d'une expression forte, bien qu'imagée :
"les
Américains voient avec un seul oeil !"
.