PREMIÈRE PARTIE - CITOYENNETÉ ET RELIGION
Intervenants :
M. Hazem AL-RAHMANI, représentant du Grand Iman de l'université d'al-Azhar, assistant conférencier à l'université al-Azhar, département d'études islamiques en français
Son Éminence Seyyed Jawwad AL-KHOEI, cofondateur du Conseil iranien pour le dialogue inter-religieux
Mgr Louis Raphaël Ier SAKO, Patriarche de l'Église catholique chaldéenne
Grand Rabbin Gilles BERNHEIM, ancien Grand Rabbin de France, représentant du Consistoire juif de France
Père Ameer JAJÉ, docteur en histoire des religions de la faculté d'histoire de Strasbourg, spécialiste du chiisme, membre du Conseil irakien pour le dialogue inter-religieux
Modérateur : Mme Anne-Bénédicte HOFFNER, journaliste au quotidien La Croix
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Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Nous sommes chargés d'étudier ensemble les rapports qu'entretiennent citoyenneté et religion dans ce vaste Moyen-Orient qui vient de nous être présenté, notamment en Égypte et en Irak.
Naël Georges nous a bien montré combien une partie des restrictions du droit qui sont imposées aux minorités, ainsi que le terme même de minorité, sont liés à la religion, combien ce lien persiste et ne cesse de se renforcer.
On voit que les politiques cherchent des justifications religieuses à leurs avancées ou à leurs reculs législatifs. De leur côté, les partis religieux ne sont pas prêts à renoncer à influencer la loi, d'où l'intérêt de comprendre, d'analyser l'état de la doctrine religieuse, notamment musulmane, pour mieux défendre l'idéal de citoyenneté.
Pour commencer, nous allons demander au représentant du Grand Iman d'al-Azhar de nous présenter la pensée de ce dernier à propos des avancées en termes de citoyenneté. Comment la tradition sunnite peut-elle aider à penser la citoyenneté aujourd'hui ?
Récemment - cela a fait grand bruit - le Grand Iman a qualifié la dhimmitude et la jizîa d'anachroniques.
On entend également beaucoup parler du pacte de Médine pour repenser cette citoyenneté. Ce texte, dont on a connaissance par des hadiths du IXe siècle, est-il pertinent pour penser la citoyenneté, au XXIe siècle, dans des pays pluralistes ?
M. Hazem AL-RAHMANI - Permettez-moi avant tout, au nom d'al-Azhar et de son Grand Iman, le professeur Ahmad Tayyeb, de remercier le sénateur Bruno Retailleau, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient du Sénat français, de nous avoir invités à ce très important colloque, qui touche au sujet délicat de la citoyenneté et de la justice.
J'aimerais également vous adresser les excuses les plus sincères de son Éminence le Grand Iman d'al-Azhar, le professeur Ahmad Tayyeb qui, pour des raisons indépendantes de sa volonté, n'a pu prendre part à cet événement.
J'insisterai sur le rôle que joue al-Azhar Ach-Charif, avec ses différentes institutions et instances, dans la promotion du concept de citoyenneté et de justice, et sur la volonté islamo-chrétienne de vivre ensemble, le refus de l'extrémisme, la condamnation de la violence et des crimes commis au nom de la religion, dont elle est innocente, ainsi que cela a été mentionné dans la déclaration d'al-Azhar sur la lutte contre l'extrémisme et le terrorisme, en 2014.
À la suite, al-Azhar Ach-Charif a organisé une conférence sur la liberté et la citoyenneté, la diversité et l'intégration, à laquelle ont assisté plus de 200 personnalités issues des élites religieuses, civiles, musulmanes et chrétiennes de plus de 60 pays du monde arabe et non-arabe. Beaucoup d'hommes politiques et d'intellectuels y ont participé.
C'est au cours de cette conférence que la déclaration d'al-Azhar sur la citoyenneté et le vivre ensemble a vu le jour. Celle-ci insistait sur le fait que le terme de citoyenneté est un terme originel de l'islam, apparu pour la première fois dans la Constitution de Médine et des hadiths du Prophète, dans lesquels il a jeté les bases des relations entre musulmans et non-musulmans.
La déclaration d'al-Azhar affirme que la citoyenneté n'est pas une solution importée mais constitue la restauration de la première pratique islamique d'origine politique exercée par le Prophète dans la première communauté musulmane qu'il a fondée.
Cette pratique ne comportait aucune trace de discrimination ni d'exclusion de quelque groupe que ce soit, et respectait la diversité religieuse, ethnique et sociale. Cette diversité ne peut fonctionner que dans le cadre de la citoyenneté et de l'égalité prévues dans la Constitution de Médine en ces termes : « Les groupes sociaux, religieux ou ethniques différents constituent une seule nation. Les non-musulmans ont les mêmes droits et devoirs que les musulmans ».
Les sociétés arabes et islamiques possèdent un patrimoine enraciné dans la pratique du vivre ensemble, fondé sur la diversité, la pluralité et la reconnaissance mutuelle. Ces principes constants, ces valeurs et ces traditions de tolérance subissant encore des défis intérieurs et extérieurs, al-Azhar insiste sur l'égalité entre musulmans et chrétiens, qui sont considérés comme faisant partie d'une seule nation. À chaque groupe sa religion, comme le Prophète l'a stipulé dans la Constitution de Médine.
La responsabilité patriotique engage donc tout le monde. En outre, la déclaration d'al-Azhar sur la citoyenneté a confirmé que l'adoption des notions de citoyenneté, d'égalité et de droit exige la condamnation des actes qui s'y opposent, pratiques désavouées par la religion musulmane, car reposant sur la discrimination entre musulmans et non-musulmans et conduisent au mépris, à la marginalisation, à l'oppression, au déplacement et au meurtre, que condamnent l'islam ainsi que toute religion.
En effet, le premier facteur de cohésion et de consolidation de la volonté commune est l'État national, fondé sur les principes de citoyenneté, d'égalité et de primauté de la loi.
Par conséquent, l'exclusion du principe de citoyenneté en tant que contrat entre les citoyens, les sociétés et les États, conduit à l'échec des États, à la faillite des institutions religieuses et des élites intellectuelles et politiques, ainsi qu'à l'arrêt du développement et du progrès.
L'exclusion de ce principe permet aux ennemis de l'État et de sa stabilité de compromettre le sort et le destin des nations.
En outre, la méconnaissance des notions de citoyenneté et de ses exigences encourage à parler de « minorités » et de leurs droits.
C'est pourquoi al-Azhar souhaite que les intellectuels et les personnes cultivés prennent garde au danger que constitue l'utilisation du terme de « minorités », qui revêt un sens discriminatoire. Al-Azhar préfère y substituer celui de « citoyens », plus objectif et constructif.
La déclaration d'al-Azhar sur la citoyenneté affirme également que la priorité des États nationaux est la protection des droits des citoyens, de leurs libertés, de leurs biens et de leur dignité. Les États ne sauraient se désengager de celle-ci, car la vie des citoyens et leurs droits en dépendent.
Il ne faut en aucun cas chercher à rivaliser avec l'État afin de remplir ce rôle originel. L'Histoire est riche d'exemples qui démontrent que l'affaiblissement des États aboutit à la violation des droits des citoyens. Au contraire, leur puissance vient de ces mêmes citoyens, et les élites cultivées et patriotiques, ainsi que ceux qui s'intéressent aux affaires publiques dans les pays arabes, assument de grandes responsabilités aux côtés de l'État dans la lutte contre les phénomènes de violence incontrôlée, que ce soit pour des raisons religieuses, ethniques, culturelles ou sociales.
Al-Azhar ne s'est d'ailleurs pas contentée de sa déclaration sur la citoyenneté. Elle s'est engagée à promouvoir le concept de citoyenneté, de liberté et de justice. Je pense ici à trois instances récemment créées par al-Azhar, dont la première est la Maison de la famille égyptienne, créée en décembre 2010 par al-Azhar avec l'ensemble des composantes chrétiennes, égyptiennes. Elle met l'accent sur le problème islamo-chrétien. Il s'agit en particulier de montrer aux plus jeunes que le peuple égyptien, malgré ses différences et ses différends religieux, partage des valeurs communes.
Quant à la seconde instance, le Centre d dialogue interreligieux, il a été créé en 2015. À travers lui, al-Azhar aspire à nouer davantage de relations avec les institutions religieuses, médiatiques et culturelles du monde arabe, afin d'oeuvrer de concert dans le domaine de l'orientation et de l'éducation religieuse et morale, de la formation à la citoyenneté et d'établir des relations de bonne entente avec les institutions religieuses du monde entier pour consolider le dialogue islamo-chrétien et le dialogue entre civilisations.
La troisième instance, l'Observatoire d'al-Azhar, a vu le jour en 2015. Il a pour rôle de surveiller les réseaux sociaux, les organisations terroristes, de suivre et d'analyser toutes les publications en arabe et en langues étrangères, notamment celles des groupes extrémistes se réclamant de l'islam.
L'Observatoire est donc l'oeil d'al-Azhar qui voit clairement le monde, ainsi que l'a décrit le professeur Ahmad Tayyeb. L'Observatoire produit un contre-discours visant à empêcher les jeunes de tomber dans le piège de la radicalisation.
Enfin, j'aimerais terminer mon intervention en reprenant ce que disait le Prophète à propos du partenariat et de la collaboration féconde avec l'autre...
S'adressant à ses compagnons, le Prophète citait l'exemple d'un groupe d'hommes qui se trouvait sur un bateau à deux ponts. Ceux qui résidaient sur le pont inférieur connaissaient une certaine gêne, car ils devaient passer par le pont supérieur lorsqu'ils voulaient se procurer à boire. Ils avaient pensé pratiquer un trou dans le bateau pour pouvoir accéder à l'eau sans gêner le pont supérieur.
Le Prophète a estimé que, si les occupants du pont supérieur laissaient leurs voisins du pont inférieur faire ce qu'ils voulaient, ils mourraient tous. S'ils les en empêchaient au contraire, ils survivraient tous.
Musulmans, chrétiens ou adeptes d'autres religions ou confessions, nous occupons tous le même bateau. Nous faisons partie du même monde, nos religions affrontent les mêmes dangers. Nous devons donc tout mettre en commun pour participer à la sauvegarde de nos sociétés et de nos pays, afin d'offrir à nos enfants un avenir prometteur et une vie meilleure.
Je vous remercie.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - J'entends ce discours et ces objectifs, qui font état d'une sorte d'écologie commune.
Cependant, lorsque la nouvelle Constitution égyptienne a été rédigée en 2013, le responsable des Églises protestantes en Égypte m'avait expliqué ne pas avoir réclamé que le christianisme y soit mentionné. Ce sont les 50 représentants d'al-Azhar et des partis salafistes chargés de sa réécriture qui ont voulu que les principes de la charia y figurent, et que des droits spéciaux soient octroyés aux chrétiens.
Par ailleurs, qu'en est-il des athées ? On sait que c'est un sujet délicat en Égypte...
M. Hazem AL-RAHMANI - Selon la Constitution, la société égyptienne ne peut être séparée des élites. Les principes généraux de la cCharia sont les mêmes que ceux des droits de l'homme, par exemple. Il n'existe donc pas de grandes différences entre les principes des droits de l'homme et l'interprétation que fait al-Azhar de la charia.
S'agissant de l'athéisme, je reconnais qu'il existe un problème, mais le Grand Iman a toutefois clairement considéré que l'apostasie constitue déjà en soi une punition pour les musulmans, et qu'il n'y a donc pas lieu d'en prévoir d'autres.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Qu'en est-il de la tradition chiite ? Comment le Conseil irakien pour le dialogue interreligieux aborde-t-il la question de citoyenneté ? Le Conseil interreligieux rassemble des croyants de toutes les confessions et religions présentes en Irak. Comment arrivez-vous à parler de citoyenneté et à la faire progresser en Irak ?
Son éminence Seyyed Jawwad AL-KHOEI - Au Moyen-Orient, nous sommes tous sur le même bateau s'agissant des aspects religieux et ethniques. Pendant des centaines d'années, tout le monde, dans cette région, a souffert du manque d'égalité et de l'absence de citoyenneté réelle. Tout ceci a laissé des traces sur le plan historique et politique.
Chacun, quelle que soit sa religion, a souffert de la violence, de la haine et de l'extrémisme. Nous faisons face au combat entre la vie et la mort, la civilisation et la barbarie. Il existe pourtant des solutions à cette crise.
On rencontre bien sûr des problèmes, mais on peut aussi s'en inspirer pour trouver des solutions. L'État s'est effondré, faute de pouvoir faire face à un extrémisme auquel il a permis de se développer. Le discours des médias est très agressif, et incite à la haine et à la marginalisation.
Par ailleurs, la Constitution de l'Irak, lorsqu'elle a été rédigée, n'était pas fondée sur l'égalité des droits et la citoyenneté, et présentait beaucoup de contradictions. Ce sont des problèmes que l'on rencontre aussi dans beaucoup d'autres pays de la région.
Le système scolaire pose également problème. Le programme scolaire aussi, en particulier la façon dont la religion est enseignée. Nous ne pensons pas qu'il soit du rôle de l'État d'enseigner la religion aux enfants. La religion doit rester dans la sphère privée, et être enseignée à la maison, à la mosquée ou à l'église. Moi-même, j'ai été formé par ce système scolaire irakien, dont la manière d'enseigner la religion est très perverse. Le programme scolaire est très marqué par l'État : si l'État est sunnite, l'islam sunnite sera imposé à tout le monde. Si c'est le chiisme qui prévaut, celui-ci sera imposé à tout le monde. Les minorités - yézidis, chrétiens, juifs, chaldéens -, en raison de leur petit nombre, ne bénéficient pas d'un traitement équitable.
Au niveau législatif, il faudrait condamner et punir l'incitation à la haine, comme dans certains pays européens. Les responsables chiites, au cours des quinze dernières années, ont beaucoup fait pour renforcer la notion de citoyenneté. Leurs déclarations ne parlent d'ailleurs même plus de chiisme, mais de l'Irak. Même la fatwa de 2014 contre Daech a fait appel à tous les citoyens irakiens pour défendre le pays contre l'État islamique, sans faire référence au chiisme.
L'une des conséquences de la haine et de l'extrémisme, avec l'arrivée de l'État islamique, a été de rassembler la société irakienne qui, quelles que soient les origines ethniques de la population, a considéré Daech comme un ennemi commun qu'il fallait défaire et vaincre.
La véritable citoyenneté commence par la séparation de l'État et de l'Église. Les responsables religieux de Nadjaf ont insisté sur ce point depuis le changement survenu en Irak en 2003. Un érudit chiite du XIIIe siècle disait : « Si j'ai le choix entre un dirigeant musulman injuste et un non-musulman qui se révèle être juste, je choisirai celui qui est juste ». Peu importe celui qui dirige l'État, tant que la justice perdure.
La citoyenneté doit reposer sur l'égalité entre tous les citoyens, et les droits et devoirs des Irakiens doivent être les mêmes, quelle que soit leur appartenance. Les responsables religieux, à Nadjaf, encouragent et invitent les Irakiens à voter, sans jamais dire que les chiites doivent voter pour des représentants chiites.
Pour conclure, je voudrais ajouter que si l'arbre que constitue l'Irak est musulman, ses racines sont chrétiennes. Or un arbre ne peut vivre sans ses racines. Les chrétiens et les autres religions, en Irak, ne constituent pas à nos yeux des minorités. Ils font partie intégrante de notre pays, et nous devons protéger tous leurs droits.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Je passe la parole à M. le Grand Rabbin Gilles Bernheim, qui a pensé et écrit beaucoup de choses au sujet du judaïsme dans la cité.
Comment celui-ci puise-t-il, dans sa tradition, des éléments pour nourrir sa vision de la citoyenneté ?
Grand Rabbin Gilles BERNHEIM - Je vous remercie, et je remercie les précédents orateurs pour les propos forts qu'ils ont tenus.
Peut-être est-ce plus en tant que philosophe qu'en tant que rabbin que je m'exprimerai sur un sujet qui ne fait pas seulement appel à la tradition...
La question à laquelle j'essaie de réfléchir devant vous est la suivante : par quel mystérieux processus l'émancipation politique des nations anciennement colonisées a-t-elle été si peu souvent couplée à la libération des individus ? Comment ces luttes ont-elles pu déboucher, pour beaucoup, sur des régimes de parti unique, qui ne concèdent à leurs citoyens ni les libertés civiles - c'est-à-dire la faculté de s'opposer aux empiétements de l'État - ni les libertés publiques - c'est-à-dire la possibilité de participer à la vie politique et à la gestion de l'État ?
Si je pose cette question, c'est que je ne crois pas qu'on puisse l'évacuer en invoquant simplement la patience. Certes, les États issus de la décolonisation sont tout neufs. Certes, il a fallu des siècles à l'Europe pour instaurer d'abord l'État de droit, puis un très long moment entre la proclamation des droits de l'homme et leur concrétisation, c'est-à-dire leur entrée dans la vie réelle.
Dans ce contexte, il serait inconvenant de demander aux nations naissantes du tiers-monde d'accomplir l'exploit que l'Europe a mis des siècles à réaliser, mais cette réponse chronologique ne me paraît pas satisfaisante.
Pour répondre à cette question plus difficile qu'elle n'en a l'air, je veux ici m'inspirer très fidèlement d'une réflexion d'Alain Finkielkraut menée il y a très longtemps sur le thème : « Les droits de l'Homme sont-ils exportables ? », menée dans le cadre d'une conférence internationale organisée à Paris en 1987, sous l'égide conjointe de Médecins du Monde et de la faculté de droit de l'université Paris-Sud.
La philosophie de la décolonisation s'est inscrite, me semble-t-il, dans une tradition inaugurée par la deuxième période de la Révolution française qui, chacun le sait, a contribué à apporter au monde les droits de l'homme. Mais, dans sa seconde période - 1792-1793, la Terreur - la Révolution française a régressé en deçà des droits de l'homme en croyant les dépasser.
Comme le dit Hannah Arendt dans son Essai sur la Révolution : « La transformation des droits de l'homme en droits des sans-culottes fut le tournant non seulement de la Révolution mais de toutes les révolutions qui suivirent ». De fait, la postérité révolutionnaire de la deuxième période, celle de la Terreur, a malheureusement été beaucoup plus importante que celle de la première période des droits de l'Homme !
En d'autres termes, un tournant a eu lieu au moment où la définition politique du peuple a été remplacée par une définition purement sociale. Conçu politiquement, le peuple, c'est l'assemblée des citoyens. Conçu socialement, le peuple, c'est la masse des malheureux. Les malheureux sont définis par leurs besoins. Lorsque les malheureux crient qu'ils ont faim ou réclament la liberté, c'est toujours d'une seule voix, car l'état normal d'un peuple qui se définit par son malheur, c'est l'unanimité. Son état « pathologique », c'est la délibération - qui ne fait hélas pas partie des groupes et des peuples - et, par la polémique, la décision.
Hannah Arendt n'est pas une sans-coeur qui méprise la misère, et nous non plus. Elle nous met simplement en garde contre le danger d'oublier, dans notre zèle à épouser la cause des humbles et des malheureux, la définition politique du peuple conçu aussi comme assemblée, comme « multitude dont la richesse réside dans sa pluralité même et dans sa faculté à discuter, débattre et délibérer ». Il s'agit ici de la diversité bioculturelle dont parlait si justement Jean-François Colosimo tout à l'heure.
Saint-Just affirmait que les « malheureux sont la puissance de la terre », oubliant précisément cette définition politique - la délibération - et pointant exclusivement la dimension sociale du peuple.
Frantz Fanon, grand théoricien de la décolonisation, a commis le même oubli. Il entendait le mot « peuple » au sens social certes, comme Saint-Just, mais aussi au sens national. Au colonisateur, il opposait à la fois, et d'un seul tenant, la misère des colonisés et le caractère absolu de leur originalité culturelle et nationale.
Ce thème de l'originalité nationale et de l'identité culturelle - ou religieuse - a permis aux peuples du tiers-monde de s'affranchir de la table des valeurs au nom de laquelle s'était fait leur asservissement, mais aussi de transformer en sujet de fierté les façons d'être dont on voulait leur faire honte.
Cependant, cette idée même les dessaisissait de tout pouvoir critique, et donc de discussions et de délibérations face aux traditions de leur propre communauté et face à l'instance politique qui prétendait les représenter.
Dans cette perspective, l'individu n'existe lui-même qu'en tant qu'appendice de la nation et non comme individu à part entière. Il tire toute sa substance de l'identité culturelle - ce que l'on appelait le génie national au XIXe siècle ou, aujourd'hui, le génie religieux dans les pays du tiers-monde. Nul droit de l'homme ne peut alors être opposé aux coutumes ancestrales ni au génie national ou religieux.
On me dira aujourd'hui que Frantz Fanon est dépassé, même dans le tiers-monde, et que l'intégrisme a supplanté ce nationalisme laïc et révolutionnaire. C'est vrai, mais je crois pourtant qu'il s'agit d'une mutation à l'intérieur d'un système de pensée inchangé, car le tchador ou la charia, qu'on essaie de rétablir dans les pays où sévit le fondamentalisme islamique, est justifié lui aussi par l'argument de l'intégrité de l'identité culturelle, nationale ou religieuse.
L'intégrisme est une variante particulièrement terrifiante de l'intégrité culturelle ou religieuse, que l'on ne doit pas discuter, sur laquelle on ne doit pas délibérer, polémiquer, réfléchir ou décider.
Je pense que nous sommes face à un immense travail, où l'on doit se souvenir d'une phrase enseignée par la tradition juive dans le Talmud - mais pas seulement : on n'a jamais raison tout seul, même si on se réfère à un dieu unique de manière diversifiée !
Cette première réflexion étant posée, il nous reste à travailler tous ensemble à cette biodiversité dont il a été tout à l'heure fait mention.
Je vous remercie.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Béatitude, ces questions d'intégrisme, d'identité, sont au coeur de vos préoccupations. Vous qui êtes le Patriarche de l'Église catholique chaldéenne et qui vivez à Bagdad, en Irak, comment voyez-vous la situation actuelle dans ce pays en termes de citoyenneté ?
On voit que cette citoyenneté est soumise à rude épreuve. Comment décrivez-vous la situation ? Quels sont les points d'appui que vous imaginez pour avancer vers une citoyenneté plus fermement établie ?
Mgr Louis Raphaël Ier SAKO - Je ferai trois observations au sujet de la situation en Irak et au Moyen-Orient.
Tout d'abord, on assiste chez les musulmans à un mouvement modéré, malheureusement un peu lent. Les modérés redoutent cet intégrisme qui tourne au terrorisme.
Qu'il soit chrétien, musulman ou juif, celui-ci n'a pas d'avenir. Il est impossible que l'islam politique crée un État islamique. C'est une notion du Moyen Âge qui exige une réaction.
En second lieu, il existe aujourd'hui en Irak et un peu partout au Moyen-Orient une prise de conscience très forte en faveur de la citoyenneté et d'un régime civique intégrant tous les citoyens, sans tenir compte de leur appartenance religieuse.
Troisièmement, les minorités chrétiennes, yézidies, sabéennes ont une présence symbolique, mais sont très influentes. Nous jouons aussi un rôle du fait de notre formation et de nos qualifications, et pouvons aider les autres. Nous sommes conscients d'avoir une mission, et sommes de plus en plus appréciés par nos frères musulmans.
On ne peut organiser la vie de la cité au XXIe siècle comme on l'a fait après Jésus-Christ ou au Ier siècle de l'Hégire. La Constitution de Médine et le Pacte du calife Umar remontent à quatorze siècles. Le monde et les mentalités ont changé. La culture est différente. On peut s'en inspirer, mais non s'y référer sans cesse, comme si le monde n'avait pas bougé.
Je viens d'Irak, et je dirai que la citoyenneté est la seule solution à nos problèmes, tout comme aux problèmes que rencontrent l'Égypte, le Liban ou la Syrie. Cette citoyenneté doit intégrer tout le monde.
Peu importe que je sois chrétien, athée, musulman. Je suis libre ! Qui peut me forcer à croire, à être musulman ou chrétien ? La religion doit respecter la liberté de conscience. Or on classe les personnes selon leur religion, au lieu de les classer comme citoyens à part entière. C'est sous la tente de cette citoyenneté que tous seront protégés, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.
La notion de citoyenneté permet de mettre fin aux discriminations et aux exclusions, comme dans les démocraties occidentales. L'appartenance citoyenne fait qu'il n'y a plus de majorité religieuse ou ethnique ni même de notion de minorité. La citoyenneté permet de protéger tout le monde, chacun étant soumis à la même loi.
Cependant, pour que la citoyenneté ne reste pas un concept vague, il est nécessaire qu'elle s'incarne concrètement dans le fonctionnement des services publics irakiens. Il faut également changer les constitutions. On ne peut former une Constitution sur une base religieuse. La religion et la politique sont deux choses différentes.
Quel est l'impact de la religion sur la citoyenneté ? La citoyenneté est un système civil démocratique qui ne va pas à l'encontre des valeurs religieuses.
Lors de sa visite à la Conférence des évêques de France, le Président de la République française a considéré que le rapport entre l'État et l'Église catholique était détruit et qu'il fallait le reconstruire. Dans l'Évangile, il est dit : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Nos frères musulmans répètent sans cesse que la patrie appartient à tout le monde et la religion à Dieu, mais il faut agir et ne pas se contenter de paroles.
Pour nous, chrétiens, la citoyenneté fait partie intégrante de notre culture, et nous nous félicitons de la séparation de la religion et de la politique.
Le discours religieux devrait se concentrer sur la défense des droits de l'homme. Comme l'a souligné M. Seyyed Jawwad al-Khoei, les membres du clergé doivent prendre leurs responsabilités et défendre la dignité humaine et la justice. Dieu est amour et miséricorde, et celui qui n'a pas d'amour dans son coeur ne connaît pas le sens de la religion.
Comment peut-on tuer des personnes en raison de leur religion ? Le conflit interconfessionnel est un scandale. C'est un crime de persécuter des croyants à cause de leur foi, comme cela a déjà été le cas en Irak, en Syrie, en Égypte ou au Nigeria. Nous, citoyens chrétiens, avons beaucoup souffert : alors que nous étions par le passé 1,5 million, nous ne sommes plus aujourd'hui que 500 000.
Pour que la citoyenneté prenne toute sa place en Irak, il ne faut pas tenter de nier celle qu'occupent les religions dans l'histoire de notre pays, au contraire. La citoyenneté doit être un moyen pour que les religions et les courants spirituels se libèrent du poids de la politique et puissent se consacrer au bien des âmes de leurs fidèles et à la pratique de la charité. Libérées du rôle politique que l'histoire de l'Irak les a amenées à jouer, les religions pourront à nouveau remplir leur véritable mission, qui n'est pas de former un État islamique, chrétien ou juif.
Pour sortir des grands discours, voici quelques idées concrètes que nous souhaitons voir appliquer dans notre pays...
Après Daech, le défi majeur est l'éducation. Pour cela, il est nécessaire de réformer les manuels scolaires et d'en expurger tout discours de haine, de violence ou de vengeance afin de les purifier. La culture de vengeance est très forte aujourd'hui. Ce travail a déjà été mené dans d'autres pays du Moyen-Orient, comme au Liban, grâce à la fondation Adyan. Ceci est donc possible.
Il est également nécessaire de réformer la Constitution et les lois afin qu'elles aillent dans le sens du respect de la vie et favorisent la paix et la stabilité. L'État doit protéger tout le monde et appliquer la loi. Il ne faut pas laisser la discrimination s'établir.
Concrètement, pour que chacun se sente citoyen, il est nécessaire de faire disparaître la mention de la religion sur les papiers d'identité et les actes administratifs. Combien de cartes d'identité dois-je posséder ? Une telle décision est loin d'être anodine. Au-delà de la disparition de nombreuses discriminations, ceci ouvrirait la voie à une plus grande liberté religieuse. Une femme pourrait ainsi conserver sa religion si son mari devient musulman ou vice versa. Nous respectons la liberté de conscience, mais il ne faut pas obliger les enfants et les autres à embrasser l'islam de force.
D'un point de vue juridique, nous avons besoin d'une autorité pour garantir une interprétation juste du droit et établir une jurisprudence. Il est en outre nécessaire de sensibiliser le grand public aux droits de l'homme et aux principes de citoyenneté et d'égalité.
M. al-Khoei a dit que nous sommes les racines de l'Irak, mais nulle part il n'est fait mention de l'histoire des sabéens, pourtant à l'origine majoritaires ! Lors de l'arrivée de l'islam, nos écoles, nos monastères étaient ouverts à tous. Il faut se souvenir de la Maison de la sagesse et de tous ces médecins musulmans qui ont servi les califes. Or pas une ligne ne nous est consacrée ! C'est honteux !
Toutes ces mesures, si elles étaient mises en place progressivement, permettraient l'avènement d'une véritable démocratie et d'un État de droit en Irak, comme en Occident. Pourquoi pas ? L'Occident progresse, mais l'Orient fait marche arrière !
Le pays pourrait pourtant s'engager, sur ces bases, dans la voie du progrès économique, social et politique.
Je vous remercie.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Père Ameer, malgré les objectifs que tout le monde semble partager ici, les discours extrémistes religieux continuent à se répandre et sont même diffusés par certains médias. Que faut-il faire selon vous ?
M. al-Khoei estimait nécessaire de punir de tels discours et ceux qui les tiennent, mais aussi d'éduquer. Comment voyez-vous les choses ? Par quoi commencer, et comment s'y prendre ?
Père Ameer JAJÉ - Permettez-moi tout d'abord de remercier le président Retailleau et le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient.
Les minorités en Irak ont payé un prix très cher. Elles ont été utilisées comme bouc-émissaires et comme monnaie d'échange dans le conflit interconfessionnel entre chiites et sunnites d'une part, et entre Arabes et Kurdes d'autre part.
Nous savons bien que l'avenir des minorités en Irak dépend de ce que deviendra le pays. Or la bonne santé de l'Irak repose sur un système d'Education nationale qui favorise le principe de citoyenneté et, par conséquent, garantit les droits et devoirs de chaque citoyen, sans tenir compte de son appartenance tribale, confessionnelle ou religieuse. C'est ainsi que l'on peut dépasser les replis identitaires qui détruisent ce pays.
Il faut donc encourager toutes les écoles irakiennes, publiques et privées, à mettre en place un programme consacré à la citoyenneté, afin d'expliquer comment devenir un bon citoyen et respecter le bien commun.
C'est un problème général au Moyen-Orient. Il faut l'apprendre à nos enfants, pousser les écoles irakiennes à changer, voire à remplacer les cours d'enseignement religieux par des cours de culture générale en matière religieuse. Comme l'ont dit M. al-Khoei et Sa Béatitude, il faut confier l'enseignement religieux aux parents, à la mosquée, à l'Église ou aux différents lieux de culte.
L'école peut effectivement garantir une culture générale en matière religieuse qui aide les enfants à connaître la particularité de l'autre et ses richesses. La question est de savoir si la démocratie et la citoyenneté sont aujourd'hui possibles en Irak et dans les pays du Moyen-Orient.
Si la démocratie n'y a actuellement pas sa place, c'est parce que la population - et surtout les jeunes universitaires - ne sont pas sensibilisés aux principes des sciences humaines et sociales. Aujourd'hui, celles-ci constituent le parent pauvre de l'enseignement en Irak. C'est une grave lacune.
Il faut encourager celles-ci à se développer en Irak afin que les jeunes puissent exercer leur sens critique et soient capables de prendre suffisamment de recul. Les jeunes générations sont très nombreuses en Irak. Cette jeunesse a soif de vivre en paix. On entend souvent les jeunes Irakiens dire qu'ils en ont assez de la violence et qu'ils veulent vivre comme les autres. C'est un signal. Selon un sondage, près de 30 % des jeunes rejetteraient la religion. Pour beaucoup, c'est en effet au nom de la religion que l'on tue et que l'on égorge.
Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les jeunes Irakiens ont la possibilité de communiquer avec le monde entier. La plupart possèdent des smartphones et autres moyens de communication qui les relient à toutes les parties du monde. Les marchés irakiens regorgent de matériel de haute technologie. La seule chose que nous n'ayons jamais essayé d'importer, ce sont les principes de citoyenneté et de démocratie.
Ces principes sont la seule solution pour protéger les minorités en Irak car, sans les minorités, il n'y a pas de démocratie.
La France et l'Europe peuvent aider l'Irak à se reconstruire. Il faut améliorer son système scolaire et académique, voire le réformer. Commençons par les écoles primaires et terminons par les universités. Ce sont là les meilleurs investissements que l'on puisse réaliser sur le long terme pour l'avenir de ce pays.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Merci de ces pistes très concrètes et de cet appel à la France. Y a-t-il des questions ?
De la salle - Je m'adresse au représentant de l'université al-Azhar : celle-ci reconnaît-elle le traitement sévère infligé depuis des années aux chrétiens d'Égypte ? Assume-t-elle la responsabilité de l'échec ?
De la salle - Ma question rejoint celle de mon camarade.
Je suis d'origine copte, président de l'Organisation franco-égyptienne pour les droits de l'homme (OFEDH), et cofondateur des Chrétiens d'Orient en danger (CHREDO).
Depuis quatre ans, le président al-Sissi appelle al-Azhar à renouveler son discours religieux, mais nous avons l'impression que rien ne bouge.
Le président al-Sissi a bien dit qu'il fallait se débarrasser de toute idéologie de haine, réformer le discours et mener une révolution religieuse. Or j'ai entre les mains le tome IV d'un document qui est utilisé en terminale...
Je voudrais citer ici quelques phrases tirées de son contenu : « La punition de celui qui commet l'adultère est la lapidation ». « Il faut couper la main droite des voleurs ». « En cas de récidive, on doit leur couper la main gauche ». « Il faut humilier les ennemis de Dieu, les athées et les non-musulmans ». « Il faut convaincre le musulman de ne pas renier l'islam. Si on n'y parvient pas, il faut le tuer ». « La circoncision est un bien pour l'homme, mais l'excision est un honneur pour la femme ».
Nous pensons qu'il est temps que de tels manuels disparaissent. Il faut répondre à l'appel du président al-Sissi ! Al-Azhar forme des centaines de milliers de personnes, que l'on retrouve partout dans le monde, y compris en France, et qui suivent ce genre d'enseignement.
Par ailleurs, l'université al-Azhar est réservée aux musulmans, alors que certaines universités catholiques ou protestantes dispensent leur enseignement à tous ! Il n'est pas bon que des gens qui reçoivent cet enseignement depuis leur enfance ne cohabitent pas avec d'autres religions, alors que cet enseignement est subventionné par l'État et par les impôts des chrétiens, qui représentent un fort pourcentage en Égypte.
Si on part de ce principe, on pourrait également ouvrir une université chrétienne copte aux seuls chrétiens, ce qui ne serait pas une bonne chose.
Il faut revoir la situation de l'université al-Azhar, réformée sous Nasser dans un certain but, et commencer à réfléchir à une ouverture aux non-musulmans.
M. Antoine MESSARA - Il convient de relever que, depuis les années 2010, au moins quinze constitutions arabes contiennent des modifications substantielles qui ouvrent la voie à des changements en profondeur.
Le Conseil constitutionnel libanais a publié toute une étude à ce propos.
M. Hazem AL-RAHMANI - Al-Azhar reconnaît-elle le mauvais traitement subi par les coptes en Égypte et en assume-t-elle sa responsabilité ?
Al-Azhar a en effet une grande responsabilité dans ce domaine et a fait beaucoup pour former le peuple égyptien à la citoyenneté.
De la salle - Quelle est sa responsabilité ?
M. Hazem AL-RAHMANI - Il s'agit d'une responsabilité religieuse, la plus haute du monde sunnite. Al-Azhar accomplit actuellement un pas en avant à ce sujet à travers la Maison de la famille égyptienne.
Al-Azhar, grâce à son Observatoire, a entrepris de lutter contre l'extrémisme et a lancé plusieurs campagnes pour relayer l'idée que la religion musulmane n'est pas contre le christianisme. Al-Azhar a toujours appelé au vivre ensemble et a donc pris ses responsabilités.
Il existe même un outil pour traiter électroniquement les fatwas , qui sont traduites en langues étrangères. Al-Azhar doit toutefois rendre des comptes au ministère des awqaf , qui gère les biens religieux, et au ministère de la culture.
Par ailleurs, vous dites qu'al-Azhar ne répond pas à l'appel au renouvellement du discours religieux lancé par le président al-Sissi. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous. Al-Azhar bouge depuis longtemps, et même depuis l'époque de Mohammed Abduh.
Le renouvellement du discours religieux prend du temps. Il faut étudier la tradition, adopter une attitude critique, etc. Al-Azhar a mis en place pour ce faire six comités de fatwas . L'Observatoire d'al-Azhar étudie même les publications de Daech en français, et s'adresse en français aux jeunes Français.
Al-Azhar produit un contre-discours qui est publié sur son site Internet. Il ne s'agit pas d'une lutte armée contre Daech, mais d'une confrontation culturelle.
En ce qui concerne le document auquel vous vous référez, il existe plusieurs interprétations : on peut par exemple traduire le terme de « couper les mains » par « empêcher de voler ».
Il en va de même de l'apostasie. Le Coran dit que celui qui veut croire le peut, et que celui qui ne le veut pas, peut ne pas croire. Le Coran ne prévoit aucun châtiment en matière d'apostasie. C'est ce qu'on m'a appris à al-Azhar. Le document auquel vous vous référez est une étude critique, qui montre qu'il existe plusieurs écoles juridiques.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Qu'en est-il de l'ouverture d'al-Azhar aux non-musulmans ?
M. Hazem AL-RAHMANI - Al-Azhar était à l'origine une mosquée. L'université a été réformée à l'époque de Nasser. Même si elle est surtout ouverte aux musulmans, je connais un non-musulman qui poursuit sa thèse à al-Azhar.
Mme Anne-Bénédicte HOFFNER - Merci.
Première table ronde