INTRODUCTION

Á l'invitation de M. Khorsov Haroutunian, Président de l'Assemblée nationale arménienne, une délégation du groupe sénatorial France-Arménie du Sénat s'est rendue en Arménie du 29 juin au 4 juillet 1998.

Elle était composée de la façon suivante :

Président : M. Jacques Oudin, sénateur RPR de la Vendée

Membres : M. Hubert Durand-Chastel, sénateur NI de la Nièvre

M. Patrice Gélard, sénateur RPR de la Seine-Maritime

M. Marc Massion, sénateur Socialiste de la Seine-Maritime

Elle était accompagnée par M. Daniel Ergmann, Conseiller au Sénat, secrétaire exécutif du Groupe sénatorial France-Arménie.

Elle a été accueillie par M. Michel Legras, ambassadeur de France en Arménie. Qu'il soit permis de lui adresser les remerciements de la délégation, ainsi qu'à MM. Gilles Stern, premier secrétaire, et Serge Der-Saaghian pour la façon dont ils ont contribué à la préparation et au bon déroulement de ce voyage.

La délégation tient également à exprimer toute sa gratitude à M. René Monory, pour l'attention qu'il a toujours accordé à l'Arménie alors qu'il était Président du Sénat, et qui a bien voulu marquer son intérêt pour cette mission en confiant à son président la charge de remettre deux messages d'amitié au Président de la République et au Président de l'Assemblée nationale arméniennes. Ce dernier a d'ailleurs fait savoir dans une lettre en date du 10 août dernier, qu'il acceptait avec plaisir l'invitation qui lui était faite dans le message que lui a adressé le Président du Sénat.

Au cours de cette visite, la délégation, qui était accompagnée de chefs d'entreprises désireux de développer leurs activités en Arménie, a rencontré les plus hautes autorités arméniennes, Président de la République, Premier ministre et Président de l'Assemblée Nationale, ainsi qu'un certain nombre d'autres personnalités politiques, ministres, Parlementaires, préfets, maire, ou non politiques, comme le chancelier du catholicosat et des professeurs d'université.

Le présent rapport qui fait état des objectifs et des résultats obtenus est aussi l'occasion de faire le point de la situation de l'Arménie et de l'état des relations franco arméniennes.

I. OBJECTIFS ET RÉSULTATS DE LA MISSION

La mission de la délégation sénatoriale s'inscrivait initialement dans la perspective du voyage du Président de la République dans les pays du Caucase prévu pour la fin septembre 1998.

Intéressant à ce titre, puisqu'il permettait, à certains égards, d'établir des contacts préparatoires de nature à informer la Présidence de la République sur les intentions du nouvel exécutif arménien, le déplacement sénatorial a pris une importance encore plus nette avec le report de voyage, puisque celui-ci constitue à priori la seule occasion de l'année d'entrer en relation au plus haut niveau avec la nouvelle équipe dirigeante et de marquer tout l'intérêt que la France porte à l'Arménie.

A. POUR UNE APPROCHE GLOBALE DES RELATIONS FRANCO-ARMÉNIENNES

Partant du constat que dans un pays comme l'Arménie né de l'éclatement de l'URSS, il y avait une imbrication naturelle des relations politiques et commerciales, la délégation s'est efforcée de donner à son action un caractère opérationnel.

Elle a considéré que dans un pays dont le système juridique était encore en cours de constitution, les relations interParlementaires prenaient une importance toute particulière et qu'elles constituaient un vecteur sur lequel pouvaient venir se développer des projets concrets de nature culturelle ou même économique. Dans ces démocraties émergentes, surtout lorsqu'elles sont culturellement proches, le Parlement peut jouer un rôle et trouver sa place dans le cadre de cette diplomatie globale, associant l'économique, le culturel et le politique.

Telle a été l'ambition de cette mission, qui sans oublier la portée politique de sa visite, et même symbolique, lorsqu'il s'est agi de s'incliner devant les victimes du génocide, a voulu faire avancer des projets de coopération à caractère institutionnel ou, ce qui est neuf pour une délégation Parlementaire, de nature commerciale. L'amitié séculaire qui unit la France à l'Arménie doit en effet pouvoir s'appuyer sur des initiatives concrètes.

1. Des liens historiques entre la France et l'Arménie

Dix siècles d'histoire ont tissé des liens entre l'Arménie et la France. Aujourd'hui avec 400.000 citoyens d'origine arménienne, la France possède avec les États-Unis - et si l'on excepte la Russie où vivent environ 1,5 million d'Arméniens - une des plus importantes communautés. Celle-ci assume pleinement la nationalité française et des racines culturelles arméniennes toujours vivaces.

Lors de la réception, en octobre 1996, du Président de la République arménienne, Levon Ter Pétrossian, M. Jacques Chirac, Président de la République française, a chaleureusement évoqué mille ans de relations privilégiées.

« Président d'une jeune République incarnant un grand peuple et porteuse des espérances de sa diaspora, vous représentez aussi l'Arménie millénaire.

C'est votre première visite officielle en France, Monsieur le Président, et je serais profondément heureux si vous aviez le sentiment d'être reçus par les membres d'une famille, éloignée par la géographie, mais proche par le coeur.

Depuis plus de 1000 ans, l'histoire a ménagé, entre l'Arménie et la France, des rapprochements qui ont tissé de profondes affinités, une compréhension réciproque, une estime mutuelle largement cimentées par l'humanisme chrétien.

Lorsque les Croisés partirent pour l'Orient, s'engageant dans une aventure grandiose et redoutable, c'est chez les Arméniens qu'ils rencontrèrent, dans ces contrées lointaines, des alliés indéfectibles. Ces Arméniens, dont les éléments les plus dynamiques, chassés de leur berceau ancestral par les Seldjouikides, venaient de s'installer en Cilicie.

Au XIV eme siècle, alors que l'histoire effaçait les ultimes traces d'une présence franque, le dernier roi de la "Petite Arménie" fut un poitevin, Léon V de Lusignan. Son cénotaphe côtoie, à Saint-Denis, les tombeaux des rois de France.

Nos liens ont perduré. N'oublions pas que les grandes heures de l'empire ottoman furent propices aux Arméniens, actifs, entreprenants, qui occupèrent des positions éminentes dans la vie culturelle, administrative, économique.

Les Rois de France, protecteurs de la chrétienté en Orient, se sont attachés à développer les relations avec les Arméniens. Toute une société arménienne est devenue francophone et francophile.

Plus tard, les idées généreuses de 1789 inspirèrent les Arméniens, alors en quête des mêmes idéaux. Par la suite, notre amitié est allée jusqu'à la fraternité d'armes, quand bien des vôtres s'engagèrent dans les rangs français en 1870 et en 1914. L'Arménie, "la vaillante petite alliée" disait Clemenceau.

Puis vint le temps du malheur, le temps des massacres impitoyables, le temps de la barbarie programmée.

De cette plaie béante, du chaos de la Grande Guerre, surgissent deux faits qui confortent nos liens : une fugitive République indépendante d'Arménie, fondement de l'Arménie d'aujourd'hui et l'arrivée massive dans notre pays d'Arméniens désemparés et marqués par l'horreur.

Et je pense à des hommes, tels le Père POIDEBARD, premier Ambassadeur de France en Arménie, en 1918. Je pense à ces lieux, tels le Massa-Dag où la marine française sauva tant d'Arméniens.

Plus de soixante-dix ans ont passé, et la communauté arménienne a su, par son énergie, sa persévérance, son éthique du travail et de la famille, assurer coûte que coûte une éducation à ses enfants et hisser ses meilleurs fils aux plus hauts niveaux de la société française. Le film "Mayrig", de notre maître, de mon ami Henri Verneuil, illustre avec brio ces destins remarquables.

Profondément attachée à l'Arménie, cette communauté a beaucoup apporté à la France. En témoigne son rôle dans les moments les plus difficiles, je pense par exemple à la résistance française, au temps de "l'affiche rouge".

Je salue cette communauté arménienne. Elle enrichit les relations entre nous. Elle incarne un formidable message d'espoir et de courage.

Je salue la présence des chefs spirituels des trois églises arméniennes de France, l'église apostolique, l'église catholique et l'église protestante évangélique. Symbole de la patrie invisible, l'Église a joué dans votre histoire un rôle essentiel. Et permettez-moi, Monsieur le Président, d'évoquer mon émotion lorsque Sa Sainteté Vasken 1 er m'a décerné l'insigne de Saint-Grégoire l'illuminateur.

Je salue aussi les associations arméniennes qui ont eu un rôle décisif d'abord au service de l'intégration puis du renforcement des liens entre nos deux pays. Elles furent notamment admirables et je puis en témoigner lors du séisme du 7 décembre 1988.

Vous êtes, Monsieur le Président, à la tête d'un jeune État, qui doit affronter de grands défis : assurer la solidité d'une indépendance et d'une souveraineté reconquises ; maîtriser à nouveau ses racines et son histoire ; s'ouvrir au monde et vous avez déjà fait d'immenses progrès sous votre impulsion, dans le domaine politique comme dans le domaine économique. Sachez-le, la France sera à vos côtés dans cette grande entreprise et pour soutenir votre grande ambition.

Renouer avec le passé, c'est d'abord affaire de culture. Comme toute grande culture, la vôtre est à la fois spécifique et universelle. Elle a donné au monde des chefs d'oeuvre de la pensée et de l'architecture. Permettez-moi d'évoquer le site d'ANI à l'avenir duquel, vous le savez, je suis personnellement attaché. Elle a su également transmettre. Vous en êtes l'exemple, Monsieur le Président, Monsieur le Professeur, vous qui vous êtes penché sur des textes essentiels du patrimoine chrétien qui nous sont parvenus au travers des manuscrits arméniens.

Cette culture rayonne. Elle donne à l'Arménie une dimension historique. Deux expositions qui se tiennent actuellement en France en témoignent : celle du Musée Dobrée, à Nantes, qui éclaire la période préchrétienne de l'Arménie ; celle de la Bibliothèque nationale, à Paris, que vous venez d'inaugurer, et qui présente plusieurs de vos plus beaux manuscrits, provenant notamment du Matenadaran, j'ai eu beaucoup de plaisir à vous accompagner dans cette inauguration, Monsieur le Président.

Cette civilisation, riche et ancienne, c'est le socle même de votre jeune État. Au carrefour de plusieurs mondes, trait d'union entre l'Orient et l'Occident, l'Arménie s'est tournée vers l'Europe. Nous soutenons vos choix courageux : c'est la voie d'une économie en croissance, dans un État comme vous l'avez voulu où le droit et la démocratie fondent les rapports entre les hommes. Tel est le sens des coopérations étroites engagées entre nos deux pays. Notre ambition est que ces coopérations, qui ont vocation à s'approfondir, apportent leur pierre à l'édifice d'une Arménie libre, dynamique et ouverte au monde.

Oui, l'ouverture est la vocation et la chance de l'Arménie. Votre pays saura trouver dans le monde la place qui lui revient. Il sera un facteur de paix, je le sais. Les relations de bon voisinage, les solidarités nouvelles, le sens de la dignité humaine doivent faire de l'ensemble de la région du Caucase un espace de paix, de tolérance et de prospérité. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page