Compte rendu de la visite au Mali

d'une délégation du Groupe sénatorial

FRANCE - PAYS DE L'AFRIQUE DE L'OUEST

- du 1er au 5 avril 1997 -

Le groupe sénatorial France - Afrique de l'Ouest souhaitait, pour 1997, organiser une mission dans un pays sahélien. Son choix s'est porté sur le Mali, afin d'étudier le processus de transition démocratique et la situation économique.

La délégation, présidée par M. Jacques Legendre, sénateur (RPR) du Nord, président du groupe, était composée de :

- M. Jean Faure, sénateur (Union Centriste) de l'Isère ;

- M. Yann Gaillard, sénateur (app. Rassemblement pour la République) de l'Aube ;

- M. François Trucy, sénateur (Républicains et Indépendants) du Var ;

- M. Georges Berchet, sénateur (Rassemblement démocratique et social européen) de Haute-Marne.

Elle était accompagnée par M. Bernard Rullier, administrateur des services du Sénat, secrétaire exécutif du groupe.

Une mission de députés s'étant rendue dans ce pays afin d'expliquer la politique d'immigration de la France, il n'a pas paru utile à la délégation du groupe d'aborder cet aspect des relations franco-maliennes, même si l'émigration malienne en France est apparue comme un élément des préoccupations de nos interlocuteurs maliens.

Le Président de la République française et le Président Konaré ont décidé en décembre 1995 de désigner chacun un expert chargé d'étudier ces questions. Pour examiner avec les autorités de Bamako les moyens propres à réduire ce courant migratoire et à faciliter le retour des personnes en situation irrégulière, M. Jacques Godfrain, alors ministre de la Coopération, a effectué deux visites au Mali, les 23 et 24 septembre 1996 puis les 26-28 janvier 1997.

De fait, l'attention de la délégation s'est portée sur la préparation des élections législatives. Le séjour de la délégation, du 1er au 5 avril 1997, coïncidait en effet avec la préparation du premier tour de ces élections, qui devait se tenir le 13 avril dernier et a été reporté au mois de juillet 1997.

Elle a également apprécié les efforts économiques de ce pays, notamment agricoles, dans la région de Tombouctou.

Enfin, elle a constaté les effets, pour la communauté touarègue, de la paix civile dans le Nord, après plus de six années de rébellion (1990-1996) .

I. UN RÉGIME DÉMOCRATISÉ MAIS UNE DÉMOCRATISATION INACHEVÉE

Le Mali est une jeune démocratie. Compte tenu des problèmes économiques que rencontre ce pays, le chemin de la démocratisation sera long, comme l'a montré le report des élections législatives du mois d'avril au mois de juillet 1997.

A. UNE JEUNE DÉMOCRATIE

1. Un président élu au suffrage universel

Après deux expériences autoritaires (Modibo Keita 1960-1968, puis Moussa Traoré 1968-1991) qui ont duré de l'indépendance, le 22 septembre 1960 à 1991, soit pendant vingt et un ans, le Mali s'est ouvert au pluralisme, après une phase de transition démocratique, entre mars 1991 et avril 1992, organisée par le général Amadou Toumani Touré.

La démocratisation du régime a débuté avec l'élection présidentielle d'avril 1992 et l'accession au pouvoir du président Alpha Oumar Konaré, élu avec 70 % des voix, contre 30 % à son principal adversaire, M. Tiéoulé Mamadou Konaté.

Lors de l'audition que le chef de l'État a accordé à la délégation, le 2 avril 1997, celui-ci a évoqué les événements de 1991, à l'origine de la démocratisation du Mali. Après avoir rappelé la longue tradition du tout-État et du parti unique que ce pays avait connu, comme en Guinée, et contrairement à d'autres pays de la zone, comme la Côte d'Ivoire ou le Sénégal, le Président de la République a indiqué que, lors de son accession au pouvoir, les observateurs lui avaient prédit qu'avant six mois, il serait obligé de démissionner. Il a souligné qu'il arrivait à l'échéance normale de son mandat.

Le chef de l'État a ensuite évoqué les difficultés rencontrées lors des premières années de son mandat : satisfaire les revendications salariales, de manière progressive, réformer le système scolaire afin d'augmenter le taux de scolarisation, qui ne dépassait pas 50 %, régler le conflit du Nord. Á cet égard, il a souligné que le Mali constituait aujourd'hui une Nation, dans la mesure où il n'existait pas une seule famille malienne qui n'était constituée de plusieurs ethnies. Il a précisé que la revendication tourègue portait sur la justice sociale et la solidarité interrégionale.

Soulignant que la décentralisation au Mali s'était accompagnée d'une intégration régionale, il a évoqué le Nigeria. Rappelant que cet État, première puissance régionale, était également le premier partenaire de la France en Afrique sub-saharienne, il a estimé nécessaire d'intégrer le Nigeria dans une union économique et monétaire, voire dans une communauté de défense régionales.

Il a estimé que la coopération à l'intérieur du Mali, tout comme la coopération entre la France et les pays d'Afrique, ne devait pas être synonyme d'assistanat. Le chef de l'État a salué l'aide de la France au processus de paix dans le Nord, chiffrant le coût de celui-ci à moins de 10 millions de dollars au total, alors que les dépenses consacrées par la communauté internationale à l'Angola dépassaient 1 million de dollars par jour, et que celles consacrées aux pays de la région des grands lacs étaient encore plus élevées. Rappelant le rôle carrefour du Nord du Mali, il a estimé que si cette zone était déstabilisée, toute la région le serait.

Évoquant les élections législatives, il a précisé qu'il avait été contraint de dissoudre l'Assemblée nationale afin de respecter les délais constitutionnels. Il a souhaité des élections paisibles et régulières afin de permettre à 1'élan démocratique de se poursuivre malgré des résultats économiques fragiles.

Le Président de la République a ensuite abordé le sort des anciens dirigeants du pays, dont l'ancien chef de l'État, Moussa Traoré, et précisé qu'il avait commué sa peine de mort en peine de prison, afin de le « condamner » à vivre pour assister à la naissance du Mali démocratique. Il a évoqué le sort de l'ancien chef des forces armées, lequel, malgré une peine de prison, a été soigné en France.

Brossant le tableau de la situation économique du pays, il a souligné les atouts dont disposait le Mali : 1 million d'hectares de terres arables, faisant du pays un grenier potentiel de la région, du coton, de l'or, des ressources humaines.

Rappelant que près d'un malien sur trois vivait hors des frontières, le chef de l'État a évoqué la situation de la communauté malienne en France. Il a déploré que de jeunes Maliens apprennent la langue arabe en France, et soient influencés par les idées intégristes. Il a estimé qu'ils n'étaient pas assimilables dans la mesure où ils refusent d'être intégrés et sont à la recherche de leur identité culturelle. Il a proposé l'aide du Mali dans la lutte contre l'immigration clandestine, soulignant que l'émigration provoquait une baisse importante de la consommation intérieure. Il a jugé que la solution résidait dans le développement économique du Mali.

En réponse à M. Jean Faure, le chef de l'État a jugé très utile la visite que le M. Jacques Godfrain, alors ministre de la Coopération, avait effectuée en septembre 1996 dans la région de Kayes, le principal foyer de l'émigration malienne. Il s'est félicité de la mise en oeuvre d'une politique de coopération décentralisée, soulignant l'impact de micro-crédits, d'une valeur équivalente à 50 ou 100 francs français, qui permettent de soutenir des initiatives individuelles viables, et qui sont remboursés à hauteur de 90 %.

En réponse à M. François Trucy, le Président de la République a évoqué les maladies endémiques du Mali. S'agissant de la prévention du SIDA, il a précisé que le coût d'un préservatif équivalait, au Mali, à un repas. Il a donné des indications sur le développement des centres de santé communautaires qui dispensent des soins élémentaires minimums.

Revenant sur les propos du chef de l'État relatifs aux jeunes Maliens habitant les banlieues françaises, M. Yann Gaillard a souhaité savoir quel discours il fallait tenir à leur égard. Le chef de l'État a alors décrit les conditions matérielles de l'émigration. Il a rappelé le manque d'infrastructures du Mali, et a évoqué le rôle des filières clandestines de passeurs. Rappelant la tenue d'un forum à Kayes du 27 au 30 janvier 1997, avec la participation des associations de Maliens en France, il a estimé qu'en l'absence de réalisation concrète dans l'année correspondant aux projets de coopération annoncés lors de ce forum, il serait difficile d'empêcher les gens d'émigrer. Il a jugé par ailleurs que les expulsions ne tariraient pas les flux.

Remerciant le Président de la République pour l'entretien accordé à la délégation, d'une longueur inhabituelle, M. Jacques Legendre a reçu, au nom de la délégation, le présent traditionnel offert aux visiteurs de marque : un bélier. L'animal a ensuite été confié à l'Ambassade de France.

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