III. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE INSUFFISANTE
La délégation sénatoriale a pu constater que la France était présente en Ukraine en matière scientifique et culturelle. Á Kiev existe un institut culturel français très actif que la délégation a visité. Cet institut a également une annexe à Kharkov. En outre, il existe 17 alliances françaises en Ukraine. Á Lviv, un centre culturel français est également en cours de création, mais des centres culturels anglais et allemand existent déjà. Le dialogue qu'a pu avoir la délégation avec des professeurs de Français de l'université de Lviv a montré qu'il existait réellement une demande de la part des Ukrainiens en matière culturelle. Par ailleurs, l'un des membres de la délégation sénatoriale a pu visiter la seule école française de Kiev (un compte rendu de cette visite figure en annexe du présent rapport).
En revanche, l'ensemble des interlocuteurs de la délégation sénatoriale ont estimé que la France était trop peu présente en Ukraine, tant sur le plan politique que sur le plan économique. Certaines des personnalités rencontrées se sont émues de cette situation et l'une d'entre elles s'est même demandé si la France croyait réellement à la pérennité de l'État ukrainien.
Sur le plan politique, il est clair que les visites d'État font beaucoup pour le resserrement des liens entre deux pays ; dans ce domaine, la France s'est montrée jusqu'à présent moins active que d'autres pays occidentaux. Ainsi, le Chancelier de la République fédérale d'Allemagne, M. Helmut KOHL, et le Président des États-Unis, M. Bill CLINTON, se sont chacun rendus à deux reprises en Ukraine. Aucun Président de la République et aucun Premier ministre français ne se sont rendus dans ce pays depuis la proclamation de son indépendance. Une telle situation suscite des interrogations et une certaine déception en Ukraine où la France est considérée naturellement comme un pays ami. De nombreuses personnalités ont rappelé, à titre anecdotique, à la délégation que l'une des filles du prince Jaroslav de Kiev, Anne, épousa en 1051 le roi de France Henri-1 er .
Ce manque peut être aisément comblé et il serait souhaitable qu'une initiative puisse être prise dans ce domaine au cours des prochains mois. La visite en France du Président ukrainien Leonid KOUTCHMA les 30 et 31 janvier 1997 sera une occasion importante pour entreprendre un resserrement des liens politiques entre nos deux pays.
Sur le plan économique également, les Ukrainiens ont le sentiment d'une présence française limitée.
Á Lviv, la délégation a pu visiter une usine de fabrication d'autobus, caractérisée par une coopération entre LAZ, fabricant ukrainien, et RENAULT, qui fournit des moteurs pour l'équipement des autobus et des autocars. Cette usine, qui dispose d'une capacité de production de 9.000 véhicules par an, ne produit actuellement guère plus de 2.000 à 3.000 véhicules. Nous avons pu constater que les équipements étaient très obsolètes, mais nous avons pu avoir un échange très fructueux avec les dirigeants de l'usine qui font preuve d'un grand réalisme et n'envisagent pas d'exporter vers les pays occidentaux leurs autobus, souhaitant davantage s'implanter en Russie (particulièrement en Sibérie), en Iran, au Pakistan... Pour ce faire, les dirigeants de l'usine souhaiteraient un renforcement du partenariat avec Renault.
Á Kiev, lors d'une réunion organisée à l'initiative de l'ambassade de France, la délégation a pu dialoguer avec des représentants d'entreprises françaises installées en Ukraine. Nous avons pu apprécier le dynamisme de ces entreprises prêtes à prendre certains risques en investissant en Ukraine. Mais, pour l'heure, ces initiatives demeurent limitées. Environ 70 entreprises françaises se sont implantées en Ukraine. Le tableau suivant fait état des principaux investissements français en Ukraine en 1995.
PRINCIPAUX INVESTISSEMENTS FRANÇAIS EN 1995
NOM DE LA SOCIÉTÉ |
SOCIÉTÉS QUI LA COMPOSENT |
PRODUCTION/ACTIVITÉ |
SOFRACHIMIE |
SOFRAP/usine de PAVLOVGRAD |
Peintures anti-corrosion |
SCHLUMBERGER UKRGAZ METERS |
SCHLUMBERGER/ UKRGAZ |
Compteurs à gaz |
ALCATEL NETWOK SYSTEM UKRAINE |
ALCATEL CIT/ KOMMUNAR |
Éléments de systèmes de télécommunication |
DAKO |
DELAPLACE/ investisseurs privés ukrainiens |
Commercialisation des équipements agricoles pour les kolkhozes |
EOLE |
AIR LIQUIDE/ usine KISLORODMACH |
Commercialisation des équipements pour la production de gaz rares |
FRASMO |
ELF MARINE/ Raffinerie de KREMENTCHOUG |
Huiles marines |
LELA |
LENER CORDIER/ usine LASTIVKA |
Vêtements |
AGROPLUS |
BETEN/Investisseurs privés ukrainiens |
Commerce de produits agricoles |
CRÉDIT LYONNAIS UKRAINE |
Filiale à 100 % du CRÉDIT LYONNAIS |
Banque de plein exercice |
Source : Poste d'expansion économique de l'Ambassade de France à Kiev
Dans l'ensemble, les investissements étrangers en Ukraine sont pour l'instant assez faibles. Ainsi, ces investissements représentaient, à la fin de 1995, 11 $ par habitant, contre plus de 22 $ en Russie, 140 $ en Estonie et 700 $ en Hongrie. Le chiffre total des investissements étrangers en Ukraine ne dépasse guère 1 milliard de $, ce qui est très faible pour un pays présentant les potentialités de l'Ukraine. Parmi ces investissements étrangers, les investissements français s'élèvent à environ 10 millions de dollars selon les informations fournies à la délégation par le poste d'expansion économique de l'ambassade de France. Quarante-sept sociétés mixtes auraient été créées par des sociétés françaises et se concentreraient dans les secteurs suivants : banque et assurances (3,6 millions de dollars), industrie alimentaire (0,74 million de dollars), industrie légère (0,71 million de dollars).
D'autres pays investissent de manière plus conséquente que la France, sans toutefois que ces investissements représentent des sommes très importantes. Les États-Unis sont aussi le premier investisseur avec 88 millions de dollars, suivis de l'Allemagne (83 millions de dollars), puis du Royaume-Uni (31,5 millions de dollars).
Parmi les causes de ce niveau très limité des investissements étrangers en Ukraine, on peut notamment percevoir une crainte à l'égard de la législation sur la sécurité des investissements. Dans son rapport publié au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ( ( * )1) , M. Jean de LIPKOWSKI s'est inquiété de l'insuffisance des dispositions des accords de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et les nouveaux États indépendants à propos de la sécurité des investissements directs. Il s'est aussi élevé contre « la faiblesse des engagements souscrits, alors que la réussite des réformes économiques dans la C.E.I. dépend . largement de sa capacité à attirer des capitaux étrangers privés, comme le démontre l'exemple des PECO La fuite des capitaux originaires des pays de la C.E.I. hypothèque, en effet, largement les facultés d'investissement local. »
M. de LIPKOWSKI ajoutait : « les investisseurs disposent (...) de peu de lisibilité sur l'importance et la solvabilité de la demande locale, sur la nature d'éventuels avantages comparatifs et sur les conditions de production, de vente et de distribution. Á ceci s'ajoute l'effet dissuasif considérable créé par un environnement juridique fragile et peu fiable. De tous les critères examinés par les opérateurs économiques privés, c'est sans doute celui qui freine le plus les investissements. Les règles de droit commercial et fiscal sont peu développées, les autorités ou les juridictions chargées de les faire appliquer font défaut et les mécanismes de garantie des investissements étrangers sont peu rassurants. »
En Ukraine, l'État offre aux investisseurs étrangers des garanties contre un changement de législation, contre la nationalisation ou la confiscation ; une indemnisation des pertes ou dommages causés par des initiatives ou des défaillances d'organismes publics et de leurs représentants ; le libre transfert des revenus, bénéfices et autres valeurs en devises fortes produits par les investissements et la possibilité de réinvestir le revenu des investissements en Ukraine. Des progrès sont donc perceptibles dans la protection des investissements étrangers.
Dans ces conditions, on peut se demander si la faiblesse des investissements français en Ukraine n'est pas largement explicable par l'ignorance entourant encore ce pays, qui dispose pourtant de ressources naturelles considérables. Il conviendrait donc de mener des actions pour que ce pays et le potentiel qu'il représente soient mieux connus par nos entreprises. Seule la multiplication des visites politiques en Ukraine et des échanges entre nos deux pays permettra cette meilleure connaissance d'un pays qui dispose d'atouts considérables pour l'avenir.
Dans un livre resté célèbre, Jacques BENOIST-MÉCHIN qualifiait l'Ukraine de « fantôme de l'Europe » et s'interrogeait ainsi : « qu'est au juste l'Ukraine, ce pays dont ni le nom, ni les frontières ne sont tracés sur les cartes d'Europe ? ».
Aujourd'hui, l'Ukraine est devenue un État indépendant, s'est dotée récemment d'une Constitution démocratique et aspire à consolider cette indépendance nouvelle. La délégation sénatoriale a pu constater l'ampleur du chemin qui reste à parcourir à l'Ukraine dans son redressement économique, mais elle a découvert également la richesse de ce pays, qui dispose en particulier d'un potentiel considérable en matière agricole et agro-alimentaire.
La délégation espère que sa mission en Ukraine et le présent rapport contribueront à une meilleure connaissance en France de ce pays. La France peut apporter beaucoup à l'Ukraine, en développant des relations jusqu'à présent limitées et en renforçant sa présence sur place. Mais elle a également tout à y gagner. Nous sommes en effet convaincus que l'Ukraine peut jouer demain un rôle politique et économique important sur le continent européen.
PROGRAMME DE LA MISSION DU GROUPE D'AMITIÉ FRANCE-UKRAINE |
Lundi 23 septembre
10 H 45 Départ de Paris
15 H 00 Arrivée à Kiev et accueil par M. Youri BOUZDOUGANE, Président du groupe d'amitié Ukraine-France du Parlement ukrainien
18 H 00 Départ pour Lviv
19 H 30 Arrivée à Lviv, installation et dîner à l'hôtel
Mardi 24 septembre
10 H 00 Entretien avec M. KOUIBIDA, maire de Lviv
Visite de la ville
Visite à l'Université de Lviv
16 H 00 Visite d'une usine LAZ-RENAULT
Mercredi 25 septembre
Rencontre avec Mgr TROFIMIAK, évêque de la cathédrale catholique de Lviv
Rencontre avec un assistant du cardinal LUBACHIVSKIY, évêque de la cathédrale gréco-catholique St-Georges de Lviv
15 H 00 Entretien avec le gouverneur de la région de Lviv, M. Mykola HORIN
Jeudi 26 septembre
08 H 00 Départ en avion pour Kiev
11 H 00 Entretien avec M. Oleksander BRODSKY, vice-président de l'Agence Nationale pour la Reconstruction et le Développement
13 H 00 Déjeuner à l'invitation de S.E. M. Dominique CHASSARD, ambassadeur de France en Ukraine, en présence de parlementaires ukrainiens
15 H 00 Réunion au ministère de l'Intérieur
19 H 00 Soirée culturelle au Théâtre I. FRANKO, organisée par le Centre culturel et de coopération linguistique, l'Alliance française de Kiev et Gaz de France : ballet « DECODEX » présenté par l'association DCA - Philippe DECOUFLE
Vendredi 27 septembre
10 H 00 Entretien avec M. Oleksander MOROZ, Président de la Rada
Visite de la Rada
15 H 00 Entretien avec M. BOUTEIKO, vice-ministre des Affaires étrangères
17 H 00 Réunion de travail à l'ambassade de France, entretien avec des représentants d'entreprises françaises installées en Ukraine
19 H 00 Concert donné par le groupe d'enfants POPELUCHKA
Samedi 28 septembre
10 H 00 Visite de l'institut culturel français
11 H 00 Rencontre avec M. KINAKH, Conseiller du Président de la République
Visite de Kiev
19 H 00 Soirée à l'opéra de Kiev
Dimanche 29 septembre
Visite du musée ethnographique ukrainien de plein air PIROGOVO
Visite d'un kolkhoze à Karapichi
Lundi 30 septembre
07 H 35 Départ de Kiev
10 H 00 Arrivée à Paris
* (1) op. cité.