CONCLUSION
Par sa
détermination, sa rapidité et sa vigueur, la
libéralisation de l'économie néo-zélandaise n'est
pas sans rappeler celles menées, depuis 1990, dans plusieurs pays
d'Europe de l'Est (Pologne notamment), pour échapper au piège de
l'économie planifiée.
Hormis le fait que la première ait précédé les
secondes de plus de cinq ans, les deux démarches ne sont toutefois pas
assimilables. En Europe de l'Est, les lois du marché étaient
méconnues ; en Nouvelle-Zélande, elles n'étaient que
faussées par un interventionnisme étatique débridé.
Dans les deux îles jumelles du Pacifique, le régime de la
propriété privée était clairement établi ;
dans les anciennes démocraties populaires il n'était
qu'embryonnaire. Dans un cas, des instances de régulation
indépendantes du pouvoir politique (justice, presse, ...) fonctionnaient
normalement ; dans l'autre il a fallu les fonder.
L'expérience néo-zélandaise
relève en
réalité du cadre de développement retenu par l'Occident au
lendemain de la seconde guerre mondiale, à savoir celui d'une
économie de marché orientée par un Etat keynésien.
Cette expérience
n'en apparaît pas pour autant aisément
"exportable" dans d'autres pays occidentaux
. Ses modalités, son
rythme, sa conduite politique et ses indéniables succès
s'expliquent en effet pour partie par des caractéristiques nationales et
des circonstances particulières dont la combinaison se retrouve rarement
ailleurs.
Ainsi en est-il de
l'esprit pionnier
qui modèle encore
très fortement la culture nationale. A preuve, alors que les hivers sont
rudes dans l'île du Nord et dans l'île du Sud, l'immense
majorité des "Kiwis" ne font pas installer de chauffage central dans
leur maison. Une cheminée dans la pièce principale leur suffit la
plupart du temps. C'est, selon les observateurs avertis, cet
"individualisme
entreprenant et courageux"
fait de résistance à
l'adversité, de dureté envers soi et de proximité avec la
nature qui permet, par exemple, de comprendre l'acceptation par les fermiers de
la suppression brutale des subventions agricoles. A plusieurs reprises, la
Délégation l'a entendu répéter : ces derniers ont
avant tout ressenti cette décision comme une
"calamité
naturelle"
à laquelle il leur appartenait de faire face en comptant
sur leurs propres forces et en démontrant leur aptitude à la
surmonter.
Le respect de la règle démocratique
est un autre signe
typique de l'esprit national. La manière dont les syndicats ont
tenté de s'opposer à
l' "Employment Contracts Act" est un
exemple parmi d'autres de cette attitude. Les propos tenus par l'un des
dirigeants syndicaux rencontrés l'illustre parfaitement :
"Nous
avons, bien entendu, organisé des manifestations dans tout le pays pour
protester contre le projet de loi du gouvernement soutenu par le parti
national. Les gens ont été nombreux à manifester. Mais le
gouvernement a maintenu son projet et la majorité parlementaire issue
des élections de 1990 l'a voté. Depuis, ce texte est
appliqué et nous attendons la prochaine alternance pour exiger sa remise
en cause".
Au-delà de l'accord des différents partis sur la
nécessité de la libéralisation et indépendamment de
l'habileté politique avec laquelle cette convergence a été
utilisée, le consensus national sur le caractère incontestable de
la loi majoritaire a vraisemblablement constitué une des principales
causes l'aboutissement des réformes.
Dans ce contexte, la
brièveté du mandat parlementaire
-trois ans, une des durées les plus courtes parmi les démocraties
occidentales
46(
*
)
- a pu
contribuer à la rapidité, pour ne pas dire la brutalité,
avec laquelle ces mesures ont été mises en oeuvre.
Un certain nombre de
facteurs conjoncturels
ont également
favorisé le consentement des néo-zélandais au virage
libéral de 1984. La crise aigüe déclenchée par
l'affaire du "Rainbow Warrior" dans la première année du
gouvernement de M. David Lange a, de ce point de vue, joué un rôle
non négligeable de diversion. De plus, à l'époque,
l'opinion publique était bien davantage mobilisée par les
débats de sociétés (défense de l'environnement,
égalité Pakehas/Maori droit des femmes, lutte anti-apartheid,
combat anti-nucléaire, ...) que par les questions de politique
économique.
Enfin, la population était fortement
consciente des dangers
de
l'affaissement de l'économie et de la solitude du pays qui ne pouvait
plus compter que sur lui-même pour s'adapter au monde
47(
*
)
.
En cela, l'expérience néo-zélandaise possède une
dimension exemplaire. Elle est en effet la forme nationale d'une réponse
à un défi auquel sont désormais confrontés tous les
pays développés : celui de la mondialisation
accélérée des économies
. C'est pourquoi,
l'examen des solutions retenues dans cet archipel du Pacifique Sud peut nourrir
la réflexion sous d'autres latitudes.
A cet égard, les décisions prises par ce pays -dont la
liberté de choix est plus que d'autres limitée par la taille
relativement modeste et la large ouverture sur l'extérieur de son
économie- diffèrent sensiblement de celles qui sont parfois
arrêtées ailleurs.
Ainsi, quittant la France au moment où l'Assemblée nationale
discutait de la réduction à 35 heures de la durée
hebdomadaire du travail, la Délégation n'a pas manqué
d'être frappée en arrivant à Wellington -où cette
durée est de 40 heures- de constater qu'on examinait au Parlement un
projet consistant à permettre à un salarié qui le
souhaiterait de faire racheter, par son employeur, l'une de ses trois semaines
de congés payés.
De telles divergences amènent à s'interroger. Qui a raison : ceux
qui choisissent de travailler plus ou ceux qui préfèrent
travailler moins ? A qui l'avenir donnera-t-il raison : au pays qui a
déjà un taux de chômage comptant parmi les plus faibles de
l'OCDE ou à celui, comme le nôtre, dont ce taux se situe parmi les
plus élevés ? Qui fait fausse route : la petite
Nouvelle-Zélande confrontée à la gigantesque Asie ou la
France adossée à l'Europe des Quinze ?
Aujourd'hui, nul ne peut encore être sûr de la réponse. Il
est en revanche certain qu'après avoir perdu son quasi monopole
d'exportation agricole vers le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande a
compris que ce n'était ni sur une rente de situation ni sur les
dépenses de l'Etat mais sur l'effort collectif et l'initiative
individuelle que pouvait se construire durablement le succès
économique. La leçon mérite d'être
méditée.