CHAPITRE III
UN LIBÉRALISME SANS CONCESSION
Les
réformes qui ont changé en dix ans le visage de la
Nouvelle-Zélande ne se réduisent pas à celles qui viennent
d'être exposées.
D'autres les ont accompagnées. Le droit de la propriété
intellectuelle, celui de l'urbanisme, de l'environnement, de
l'aménagement du territoire pour ne citer qu'eux ont été
substantiellement révisés. Les juridictions ont été
restructurées. Des concessionnaires privés gèrent les
prisons. On a profondément remanié -nous l'avons vu- le mode de
scrutin des élections nationales. Même les rythmes de la vie
quotidienne n'ont pas échappé au mouvement : toutes les
restrictions horaires à la liberté d'ouverture des commerces sont
levées depuis 1989
35(
*
)
.
Mais, d'une part, toutes ces réformes ont un point commun : une
fidélité sans concession au modèle libéral
d'organisation sociale, source de leur inspiration et objectif de leur
réalisation. Au pays du "long nuage blanc ", le principe de la
régulation par le marché a emporté l'adhésion. Il a
séduit indifféremment la droite et la gauche.
D'autre part, il est incontestable que ce sont les réformes
économiques qui ont entraîné l'ensemble des changements. A
l'heure où se construit l'Europe monétaire, il y a là une
leçon à méditer.
La réputation de "laboratoire du libéralisme"
acquise par
la Nouvelle-Zélande
n'est donc pas usurpée
. Nulle autre
nation développée n'a mis en oeuvre en un si bref laps de temps,
une panoplie aussi étendue de mesures de libéralisation
économique.
Apprécier les fruits de ces mesures présente, par voie de
conséquence, un réel intérêt. Cet examen fait
ressortir des résultats remarquables ; il révèle
parallèlement des ombres liées en bonne part à la
situation du pays. Certaines d'entre elles constitueront l'enjeu de la
prochaine échéance électorale.
I. DES RÉSULTATS REMARQUABLES
A. LE REDRESSEMENT DE L'ÉCONOMIE
1. Croissance accrue et chômage réduit
Si le
changement de cap économique a, selon toute évidence,
arraché la Nouvelle-Zélande au tourbillon fatal dans lequel elle
était aspirée, il ne l'a pas pour autant conduite sur un chemin
facile. De 1987 à 1991, elle traverse cinq longues années de
stagnation. Elle connaît même la récession (-1,2 %) en 1991,
le chômage dépassant 10 %.
Les effets des réformes ne se perçoivent vraiment qu'à
partir de cette date mais ils sont alors particulièrement
démonstratifs. Les résultats du pays le classent depuis lors
parmi les meilleurs de l'OCDE.
Même si elle marqué le pas en 1997 et si elle risque d'être
ébranlée par la crise asiatique,
la croissance annuelle
moyenne du PIB, au cours des cinq dernières années, a
été supérieure à 3,5 %.
Le chômage oscille autour de la barre des 6 %.
C'est le plus bas taux
de chômage de l'OCDE après celui du Japon, des Etats-Unis et de
l'Australie. Il est d'autant plus remarquable que la population active s'est
accrue de 17 % depuis 1991.
L'inflation s'est toujours maintenue au-dessous de 4%. L'investissement
industriel a progressé de 60 %. La cote de solvabilité de la
Nouvelle-Zélande est désormais supérieure à celle
de l'Australie (AA+). Le sommet de la croissance a été atteint au
mois de juin 1994, avec un taux de 6,4 % sur douze mois.
2. Excédents budgétaires se substituant au déficit
Les
déficits du budget "gouvernemental" appartiennent désormais
à l'histoire ancienne. Depuis 1993, l'État dégage un
surplus budgétaire qui, sur les quatre derniers exercices, a toujours
été supérieur à 3 % du PIB.
La loi de responsabilité fiscale de 1994 (Fiscal Responsability Act)
impose d'ailleurs le respect de ce seuil d'excédent tant que la dette
publique représentera plus de 20 % du PIB
36(
*
)
.
Aujourd'hui, le service de cette dette ne mobilise plus que 7 % des recettes
contre jusqu'à 15 % dans le passé. En outre, le gouvernement a
complètement éliminé en 1997 la partie de sa dette
libellée en devises. Il a ainsi réduit très fortement le
risque que représenterait une nouvelle crise des changes.
3. L'élan retrouvé
Vingt-cinq ans après la perte de leur accès
privilégié au marché britannique, les exportations
néo-zélandaises sont à nouveau florissantes.
Elles ont connu une hausse de 30 % en volume depuis 1991. Quoiqu'elles soient
encore axées pour moitié sur des produits de base, elles se sont
beaucoup diversifiées dans leurs structures et dans leurs destinations.
Le taux de croissance des exportations de produits transformés se
maintient autour de 10 % ces dernières années ; les
marchés asiatiques représentent aujourd'hui 40 % des
exportations totales.
Le tourisme représente désormais la moitié des
exportations de services, ce qui suscite d'ailleurs quelques inquiétudes
sur place car, là encore, la clientèle asiatique (500.000
touristes par an) risque d'être affectée par la crise qui secoue
la région.
La Nouvelle-Zélande n'attire d'ailleurs pas les asiatiques que dans ses
hôtels et ses parcs naturels. Il y a 20.000 étudiants originaires
des divers pays d'Asie dans ses universités
37(
*
)
, soit 20 % de la population
étudiante dans une ville comme Auckland.
Cependant, la vitalité de l'économie ne se constate pas qu'au
travers des indicateurs. Elle se perçoit aussi dans la transformation
des esprits.
Le nombre des entreprises individuelles a explosé. Aujourd'hui, 85 % des
entreprises emploient moins de 10 salariés. La mentalité de
pionnier qui marque la culture nationale semble s'être
réveillée. Selon un sondage, seulement 11 % des moins de 35 ans
estiment normal que les chômeurs bénéficient d'une
allocation.
Symbole de ce renouveau, ceux qui ont gagné -pour la première
fois depuis sa création- "l'America Cup" lors de la dernière
compétition investissent un milliard de francs dans l'aménagement
du port d'Auckland pour accueillir la prochaine épreuve. Celle-ci se
déroulera en l'an 2000, la même année que les Jeux
Olympiques de Sydney.
B. LE RENOUVEAU DE L'AGRICULTURE ET DE L'ESPACE RURAL
1. La restructuration de la production
Durement
secouée par la réforme -cela a été signalé
précédemment- mais forte de ses grands atouts naturels,
l'agriculture néo-zélandaise s'est modernisée et
diversifiée. Elle est redevenue sans aucun soutien public le fer de
lance de l'économie nationale sur le marché mondial. De l'avis de
la quasi totalité des observateurs, elle sort
régénérée de l'épreuve. A tel point que les
agriculteurs eux-mêmes considèrent aujourd'hui que 1984 a
constitué pour eux un choc salutaire
38(
*
)
.
La structure de la production agricole a évolué. On constate un
net abandon des activités d'agriculture pastorale traditionnelle,
à qui était destiné l'essentiel des soutiens.
Entre 1985 et 1995, la production ovine -premier bénéficiaire des
aides- a diminué de près de 40 %, tandis que la production
laitière et bovine progressait.
Parallèlement, l'éventail des activités d'élevage
s'est élargi. Autruches, caprins et cervidés -dont la chair et
les bois réduits en poudre bénéficient d'un marché
porteur en Asie- côtoient maintenant, bien qu'en plus petit nombre,
moutons et vaches dans les campagnes.
Ayant connu un fort développement, la production de fruits et
légumes, longtemps limitée, représente désormais 14
% de la production totale en valeur et s'exporte remarquablement bien,
notamment vers le Japon.
La viticulture est également en plein essor et les atouts vinicoles de
la Nouvelle-Zélande commencent à y attirer les entreprises
françaises. Veuve Cliquot et Deutz ont passé des accords avec
Montana, la plus grande maison de négoce vinicole du pays. Notons
d'ailleurs que Montana vend à l'étranger la plus grande part tant
de ses productions que de ses achats de vin néo-zélandais.
Sur les terres où l'élevage a été abandonné,
parce qu'il n'y était plus rentable en l'absence de subventions,
poussent aujourd'hui des forêts. Cette sylviculture qui a sensiblement
modifié les paysages ruraux, présente l'originalité
d'être fondée sur une seule essence, le pin radiata, à la
croissance rapide puisqu'il arrive à maturité en dix ans.
Utilisé pour la construction, il s'exporte également en grosses
quantités vers le Japon et la Corée du Sud qui manquent de bois.
Dans les ports de commerce de Wellington ou d'Auckland, les amoncellements de
grumes frappent d'ailleurs le regard.
L'exportation de ces nouveaux produits tout comme celle de ceux plus
traditionnels (laine, produits laitiers, viande de boeuf et de mouton) reste
une priorité. Sur ce plan, l'agriculture néo-zélandaise
enregistre, au travers des Boards
39(
*
)
, des succès impressionnants dont
le Dairy Board constitue une brillante illustration.
LE DAIRY BOARD
Créé dès 1871, c'est une coopérative de 14.000
fermiers. Avant la seconde guerre mondiale, c'était un organisme
d'État. Désormais, elle fonctionne sans subventions mais
détient par décision parlementaire le monopole de la
transformation et de l'exportation des produits laitiers.
La production néo-zélandaise de lait ne représente que
1,5 % de la production mondiale
mais
25 % de la commercialisation
mondiale
de produits laitiers (47 % pour l'Union européenne, 10 %
pour l'Australie, 8 % pour les États-Unis). Cette production se monte
à 7 millions de tonnes de lait, dont 90 % est exportée dans 120
pays. Elle se répartit entre :
beurre 250.000 T,
fromage 120.000 T,
poudre de lait 430.000 T.
Le Dairy Board compte :
6.500 salariés dont 1.500 néo-zélandais,
60 antennes commerciales à l'étranger.
La croissance de ses exportations est actuellement de 15 % l'an. Elle pourrait
toutefois être remise en cause par la crise asiatique.
2. La diversification des régions rurales
Les
années consécutives à la réforme se
caractérisent aussi par une diversification croissante des sources de
revenu des ménages agricoles. Ces derniers ont beaucoup élargi
leur gamme d'activités. Certaines consistent à valoriser la
production agricole (transformation des denrées brutes, services
à l'agriculture, tourisme rural, ...) ; d'autres n'y sont pas
liées (industrie de transformation légère, art souvent
d'inspiration maorie et artisanat, ...). L'évolution la plus frappante
concerne l'importance croissante des activités non traditionnelles au
sein des communautés rurales.
Sept ans après la réforme,
60 % des personnes vivant en zone
rurale exerçaient une activité non agricole.
Dans de nombreux
cas, les pertes d'emplois agricoles ont été compensées par
une augmentation des effectifs dans les services à la
collectivité, les services sociaux, les services financiers et aux
entreprises, le commerce de gros, de détail, l'hôtellerie.
Un secteur en particulier constitue un puissant levier de diversification de
l'économie rurale : le tourisme vert. Près de 10 % des
agriculteurs exercent une activité de tourisme rural. Répondant
à une demande croissante de redécouverte de la nature, le
tourisme rural tend à jouer un rôle central dans la
diversification des zones rurales.
Comme le faisait remarquer à la Délégation un
Français installé en Nouvelle-Zélande :
" Il y a
une vie après la mort des subventions ; les agriculteurs
néo-zélandais l'ont démontré ".
C. LA MUE DU SECTEUR PUBLIC
1. Des établissements "démonopolisés".
Au fil
des ans, 24 entreprises publiques d'État ont été
privatisées en totalité ou en partie
40(
*
)
. Seule la Poste demeure une
société détenue à 100 % par l'État. Quelques
unes intervenant dans des secteurs considérés comme
stratégiques sont encore à majorité publique. La plupart
sont désormais passés sous contrôle privé,
même si parfois l'État y conserve encore une participation
minoritaire.
A quelques exceptions près, il n'existe plus de monopoles
nationaux.
Ceux existant peuvent être soit publics, soit
privés mais n'ont le plus souvent qu'une assise régionale ou
locale et un champ d'action limité. Tel est le cas dans le domaine de
l'énergie. Les fonctions de production, de transport et de distribution
y sont séparées et les sociétés intervenant sur ces
segments ont, la plupart du temps, un monopole territorial accordé dans
le cadre d'un contrat de fourniture ou de concession souscrit avec
l'État ou une autorité locale.
Ces transformations ont eu un effet saisissant sur la profitabilité des
entreprises d'État. En 1995, le rapport présenté par le
Gouvernement sur la situation financière de seize d'entre elles
souligne, d'une part, que toutes sauf trois font des profits alors qu'elles
étaient généralement déficitaires en 1987 et,
d'autre part, que le bénéfice dégagé par les treize
excédentaires représente quelque 8 % du chiffre d'affaires de
l'ensemble.
Ces résultats traduisent un changement radical dans la gestion de ces
entreprises. En dix ans, les effectifs de la New-Zealand Railways -la SNCF
locale- sont passés de 22.000 à 4.500 salariés.
Ceux de la Poste -dont on a retranché les services bancaires- se sont
contractés de 40 % et un bureau postal sur trois a fermé pendant
la même période. Cependant, avec un timbre à 1,40 F, la
poste néo-zélandaise affiche des bénéfices continus
depuis sa transformation en société anonyme à capital
d'État (en 1997, le bénéfice d'exploitation
représente 10,5 % du chiffre d'affaires). En outre, 95 % des lettres
ordinaires sont distribuées le lendemain de leur dépôt
à l'intérieur de la même zone urbaine.
Pour les entreprises publiques locales, le mouvement semble moins ample. La
quasi totalité a désormais un statut de société
commerciale mais la privatisation apparaît moins prononcée. Ainsi,
seuls 20 % du capital de Lyttelton -le port de Christchurch- sont
côtés à la bourse de Wellington.
En revanche, la concession des services publics locaux au secteur privé
est désormais, à en croire les témoignages recueillis sur
place, le mode de gestion dominant. Toutefois, les graves défaillances
du réseau d'alimentation électrique d'Auckland -la capitale
économique du pays- ont suscité, sur place, des interrogations
sur la fiabilité de ce régime concessionnaire.
La presse a en effet mis en cause la responsabilité de la
société Mercury, à laquelle est
déléguée la gestion de la distribution électrique
à Auckland, dans la survenance des pannes qui ont affecté la
cité au mois de février dernier. De fait, ces pannes
causées par la rupture de gros câbles d'approvisionnement, ont
plongé une grande partie de la ville dans le noir lors du séjour
qu'y a fait la Délégation et ont ensuite perturbé la vie
des affaires et celles des habitants pendant plus de trois semaines.
2. Une administration allégée
La
suppression des services administratifs devenus inutiles du fait de la
libéralisation, l'appel au marché pour certaines prestations
(études par exemple) et l'émergence de structures de gestion
rigoureuse ont produit des effets sensibles.
En dix ans, de 1987 à
1997, les effectifs de la fonction publique ont baissé de 45 %.
Les résultats de ces politiques présentent parfois un
caractère spectaculaire.
L'administration du ministère des
Transports qui comptait 5.000 membres en 1986 n'en employait plus que 50 en
1995.
Une réduction de 100 à 1 ! Ses anciennes fonctions
de régulation, d'allocation de fonds ou de gestion de projets ont toutes
été confiées à divers organismes
spécialisés, sous contrat avec le ministre des Transports.
Au total, la société néo-zélandaise d'aujourd'hui
ne ressemble plus guère à celle d'il y a quinze ans. Longtemps
à l'abri du monde extérieur, vivant dans l'ombre d'un Etat
tutélaire, elle affronte désormais le grand vent de la
concurrence.
Toutefois, ses succès -croissance, emploi, performances commerciales,
dynamisme créatif- ne doivent pas dissimuler certaines ombres.
II. DES OMBRES À CARACTÈRE STRUCTUREL
A. LE POIDS DU CAPITAL ÉTRANGER
En
Nouvelle-Zélande, les plus importantes des entreprises publiques
privatisées sont détenues par des étrangers. Peter Harris,
conseiller économique de la confédération des syndicats,
résume la situation d'une formule lapidaire :
"Nous avons vendu les
banques aux Australiens, la compagnie d'assurance aux Britanniques, les chemins
de fer et les télécommunications
41(
*
)
aux Américains, les forêts
aux Japonais, les compagnies aériennes aux Australiens et aux
Britanniques".
Par ailleurs, les capitaux internationaux, notamment asiatiques, s'investissent
massivement dans l'immobilier et dans certains programmes de
développement d'infrastructures (extensions portuaires ou
aéroportuaires par exemple).
Cette forme de dépendance ne semble pas inquiéter les
autorités nationales. Interrogée à ce sujet par la
Délégation, Mme Shipley, Premier ministre, a rappelé que
la Nouvelle-Zélande avait toujours eu besoin du capital étranger
pour s'équiper et que
"l'important pour le pays n'est pas tellement
d'où vient l'argent mais bien que les infrastructures, les emplois, les
activités qu'il permet de financer soient domiciliés sur son
sol".
Il n'en demeure pas moins que l'épargne nationale est faible et les
analystes économiques expliquent mal les raisons de cette faiblesse.
Pour le gouverneur de la banque d'émission, elle semble découler
d'une préférence pour l'investissement immobilier dont les
rendements ne sont pas nécessairement les plus attractifs. Pour le FMI,
la prise en charge par l'État d'un grand nombre de prestations
(retraite, chômage, éducation) inciterait peu à
épargner.
Quoiqu'il en soit, la solution préconisée par l'actuelle
coalition gouvernementale "Parti National/New-Zealand First" afin de
développer l'épargne des ménages, à savoir
l'obligation de
la retraite par capitalisation
, a été
rejetée sans appel par la population. Au référendum qui
l'a proposée,
le "non" l'a emporté avec 92,7 % des voix.
B. LE DÉFICIT DE LA BALANCE DES PAIEMENTS COURANTS
Même si elle s'est très sensiblement
rétablie de
1984 à 1988, la balance des paiements courants n'a pas cessé
d'être déficitaire depuis vingt ans. En 1997, son
déséquilibre représentait 6,5 % du PIB.
Hier, le coût du remboursement de la dette étrangère,
aujourd'hui le rapatriement des dividendes des propriétaires
étrangers des anciennes entreprises publiques expliquent sans doute
cette détérioration.
Dans le contexte d'une politique monétaire très stricte, cette
situation fait peser de lourdes contraintes sur le pays. Les taux
d'intérêts domestiques sont élevés et le cours du
dollar néo-zélandais surévalué. Il convient en
effet de conserver la confiance de l'épargne internationale
Dès lors, en raison du niveau élevé des taux
d'intérêt, les jeunes ménages s'endettent lourdement pour
se loger tandis que, du fait de l'avantage de change, les retraités
préfèrent souvent vendre leur patrimoine pour aller rejoindre le
soleil australien avec un pouvoir d'achat amélioré.
Cette situation constitue un handicap de compétitivité pour les
exportateurs. Elle amène enfin les entreprises installées sur
place à envisager des délocalisations en Chine ou en Asie du
Sud-Est.
Si ces phénomènes devaient s'amplifier, la
Nouvelle-Zélande pourrait y épuiser ses forces.
III. L'ENJEU DU SCRUTIN DE 1999
A. UN LARGE CONSENSUS SUR UNE SCÈNE POLITIQUE REMODELÉE
L'introduction de la proportionnelle dans le mode de scrutin
des
élections législatives a entraîné, en 1996, un
éclatement de la bipolarisation partisane traditionnelle. Actuellement,
cinq partis sont représentés au Parlement
42(
*
)
sans qu'aucun ne détienne la
majorité à lui seul.
Occupant une position clef dans l'actuelle majorité, "New Zealand First"
avait d'abord envisagé une alliance avec les travaillistes avant de
choisir en définitive, après deux mois de tractations, de
soutenir un gouvernement de coalition avec le parti national. En dépit
du revers électoral essuyé par sa formation, M. Jim Bolger qui
dirigeait le parti national a ainsi pu constituer, en décembre 1996, un
gouvernement dont M. Winston Peters, leader du "New Zealand First", devenait
Vice-Premier ministre et ministre de l'économie. Ce dernier,
métis maori réputé pour son "populisme", est alors devenu
l'arbitre inconstant de la majorité gouvernementale.
L'instabilité qui en a découlé, l'érosion rapide de
la crédibilité de "New Zealand First" dans l'opinion
43(
*
)
et l'échec retentissant du
référendum sur les fonds de pension voulu et imposé par M.
Peters explique l'éviction de M. Bolger à la fin de l'an
dernier, alors même qu'il se trouvait en voyage en Europe. Son
remplacement par Mme Jenny Shipley donne une nouvelle "figure de proue" au
parti national pour les prochaines législatives qui auront lieu l'an
prochain. Il n'efface pas pour autant la relative fragilité
électorale de la coalition gouvernementale.
Cependant, un éventuel retour aux affaires des travaillistes
n'apparaît pas de nature à remettre en cause les acquis de la
libéralisation. Celle-ci semble en effet irréversible.
Les dirigeants travaillistes rencontrés par la Délégation
à Wellington n'ont pas laissé planer d'équivoque sur ce
sujet.
"Si nous remportons les élections, nous ne reviendrons pas
à une économie plus contrôlée ; nous poursuivrons la
réalisation d'un marché libre mais à un rythme moins
rapide que celui suivi antérieurement".
L'essentiel des différences paraît en définitive davantage
porter sur la cadence de développement des politiques économiques
déjà engagées que sur leurs objectifs ou leur contenu. Par
exemple, pour les travaillistes, la déréglementation des grands
boards et des professions libérales peut attendre.
Le degré d'égalité de la société constitue
l'autre ligne de partage. Ainsi, la santé et l'éducation se
révèlent devoir occuper une place centrale dans les débats
électoraux de demain.
B. ... MAIS DES POLITIQUES DE SANTÉ ET D'ÉDUCATION EN DÉBAT
Peuple
profondément égalitaire, les Néo-zélandais ne
voient pas sans s'émouvoir se creuser certaines
inégalités. A 6 %, leur taux de chômage compte parmi les
plus faibles de l'OCDE mais il atteint 20 % quand on considère la seule
population maorie. Il ressort en outre des études sur le revenu
disponible réel des ménages que si celui-ci s'est
amélioré entre 1984 et 1994 pour les catégories sociales
les plus aisées, il a diminué pour les moins favorisées.
Dans ce contexte, le transfert d'une part de plus en plus grande du coût
des études universitaires sur les étudiants est mal ressentie car
ces derniers doivent fréquemment emprunter pour les financer. Or, le
remboursement de leurs dettes après l'obtention de leurs diplômes
obère leur capacité d'emprunt au moment de leur entrée
dans la vie active. Il leur interdit par exemple -ce qui apparaît une
forte aspiration chez les Néo-zélandais- l'achat à
crédit d'une résidence principale.
Parallèlement, la nouvelle organisation scolaire tend à favoriser
les écoles des quartiers où vivent les classes sociales les mieux
éduquées au détriment des autres. Les tâches de
gestion étant confiées aux conseils de parents
d'élèves, les compétences de ces derniers deviennent un
facteur discriminant. Beaucoup font observer, à juste titre, qu'un
expert comptable déploie a priori plus d'efficacité dans la
préparation du budget d'un établissement qu'un conducteur de
train. Ainsi, dans les quartiers populaires, les écoles de
proximité souffrent d'un handicap qualitatif.
C'est pourquoi, la population apparaît aujourd'hui très peu
réceptive aux idées avancées par certains de donner
à chaque contribuable, sous forme de bons, des crédits
budgétaires qu'ils seraient libres d'attribuer aux écoles de leur
choix. Elle semblerait davantage pencher, à en croire les
témoignages recueillis sur place, vers une inflexion visant à
égaliser les libertés de choix géographique.
De même, les limitations apportées à la couverture sociale
du risque "maladie"
44(
*
)
suscitent des contestations.
Les frais de médicaments et de
médecine ambulatoire relèvent en effet de plus en plus largement
de la responsabilité individuelle.
Or, les assurances privées
étant chères, une part non négligeable de la population
n'en souscrit pas.
Cette situation, combinée à la logique entrepreneuriale du
système hospitalier, aboutit à des conséquences peu
satisfaisantes au plan éthique. Ainsi, à en croire plusieurs
témoignages convergents, une personne âgée dont
l'état de santé dégradée nécessiterait une
lourde intervention chirurgicale (cardiaque par exemple) mais qui ne dispose
pas d'une bonne assurance personnelle n'est pas accueillie immédiatement
dans un hôpital. Elle est inscrite sur une liste d'attente et
opérée en fonction de ses disponibilités, les personnes
plus jeunes dans la même situation ou celles de même âge mais
bénéficiant d'une assurance étant traitées avant
elle.
Signe de la mauvaise perception par l'opinion de certains effets de la
politique de libéralisation, le gouvernement de Mme Shippley a
annoncé, en début d'année une hausse des dépenses
de santé et d'éducation dans le budget 1998/1999.
Une pause dans le libéralisme s'annonce-t-elle au pays des "All blacks"
45(
*
)
? Il est trop tôt pour
l'affirmer. La réponse sera connue l'an prochain à l'issue des
élections législatives.