Moratoire sur l'utilisation des armes de quatrième catégorie
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Discussion générale
Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi . - Les problèmes soulevés par l'utilisation du Flash-Ball et du Taser par les forces de l'ordre deviennent de plus en plus évidents. Les tirs de ces armes ont des conséquences souvent dramatiques. C'est pourquoi notre groupe a déposé cette proposition de loi afin de réduire le nombre d'incidents dus à ces armes dites non létales. Ces armes sont souvent utilisées à des fins offensives pour disperser des attroupements ou des manifestations. Leur dangerosité est dénoncée par de nombreuses structures associatives et institutionnelles.
La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a recommandé de n'utiliser ces armes lors de manifestations sur la voie publique que dans des cas très exceptionnels définis strictement, soulignant leur imprécision et le caractère théorique des conseils d'utilisation. Le Défenseur des droits a fait des recommandations similaires.
Pour le Taser, la CNDS a constaté, dans son rapport de 2008 sur les événements du centre de rétention de Vincennes, que le dispositif d'enregistrement vidéo ne permettait pas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles l'arme avait été utilisée. Le Comité contre la torture de l'ONU a relevé que la douleur aiguë provoquée par son usage pouvait être assimilé à une forme de torture. Une note interne de la préfecture de la police de Paris témoigne des risques pour les femmes enceintes et les malades cardiaques. De même, le Conseil d'État a souligné en septembre 2009 les risques pour les personnes ayant ingéré des stupéfiants ou de l'alcool ou portant des sondes ou des implants. Le groupe qui produit le Taser reconnaît lui-même les risques pour les personnes cardiaques. Le comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe a préconisé l'abandon de ces armes en détention.
Le 2 juin dernier, le tribunal de Bobigny a condamné, pour usage disproportionné de la force hors l'état de légitime défense, un policier qui avait blessé un lycéen de 17 ans.
Le ministère de l'intérieur, dans une réponse à une question écrite, appelle à privilégier la prévention de la délinquance et la lutte contre les violences, à éviter à chaque fois que c'est possible les situations justifiant l'utilisation des armes de force intermédiaire, à améliorer le lien de confiance entre la population et les forces de l'ordre.
Mais le nombre de tirs a augmenté de 65 % en trois ans... Pourcentage à mettre en perspective avec l'insuffisance des moyens de la police de proximité, qui favorise le recours plus fréquent à la force et la radicalisation des confrontations. La responsabilité de la droite est manifeste, qui a supprimé 12 000 postes de policiers et de gendarmes depuis 2007. Le présent gouvernement a à peine inversé la tendance et se repose de plus en plus sur les collectivités territoriales et le privé en matière de sécurité. Un engrenage dangereux est enclenché, notamment avec le surarmement des polices municipales. Le décret du 26 avril les autorise même à porter des 357 Magnum avec des munitions de calibre 38 spécial - excusez du peu... Nous pensons au contraire que la sécurité doit rester une mission régalienne de l'État, qu'il faut renationaliser les polices municipales et harmoniser les statuts, les formations et les salaires. Pour l'heure, on s'en remet davantage aux CRS, aux BAC ou aux GIR qu'à la police de proximité. Une lutte efficace contre le phénomène des bandes suppose de renforcer les actions de prévention et pédagogiques. Il est temps de retisser la confiance entre la police et la population, de mettre en place la police de proximité, de rétablir les commissariats au coeur des quartiers au lieu de surpeupler les prisons qui deviennent des écoles du crime.
La commission des lois a rejeté notre proposition de loi, prônant le statu quo tout en reconnaissant l'existence d'un problème. Le rapporteur a noté que la formation des policiers n'est pas suffisante. Ceux-ci peuvent exercer leur métier vingt-six mois sans formation... De plus, cette formation, théorique, ne s'opère que sur des cibles statiques... Le rapporteur relève également que le nombre maximum d'utilisations du Taser sur une même personne est fixé sans fondement médical... Fin 2010, quand un homme de 38 ans est décédé à Colombes après avoir reçu plusieurs décharges de Taser, les associations, mais aussi le Syndicat national des policiers municipaux ont réclamé un moratoire, considérant que cette arme n'était pas appropriée à leurs missions. Comme le dit un de leurs représentants : « on nous donne beaucoup mais on fait de moins en moins ou de moins en moins bien »...
Pour toutes ces raisons nous invitons le Sénat à voter notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois . - Selon les auteurs de cette proposition de loi, les incidents liés notamment à l'utilisation du Flash-Ball superpro rendent nécessaire un moratoire.
Cette proposition de loi se réfère à une classification des armes obsolète. Une nouvelle classification en quatre lettres a remplacé la classification en huit catégories ; les armes de quatrième catégorie ont été pour l'essentiel classées en catégorie B mais la correspondance n'est pas parfaite. De plus, l'article premier qui instaure un moratoire est contradictoire avec l'article 2 qui encadre l'utilisation de ces armes.
En France, le recours à la force est conditionné à l'absolue nécessité et à une stricte condition de proportionnalité ; une gradation des moyens est prévue. L'utilisation des armes n'est autorisée que pour disperser un attroupement à la suite d'au moins deux sommations ; par exception, l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure prévoit que les représentants de la force publique peuvent faire directement usage de la force, sans sommation ni ordre exprès des autorités habilitées, uniquement lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent.
En-dehors des situations de maintien de l'ordre, les armes de force intermédiaire peuvent être utilisées lorsque l'emploi d'une arme s'avère nécessaire pour dissuader ou neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui. Ce sont alors les dispositions pénales de droit commun relatives à la légitime défense et à l'état de nécessité qui s'appliquent. Dans ces situations, l'usage des armes de force intermédiaire évite le recours aux armes létales.
Avec l'article premier de cette proposition de loi, les forces de l'ordre n'auront d'autre choix que de céder le terrain ou d'aller au contact des manifestants... Conservons plutôt les moyens de riposte et de dissuasion que sont les armes de catégorie B. Le ministère de l'intérieur vient d'ailleurs de lancer un appel d'offres pour équiper les lanceurs LBD 40 de munitions de courte portée et de viseurs encore plus précis.
L'article 2 précise que le Flash-Ball et le Taser ne peuvent être utilisés par les forces de l'ordre que « dans des circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d'une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ». Voilà qui est bien imprécis et ne peut s'apprécier qu'a posteriori.
Pour ces raisons, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi. Mieux vaut améliorer la formation des policiers ou privilégier l'utilisation de munitions de courte portée.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville . - Ces dernières années des polémiques médiatiques sont nées à la suite d'incidents liés à l'usage de ces armes. Le gouvernement entend en ces circonstances faire preuve de responsabilité.
M. Cazeneuve partage votre souci d'encadrer avec rigueur l'usage des armes par les forces de l'ordre. Chaque jour, celles-ci risquent leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter les lois de la République. Quatre policiers ont été tués en 2014, 9 000 ont été blessés. La gendarmerie a perdu, elle, 3 gendarmes en opération. Cette année, 2 policiers ont été tués, et les blessés sont au nombre de 1 750 pour la police et 360 pour la gendarmerie. Les percussions volontaires, les embuscades, les agressions contre les forces de l'ordre se multiplient.
Le ministre de l'intérieur comprend les préoccupations des auteurs de la proposition de loi. L'utilisation de certaines armes de force intermédiaire a pu provoquer des accidents, il est normal qu'on se pose des questions.
Quelle est aujourd'hui la réglementation ? L'article L. 2332-1 du code de la défense soumet les entreprises qui fabriquent ces armes au contrôle de l'État. La détention et l'acquisition de ces armes de catégorie B sont soumises à autorisation, conformément à l'article L. 311-1 du code de la sécurité intérieure. Sur ce fondement, les Flash-Ball ou les Taser ne sont pas vendus à des particuliers. La proposition de loi qui interdit leur commercialisation et leur utilisation « par toute personne » est donc déjà satisfaite.
L'article D. 211-19 du code de la sécurité intérieure encadre en outre l'utilisation des Flash-Ball ou des Taser par les forces de l'ordre. Les premiers sont autorisés dans les opérations de maintien de l'ordre, pas les seconds. Ni les CRS ni les gendarmes mobiles ne sont équipés de Flash-Ball.
Leur usage est donc rigoureusement encadré. La proposition de loi réduirait l'éventail des réponses possibles et rendrait impossible la gradation de l'usage de la force. Les forces de l'ordre seraient alors soit dans l'impossibilité de riposter, de se protéger ou de protéger les tiers, soit contraintes d'utiliser des armes à feu.
Cette proposition de loi est ainsi contraire à la doctrine française de maintien de l'ordre qui vise à refuser le contact. Interdire ces armes exposerait les forces de l'ordre à des situations de violence et les mettrait dans des situations inextricables, les obligeant à utiliser des armes moins précises ou plus dangereuses, exposant ainsi les autres manifestants.
L'usage de ces armes est encadré : le danger doit être réel, la riposte n'est possible qu'en cas d'absolue nécessité et elle doit être proportionnée à la menace. Il faut faire confiance aux femmes et aux hommes qui nous protègent au quotidien.
Les accidents restent rares. L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie en 2013 de 9 faits ; en 2014, 17 procédures judiciaires ont été ouvertes, dont 7 relatives à l'usage de Taser ; en 2015, 3 affaires ont été recensées à ce jour, toutes concernant le Taser.
Même si ces armes ne sont pas létales, leurs effets ne doivent pas être sous-estimés. Les lanceurs de type Flash-Ball de 44 mm manquaient en effet de précision, ce qui pouvait parfois provoquer des accidents. C'est la raison pour laquelle le gouvernement procède au remplacement progressif des lanceurs de 44 mm par des lanceurs de 40 mm à visée laser.
Enfin le lien de confiance police-population... Le gouvernement a lancé un appel à projets à hauteur d'un million d'euros pour faire remonter des propositions ; une cellule nationale a été mise en place pour recenser les bonnes pratiques.