Coopération sanitaire avec l'Espagne
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord-cadre entre la République française et le Royaume d'Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière.
Je salue Mme Rossignol, secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie . - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Touraine, retenue à l'Assemblée nationale. Cet accord-cadre a été signé le 27 juin 2008 à Saragosse et adopté par l'Assemblée nationale le 27 juin 2013.
Pour mettre en commun nos moyens, développer la coopération transfrontalière, cet accord-cadre reprend les dispositions des accords antérieurs franco-belge et franco-allemand. Le premier volet concerne les professionnels de santé, le second les patients, qui pourront être pris en charge, de part et d'autre des Pyrénées. Des conventions locales en préciseront les modalités. L'Espagne a ratifié l'accord en mars 2009.
De votre ratification dépend le lancement de nouveaux projets, dont un hôpital transfrontalier en Cerdagne, à Puigcerdá, en Espagne. Près de 30 000 personnes sont concernées. Un véritable réseau de soins transfrontalier est en train de se mettre en place, afin d'accueillir en Haute-Cerdagne, en France, des personnes âgées des deux pays.
Ce texte montre que l'Europe sociale n'est pas une chimère. L'accès aux soins et à la santé est un droit pour tous. Lorsque l'Europe s'engage, les progrès que la France réalise avec ses partenaires s'accélèrent. Le Fonds européen de développement économique régional (Feder) a financé ce projet à hauteur de 65 % de son coût global.
Trop peu de projets semblables se montent. Selon certains, nos modèles nationaux ne seraient pas compatibles. Je ne crois pas à la fatalité administrative. Lorsque les politiques se mobilisent, les choses avancent. Le projet de Puigcerdá en est l'emblème, avec le recours à un groupement européen de coopération territoriale. Il s'inscrit dans une large coopération européenne, qui pourrait mener à des partenariats pérennes dans les champs de la recherche, des soins aux sportifs de haut niveau. L'hôpital, achevé en 2012, n'est pas encore ouvert, car quelques questions demeurent en suspens. J'apporte le soutien de la France à ce projet. J'espère que les discussions avec nos partenaires catalans permettront à l'hôpital d'ouvrir rapidement. Je salue l'action de Mme Ségolène Neuville.
En ratifiant cet accord-cadre, vous ferez avancer l'égalité entre les territoires. L'Union européenne, lorsqu'elle s'engage pour la santé de nos concitoyens permet d'immenses progrès. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Raymond Couderc, rapporteur de la commission des affaires étrangères . - La coopération transfrontalière avec l'Espagne s'est développée depuis son adhésion à l'Union européenne en 1986. Dans le domaine de la santé, les progrès sont moins tangibles que dans d'autres domaines.
Les délais de ratification des conventions internationales sont excessifs. (Mme Nathalie Goulet approuve) L'accord-cadre a été signé le 27 juin 2008. Son texte d'application le 9 septembre 2008. L'Espagne l'a ratifié dès mars 2009. En France, le texte n'a été transmis à l'Assemblée nationale qu'en février 2013, adopté en juin 2013. Le voici au Sénat : six ans en France, six mois en Espagne ! Cette inertie porte atteinte à la qualité de la signature française. Il serait temps que le ministère des affaires étrangères se donne des objectifs de délais. Cette mauvaise habitude de longue date doit cesser : comptez sur la vigilance de la commission des affaires étrangères.
Cet accord est important pour les zones pyrénéennes enclavées, où les installations sanitaires d'un des deux pays sont souvent plus accessibles aux habitants que l'autre. En janvier 2003, le projet de création de l'hôpital transfrontalier de Puigcerdá fut lancé par les collectivités territoriales. Il devrait ouvrir au premier semestre de cette année.
Il dispose de 71 lits et deux blocs opératoires, deux salles d'accouchement, lits de soins intensifs, équipements de radiologie, laboratoires, etc. Il comptera un pôle gériatrique regroupant deux établissements côté français. Les difficultés résultent de la complexité des procédures administratives et financières. Des modalités de prestations restent à parfaire, ainsi que le cadre juridique de la mise à disposition du personnel, des langues de travail, de la responsabilité civile, de l'uniformatisation des procédures médicales et d'autres modalités pratiques. Madame la ministre, pourquoi ne pas prendre des mesures de bon sens ? Ne serait-il pas plus facile d'enregistrer à Bourg-Madame les enfants nés de parents français à Puigcerdá, tout proche, plutôt qu'au consulat de France à Barcelone ? Et d'éviter de faire parcourir des centaines de kilomètres au résultat des analyses destinées au médecin-traitant en installant une boîte aux lettres dans l'enceinte de l'hôpital ? Il faut adapter nos règles, pour répondre aux préoccupations concrètes de nos concitoyens. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Nathalie Goulet . - Je remplace au pied levé notre collègue Jean-Jacques Lasserre. Ce texte est plutôt une bonne nouvelle. Il est vrai que nous avons la mauvaise habitude, pour les conventions, à cause de certains bureaux du ministère des affaires étrangères, d'adopter un train de sénateur plutôt que le TGV. Il serait temps de passer à la vitesse supérieure.
L'Espagne et la Catalogne sont au coeur de notre vie politique, en tout cas à Matignon et à la Mairie de Paris....
Mme Laurence Cohen. - Pas pour la contraception et l'avortement ! (Mme Isabelle Pasquet renchérit)
Mme Nathalie Goulet. - En effet ! J'y viens : faites-moi confiance !
La ratification de la convention sera un bon exemple, j'espère qu'il sera suivi. M. Mauroy dans le Nord avait développé des outils performants de coopération économique avec la Belgique.
Un point est au coeur du débat entre la France et l'Espagne. Le Gouvernement de M. Rajoy soutient un projet de loi qui restreint drastiquement l'accès à l'IVG. L'Espagne, qui a déjà une législation différente de ses homologues, s'isolerait encore davantage en adoptant ce texte. L'hôpital en cours de construction pourrait donner lieu à des tentatives de dénaturer l'esprit de l'accord-cadre. Évitons de favoriser des dispositifs de contournement de la loi. Ce sujet n'était pas venu à l'esprit de mon collègue Lasserre - c'est l'avantage de la parité dans les assemblées parlementaires. Le Gouvernement, qui va ignorer cet hôpital dans quelques mois, devra veiller à l'égalité devant la loi.
J'ignore à cette heure quels services seront rendus dans cet hôpital, si une maternité y est prévue...
M. Christian Bourquin. - Oui !
Mme Nathalie Goulet. - L'ensemble du groupe UC votera cette convention. Restera à conclure des accords de même type avec la Suisse ou l'Italie. Nous espérons seulement que vous apporterez des réponses à nos inquiétudes relatives à la limitation de l'avortement. Cet hôpital a beau être doté d'un statut extraterritorial, la loi de la République n'en doit pas moins s'appliquer. (Applaudissements à gauche et sur les bancs UDI-UC)
M. Christian Bourquin . - C'est un grand honneur pour moi, une immense satisfaction de m'exprimer sur ce projet de loi, destiné à ratifier l'accord-cadre signé avec l'Espagne, et porteur de si grandes conséquences pour les Pyrénées-Orientales, où j'ai appris la politique. En ces temps de défiance à l'égard de l'Europe, cet accord-cadre montre une facette positive de la coopération entre États membres. Il donne raison à ceux qui, comme moi, ont foi en l'Europe.
En tant que président de la région Languedoc-Roussillon, j'organiserai bientôt avec l'ARS des réunions avec les professionnels de santé des deux côtés de la frontière ; il faudra ensuite informer le plus largement possible les populations concernées, afin qu'elles s'emparent de cet outil si précieux pour leur santé.
Enfin, cet hôpital me remplit de fierté car il est l'aboutissement d'un dossier que je porte depuis 1997. Alors député, je défendais déjà un projet en lequel bien peu croyaient parmi les élus, la population et la presse locale. Jamais, disait-on, les habitants de Cerdagne n'iront se faire soigner à Puigcerdá, à un demi-kilomètre de la frontière ! Les étapes furent nombreuses et longues - citons le protocole de 2003, l'accord-cadre de 2008 et enfin la convention territoriale.
La construction des bâtiments est achevée, la phase d'équipement est en cours d'achèvement, l'hôpital rentrera bientôt en service. L'Europe connaît déjà les coopérations sanitaires, mais cet établissement est le premier du genre. Il démontre qu'à force d'efforts et de détermination, on peut porter des projets sur le long terme ; je me réjouis de son aboutissement. Au premier semestre 2014, il répondra aux besoins des 30 000 habitants des deux Cerdagne, un plateau au coeur des Pyrénées de près de 1 000 km², à 1 300 mètres d'altitude en moyenne, à deux heures de route de Toulouse, de Perpignan, de Barcelone. Rien n'y manquera, 26 salles de consultation, 4 blocs opératoires, 2 salles d'accouchement, des services d'urgence, tout le panel d'équipements de radiologie. Tout est prévu pour répondre aux besoins de la population. Aujourd'hui, les hélicoptères sont parfois indispensables pour transporter des personnes victimes de crise cardiaque. Et ne peuvent pas toujours décoller.
Je vous invite tous à voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP, au centre et sur les bancs socialistes)
M. François Calvet . - Je remercie d'abord mon groupe politique, les membres de la Conférence des présidents et M. Couderc pour avoir accepté la levée de la procédure simplifiée. Cela permet un double débat : sur la coopération sanitaire transfrontalière, alors qu'on assiste à la résurgence de pandémies, comme le virus Ebola, et que les populations s'affranchissent de plus en plus des frontières naturelles ou étatiques.
Pour l'élu local que je suis, ce projet marque l'aboutissement de quinze ans d'efforts et d'engagement. Ceux-ci méritent assurément l'attention du Sénat. Je remercie l'administration locale, le préfet, l'ARS, le président Bourquin qui ont toujours soutenu le projet.
M. Christian Bourquin. - Merci.
M. François Calvet. - L'Europe a dépêché trois parlementaires sur le lieu de création de cet hôpital, signe de l'intérêt qu'il suscite.
Enfant du pays, député de la troisième circonscription des Pyrénées-Orientales pendant trois mandats, je suis fier de cette aventure, de voir notre territoire doté des services sanitaires les plus performants. Je suis heureux pour les femmes qui ne seront plus contraintes de faire cent kilomètres, parfois dans la neige, pour accoucher à Perpignan, heureux pour les cardiaques qui pourront être secourus en cinq minutes, heureux pour les populations qui bénéficieront d'un égal accès aux soins.
Ce projet, nous le devons à la volonté des maires des communes de Bourg-Madame et de Puigcerdá ainsi qu'à celle du président de l'Ordre des médecins des Pyrénées-Orientales. Nous avons travaillé la main dans la main avec le Generalitat de Cataluña. Je suis fier de cette Europe qui soigne les gens.
Les bases de la coopération entre le France, l'Espagne et la Catalogne ont été posées en 2005. Un accord réciproque est prévu pour les patients espagnols, pour les soins de suite et de réadaptation qui n'existent pas en Espagne. Le 26 avril 2010, la convention constitutive du groupement européen de coopération transfrontalière a été signée à Puigcerdá.
Le bâtiment est achevé depuis fin 2012. L'établissement sera équipé des techniques les plus modernes. L'Europe a financé le projet à hauteur de 60 %. Il sera complété par un pôle gériatrique ; la totalité des emplois sera sauvegardée. Des sommes ont toutefois été déprogrammées pour le pôle pédiatrique, des précisions seraient utiles sur ce point.
La création d'un conseil consultatif a été rendue nécessaire, les élus français - les communes n'ayant pas la compétence santé - ne pouvant siéger au conseil d'administration. Il réglera les relations des partenaires et les problèmes administratifs et financiers.
De nombreuses questions pratiques ne sont pas réglées dont celle des enfants français qui naîtront en Espagne. Le consulat de Barcelone sera compétent mais, toujours considérés nés à l'étranger, ils devront demander leurs documents d'identité aux services de l'état civil de Nantes, ce qui est absurde... Cette difficulté pourrait être réglée par la possibilité pour un officier d'état civil d'une des communes de Cerdagne française d'enregistrer les naissances à l'hôpital ou par une inscription numérique. J'ai déposé au Sénat la proposition de loi que j'avais déposée en ce sens à l'Assemblée nationale.
Autre problème : comment permettre à la famille d'une personne décédée à l'hôpital de Cerdagne de transporter le corps en France sans qu'il y ait besoin d'un cercueil en plomb ? Quid de l'intervention des services d'enquêtes français à l'hôpital pour des infractions commises par des personnes hospitalisées ? Des discussions sont en cours avec les parquets. Enfin, la distribution de courrier entre les différents sites pourrait être améliorée. Nul besoin qu'il transite par Madrid et Paris, alors que la poste française pourrait relever une boîte aux lettres installée à l'hôpital. Une meilleure communication sur le territoire doit être défendue.
On ne peut parler d'Europe, de marché unique, de libre circulation et mettre autant de temps à bâtir un tel projet. Celui-ci montre toutefois ce qu'est une Europe proche des gens. Il existe heureusement des solidarités régionales qui doivent être stimulées et mises en avant pour reconquérir le coeur des Européens. Je ne crois qu'à l'Europe des régions. Ce n'est pas un hasard si l'Allemagne des Länder ne connait pas la crise. De même pour la Catalogne...
Nous ne pouvons pas accepter le constat « Paris et le désert français ». Luttons contre la désertification et promouvons des initiatives de ce type. C'est avec enthousiasme que le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs UMP et au centre)
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État . - Je salue la détermination et l'enthousiasme des élus locaux pour dépasser les frontières au sein de l'Europe malgré les difficultés naturelles et techniques.
Nous travaillons avec l'ARS sur la question de la mise en réseau. La résolution des problèmes administratifs et financiers en suspens est à l'étude. Les règles d'état civil sont lourdes et complexes, certes, mais nous y travaillons aussi.
Je remercie Mme Goulet pour l'appel à la vigilance qu'elle a lancé. Mais ne soyons pas pessimistes : le texte anti-IVG n'en est encore qu'au stade de l'avant-projet. Nous défendrons les valeurs auxquelles nous sommes attachés et les coopérations transfrontalières peuvent être un moyen de les promouvoir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
L'article unique constituant le projet de loi est définitivement adopté.
La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 h 10.