Débat sur la situation des outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la situation des outre-mer.
M. Paul Vergès, pour le groupe CRC . - Merci d'abord au président Bel et à la Conférence des présidents du Sénat d'avoir accédé à notre demande d'organiser un débat sur la situation des outre-mer. La situation, grave et méconnue, doit être portée à la connaissance de la représentation nationale.
Le débat sur le pacte de responsabilité traduit les inquiétudes des Français, des inquiétudes plus vives encore outre-mer, où la crise mondiale aggrave les effets d'une crise structurelle.
Il n'est pas possible de débattre globalement des outre-mer. Leur diversité culturelle, géographique, économique et sociale exige une approche différenciée.
Dans le temps qui m'est imparti, je m'en tiendrai donc à décrire la situation dramatique de La Réunion. S'il y avait plus de 40 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, plus de 30 % de la population active au chômage, comme dans notre département, des mesures d'urgence seraient prises en métropole. Je ne nie pas les progrès réalisés, mais des déséquilibres économiques et sociaux demeurent. Le secteur primaire représente 80 % du PIB. Les 20 % les plus riches de la population concentrent 47 % des richesses, les 20 % les plus pauvres s'en partagent 7 %. Sur une population de 830 000 personnes, 343 000 vivent sous le seuil national de pauvreté, 150 000 foyers vivent des minima sociaux, 22 000 à 27 000 ménages attendent un logement.
Et 65 % des agents des communes ne peuvent pas être titularisés, compte tenu du coût des surprimes.
À Pôle emploi, sont inscrits 133 000 chômeurs de catégorie A, 152 100 des catégories A, B, C ; 60 % des jeunes sont privés d'emploi. Une situation hors norme ! C'est le résultat de l'application mécanique d'une même politique depuis 1946, date à laquelle le Gouvernement a décidé d'aligner toute la fonction publique d'État sur le statut colonial. Banques, assurances, sécurité sociale, EDF, télévisions publiques obtiennent dans les années 1950 des surprimes de 30 %, 40 %, 50 % ou 73 % alors que l'égalité sociale a été refusée dans le privé. L'inégalité a été institutionnalisée. La situation s'est aggravée du fait de l'explosion démographique : la population de 150 000 habitants en 1946 passera à un million à l'horizon 2040.
Certes, des lois d'adaptation ont été votées : je pense, en matière économique, aux défiscalisations et allègements de charges prévus par les lois Pons, Perben, Queyranne, Girardin, etc. Cela n'a pas suffi à annuler les effets de l'économie de comptoir colonial : 65 % de nos échanges se font avec des territoires distants de plus de 10 000 kilomètres, nous couvrons nos importations à 6 % seulement. Notre développement n'a pas été suffisamment endogène ; les emplois aidés et autres dispositifs nationaux s'ils ont limité les dégâts sociaux, n'ont fait que retarder l'explosion de la crise structurelle. Si rien ne change, nous irons droit dans le mur, comme on dit. Notre société se délite à cause du chômage de masse.
En 1986, Aimé Césaire, à la tribune de l'Assemblée nationale, disait : « Une société qui ne produit plus et ne travaille plus est un fait historique non un événement conjoncturel ». Une rupture est nécessaire, il faut le répéter inlassablement quand la population passera de 830 000 habitants en 2013 à près d'un million demain, quand 60 % des jeunes n'ont pas d'emploi. L'économie réunionnaise pourra-t-elle absorber les nouvelles classes d'âge alors qu'elle compte déjà 151 000 chômeurs ? Poser la question, c'est déjà y répondre. À moyen terme, l'expiration du dispositif général de l'octroi de mer en juillet 2014, l'application du pacte de responsabilité, la réduction des exonérations de charges spécifiques à l'outre-mer sans parler de la baisse des dotations aux collectivités fragilisent encore notre économie. Le Gouvernement tiendra-t-il compte de notre situation dans l'accord de partenariat entre l'Union européenne et nos pays voisins ? Autre défi : le surendettement de 2 000 des 10 000 PME-TPE qui cumulent une dette globale de 1,2 milliard d'euros.
La Réunion ne manque pas d'atouts, jouons-les maintenant car dans quelques années, l'Inde et la Chine, et plus près de nous, le Mozambique, le Kenya, la Tanzanie connaîtront une forte croissance économique et démographique. La Réunion avec Madagascar, Maurice et les Seychelles, pourrait former un espace francophone de soixante millions de personnes.
C'est une nouvelle frontière pour notre développement, à condition que Madagascar conforte son appartenance à l'espace francophone. Soyons conscients de ces enjeux et créons une université de l'océan Indien qui rassemblera toutes les îles de l'ancien empire colonial. Grâce au brassage des jeunes et au co-développement, La Réunion pourra tirer parti de ses atouts dans les domaines de la santé, de la recherche agricole, de ses richesses maritimes et de la pêche, des énergies renouvelables et de l'adaptation au changement climatique.
À cet égard, la grande conférence sur le climat organisée à Paris en 2015 représente une formidable opportunité. À condition d'élaborer les outils juridiques et fiscaux spécifiques pour un développement stratégique de notre économie. Nous avons des rendez-vous sur l'aide aux entreprises, la réforme de l'octroi de mer, l'acte III de la décentralisation.
Soixante-huit ans après le vote de la loi d'intégration de La Réunion dans la République, dans un environnement mondialisé, la France doit repenser sa relation aux outre-mer. Le moment est venu de jeter les bases d'un nouveau compromis historique qui conciliera notre appartenance à la France et à l'Europe, et notre insertion dans notre environnement géoéconomique.
Comme le disait le premier président de la Ve République, quand il s'agit d'avenir, il faut voir loin, il faut viser haut. (Applaudissements)
M. Pierre Frogier . - J'aurais pu évoquer ce qui va bien en Nouvelle-Calédonie mais je vous parlerai de la radicalisation de la vie politique à l'approche des élections municipales et provinciales.
La Nouvelle-Calédonie est engagée depuis vingt-cinq ans dans un délicat processus de réconciliation. L'année 2014 marque la dernière étape de l'accord de Nouméa : les populations devront choisir leur destin. Ce choix devra se faire dans la sérénité. Or la surenchère à laquelle nous assistons mine le débat démocratique. J'ai tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises : le durcissement était prévisible. J'ai toujours pensé qu'il ne fallait pas attendre passivement cette année mais prendre des initiatives pour instaurer un climat de confiance et de dialogue. J'avais proposé, dès 2010, la levée des deux drapeaux - mesure symbolique approuvée par une large majorité du congrès. J'ai pris tous les risques au mépris des échéances électorales en suggérant la création de comités de pilotage. À deux mois des élections, les indépendantistes brandissent la menace de radier plus de 6 700 électeurs des listes provinciales. C'est une provocation, qui obéit à une logique d'exclusion : cela reviendrait à geler le corps électoral dans sa composition de 1998, alors que les accords de Nouméa n'avaient fixé qu'une condition de dix ans de présence sur le territoire. Cette réforme ayant été bâclée, il est revenu à la Cour de cassation de se prononcer, dans un arrêt de 2001 sur lequel les indépendantistes se fondent. S'ils obtiennent satisfaction, des électeurs qui ont voté en 2004 et en 2009 seront radiés. C'est absurde, ubuesque ! Vingt-cinq ans après les accords de Matignon, nous voyons éclore des revendications qui vont à l'encontre de la volonté du vivre ensemble, de construire un destin commun en Nouvelle-Calédonie. Face à cela, le Gouvernement se contente d'exhumer un autre arrêt de la Cour de cassation qui contredit celui de 2011. En pure perte ; comme toujours, la solution en Nouvelle-Calédonie est politique avant que d'être juridique.
Aussi ai-je écrit au président de la République et au Premier ministre, les informant qu'au sein des commissions de révision nos représentants s'opposeraient aux radiations et qu'en raison du partage des voix, il reviendrait au représentant de l'État de faire jouer sa voix prépondérante.
M. Philippe Bas. - Très bien !
M. Pierre Frogier. - J'ai déposé une proposition de loi constitutionnelle sur le bureau du Sénat. J'ai également suggéré de réunir le comité des signataires de l'accord de Nouméa, la seule instance au sein de laquelle on aboutisse à un compromis sur les sujets qui fâchent.
L'État en fait partie, ne l'oubliez pas. Si le consensus ne se forme pas, il faudra songer à reporter les élections provinciales. Nous ne pouvons souffrir que ce scrutin soit entaché d'irrégularité.
Enfin, pourquoi cet affront de l'envoi en Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire sur le territoire de la République, d'une mission de l'ONU pour superviser le processus de révision des listes électorales, sinon pour contenter les indépendantistes ? (MM. Christian Cointat et Éric Doligé renchérissent). La Nouvelle-Calédonie est engagée dans un processus exemplaire depuis vingt-cinq ans. L'État doit y jouer tout son rôle. (Applaudissements à droite)
M. Joël Guerriau . - Je me réjouis que Mayotte soit reconnue comme région ultrapériphérique. Soyons vigilants sur l'application aux outre-mer du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Leur situation appelle une attention particulière.
Premier point, la fiscalité. Quand l'État recherche 53 milliards d'économies, ne réduisons pas les niches fiscales pour l'outre-mer : le rapport de MM. Serge Larcher et Éric Doligé montre leur utilité, ne les modifions pas brutalement. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur les intentions de Bercy ? Avez-vous une idée de votre lettre de cadrage budgétaire ? La réforme fiscale annoncée par le Premier ministre comportera-t-elle un volet pour l'outre-mer ?
Deuxième point : la vie chère. Monsieur le ministre vous avez pris des arrêtés sur le prix des carburants qui améliorent la transparence sur la formation des prix et l'encadrement des marges des pétroliers. Il ne faut pas méconnaître le parti que nous pourrions tirer de l'installation d'hydroliennes. Les frais bancaires élevés demeurent problématiques, ils ont tout de même baissé en Nouvelle-Calédonie.
Troisièmement, le développement économique. Le pacte de responsabilité devrait comporter un volet dédié à l'outre-mer, compte-tenu de ses spécificités. Le développement économique suppose d'investir dans les grands équipements. Monsieur le ministre, que pouvez-vous nous dire sur l'équipement en 4G ?
Dans son rapport rendu le 11 février, la Cour des comptes pointe les défaillances du tourisme...
M. Christian Bourquin. - Méfions-nous de la Cour des comptes ! Elle veut nous dicter sa politique !
M. Joël Guerriau. - ... qu'il faut développer pour faire face à la concurrence des îles tropicales environnantes. L'outre-mer ne manque pas d'atouts : La Réunion pourrait devenir le laboratoire de la transition écologique.
Dernière question, quelle place pour l'outre-mer dans la réforme du code minier ?
Beaucoup d'interrogations, monsieur le ministre, qui témoignent de l'intérêt du groupe UDI-UC pour l'outre-mer. (Applaudissements à droite, sur les bancs UMP et quelques bancs socialistes)
Mme Éliane Assassi . - Je me réjouis de l'organisation de ce débat à l'initiative de mon collègue et ami Paul Vergès. De crise en crise, les ultramarins se sentent ignorés de la métropole et des parlementaires. Je le rappelle : ils sont des citoyens français. S'il fallait leur trouver un dénominateur commun, c'est celui d'appartenir à des sociétés frappées par un chômage de masse.
De là, le sentiment de désespérance. Une récente étude du Collectif des états généraux pour l'outre-mer montre l'angoisse des populations devant l'accroissement et la multiplication des difficultés. Comme sur l'ensemble du territoire national ? Non, car les handicaps des sociétés d'outre-mer sont nombreux.
M. Philippe Bas. - Un peu de respect !
Mme Éliane Assassi. - Cela dit, j'apprécie la détermination du Gouvernement à lutter contre la vie chère : reconduction du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI), non-augmentation de la TVA, préservation voire hausse des crédits pour le logement, la jeunesse et l'emploi et des défiscalisations - à l'égard de certaines desquelles je suis, du reste, critique...
M. Jean-Jacques Hyest. - Ah ça oui !
Mme Éliane Assassi. - Pourtant, un budget ne garantit pas une politique.
M. Philippe Bas. - C'est certain !
M. Jean-Claude Lenoir. - Nous le vérifions tous les jours !
Mme Éliane Assassi. - Monsieur le ministre, vous annoncez une « petite révolution » dans un prochain projet de loi. Je crains qu'il ne s'agisse d'une simple déclinaison du pacte de responsabilité... Auquel cas on peut en redouter les effets sur la situation économique et sociale outre-mer. Pourquoi vous êtes-vous engagé à remettre à plat l'ensemble des aides fiscales actuelles ?
La pression migratoire à Mayotte est extrêmement forte, le contrôle des frontières difficile. L'état du centre de rétention administrative, je le sais pour l'avoir visité, est scandaleux. Je compte beaucoup sur la normalisation des relations avec les Comores.
Enfin, il est peut-être temps de changer de modèle économique et de faire évoluer les statuts vers davantage d'autonomie... cette question mérite un grand débat. N'est-ce pas la meilleure réponse à cette insulte à l'avenir qu'est le chômage de masse de la jeunesse ? (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Étienne Antoinette . - Je me concentrerai sur la situation sanitaire grave des départements français d'Amérique où une nouvelle épidémie de chikungunya sévit : 350 cas à Saint-Barthélemy, 1 380 en Guadeloupe, plus de 1 800 à Saint-Martin dont un décès, 3 034 en Martinique et 14 en Guyane.
Cette épidémie rappelle la catastrophe d'il y a huit ans : plus de 240 000 personnes avaient été touchées, soit un tiers de la population, 203 étaient décédées. Il faut empêcher la maladie de s'étendre.
Le gouvernement précédent avait tardé à réagir. Prenez vos responsabilités, monsieur le ministre, car le chikungunya, loin d'être bénin, est susceptible de récidive et peut laisser des séquelles. Les ARS font surtout appel aux collectivités territoriales pour lutter contre la propagation, mais elles sont incapables de faire face. C'est vis-à-vis de l'Amérique du Sud entière que la France est responsable : notre pays ne doit pas devenir la porte d'entrée de la maladie sur ce continent.
Lutte contre la transmission du virus, amélioration de la prise en charge médicale et recherche sont les trois axes à privilégier. Le premier est le plus urgent. Informons la population et ciblons des zones de contamination. Mais comment faire entendre à une famille pauvre qu'elle doit s'équiper de moustiquaires imprégnées de répulsifs efficaces ? Il faut distribuer ces produits. L'élimination des gîtes larvaires est également indispensable ; il faut pour cela obtenir une dérogation de l'Union européenne - les pesticides autorisés ne sont pas suffisamment puissants. Le ramassage des déchets et des réceptacles artificiels est aussi une nécessité. Pour combattre la dengue, on avait débloqué plusieurs centaines de milliers d'euros pour détruire 2 000 véhicules abandonnés ; un plan identique doit être lancé dans les Antilles et en Guyane.
À la mi-2005, seuls 100 000 euros avaient été débloqués à La Réunion. Il a fallu attendre février 2006 pour que le Premier ministre de l'époque annonce un vaste plan pour combattre le chikungunya à La Réunion : 60 millions d'euros d'aides économiques, 22 millions d'euros pour la réponse sanitaire, 9 millions pour la recherche et 300 000 euros de traitements anti-moustiques gratuits. Selon l'université Pierre et Marie-Curie, cette réponse tardive a coûté entre 44 et 63 millions d'euros. Une épidémie aux Antilles et en Guyane aurait des effets dévastateurs pour les populations comme pour l'économie.
La lutte contre les vecteurs ne suffit pas. Il faut aussi adapter l'offre de soins et augmenter par anticipation le personnel.
Des fonds spéciaux doivent être débloqués. J'ai toute confiance en vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Claude Requier . - Malgré les 6 000 km qui séparent ma ville de Fort-de-France et les 15 000 km qui la séparent de Papeete, la situation n'y est pas si différente : éloignement, disparition des services publics, fracture territoriale... Voilà pourquoi je plaide pour l'intercompréhension entre ultramarins et métropolitains, de sorte qu'aucun territoire de la République ne soit exclu du développement économique, de la croissance et de l'emploi.
À Cayenne en décembre, le président de la République a souligné que la sécurité est un préalable au développement. Or la Guyane est confrontée à la délinquance liée à l'orpaillage et à la pêche illégale, et la situation n'est guère meilleure dans les autres outre-mer. La campagne « déposez les armes » se poursuit en Martinique. Les renforts promis fin 2013 sont-ils arrivés ?
Autre sujet d'actualité, le blocage récent des stations-services nous rappelle le problème de la vie chère outre-mer. La loi de régulation que vous avez fait voter, monsieur le ministre, produit déjà certains de ses effets. En outre, les députés ont adopté un amendement au projet de loi Pinel pour limiter les blocages des stations outre-mer. Reste que la situation économique et sociale est préoccupante. Le chômage est considérablement plus élevé qu'en métropole : 28 % à La Réunion, 22,5 % en Guadeloupe et en Polynésie française, 21 % en Martinique en 2012. Il a crû de 10 % en Guyane entre décembre 2012 et décembre 2013, à un rythme moins élevé à La Réunion et aux Antilles.
Le Gouvernement s'attache à redresser le pays, à favoriser la compétitivité et l'emploi. Faudra-t-il compléter cet arsenal par des mesures propres à l'outre-mer ? Quid de la régionalisation de l'emploi ?
La Cour des comptes vient de dresser un constat sévère du tourisme outre-mer, estimant que les forts potentiels étaient trop peu ou inefficacement exploités. Mme Pinel revoit la stratégie touristique de la France : c'est l'occasion de rectifier le tir.
Les outre-mer ont également de grands atouts dans le domaine du solaire, de l'éolien, de la biomasse. Énergies renouvelables et transition énergétique seront des secteurs de pointe et de croissance. Monsieur le ministre, vous préparez un projet de loi sur le développement économique de l'outre-mer ; pouvez-vous nous en dire plus ? Vous qui insistez sur la stratégie de filières, quels sont selon vous les filières clés pour la compétitivité ultramarine de demain ? Mettons fin au sentiment d'abandon des ultramarins comme des ruraux et des hyperruraux. (Mme Karine Claireaux applaudit)
Mme Aline Archimbaud . - Merci, monsieur le ministre, d'avoir tenu tête au lobby pétrolier outre-mer. Ce chantage à l'emploi était inacceptable. Les décrets sur les prix de carburants ont été publiés ; 23 millions d'euros seront rendus aux consommateurs d'outre-mer.
Autre lobby : l'industrie chimique. Les Antilles consomment trois fois plus de pesticides que la métropole. Aux termes de la loi Grenelle II, l'épandage aérien doit être exceptionnel ; l'exception est pourtant la règle outre-mer, les dérogations se multiplient. L'expérience de la Guadeloupe prouve que les bananiers se portent bien sans pesticides pourvu qu'on embauche du personnel pour l'effeuillage manuel. Pourquoi d'ailleurs ne pas diversifier l'agriculture locale ? L'avocatier n'a pas besoin de pesticides et résiste aux cyclones. Là encore, les arguments des lobbies sont fallacieux : l'agriculture non chimique génère plus d'emplois. Et l'emploi des pesticides met en danger la pêche et l'aquaculture. Il n'est pas raisonnable d'opposer développement économique et santé alors que des solutions existent. Plus de 1 200 médecins, dont des médecins ultramarins, réclament l'interdiction des pesticides non répertoriés en agriculture biologique et des perturbateurs endocriniens.
Le projet de loi-cadre sur la biodiversité soumet la recherche sur les espèces sauvages à l'autorisation de l'État ou des régions. Or toutes les espèces locales en outre-mer sont considérées comme sauvages. Le risque est de voir cet or vert accaparé par les grands laboratoires. Je vous appelle à être vigilant, monsieur le ministre. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Laufoaulu . - Merci à Paul Vergès de donner aux élus ultramarins l'occasion d'exprimer les attentes et les espoirs de leurs mandants. Les outre-mer ont leurs spécificités que la France respecte ; leurs faiblesses que la France s'efforce de combler. Il y a vingt ans, nous rêvions d'un développement fulgurant fondé sur la pêche et le tourisme. Hélas, la crise a surgi. Comment être compétitif face à des pays voisins à la main-d'oeuvre moins chère ?
Wallis et Futuna est entrée dans une phase de décroissance démographique. La vie y est très chère, tandis que 10 % seulement de la population est rémunérée. Je plaidais naguère pour une stratégie de développement, notion qui me paraît plus que jamais d'actualité.
Les visites des plus hautes autorités françaises en Océanie montrent que la France prend conscience du tournant géopolitique en cours. Mais l'absence de représentation de la France au niveau ministériel lors du Forum du Pacifique avait été remarquée ; les États-Unis, eux, avaient envoyé la secrétaire d'État, Mme Clinton. Pourquoi ne pas ressusciter les sommets France-Océanie du temps du président Chirac ! (M. Philippe Bas approuve)
M. Bruno Sido. - C'était le bon temps.
M. Robert Laufoaulu. - Nous sommes à 800 km de Fidji et à 1 000 km de Tonga. Pourtant, nos liens sont forts et anciens. L'un des principaux ministres de Tonga est ainsi de ma famille. Intégration ou coopération ? Des projets communs peuvent en tout cas être lancés, dans le domaine des transports par exemple, afin de relancer le tourisme de circuit. Ils ne pourront être menés à bien sans l'implication des élus. La participation de Wallis et Futuna au Forum au même titre que la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française serait utile. Nous regrettons le temps du président Chirac...
M. Joël Guerriau. - Encore lui !
M. Philippe Bas. - Toujours lui !
M. Robert Laufoaulu. - J'ajoute que le fait que le préfet soit le chef de l'exécutif est mal ressenti par nos voisins, qui y voient un relent de colonialisme...
Vous vous battez courageusement, monsieur le ministre, pour que l'État demeure présent outre-mer. Grâce à votre volontarisme et à votre enthousiasme, nous ne sommes pas laissés de côté.
M. Joël Guerriau. - Un ministre chiraquien !
M. Robert Laufoaulu. - Mais n'oublions pas que l'outre-mer contribue, lui aussi, à l'effort budgétaire national...
Il faut relancer le registre de Mata-Utu, composante du pavillon français, et autoriser sur les navires qui seraient ainsi immatriculés la présence de casinos embarqués. Nous avons besoin de votre soutien, monsieur le ministre, face à votre collègue de l'intérieur, pour modifier les règles.
L'exploration des fonds sous-marins est prometteuse. Mais les élus sont trop peu associés aux négociations en cours comme à la réforme du code minier. Rien ne saurait se faire dans le dos de la population. Nous devons être les premiers bénéficiaires de l'exploitation de nos fonds marins.
M. Frogier a eu raison d'alerter sur la passe difficile que traverse la Nouvelle-Calédonie. Notre dette à l'égard de celle-ci dans le domaine de la santé empoisonne nos relations : l'État doit intervenir et la compenser.
Il faut lutter contre la vie chère : comment peut-on avoir l'électricité la plus chère du monde dans nos territoires où moins de 10 % de la population a un emploi rémunéré ? Où en est l'application de la loi de régulation de l'économie outre-mer à Wallis et Futuna ?
Sur l'avenir de la défiscalisation, je souscris aux propos de Mme Girardin. Il faut trouver un dispositif pour soutenir les énergies renouvelables.
M. le président. - Cher collègue, vous avez largement épuisé votre temps de parole.
M. Éric Doligé. - M. Chirac vous aurait certainement autorisé à terminer votre intervention. (Sourires)
M. Robert Laufoaulu. - Je chuchoterai ma conclusion à l'oreille du ministre. (Sourires et applaudissements)
Mme Karine Claireaux . - Le débat témoigne de l'intérêt que le Sénat porte à l'outre-mer. Vous-même, monsieur le ministre, avez pu mesurer à Saint-Pierre-et-Miquelon, à peine huit mois après votre entrée en fonction, les difficultés auxquelles nous faisons face. Il nous faut garder espoir, rester mobilisés, inventifs et solidaires.
La pêche doit redevenir une activité porteuse. La transformation des produits serait source de valeur ajoutée. Si nous ne retrouverons jamais l'activité d'autrefois, il y a assez de poisson pour nous faire vivre !
L'extension du plateau continental est indispensable pour le développement de l'archipel comme pour la place de la France. Je sais la détermination du Gouvernement dans ce dossier.
Mon archipel peut être la porte d'entrée de l'Europe en Amérique du Nord. Le projet « Grands ports » ouvre bien des perspectives de développement. Nos ports doivent être modernisés, tant pour la pêche que pour la plaisance.
Hélas, l'accord commercial Union européenne-Canada nous sera préjudiciable, qui ne tient pas compte de nos intérêts. Nous avons de nombreux atouts naturels et historiques, mais il est impossible de développer le tourisme quand le prix des billets d'avion reste prohibitif ; le trajet par bateau depuis Terre-Neuve est, lui, aléatoire...
L'État nous aide beaucoup ; une dotation du FEI permettra ainsi à la ville de Saint-Pierre de sécuriser son approvisionnement en eau potable.
Les Saint-Pierrais-et-Miquelonnais doivent aujourd'hui appréhender leurs spécificités non comme des handicaps mais comme une richesse. Je crois au soutien sans faille de ce Gouvernement de gauche pour nous accompagner, afin que tous nos jeunes deviennent des hommes et des femmes libres, capables de construire l'avenir de l'archipel. (Applaudissements à gauche)
M. Christian Cointat . - Comme Verlaine, « je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant » d'une outre-mer aux mille visages « que j'aime, et qui m'aime / Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même / Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend... » (On apprécie sur de nombreux bancs) Oui, je rêve d'une outre-mer qui ne soit plus la cinquième roue du carrosse France mais une terre multiple d'innovation, de dynamisme et d'audace.
Il est temps d'ouvrir les yeux sur les évolutions géostratégiques en cours. Les centres de la planète se déplacent vers l'Asie et le Pacifique. La présence de la France sur tous les continents lui offre d'immenses atouts, sans compter l'influence exercée par les Français de l'étranger. Nous connaissons les contraintes budgétaires, mais les enjeux sont de taille, l'avenir n'attend pas.
Commet disait Churchill, toute vérité trouve son chemin. Oui, l'outre-mer peut être le moteur au lieu d'être la remorque ! Commençons par transformer le rêve en vision collective. Ainsi, si la Nouvelle-Calédonie reste française, pourquoi ne porterait-elle pas avec la Polynésie les intérêts de la France dans cette région du monde ? (M. Pierre Frogier applaudit) Les indépendantistes calédoniens veulent radier 7 000 personnes des listes électorales ; le sort promis au Haut-Commissaire, grand commis de l'État, nous inquiète aussi.
La Guyane, voisine d'un Brésil en plein développement, doit aussi être soutenue. Si le ministère des outre-mer pouvait réunir toutes les ressources de l'État dédiées à ces territoires, cela serait un motif d'espoir !
Une politique bien comprise pour l'outre-mer n'est ni de gauche ni de droite. Les ultramarins ont toute leur place au coeur de la nation ; le moment venu, ils nous feront à leur tour bénéficier de leurs immenses atouts et de leur proximité des centres névralgiques de demain.
« L'avenir n'est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » disait Bergson. Franchissons enfin le périphérique parisien ! Faisons vivre pleinement ces beaux coins de France, aussi loin qu'ils soient ! (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Georges Patient . - Pauvreté, chômage, insalubrité, insécurité : le constat est le même dans la plupart des outre-mer. Le moment n'est-il pas venu de déclarer le mode de développement actuel en faillite, de mettre l'accent sur les spécificités de tous nos territoires ? Trop souvent, l'économie guyanaise est assimilée aux économies insulaires. Les différences sont pourtant nombreuses. Trop de ressources restent mal exploitées. La croissance rapide de la population, sa diversité, la distinguent. Comment plaquer sur la Guyane un modèle conçu pour des territoires autrefois surexploités, et où il est devenu indispensable de préserver certains espaces ?
Il n'est pas question de mettre en cause notre statut, mais sur le plan économique, la Guyane doit pouvoir se distinguer, faute de quoi elle restera le mauvais élève de la République. C'est tout le sens du pacte pour l'avenir du territoire annoncé par le président de la République.
S'agissant de l'approvisionnement en carburant par la voie routière, la fin du dispositif actuel peut être envisagée ; le Surinam aura d'ici la fin de l'année du carburant à la norme Euro 5. Le bouclier qualité-prix doit être revu, car les consommateurs n'ont pas les moyens de vérifier l'évolution des prix produit par produit. Enfin, vous avez semblé indiquer la semaine dernière à l'Assemblée nationale que l'octroi de mer ne serait prorogé que de quelques mois. Nous attendons des précisions car cette taxe est d'une grande importance pour notre territoire.
M. Serge Larcher . - À l'heure où une timide embellie se dessine sur le continent européen, les voyants sont au rouge en outre-mer, en dépit des efforts budgétaires qui lui sont consacrés et des mesures prises pour lutter contre la vie chère. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de l'évolution des prix en 2013 ? Des avancées ont été obtenues à Bruxelles sur la pêche et la fiscalité du rhum traditionnel, dossiers que notre Délégation avait abordé dans des propositions de résolution.
Malgré ces efforts réels, la situation socio-économique reste plus que préoccupante et les défis sont de plus en plus difficiles à relever dans cette période charnière. Faible diversification de la production, forte dépendance aux approvisionnements extérieurs et importance des surcoûts, vulnérabilité climatique, prédominance des TPE, forts différentiels de compétitivité avec nos voisins : toutes ces caractéristiques de nos économies nous créent des difficultés structurelles qu'aggrave l'explosion démographique. En Guyane, il faudrait construire 160 000 logements d'ici 2040, ce qui suppose un rythme annuel de 5 000. On en a construit seulement 3 320 entre 2009 et 2012. La sanctuarisation de la ligne budgétaire unique ne doit pas nous empêcher d'étudier d'autres dispositifs que la défiscalisation ; ce pourrait être un PTZ, comme l'a proposé notre Délégation sénatoriale à l'outre-mer.
Autre source de difficultés, la Commission européenne persiste à imposer une interprétation restrictive du traité de Lisbonne pour les outre-mer. La politique commerciale de l'Union européenne constitue une menace permanente pour nos productions locales : banane, rhum, sucre, pêche. Les dispositifs de compensation ne suffiront pas à sauvegarder ces filières si l'on ne commence pas par faire en sorte d'atténuer les effets dévastateurs du différentiel de compétitivité avec des producteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales, sanitaires et environnementales. Où en est l'expertise annoncée, concernant la suppression des quotas sucriers en 2017 ?
Nos difficultés peuvent encore être accrues par les évolutions institutionnelles en préparation. Je pense à la mise en oeuvre concrète de la fusion département-région en Martinique et en Guyane, au calendrier institutionnel néo-calédonien, aux évolutions induites à Mayotte par le statut de département et celui de région ultrapériphérique.
La manière dont la Cour des comptes fustige la défiscalisation dans notre secteur touristique, fournit un nouvel exemple de cécité comptable. Comment passer sous silence la question du différentiel de compétitivité avec les pays voisins ? Et celle de savoir comment nos hôtels pourraient apurer leurs dettes ?
Gare à nos TPE lors de la réforme de l'octroi de mer !
Les potentiels ultramarins, notamment dans le domaine de l'économie maritime et de la biodiversité, sont remarquables et nos territoires sont souvent pionniers. Mais on en restera aux belles paroles tant que n'aura pas été relevé le niveau de la formation. Et puis, condition sine qua non pour le développement de nos territoires, davantage de stabilité ! (Applaudissements)
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer . - Je ne pourrai endosser la mission que m'a confiée M. Cointat : passer du rêve à la réalité. Transformer le réel revient aux populations de l'outre-mer. Merci d'abord au groupe CRC et singulièrement à M. Vergès d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour du Sénat.
Ce quinquennat est marqué par le retour de l'État en outre-mer. Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons porté une vision structurante, stratégique pour l'outre-mer, qui s'est traduite par la loi sur la régulation : lutter contre la rente, favoriser la concurrence et la transparence pour plus de pouvoir d'achat et d'emploi. Aux crédits d'intervention du ministère s'ajoute une défiscalisation maintenue et mieux encadrée, et l'expérimentation d'un crédit d'impôt potentiellement plus efficace. M. Vergès a raison : les questions financières sont importantes, ce ne sont pourtant que des outils qu'il faut mieux articuler pour mettre en oeuvre une politique globale. C'est l'ambition que je porte avec le plan d'action pour la croissance, le développement et l'emploi.
Non, madame Assassi, la remise à plat ne signifie pas que tous les dispositifs actuels seront remis en cause. Oui, cette politique commence à porter ses fruits : la courbe du chômage des jeunes commence à s'inverser dans nos territoires, sauf en Guyane.
Mme Éliane Assassi. - C'est une plaisanterie !
M. Victorin Lurel, ministre. - Non pas. La situation de nos entreprises s'améliore. Fin 2013, le taux d'impayés a baissé de 3,8 % en outre-mer, soit une dette sociale en baisse de 142 millions d'euros. Ce n'est pas rien. Enfin, l'indice du climat des affaires est meilleur au quatrième trimestre 2013. Dans la sinistrose actuelle, nous devons nous en réjouir. Bien sûr, beaucoup reste à faire. C'est tout l'objet du pacte de responsabilité. Le chômage massif, principal symptôme de la crise, témoigne de l'échec de la politique du précédent gouvernement - osons l'affirmer.
Après la régulation et le déploiement de la Banque publique d'investissement en outre-mer, il faut aller plus loin. C'est pourquoi je réfléchis depuis plusieurs mois à un projet de loi de croissance, de développement et d'emploi. Monsieur Vergès, il ne vous sera pas imposé depuis Paris. J'ai engagé la concertation avec les entrepreneurs ; j'ai reçu le 10 décembre dernier les sénateurs et les députés en janvier. Vous connaissez les grandes lignes du pacte de responsabilité, tout l'enjeu est de définir une déclinaison utile pour l'outre-mer. Le 23 janvier, le président de la République a rappelé que la baisse des charges était déjà effective outre-mer, et s'est dit prêt à adapter le pacte à ces territoires. À nous d'investir cet espace. Faisons mentir Paul Valéry ; toutes les idées simples ne sont pas des idées fausses. Précisons-le d'emblée : nous devrons faire des choix en raison de notre situation budgétaire. Il ne s'agit ni de raboter ni de faire table rase mais de rendre plus efficaces nos moyens qui sont, d'ailleurs, en hausse pour ce qui est des programmes opérationnels européens en 2014-2020. Les fonds structurels, Feder et FSE, des régions d'outre-mer augmenteront de 23 % par rapport à 2007-2013 ; le Feader augmentera, lui, de 31 % et La Réunion bénéficiera de 45 % de cette enveloppe.
Faut-il aller vers des évolutions radicales telles que la sortie des régions ultrapériphériques (RUP) ? Non, faisons avec les contraintes du droit commun. Un gouvernement de gauche ne reviendra jamais sur l'acquis des surrémunérations.
M. Éric Doligé. - Il ne faut jamais dire jamais !
M. Victorin Lurel, ministre. - Le président de la République lui-même l'a exclu. La consommation est un moteur de la croissance, l'étude ancienne de Bernard Mendès France le montrait. Car, monsieur Vergès, depuis 1946, nous menons une politique de la demande outre-mer - sans doute faut-il aussi relancer l'offre. Rien ne sera imposé depuis Paris.
Faisons la chasse aux idées parfois véhiculées par la presse : La Réunion n'est pas moins bien traitée. Cette polémique est blessante quand on met en cause mon impartialité. La Réunion a obtenu 5 000 emplois d'avenir, contre 1 500 en Guadeloupe et Martinique ; malheureusement, elle n'en a utilisé que 3 000.
Non, je n'ai pas déclaré la mort de la canne à sucre. Nous devons penser l'avenir après la disparition des quotas sucriers.
Mme Éliane Assassi. - N'en faites pas une question personnelle !
M. Victorin Lurel, ministre. - Nous avons tout à gagner à augmenter la compétitivité prix et hors prix de la filière.
Nous avons activé le Posei, pour objectiver les situations et identifier les besoins. Les conclusions, bientôt connues, guideront nos travaux pour encourager la chimie verte de cette plante miraculeuse qu'est la canne à sucre.
Le régime fiscal du rhum sera maintenu : le Conseil européen a rendu sa décision il y a quelques jours. Nous envisageons que les sucres bruts soient considérés comme des produits sensibles dans les accords commerciaux.
La fin de l'OCM sucre est connue depuis longtemps.
J'ai entendu que les aides à l'industrie sucrière bénéficieraient davantage aux Antilles qu'à La Réunion. À cela, je réponds que l'État n'est pas responsable de la fixation du prix de la canne. Toutes les aides sont fixées dans les conventions-cadres signées par chaque département. À la Martinique, le prix d'achat est de 80,44 euros par tonne ; à La Réunion, 85 euros par tonne. Foin des polémiques : comme pour le rhum, nous ne gagnerons qu'unis.
L'exposition « Les outre-mer, territoires d'excellence » au ministère met l'accent sur les produits innovants et méconnus dans les filières de la cosmétique, des biotechnologies, de la cartographie, des fibres végétales... Mais nos marchés restent trop étroits. L'insertion dans l'espace régional exige prudence. Se lancer à la conquête du marché caribéen est bien ; ce serait mieux si nous créions auparavant un marché unique antillais, voire antillais-guyanais. De même, La Réunion doit commercer avec Mayotte avant de se lancer à l'assaut de l'océan Indien. Ensuite, on pourra envisager de passer à la grande exportation.
Les économies d'outre-mer sont souvent des « morceaux » - terme que nous n'aimions guère, plus jeunes. Le rétrécissement du monde qu'opère le numérique est, pour nous, une opportunité.
J'espère que, lors de la réunion du comité du plan « France Très haut débit », nos propositions aboutiront. L'Arcep a lancé des appels à projets pour la couverture en 4G ; en ce domaine aussi, nous avançons.
Autre secteur, les énergies renouvelables. Les outre-mer ne bénéficient pas du nucléaire métropolitain ; en revanche, la biodiversité est une richesse à exploiter. La transition énergétique, le président de la République l'a dit, est une formidable opportunité pour l'outre-mer...
M. Jean Desessard. - Très bien !
M. Victorin Lurel, ministre. - ... y compris pour les retombées touristiques. Après la concertation, et je salue la contribution du réseau « Pure Avenir », M. Philippe Martin proposera un projet de loi global sur la transition, qui comportera treize articles dédiés à l'outre-mer, entre autres, la rénovation du bâti, le développement du photovoltaïque en autoconsommation, la création d'une redevance communale en géothermie, l'obligation d'installer des bornes pour les véhicules électriques. Je suis persuadé que le Sénat aura à coeur de soutenir et d'enrichir ce texte.
M. le président. - Je vous prie de bien vouloir vous hâter : l'heure est venue pour le débat avec Mme Pellerin.
M. Victorin Lurel, ministre. - Je ne pourrai donc répondre précisément à chacun. Du moins je souhaite entrer dans les détails à propos de la consultation en Nouvelle-Calédonie, car l'affaire est délicate.
Monsieur Frogier, l'État joue un rôle essentiel dans l'accord de Nouméa de 1998. Il est un partenaire à part entière, neutre mais non inerte ; le Premier ministre l'a dit devant le congrès, je l'ai affirmé à plusieurs reprises. L'année 2014 sera déterminante avec l'organisation des élections. La consultation prévue pour l'accès à la pleine indépendance de la Nouvelle-Calédonie sera organisée au plus tard en 2018, comme cela est prévu dans l'accord. La révision des listes électorales ? Aux garanties de droit commun s'ajoutent celles que vous offre la loi organique du 19 mars 1999 aux articles 188 et 189. Le Gouvernement fera tout pour que les élections se déroulent dans des conditions dont personne ne pourra douter. Une demande de radiation des électeurs est une pratique courante, le Gouvernement ne peut pas préjuger son bien-fondé. Aucune automaticité en la matière : la commission tranchera et sa décision sera susceptible d'un recours gracieux et d'un recours contentieux. La Cour de cassation aura le dernier mot, car la liberté de voter est une liberté fondamentale. L'accord de Nouméa sera strictement appliqué, comme une Constitution.
La définition du corps électoral restreint, soyez-en sûr, sera elle aussi strictement conforme à l'intention des signataires de l'accord de Nouméa. Le Gouvernement ne voit aucun inconvénient à la mission de travail du comité spécial pour les décolonisations de l'ONU ; il ne s'agit pas d'une mission de surveillance et encore moins de supervision. Je le dis avec solennité : non, Paris pas plus que New York ne soupçonne ceux qui travaillent à la révision des listes en Nouvelle-Calédonie. Votre proposition de loi constitutionnelle ? Elle ne pourra pas prospérer pour des raisons d'arithmétique institutionnelle : pesons chacun de nos mots avant d'engager toute action.
Pour conclure, j'ai entendu vos interpellations sur la vie chère. Nous lutterons pour la croissance et l'emploi, contre les lobbies. Nous avons prélevé 25 millions d'euros, 23 millions aux Caraïbes et 2 millions à Mayotte. C'est l'article premier de la loi de régulation économique pour l'outre-mer. Nous avons bien changé de paradigme, aidez-nous à porter notre ambition qui rejoint celle de M. Cointat. (Applaudissements)