Action publique territoriale (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.
Discussion générale (Suite)
Mme Hélène Lipietz . - J'ai une jupe-culotte depuis de nombreuses années, à laquelle je tiens beaucoup mais qui s'est usée. J'ai dû la rapiécer et maintenant il est impossible de reconnaître le tissu d'origine. Cette réforme m'y fait penser, qui travaille sur une structure vieille de trente ans, reliftée par l'intercommunalité (Sourires) Au lieu d'un texte ambitieux on nous propose une timide tentative, faute d'une réflexion sur l'État moderne dans la France du XXIe siècle.
Quid des communes, agglomérées de force dans une métropole ?
La biodiversité des métropoles est assurée, mais nous ne sommes pas rassurés quant à leur capacité à affronter les enjeux européens et mondiaux, écologiques surtout.
Les écologistes sont pour une réforme ambitieuse, simple et lisible pour les citoyens, qui s'appuie sur des régions fortes, européennes, des intercommunalités dont font partie les métropoles, des territoires ruraux. Or ce texte ne parle que des métropoles. Cette fascination pour les territoires de demain risque de faire oublier les habitants d'aujourd'hui. Nous allons recréer les États - cités du Moyen Âge italien, avec des doges métropolitains, élus pour six ans par l'aristocratie des élus territoriaux. Pourquoi les conseils métropolitains ne sont-ils pas élus au suffrage universel direct ?
M. Philippe Dallier. - Bravo.
Mme Hélène Lipietz. - La loi de 1982 a transformé les régions en collectivités territoriales de plein exercice mais leur naissance date réellement de l'élection des conseillers régionaux au suffrage universel direct en 1986. Pourquoi ne pas faire de même en 2014 ?
M. Ronan Dantec. - Absolument !
Mme Hélène Lipietz. - Créons un débat public avec les citoyens autour des projets métropolitains. (Mlle Sophie Joissains et M. Roland Povinelli applaudissent bruyamment ; MM. Philippe Dallier et Ronan Dantec également)
Laisser ainsi s'installer des potentats locaux, même si ce n'est qu'un fantasme, c'est ouvrir la porte au Front national ! On ne peut pas dire : la démocratie, oui, mais demain.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Il y aura bientôt, pour la première fois, fléchage. On ne va pas réformer déjà ce qui n'est pas encore mis en oeuvre.
Mme Hélène Lipietz. - À Lyon, oui, mais pas en 2016, en 2020. Faisons confiance aux territoires. Notre histoire nous a habitués à constituer un millefeuille de structures pour des territoires indépendants, raisonnons aujourd'hui en interdépendance. Le statut des métropoles n'est pas qu'une affaire de seuil. Pourquoi ne pas introduire des critères qualitatifs et objectifs ?
Nous reprendrons la parole métropole par métropole. Ces hyper-centres d'activités économiques ne doivent pas occulter les réalités économiques, sociales, humaines et écologiques des territoires alentour. Ces territoires attendent une loi équilibrée qui rappelle la responsabilité de chacun, donc aussi des métropoles, pour un aménagement équilibré du territoire. Ne les décevons pas. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit aussi)
M. Jean-François Husson . - Ce projet de loi était très attendu. Nous sommes l'émanation des collectivités territoriales : il nous concerne au premier chef. Et nous cherchons des solutions adaptées aux besoins et aux enjeux de nos territoires. Nous avions placé beaucoup d'espoirs dans ce projet de loi.
Lors des états généraux de la démocratie territoriale, le président de la République avait déclaré que les pays qui réussissent le mieux dans la compétition mondiale sont ceux qui fédèrent leurs territoires dans des projets communs. Que d'espoirs n'a-t-il pas suscités ! Au lieu d'une loi-cadre ambitieuse, vous nous livrez un texte saucissonné, vidé de sa force et d'une partie de sa substance. Pourtant, vous avez une majorité absolue à l'Assemblée nationale, une majorité à contours variables au Sénat, une majorité écrasante dans les régions, une majorité dans les départements et vous dirigez de nombreuses villes. Presque les pleins pouvoirs ! Or vous réussissez à déplaire à la majorité sénatoriale, qui a récrit le texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Elle a fait son travail.
M. Jean-François Husson. - Pourtant, le président de la République a annoncé à Dijon, en mars, qu'il était « nécessaire de garantir le niveau des dotations aux collectivités locales ». C'est en période de crise que les grands talents se révèlent. Le Gouvernement laisse passer une occasion de révéler le sien. Je le regrette. Travaillons sur une approche fonctionnelle de nos territoires. Traçons les perspectives d'avenir dans un cadre d'action propice à la performance territoriale dans les aires urbaines. Comment le Parlement peut-il se prononcer sur les métropoles sans connaître le projet susceptible d'émerger pour les autres collectivités ? En fait de choc de simplification, nous assistons à un choc de complexification, comme l'a exposé ce matin le président de la commission des lois.
On assiste à une querelle sur les seuils démographiques des métropoles. Et les réalités de terrain ? Les habitants n'ont que faire des logiques administratives et cartographiques.
Montons des partenariats fondés sur les bassins de vie, en portant territoires urbains et ruraux dans une belle dynamique. Le pôle métropolitain est un territoire de vie. Les agglomérations ont un rôle structurant.
Ce projet de loi devait reposer sur quatre principes : confiance, clarté, cohérence, démocratie. Un avis de gros temps est lancé sur nos collectivités. Les dotations de l'État vont baisser : moins 4,5 milliards d'euros d'ici à 2015. La colère gronde. Cet acte III est un acte manqué. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Jacques Hyest . - L'enthousiasme est pour le moins mitigé : c'est un euphémisme ! Selon la bonne habitude socialiste, vous faites silence sur plusieurs lois de la décentralisation. Vous y avez sacrifié, vous-même, monsieur Sueur, étant ministre, ...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La loi que j'ai alors défendue créait les communautés de communes.
M. Jean-Jacques Hyest. - ... mais il y a eu ensuite la loi Chevènement, et la loi Raffarin, et la loi de 2010 qui a créé les métropoles !
Ce projet de loi, saucissonné, manque de cohérence. L'aspect financier, pourtant fondamental, est occulté. Certes, les lois de finances sont là pour cela. Surnageait l'article 14, dont nos deux commissions demandent le report. Il reposait sur des critères orientés et injustes. Je salue le travail du rapporteur et du président de la commission des lois qui a dit explicitement qu'il avait une autre philosophie que le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je l'ai dit clairement.
M. Jean-Jacques Hyest. - Mais nous devons nous engager, politiquement, sur le texte initial du Gouvernement.
Beaucoup de juristes sérieux considèrent que le débat - interminable - sur la clause de compétence générale n'est pas pertinent.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous connaissez des juristes sérieux.
M. Jean-Jacques Hyest. - Comme saisi d'effroi devant la liberté d'administration retrouvée des collectivités, on l'encadre dans le carcan du pacte de gouvernance territoriale. Nous avons ici un montage technocratique...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous l'avons supprimé.
M. Jean-Jacques Hyest. - ... sous contrôle des préfets et des chambres régionales des comptes.
Quant aux métropoles, nouveauté autorisée par l'article 72 de la Constitution dans sa version révisée en mars 2003, la métropole lyonnaise devient une collectivité se substituant au département, la métropole marseillaise n'est ni plus ni moins qu'un EPCI et enfin la métropole parisienne avec une gouvernance curieuse, le conseil métropolitain réunissant le maire de Paris et les présidents d'intercommunalité. Bel exemple de démocratie locale ! D'autant qu'on y ajoute un schéma de coopération interdépartementale, - en oubliant que les départements de la grande couronne viennent d'achever leur propre schéma - en reprenant la formule, si critiquée - que n'ai-je entendu ici ? - de la loi de 2010. On nous reprochait alors de donner trop de pouvoirs aux préfets, et aujourd'hui, on n'a plus rien à dire contre eux. Le fait est que les préfets sont indispensables.
M. Pierre-Yves Collombat. - Le mieux serait encore de revenir à leur situation d'avant 1982.
M. Jean-Jacques Hyest. - La métropole ne peut se développer contre la région, surtout si l'on s'ingénie à faire des départements des super-bureaux d'action sociale.
J'en viens aux métropoles, dotées de ce nom magique. Lille et Strasbourg ont un environnement européen, mais ne multiplions pas, au-delà, les métropoles, alors que la structure des communautés urbaines peut s'adapter à bien des territoires.
Nos concitoyens risquent de ne plus rien comprendre à cette complexité.
Depuis quelques années, on assiste à une offensive permanente contre la commune et le département : voyez les rapports Attali, Balladur et Jospin. Seule l'intercommunalité, en réalité une supracommunalité, et la région trouvent grâce aux yeux des bons esprits. On asphyxie les départements. Dans nos campagnes, chacun défend la commune, « berceau de la démocratie locale », mais on la cantonne, comme le département, dans la gestion de la vie quotidienne.
La réforme de 2010 fut une tentative courageuse d'apporter une réponse nouvelle. Vous n'en avez pas voulu sans doute pour défendre les baronnies constituées au fil du temps, avec leur cortège de petites prébendes, d'obligés et de dépenses somptuaires ?
On nous dit que les collectivités doivent participer au redressement des finances publiques alors que le président de la République avait annoncé un pacte de confiance avec la garantie du niveau des dotations. Même amendé, ce projet de loi ne correspond pas à l'objectif affiché de modernisation de l'action publique et j'ai le sentiment que nous perdons notre temps. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Edmond Hervé . - Mesdames les ministres vous faites de ce texte l'acte I de la modernisation de l'action publique et non l'acte III de la décentralisation. Nous attendons beaucoup d'une réforme de la fiscalité locale moderne et juste. C'est François Hollande qui a annoncé cette nouvelle étape de la décentralisation, avec un pacte de confiance et de solidarité. Premier objectif : la croissance ; deuxième objectif : le rétablissement des comptes publics, déclarait-il à la Sorbonne en clôturant les états généraux de la démocratie locale, en prenant soin de préciser que les collectivités étaient aussi concernées.
Le paysage territorial a changé. J'ai regretté les polémiques occultant la réalité. Monsieur le rapporteur, vous avez raison de souligner l'excellence de la fonction publique territoriale dans votre rapport. Il y a eu bien des avancées, face à l'affaiblissement d'un État distant et incertain, dont le rôle a changé : il est le garant du pacte républicain mais toutes les politiques publiques sont nécessairement partenariales.
L'État n'a plus le monopole de la régulation ni de l'intérêt général. Nos collectivités territoriales y participent.
Première évidence : la solidarité entre l'État et les collectivités territoriales et entre les collectivités territoriales elles-mêmes s'impose. C'est dans ce cadre que nous devons apprendre à conjuguer libre administration et discipline budgétaire et fiscale, discipline européenne aussi. Il y a des solidarités évidentes.
Deuxième évidence : nous avons un vaste territoire faiblement peuplé avec des densités variables. Nous ne comptons que quatre aires urbaines millionnaires : Paris, Lyon, Marseille et Lille.
Évitons d'importer des modèles qui ne correspondent ni à notre philosophie ni à notre culture. Je renvoie aux travaux de notre délégation, dont je salue les présidents successifs et particulièrement Mme Gourault. Son rapport se réfère aux travaux du professeur Saint-Étienne pour qui l'institutionnel ne doit pas prendre le pas sur le fonctionnel ni sur le stratégique. Il ne suffit pas d'un statut pour créer une influence, un rang éventuel.
Notre pays a besoin de grandes agglomérations. Mais elles ne résument pas le fait métropolitain. Dégageons-nous d'un certain jacobinisme qui hiérarchise les territoires. L'avenir est aux réseaux, aux filières, à la coopération, à la territorialisation. Privilégions les compétences partageables par accord contractuel. Aucun juriste ne peut définir le bloc de compétences. Je suis très attaché aux compétences obligatoires. Mais une région ne peut exercer sa compétence économique sans les départements. Il faut des conventions pour exercer les différentes compétences. Vous ne pourrez pas donner une valeur prescriptive aux schémas sans contractualisation.
Je suis heureux de la redéfinition du chef de file : il ne décide pas, il organise, met en rapport. Oui, madame Lebranchu, le problème essentiel de notre administration est celui de la transversalité, pas la hiérarchie.
Mme Éliane Assassi. - Très bien !
M. Edmond Hervé. - Nous sommes tous d'accord pour dire que notre territoire est différent. Assumons-le. Cela appelle l'expérimentation. L'indivisibilité n'implique pas l'uniformisation.
Financièrement, il n'est pas de bonne politique d'allouer des subsides aux métropoles au détriment des départements et des communes. (Applaudissements au banc des commissions et sur plusieurs bancs à droite et au centre)
Je remercie le premier ministre d'avoir mis en place par anticipation la préfiguration du Haut Conseil des territoires. Je souhaite que le Sénat soit régulièrement informé de ses travaux.
Monsieur Vandierendonck, vous avez évoqué le Paris-Roubaix. Je souhaite qu'il n'y ait pas de faux départ et que le franchissement de la tranchée d'Arenberg se passe sans incident (Sourires) et je rappelle à Mme Lebranchu, que l'un des plus grands vainqueurs de la course fut un Breton, Bernard Hinault. (Applaudissements et rires)
Mme Cécile Cukierman. - Bravo !
Mme Isabelle Pasquet . - Je veux évoquer la situation du département des Bouches-du-Rhône, coupé en deux, avec à l'ouest des territoires ruraux et à l'est des aires industrielles soumises à l'injonction de compétitivité face à Gènes et Barcelone.
La métropole, pour mettre fin aux trafics qui se terminent par des règlements de comptes sanglants, pour le développement de l'économie, du transport, de l'université, du port autonome bref, de tout : c'est simple mais simpliste ! Les élus, celles et ceux qui se battent pour faire de ce territoire un espace commun pour ses habitants, savent qu'il en va autrement. Les résistances, dénigrées par le Gouvernement comme la réaction de caciques préoccupés de clientélisme, s'expriment aujourd'hui et traversent tout le spectre politique. Elles reflètent les inquiétudes des populations, tant sur le fond que sur la forme. Le mode d'élection de la métropole aboutit à un gouvernement de gestionnaires, avec le fléchage, loin des élections municipales. Quant aux conseils de territoire, ils ne masquent pas la réalité : tout se décidera ailleurs que sur le territoire des communes. La Provence classait déjà Marseille il y a deux ans au quatrième rang des communes où vivent les Français les plus fortunés. La situation s'est aggravée depuis. Il faudrait travailler à une nouvelle répartition des richesses, à des coopérations mutuellement avantageuses. La liste est longue des initiatives qui peuvent faire commun si les incitations financières de l'État remplacent l'autoritarisme administratif. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Vincent Capo-Canellas . - Ce projet de loi est le premier d'une trilogie, pas l'acte III de la décentralisation. Le Gouvernement l'a reconnu. Le groupe centriste le regrette. Exercice risqué s'il en est : simplifier, c'est arbitrer. Vous n'aviez pas une feuille de route claire. La synthèse du président de la République aux états généraux fut brillante mais peu opérante. À trop concilier, on perd sa boussole.
J'en viens à la place des communes et de l'intercommunalité. Nous réaffirmons notre attachement à ce couple. Le département est très utile et joue un rôle majeur en zone rurale. Les dotations publiques vont baisser, après les décisions récemment annoncées.
À Lyon, le choix est fait par les élus. En Île-de-France, vous contournez le problème. En province vous laissez les élus décider de la contractualisation. Dans ce projet de loi foisonnant et bavard, chacun trouve des motifs de satisfaction et de mécontentement. Satisfaction pour Lyon mais la définition de la métropole recouvre une triple réalité comme l'a dit Mme Gourault : une collectivité territoriale à Lyon, un EPCI pour Aix-Marseille-Bouches-du-Rhône et un syndicat mixte à Paris.
Pour les sujets de mécontentement, la multiplication des schémas, qui rendra encore plus difficile la prise de décision et la conduite des politiques par les collectivités territoriales.
La commission des lois a tenté d'apporter de la clarté à ce texte. Rétablir la compétence générale est une décision symbolique. Mais la situation financière empêchera les collectivités territoriales d'agir au-delà des compétences obligatoires. Le chef de filat peut aboutir à un fatras ou à la tutelle d'une collectivité.
Je salue la suppression du pacte de gouvernance territoriale.
J'en viens à l'Île-de-France, via Lyon !
Je salue l'engagement de M. Mercier et de Gérard Collomb : clarté et efficacité au confluent du Rhône et de la Saône, brouillard en bord de Seine, madame la ministre.
Erreur de méthode, certes ; problème de leadership aussi. L'Île-de-France a envie et besoin d'une métropole. Elle crève de l'inefficacité et de l'empilement des structures. La version finale du schéma directeur a fini par reprendre une partie du projet de loi du Grand Paris. L'administration considère trop souvent que l'intercommunalité en Île-de-France est une chose et le Grand Paris une autre. Or l'intercommunalité est le moyen de construire le Grand Paris en Île-de-France. Le projet de loi n'en fait pas mention.
On a pris le problème par le mauvais bout en voulant imposer une toise à 300 000 habitants pour le développement de l'intercommunalité : elle est vécue comme une perte de proximité et une régression démocratique. En outre, vous essayez de construire la métropole en ajoutant une couche au millefeuille territorial ; ce n'est pas de bonne politique. Enfin, centrer la métropole sur le logement ne saurait, enfin, être un point de départ : ce devrait être un point d'arrivée.
Sur le périmètre, il y a deux visions. Dès lors que vous choisissez l'aire urbaine de Paris comme périmètre de la métropole, vous vous condamnez à reprendre le périmètre de la région Île-de-France puisque 95 % de la population de la région vit dans l'aire urbaine. La Région devient de fait la métropole. L'autre vision c'est de partir de la petite couronne, avec une métropole qui remplace les départements. Il faut trancher. La proposition de la commission est plus réaliste que le texte initial mais sur l'Île-de-France, il faut repartir à zéro ; le Sénat se grandirait à rejeter cette partie du texte.
Ardents décentralisateurs, nous pensons que décentraliser c'est faire des choix. Tel est notre désaccord. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur le banc des commissions)
M. Pierre-Yves Collombat . - Le projet du Gouvernement, produit d'une gestation difficile, nous arrive tronçonné en trois parties et il n'est plus question de décentralisation, mais d'un projet managérial à mille lieues de l'esprit des lois de 1982-1983, grâce à quoi les collectivités territoriales contribuent à l'essentiel de l'investissement public sans déficit. Qui dit mieux ? Et l'on vient brider leurs initiatives ! Aux états généraux, la première attente des élus était de voir créer un statut. Il paraît que c'est pour bientôt. Ils attendent aussi beaucoup de la réforme locale et de la simplification administrative. Le pacte territorial aura de quoi les réjouir !
S'agit-il de répondre aux sollicitations de l'Union européenne, du FMI, des holdings, voire de l'OCDE qui parle des économies substantielles qu'apporterait une fusion des petites communes et une suppression du département... Et si l'on supprimait l'OCDE ? Cela ferait des économies. (Rires)
M. Roger Karoutchi. - J'y ai été ambassadeur !
M. Pierre-Yves Collombat. - Il s'agirait, dit-on, de préserver notre « souveraineté budgétaire ». Souvenez-vous du AAA ! Est-ce en bridant l'action des collectivités territoriales que l'on retrouvera la croissance et l'emploi ? La vérité, c'est que les caisses de l'État sont vides, et que les collectivités territoriales doivent se serrer la ceinture pour sauver la face devant Bruxelles et Berlin.
On retire aux petites collectivités leurs compétences essentielles, avec le projet de développement de la solidarité territoriale. Parallèlement, on dope les métropoles, qui concentreront l'essentiel des richesses, au détriment de la péréquation. On organise la « servitude volontaire » des élus, pris dans la toile d'araignée du pacte territorial qui, à peine bouclé, devra être révisé. On met, enfin, les élus sous contrôle financier. Et l'on parle de rétablir la confiance, de clarifier et de renforcer la démocratie ? Drôle de manière de procéder.
Je me félicite que notre commission des lois ait revisité ce texte. Le Parlement, même sous la Ve République, n'est donc pas obligé de tout avaliser. S'inspirant du rapport Hervé-Gourault, le texte de la commission des lois crée les conditions d'un accord. Voyez comment l'Europe s'est autoparalysée sous sa camisole de traités. La servitude volontaire n'a rien de bon. Et pas plus quand elle prend la forme d'un pontificat infaillible du président de la commission des finances, opposant à nos amendements la sanction de l'article 40.
Le chef de filat, la métropole sont encore loin de faire consensus. Manquent aussi les outils pour l'organisation des territoires en réseau.
J'ai lu, madame la ministre, que vous vous prépariez à un bras de fer avec le Sénat.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Certainement pas.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce serait dommage. Arriver au consensus dans notre Haute Assemblée serait un bon signal. (Applaudissements sur de nombreux bancs à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission. - Très bien !
M. Ronan Dantec . - Quelle occasion manquée ! On devait décliner un nouvel élan décentralisateur et voilà, en lieu et place, un texte bien faible. Le constat est sévère, c'est que l'enjeu est d'importance. L'acte III de la décentralisation devait fédérer les énergies et renforcer la solidarité territoriale, exigences majeures du temps.
Ce projet de loi dit surtout les difficultés d'organisation et le conservatisme frileux face à toute offre de réforme. Le constat ne s'adresse pas à vous, madame la ministre, mais aux élus qui veulent défendre leur pré carré. Les citoyens, aussi, ont craint pour leur avenir. D'où l'échec de la réforme en Alsace.
Oui, c'est une véritable vision d'avenir qu'il nous faut projeter : nous avons quelques jours devant nous. Commencer par les métropoles est dangereux. Il aurait fallu étudier ensemble le couple région-métropole, au lieu de nous laisser croire que nous sommes dans la stratégie de Lisbonne. C'est affaiblir la force politique du texte et la confiance des citoyens. Par amendements, nous dirons que les métropoles doivent s'engager dans un nouveau dialogue avec leurs territoires environnants, et notamment les villes moyennes. Nous insistons sur le renforcement des compétences de la région, avec un chef de filat clair. Les collectivités territoriales sont aussi capables de se coordonner. Sur la transition énergétique, elles ont su travailler ensemble.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - C'est vrai.
M. Ronan Dantec. - Il appartient à la loi de tracer un cap. Les grandes villes devront y prendre leur part.
Sur certains points, le texte nous semble encore plus en retrait après réécriture de la commission des lois. Le pacte régional nous paraissait intéressant pour dépasser certains blocages. Surtout, sans élections directes, les métropoles ne seront pas légitimes. Ce point sera central pour déterminer notre vote. (Applaudissements sur les bancs écologistes)
M. Jean-Claude Gaudin . - Ce projet est très important pour l'évolution du fonctionnement des collectivités territoriales ; il est plus important encore pour Marseille, dont je connais au premier chef les difficultés et les potentialités. Sur la notion de la métropole, le texte du Gouvernement, revu par la commission des lois, s'inscrit dans une évolution naturelle. C'est une démarche nécessaire pour toute l'agglomération, qui n'enlèvera rien à personne et apportera beaucoup à tout le monde.
Il y a des précisions à apporter au texte, cependant. Le développement économique, l'aménagement du cadre de vie, la lutte contre le chômage sont réalité à Marseille, mais nous sommes encore en retard. Voyez Lyon et Barcelone. C'est un retard qui remonte à 1966, quand Marseille, sur décision de son maire, n'est pas montée dans le premier train des communautés urbaines de France.
M. René Vandierendonck, rapporteur. - C'est vrai.
M. Jean-Claude Gaudin. - Résultat, elle est restée trop seule pour aborder les problèmes des cinquante dernières années. Quand la loi Chevènement a ouvert une nouvelle occasion en 1992, le conseil communal n'a pas hésité, ni son maire. La communauté urbaine Marseille Métropole s'est affirmée depuis treize ans dans ses compétences et ses projets ; elle a même résisté aux soubresauts d'une alternance démocratique qui n'avait pas été décidée par le suffrage universel.
M. Gérard Longuet. - C'est vrai.
M. Jean-Claude Gaudin. - Sur le fondement de la loi de 2010, le conseil avait voté le principe de l'extension de la communauté urbaine à dix-huit communes. Le Gouvernement va sans doute ici trop loin, mais je connais assez le train de l'administration française pour ne pas craindre la vitesse, sinon la précipitation. Le report à 2016 est acquis, c'est une bonne chose.
La condition, c'est de ne pas créer une couche supplémentaire au millefeuille et surtout, d'assurer la prééminence des maires. Qui dit EPCI dit coopération intercommunale, les élus doivent en être la base. Les maires doivent garder un rôle dans l'aménagement et le droit du sol. À dix-huit, nous l'avions réussi. Nous le pourrons à 92. Pourquoi ne pas essayer ?
Dans les présentations polémiques du projet, on reproche à Marseille sa prétendue tentation hégémonique. Rien n'est plus faux. Elle n'a nullement l'intention d'exporter des problèmes sur le reste du territoire, alors qu'elle a inversé la spirale du destin, qu'elle a créé en dix-huit ans 40 000 nouveaux emplois et 20 000 nouvelles entreprises, tout en accueillant 80 000 nouveaux habitants ; que sa gestion est rigoureuse et honnête ; qu'elle a stabilisé sa dette, ne consacrant son effort fiscal qu'aux investissements. Marseille n'a pas de leçon à recevoir, pas plus qu'elle n'en donne à quiconque. Elle a compté, compte et comptera d'abord sur elle-même. Mais elle profite à l'ensemble des communes de l'agglomération, de ses habitants, qui utilisent ses services, y travaillent, s'y font soigner, y vont au théâtre. Et c'est pourquoi l'intercommunalité doit être organisée sur le territoire. On ne peut se plaindre de l'état des transports sans agir pour développer les infrastructures.
Les maires continueront d'exercer leurs compétences pleines et entières. La référence au pacte de gouvernance est utile à rappeler aux traînards. La loi de 2010 n'avait pas permis une bonne représentation des communes les plus peuplées. Portée à 238 membres, l'assemblée métropolitaine me semble de nature à résoudre le problème. Tous les maires doivent faire partie du conseil.
La métropole, oui, mais avec qui et pour quoi faire ? Le projet métropolitain doit assurer le développement économique et social de tout le territoire. Cela suppose une implication forte de l'État, sans lequel le projet n'a pas de sens. L'engagement devrait être à proportion de celui que consent l'État pour le Grand Paris.
La compétence pluviale doit être assumée au niveau métropolitain, de même que la voirie sous toutes ses modalités. Enjeu stratégique, enfin, le grand port maritime. Je présenterai un amendement là-dessus.
Dernier point, à moins qu'il ne soit temps de conclure... (On incite l'orateur à poursuivre)
M. le président. - Si c'est juste pour une sardine.... (Rires)
M. Jean-Claude Gaudin. - Bon, je conclus.
Le bataillon des marins-pompiers, 1 400 hommes et femmes qui assurent la protection de 24 000 hectares, soit l'équivalent de Roissy à Orly, coûte 100 millions d'euros par an, dont 70 millions à Marseille. Il faut trouver une solution, n'en déplaise au magnifique grand potentat de l'article 40. (Rires ; plusieurs voix sur divers bancs : « Où est-il ? »)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Il n'est pas là, M. Marini. (Nouveaux rires)
M. Jean-Claude Gaudin. - Nous pouvons passer de la métropole inachevée à la métropole affirmée. Nous avons fusionné trois universités. Dans le chantier euroméditerranéen, l'Europe et les collectivités territoriales collaborent. Pour Marseille, capital européenne de la culture, toutes les communes sont concernées.
Je ne crois guère au Saint-Esprit, mais un peu d'espoir, de confiance, que diable ! Et l'on parlera après, monsieur Collombat, du statut de l'élu, loin du contexte actuel, et des télévisions. (Rires et applaudissements)
M. Gérard Collomb . - Votre texte, mesdames les ministres, était attendu. Parfois de pied ferme. Il fut beaucoup commenté, souvent de manière un peu contradictoire, ce qui diminue la pertinence des critiques. S'il soulève tant de difficultés, c'est que la France est devenue diverse, et qu'il est facile d'opposer entre eux les territoires, quand il faudrait rechercher l'unité, qui ne veut pas dire uniformité.
Sur les cartes de la Datar, on voit la France rurale, des Ardennes au sud-ouest, en passant par le Massif central. C'est le département qui, dans cette France, doit être l'armature. On voit ensuite la France des villes moyennes, celles qui regroupent de l'ordre de 100 000 habitants. On y trouve les premiers services aux entreprises, les premières antennes universitaires, certaines spécialités. Il faut renforcer ces villes, dont la dynamique rejaillit sur tout le territoire autour d'elles. N'opposons pas le rural et l'urbain. 90 % de la population vit sous influence urbaine.
On voit, enfin, des grandes villes d'intérêt national, avec des systèmes urbains complexes qui portent la dynamique économique mais sont aussi confrontés à des difficultés sociales. Il faut leur donner les moyens de faire un bond en avant. C'est ce que fait ce texte en instaurant les métropoles de droit commun. Trois sur quatre métropoles peuvent essayer de se comparer aux grandes métropoles européennes, Barcelone, Manchester ou Milan.
Et puis, il y a le problème spécifique de l'Île-de-France, qui représente 30 % du PIB français. C'est la seule métropole européenne avec Londres à pouvoir peser sur la scène mondiale. Or c'est encore un territoire très fragmenté, où le cloisonnement institutionnel peut nuire à la dynamique économique et paralyser la construction de logements. (On approuve sur les bancs de la commission) C'est pourquoi, la compétence logement doit être un point de départ.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Très juste.
M. Gérard Collomb. - Ce chemin vers plus d'intégration, c'est celui qu'a parcouru la communauté urbaine de Lyon, dès 1966. Au départ, pour assurer des services urbains basiques, alors que seules 18 communes sur 55 étaient équipées du tout-à-l'égout. Puis vinrent la compétence urbanisme, le logement, le très haut débit, l'énergie. Les communes se sont habituées à travailler ensemble sur des champs toujours plus nombreux, à résoudre les problèmes de La Duchère ou de Vénissieux.
M. René Vandierendonck, rapporteur. - Très bien !
M. Gérard Collomb. - Vous vous souvenez des explosions urbaines, de la révolte des banlieues : c'était dans l'agglomération lyonnaise. C'est fini.
Créer des métropoles, c'est se donner les moyens de peser en Europe, de mieux prendre en compte les questions sociales, en articulant mieux l'urbain et l'humain.
Je veux dire à nos amis Marseillais que c'est dans cette voie de l'intégration communale que réside la clé du succès. À Lyon, en 1966, lorsque fut créée une des neuf premières communautés urbaines de France, la quasi-totalité des élus étaient contre ; personne ne regrette. Votre territoire, amis Marseillais, a des atouts. Saisissons-nous de ce texte pour écrire une page nouvelle de notre histoire.
Ce projet de loi, pour certains, manquerait de souffle. Il n'y a pas une France, mais des France (On approuve à droite) et il n'est pas aisé d'organiser notre complexité. On ne peut plus se contenter d'un modèle unique, comme autrefois. Nous devons ensemble donner vie à ce texte. L'immobilisme ou le changement, telle est l'alternative. Si nous restons prisonniers de nos immobilismes, de nos conservatismes, rien ne bougera. Sachons saisir cette chance, pour que les collectivités territoriales soient, demain, les vraies actrices du changement. (Applaudissements sur les bancs des commissions, plusieurs bancs socialistes et UMP)
M. Hervé Marseille . - Ce projet de loi porte sans doute un titre attrayant mais personne ne se laisse abuser par le terme de modernisation. Peu se satisfont de ce texte, et l'important travail de la commission des lois en témoigne. Malgré ce travail, le grand nombre d'amendements déposés traduit une insatisfaction générale. Le pouvoir des maires, en Île-de-France, est confisqué. Je ne doute pas, chers collègues, attachés que vous êtes à cette fonction de proximité, que vous saurez porter un jugement critique sur ce choix. Ce texte complique le millefeuille et affaiblit le principe de libre administration, privant souvent les collectivités territoriales de leur pouvoir d'appréciation.
L'article 12 crée le Grand Paris Métropole. Cet établissement public serait composé de la ville de Paris et des EPCI à fiscalité propre. La région Île-de-France et les départements pourraient participer avec voix consultative aux travaux de Grand Paris Métropole. Nos communes sont les grandes oubliées. Le transfert au Grand Paris Métropole de prérogatives communales dessaisit les maires, élus légitimes. L'article 13, relatif au schéma régional de l'habitat, donne compétence à Grand Paris Métropole pour sa déclinaison territoriale. Autrement dit, le maire est dessaisi de la politique d'urbanisme, alors que c'est au plus près du terrain que l'on peut corriger les inégalités. J'ajoute que les dirigeants des intercommunalités ne sont pas élus au suffrage universel direct et n'ont donc pas à répondre de leurs actions devant les électeurs. Le rapprochement des collectivités demande du temps. Il y faut un partenariat durable, stable et collectif. Je déposerai un amendement pour reporter le Grand Paris Métropole après l'achèvement de la carte intercommunale.
Les moyens manquent, puisque le texte reste à moyens constants. Et les normes se multiplient, sans être coordonnées : c'est contre-productif. Le nombre de logements construits ne pourra que baisser.
Où est la cohérence, la vision d'ensemble de ce texte ? Quel avenir pour la région Île-de-France, qui subira la concurrence de la métropole ? Ce texte est insatisfaisant, et pour l'opposition, et pour bien des représentants de la majorité, si l'on en croit le nombre d'amendements déposés par les groupes CRC et écologistes. Quel financement pour le Grand Paris Métropole ? Quelles conséquences en termes de péréquation ?
Vous comprendrez que nous ne puissions nous engager, en l'état, sur ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur. - Les amendements ne sont pas un signe d'insatisfaction, mais une marque d'intérêt. Si l'on est hostile par principe au fait de déposer des amendements, autant fermer le Parlement.
M. Gérard Larcher . - Michel Mercier nous le disait, la réforme des collectivités territoriales requiert courage et abnégation de la part des ministres, tant la commune et le département sont chers à nos concitoyens, tant le sujet est sensible. Une interrogation nourrit l'inquiétude des élus. Depuis le 16 décembre 2010, c'est le quatrième texte qui vient modifier l'organisation territoriale, et ce n'est pas fini. Cette instabilité est insupportable pour les élus. À peine les schémas départementaux de coopération intercommunale achevés, moins de cinq mois après, tout est bouleversé.
Interrogation, aussi, face à une complexité toujours croissante. Comment réhabiliter à la fois la clause de compétence générale et la notion de chef de file ? Quelle place, enfin, pour les communes ? En Île-de-France, les choses ne sont pas comparables à Lyon : 11,8 millions d'habitants dont 10 dans l'agglomération centrale. Il ne saurait y avoir de réponse unique, qui vaille partout.
Dans votre projet, madame la ministre, l'institutionnel primait sur le fonctionnel. Heureusement, la commission des lois a prévu une représentation des communes de moins de 50 000 habitants. L'intercommunalité et l'action communale ont besoin de dynamisme.
Les communes rurales des départements périurbains s'interrogent, c'est vrai dans tous les départements de la grande couronne. Une partie de mon département s'intéresse plutôt à la région Centre ou à la région Haute-Normandie. En Île-de-France, on ne nous parle pas de transports collectifs avant 2030 !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Que fait M. Karoutchi ?
M. Gérard Larcher. - Il faut faire du concret, du fonctionnel, du cohérent, répondre à la réalité : on ne bâtira pas le concept de métropole dans l'affaiblissement des territoires ruraux, des villes moyennes et des bourgs-centres.
La loi de 2010 était imparfaite, mais la commune était au coeur de l'organisation territoriale. Ma ville est pôle d'équilibre dans un secteur encore rural de l'Île-de-France, trait d'union avec Chartres en région Centre. La commune a du sens, n'en déplaise à l'OCDE, surtout en temps de crise. (M. Roland Povinelli applaudit) Je défends une organisation territoriale, monsieur le président, bâtie sur un renforcement de l'intercommunalité, sur l'idée qu'il faut conforter le département là où il a du sens...
M. Gérard Longuet. - En zone rurale...
M. Gérard Larcher. - ... et des métropoles qui correspondent aux défis européens et de la mondialisation. Je crois à la constitution de réseaux, à la concertation, à la contractualisation mais pas au modèle unique. Voilà un projet qui pourrait nous rassembler. (Applaudissements au centre et à droite et sur quelques bancs socialistes)
M. François Patriat . - Je vois bien les bonnes intentions... Mais il est des divergences qui demeurent. Il était temps, mesdames les ministres, de siffler la fin de la partie. Il fallait choisir, trancher. M. Mézard a parlé du cumul. Un président de région vous parlera des régions.
Comment mettre fin aux doublons, moderniser l'action publique pour la rendre plus efficace ? Comment libérer les capacités créatrices des territoires ? Comment responsabiliser chaque échelon, conforter l'État dans ses fonctions régaliennes et son rôle d'arbitre ? Le chef de l'État a répondu en concluant les états généraux, puis à Dijon. La France a besoin de retrouver la confiance et l'équité, de réinventer son fonctionnement démocratique, de changement. Pour tout cela la décentralisation est déterminante.
Les régions se sont reconnues dans les orientations du président de la République. Elles ont formulé des propositions fondées sur quatre principes : clarifier, simplifier, responsabiliser, économiser. Elles ont signé avec le Gouvernement une déclaration commune début septembre pour prendre leur part au redressement du pays.
Or nous constatons une certaine confusion. Les trois textes que vous présentez, madame la ministre, n'accélèrent pas la décision publique ni ne responsabilisent État et collectivités territoriales avec des blocs de compétences claires. Ce n'est pas aux collectivités de dire ce qu'elles veulent faire mais à l'État de dire ce qu'elles doivent faire et avec quels moyens.
M. Roger Karoutchi. - Très bien !
M. François Patriat. - Il est vrai que les élus, y compris ceux de même tendance politique, que les territoires ne se font pas confiance entre eux, parce qu'ils veulent tout faire. Il est vrai aussi que nous n'avons pas su trancher, la France compte trop de collectivités dans son fameux millefeuille.
Les conférences territoriales risquent de bloquer l'action publique, les collectivités se contrôleront les unes les autres ; de même avec le pacte. On pourrait même arriver à une tutelle des collectivités sur la région.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Absolument ! C'est un risque.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - C'est aller loin !
M. François Patriat. - Heureusement la commission y a remédié. La réforme ne doit pas être l'occasion de les opposer, d'institutionnaliser les cafouillages. Pour cela il faut trancher, savoir qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui doit rendre des comptes. C'est ainsi que nous redonnerons confiance à nos concitoyens, que nous redonnerons du souffle à la démocratie locale.
Les régions sont soucieuses de faire réussir une réforme qu'il faut aborder avec pragmatisme. Revenons à l'ambition affichée par le président de la République. (M. Roger Karoutchi rit) Simplifions, clarifions, responsabilisons. Donnons aux régions le statut de chef de file de l'aménagement et du développement durable du territoire, ce chef de filat doit être responsable et efficace. Déléguons aux régions, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur, une compétence complète sur le développement économique.
Permettons aux régions de devenir autorités de transport de plein exercice, de chefs de file de l'intercommunalité. Réussissons le transfert de l'autorité de gestion des fonds européens. Obtenons un portefeuille de ressources fiscales dynamiques, plus en lien avec l'activité des régions. Aussi, avec la commission des lois, nous oeuvrons dans le bon sens. Nous soutiendrons ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et des commissions)
M. Roger Karoutchi . - Pourquoi voulez-vous essayer de faire entrer l'Île-de-France dans un moule qui n'est pas le sien ? Marseille, Lyon représentent entre 15 et 20 % de la population de leur région respective. En Île-de-France, vous créez une métropole qui rassemble 85 % à 90 % de la population. Que restera-t-il de la région ? Qu'est-ce que ce monstre, sinon un contre-pouvoir à la région ? Un monstre qui absorbe tout, sauf, évidemment, les zones rurales. Chaque président de conseil général concerné en grande couronne se débrouillera...
C'est la métropole qui aura la compétence logement, mais la région conservera celle des transports - elle n'y arrive déjà pas ! Tout le monde est d'accord, moi le premier, pour reconnaître qu'on a un vrai problème de fonctionnement : l'Île-de-France est ou trop petite ou trop grande. Comme on ne sait pas faire, on invente sans cesse des structures nouvelles qui ne changent rien et rendent de plus en plus complexes et inefficaces les politiques.
On aurait pu fonder la métropole avec les quatre départements du centre, imaginer d'autres formules. Mais avec le non-choix qui est fait nous conservons les communes, privées de l'essentiel de leur pouvoir ; les départements de petite couronne, dessaisis pour partie au profit des EPCI ou de la métropole; et les départements de grande couronne dont la gestion sera partagée, dans la métropole pour une part, en dehors pour l'autre... On nous dit : ne vous inquiétez pas, il y aura un schéma régional de l'habitat. Mais l'établissement public foncier régional ne marche pas du tout, certains départements, certaines communes ont créé le leur !
Ce système est fou ! Nous sommes tous d'accord pour remettre à plat l'existant. Mais vous créez une strate supplémentaire, dans une logique de compétition avec la région. L'une et l'autre s'affronteront - pour le plus grand bien de nos concitoyens ? Certainement pas ! Vous niez les efforts réalisés en matière d'intercommunalité en petite couronne, vous dessaisissez les départements. Que gagnons-nous en Île-de-France pour la vie quotidienne de nos concitoyens ?
En 1994, j'ai souvenir d'un plan sympathique ; la région Île-de-France devait passer de 10 millions d'habitants alors à 9,5 millions en 2020. Nous en aurons 13 millions ! À l'époque, l'unité urbaine, c'était 340 communes, elles sont aujourd'hui 412, demain davantage encore... La région devrait se voir conférer les compétences des métropoles. Pourquoi dessaisir les communes, les départements de la petite couronne, tant qu'on n'a pas réfléchi à l'extension urbaine future ? Où en sera-t-on en 2030 ? Où va-t-on ? On crée un monstre qui ne répond ni aux attentes des élus ni à celles des habitants. Nous avons besoin de lien entre les départements et les communes, qui se fasse au travers d'une structure ; celle-ci existe, c'est la région.
De grâce, ne multiplions plus les fonds, les schémas, les structures. Les élus ne savent plus à quel saint se vouer. L'Île-de-France a besoin de liberté, de souffle, pas de structure supplémentaire. (Applaudissements à droite)
M. Roland Ries . - Ce projet de loi répond à une double nécessité : la prise en compte, dans notre organisation territoriale, des évolutions qui ont affecté nos modes de vie ; et le souhait de la France d'adresser à ses partenaires européens un message clair. Ce texte met en effet en valeur le positionnement européen de certaines de nos grandes agglomérations. Il consacre aux agglomérations lilloise et strasbourgeoise des dispositions liées à leur vocation européenne ; pour elles, les enjeux sont transfrontaliers mais les formes de coopération actuelles ne sont pas adaptées, leur mise en oeuvre se heurte à des difficultés d'harmonisation des initiatives et de rationalisation des financements. D'où l'intérêt des schémas de coopération transfrontalière. Les métropoles de Strasbourg et Lille seront désormais les interlocuteurs privilégiés de leurs partenaires au-delà des frontières. Siège du Conseil de l'Europe, de la CEDH, de diverses institutions européennes et internationales, Strasbourg assume des fonctions qui sont, ailleurs, celles d'une capitale d'État. Le statut d'eurométropole le reconnaît. Le président de la République a rappelé devant le Parlement européen le 5 février dernier son attachement à cette vocation européenne. Strasbourg a bénéficié d'un soutien constant de l'État, que ce soit avec François Mitterrand, Jacques Chirac ou Valéry Giscard d'Estaing. Notre commission des lois a introduit des précisions nécessaires. Merci à son président et à son rapporteur.
Un dossier préoccupe nos grandes agglomérations (M. Louis Nègre applaudit) la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant...
M. René Vandierendonck, rapporteur. - Très bien !
M. Roland Ries. - ... attendues unanimement depuis si longtemps. Il sera transformé en service public du stationnement.
M. Jean-Jacques Hyest. - C'est compliqué !
M. Roland Ries. - Il me semble qu'il existe sur ce point un consensus. Je souhaite qu'il s'étende au reste du texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
M. Louis Nègre . - Après les grandes lois de 1982 et 2004, ce texte n'a pas l'envergure attendue d'un acte III de la décentralisation. Scindé en trois textes, il souffre d'une rédaction initiale confuse, loin de la devise olympique citius, altius, fortius... C'est plutôt un texte petibonus... (Sourires)
Je me félicite de l'important travail accompli par le président et le rapporteur de la commission des lois, qui ont opportunément simplifié le texte. La commission a revu en profondeur la composition et le rôle de la conférence territoriale, assoupli utilement certaines dispositions, comme à l'article 31, conforté le fait urbain en préconisant l'émergence de métropoles d'une taille européenne.
Je me réjouis que le titre même du projet de loi affirme les métropoles. Nice-Côte d'Azur en est l'exemple pour l'instant unique. Nous savons depuis dix-huit mois ce qu'est concrètement une métropole...
M. Pierre-Yves Collombat. - Rurale !
M. Louis Nègre. - ... celle créée par Christian Estrosi à la suite de la loi de 2010. Elle fonctionne efficacement et à la satisfaction générale. Et pourtant, chez nous aussi, quand on a créé la communauté d'agglomération il y a dix ans, les oppositions étaient fortes. Aujourd'hui la situation s'est inversée. Notre métropole pilote a ouvert la voie. Elle exerce la plupart des compétences proposées par le projet de loi. Elle se fonde sur une intercommunalité dynamique et solidaire qui porte un vrai projet de territoire.
Certains s'inquiètent d'une intégration aussi poussée. Cher collègue Favier, n'ayez pas peur ! (Sourires) Les communes rurales sont 29 sur 46 dans notre métropole. Mais, n'en déplaise aux Cassandre, nous avons su créer entre elles et les communes urbaines une solidarité qui a renforcé la cohésion sociale. C'est la meilleure réponse aux détracteurs des métropoles. Aujourd'hui, deux communes dirigées par des maires communistes réclament leur intégration à la métropole niçoise.
Maire de Cagnes-sur-Mer, je constate, comme mes 45 autres collègues, que ma commune n'a pas disparu. Je ne suis pas devenu maire d'arrondissement. La clé de la réussite, c'est la bonne gouvernance, elle-même fondée sur la conférence des maires, qui doit se voir reconnaître un rôle plus décisif que dans ce projet de loi, et une charte qui incite à rechercher systématiquement le consensus.
Le projet de loi va dans le bon sens. Je le voterai. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. le président. - Attribuer des temps de parole de quelques minutes sur des sujets qui sont notre coeur de métier est un peu irréaliste...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Il y a tant de demandes !
M. Vincent Eblé . - Ce projet de loi reconnaît le fait métropolitain, réponse adaptée à des réalités très diverses. Pour la première fois, la vision de l'organisation des pouvoirs locaux n'est plus centralisée, uniforme, mais s'appuie sur l'expérience de terrain, en laissant aux acteurs des marges de manoeuvre importantes. C'est un signe de maturité de notre démocratie.
Pour Paris, le texte amendé par la commission des lois crée une collectivité sui generis ; j'y souscris, mais veillons au périmètre, aux compétences et à la solidarité financière. Certains en tiennent pour que métropole et région ne fassent qu'un. D'autres plaident pour une structure centrée sur l'aire urbaine ; c'est le cas de la commission des lois. Ne créons pas de nouvelles frontières au sein de la région. Élu de Seine-et-Marne, qui couvre la moitié de la surface régionale, je connais les craintes de relégation, qui conduisent souvent à l'extrémisme.
M. Philippe Dallier. - Eh oui !
M. Vincent Eblé. - Obligés de s'éloigner pour trouver des logements à prix accessibles, ils subissent des transports bondés, des équipements de proximité insuffisants : trouvons la bonne échelle pour résoudre ces difficultés. Or les deux tiers des habitants sont exclus de la métropole. Les réalités font fi de l'aire urbaine stricto sensu : Sénart, Cergy-Pontoise, Saclay en témoignent. Le périmètre proposé exclut même les pistes de Roissy-Charles-de-Gaulle... Plus grave, la commission des lois méconnaît le besoin de structuration de ces territoires qui subissent les conséquences de l'émiettement intercommunal. Nous en savons quelque chose en Seine-et-Marne. Je regrette une forme de frilosité inadaptée aux enjeux. Il faudra clarifier le statut et les compétences de la future métropole.
En Île-de-France cohabitent des pôles très pauvres et des secteurs très riches. Gardons en mémoire les émeutes de 2005. Le pays tout entier pâtirait d'un affaiblissement de l'Île-de-France. Le Gouvernement avait proposé un dispositif de péréquation entre départements. Les commissions ont proposé la suppression de l'article. Ce serait une grave erreur ; sans ce dispositif, il n'y aura pas de métropole durable et solidaire. Je proposerai un amendement visant à son rétablissement, pour le principe, renvoyant à la loi de finances pour son dispositif technique. Gardons en permanence présent à l'esprit ce qui fonde l'action publique locale, le service au public, le développement des territoires, la lutte contre les inégalités. Dans l'oeuvre de redressement, les collectivités territoriales peuvent et doivent jouer un rôle important. (Applaudissements sur les bancs des commissions)
M. Philippe Dallier . - Voilà cinq ans que j'attends ce débat sur le Grand Paris. Ce jour aurait été un grand moment de bonheur si j'avais pu voir mon travail transcrit dans la loi... Il eût fallu pour cela que je sois sénateur du Rhône...
M. Roger Karoutchi. - Nul n'est prophète en son pays !
M. Philippe Dallier. - Les choses avancent, même le président de l'ARF convient que la question de la fusion des départements mérite d'être posée. Il y a un an, j'ai reçu un coup de fil de Claude Bartolone, alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, qui se disait favorable à ma position. Malheureusement, votre projet de loi ne va pas dans ce sens. Vous n'en avez pas eu l'audace. Le président Huchon n'a jamais voulu entendre parler du Grand Paris, dont il craint la concurrence ; et le maire de Paris, qui a pourtant initié un dialogue avec la banlieue, n'est jamais allé au bout de sa logique. L'espèce de compromis que vous proposez est la plus mauvaise solution. On ne peut pas ne rien faire, il y a urgence à permettre à notre ville monde de rivaliser à armes égales avec ses concurrentes, urgence à rendre les politiques publiques plus efficaces, urgence à réduire la fracture territoriale dans la métropole la plus riche d'Europe mais aussi celle où les inégalités entre collectivités sont les plus grandes, urgence enfin à rationnaliser la dépense publique - nos concitoyens ne comprennent plus qui vote l'impôt local ni pour faire quoi.
Ce texte ne le permet pas. Le maire de Paris, le président du Grand Paris et celui de la région, les huit présidents de conseil général, plus les dizaines de présidents de communautés... à côté de 412 maires qui diront : « Et moi, et moi, et moi ! ». Un modèle incompréhensible pour tout le monde ! C'est le coeur du débat. À Lyon, à Marseille, vous rationnalisez. Pourquoi pas en Île-de-France ? À Marseille, vous avez répondu à un élu que multiplier les niveaux de collectivités était budgétivore et inefficace ! Vous parliez d'or ! Dans la petite couronne, toutes les communes ont la taille critique pour délivrer les services de proximité.
En 2008, je préconisais de s'appuyer sur ces communes. Qui suit les allocataires du RSA, les personnes âgées dépendantes en Île-de-France ? Les services des communes ! (M. Christian Favier s'exclame) Sur moins de 10 % du territoire de l'Île-de-France, nous avons 7 millions d'habitants, soit une densité plus grande que celle du Grand Lyon. Faut-il inclure dans la métropole 10 millions d'habitants sur 12 ? Cela n'a pas de sens ! Mon modèle ne coûterait pas un sou aux autres, il a un effet péréquateur extraordinaire. Les compétences pourraient être ensuite redistribuées, la métropole étant une collectivité locale de plein exercice, sans clause de compétence générale, se spécialisant en matière de logement. Quand on aura coupé la Seine-Saint-Denis en quatre ou cinq agglomérations, élaboré PLH et PLU, aura-t-on changé quoi que ce soit à la mixité sociale ? Dans cette première couronne, on se regroupe par couleur politique ; à l'ouest, les moins riches avec les un peu plus riches, à l'est les plus pauvres avec les un peu moins pauvres... Est-ce là votre modèle ? Le mien ne s'oppose pas à la grande couronne, ne l'affaiblit pas. Il faut imposer la coopération entre collectivités territoriales. Pourquoi la métropole sur la zone dense s'opposerait-elle à la grande couronne ou à la région Île-de-France.
Oui, mon projet a cinq ans. Mais qui a proposé un autre modèle ? Ne me reprochez pas de persister, mon projet est comme un vin de garde, il se bonifie avec l'âge alors qu'il y a des vins nouveaux qui tournent vite vinaigre ! (Applaudissements à droite ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit aussi)
M. Alain Richard . - Cette discussion est fertile. Il y a eu débat sur la méthode. Je fais partie de ceux qui ont souhaité le partage en plusieurs projets. Souvenez-vous de l'acte I de la décentralisation : on n'a pas procédé autrement. Plutôt que travailler sur une masse difficilement maîtrisable, mieux valait diviser, sans anticiper ici sur la suite.
Avec le développement de la décentralisation, qui a porté de nombreux fruits, on a aussi vu se développer les corporatismes, reconnaissons-le.
La métropole représente un niveau d'intégration intercommunale considérablement amplifié. Ce que l'on délègue, on ne le reprend plus. Il faut donc en rester à une vision réaliste, par un partage efficace et équitable, entre commune et EPCI, dans l'esprit mutualiste. Il y a, là aussi, des pesanteurs et des conservatismes, avec un implicite, y compris chez certains élus et hauts fonctionnaires, y compris territoriaux, que les métropoles sont l'avenir, et les communes le passé. Il y a deux enjeux : la proximité, avec les vertus du dialogue en direct; en temps de crise, c'est avec la commune que les citoyens échangent ; et le coût de gestion. Je pose la question du rapport coût-prestation à mesure que les structures grossissent. Là-dessus, la Cour des comptes a dit des choses nuancées. Or, le paysage financier a changé, et durablement. Il faudra rationaliser et développer les synergies entre communes et intercommunalités. Avant notre rendez-vous dans cinq ans sur les schémas de coopération intercommunale, il faudrait évaluer les coûts de gestion : ce qui est gros n'est pas forcément moins coûteux.
Je voudrais faire une réserve de taille sur le projet et cette idée que la concentration des pouvoirs est synonyme d'efficacité. Il y a de l'inattendu de la part d'un gouvernement de gauche. Les communes sont tenues de déléguer aux métropoles, qu'elles le veuillent ou non. Pour Marseille, on privilégie la contrainte. Pour Paris, on inclut des communautés actuelles ou futures dans une structure unique. Et le passage en métropole signifie le passage du PLU de la commune à la communauté. Les propositions s'éloignent de la trajectoire émancipatrice suivie depuis quarante ans et qui a marqué la victoire de notre famille politique.
Vous partez du principe que les élus ne sont pas capables de prendre conscience du besoin nouveau de coopération et de solidarité.
La commission des lois a mené un travail transpartisan sur ce texte. La volonté est je crois largement partagée de faire aboutir ce texte. Nous avons entendu beaucoup de beaux discours. Nous avons ce soir des motions de procédure, visant à clore la discussion. Or tous les groupes ont beaucoup à apporter. Ce soir sera un moment de vérité. Sommes-nous capables de travailler ensemble à définir une structure collective respectant l'échelon communal ?
Nous pouvons montrer à ce pays soucieux de voir ses représentants s'engager dans des choix constructifs que nous savons travailler ensemble pour l'avenir. Le pays le remarquera. (Applaudissements à gauche)
Mme Élisabeth Lamure . - Le Gouvernement et les élus de terrain que nous sommes n'ont pas la même vision. Le projet rhodanien crée une nouvelle collectivité, qui réduit la superficie et les ressources du département. Le cas de Lyon Métropole fait figure de symbole, car il est le fruit d'un accord entre Gérard Collomb et Michel Mercier. Mais l'accord a précédé le débat. Que Lyon ambitionne de devenir une grande métropole européenne, on ne peut qu'y souscrire. Mais qu'en sera-t-il des 58 communes du Rhône ? Savent-elles que leur disparition est quasiment programmée pour 2020 ? Et quid des moyens financiers du nouveau département, qui va passer de 1,7 million d'habitants à 430 000 habitants ? Or, à ce jour, nous n'avons aucune étude chiffrée pour nous prononcer. Une étude d'impact est indispensable. Et pour Lyon, et pour toutes les métropoles à venir. Car une augmentation de la fiscalité ne serait pas acceptable. La métropole ne doit pas affaiblir les territoires voisins, elle doit être, au contraire, une locomotive. Sans étude d'impact, le volet démocratique aura manqué. Le président de la commission des lois a plaidé pour une rencontre tripartite. J'y souscris. Elle est indispensable pour l'avenir de nos collectivités territoriales rhodaniennes. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Noël Guérini . - Nous allons nous prononcer sur un texte qui intéresse tout particulièrement les huit élus des Bouches-du-Rhône. Nous sommes ici 349 représentants de territoires, tous issus de la démocratie de proximité. Notre proximité avec les habitants de nos territoires me conduit à vous dire ce que sont les réalités de la Provence et le décalage de ce texte.
Ce n'est pas d'une métropole, qui deviendra vite obèse, dont nous avons besoin. Marseille n'a pas besoin d'une intégration à marche forcée. Mais d'écoute et de solidarité. Cette loi d'exception pour Marseille crée un niveau administratif supplémentaire. Son plus grand risque est démocratique. Pourquoi vider les mairies de leurs compétences de proximité, le droit du sol, pour les renvoyer à la métropole ? Marseille a besoin, surtout, de la solidarité de l'État et des communes voisines, qui ne la refusent pas, puisqu'elles sont prêtes à verser 50 millions par an. Pourquoi 69 maires sur les 90 que vous voulez enrôler de force, seraient-ils relayés dans des pouvoirs consultatifs, alors que des décisions majeures seront prises sur l'urbanisme, l'environnement, l'emploi, la fiscalité. Entendez les 109 maires sur 119 qui sont opposés à votre texte !
La métropole ne devait pas être une contrainte, mais un projet. Le texte est quasi le même que celui de 2010 pour les compétences qu'il retire aux communes, en particulier le droit du sol. À l'époque, toute la gauche parlementaire l'avait combattu. Il ne fut adopté qu'à trois voix de majorité et vous aviez, madame Lebranchu, voté contre à l'Assemblée nationale. Nous avons au moins le bénéfice de la constance dans nos positions. Constance et pas conservatisme. Entendez six sénateurs des Bouches-du-Rhône sur huit, 109 maires sur 119, qui ne sont pas opposés au changement, ni conservateurs. Nous avons de l'ambition pour notre département, qui représente 50 % du PIB de la région Paca. Renforcer son influence dans l'aire méditerranéenne justifie la coopération. Et à Marseille, nous convergeons sur le diagnostic mais divergeons sur la méthode. Comment la vieille méthode de l'empilement institutionnel créerait-elle du neuf ? Nous appelons à une mobilisation dans un grand plan national pour les Bouches-du-Rhône et Marseille.
Alors que l'on prévoit 30 milliards pour Paris, rien n'est prévu pour Marseille. Trop vite, trop loin, trop fort a dit M. Gaudin. Je le suis là-dessus. La manière autoritaire n'est pas la bonne. Entendez cet appel de la raison, comme on doit le faire en République.
Je ne pourrai voter ce projet de loi sans modification profonde. (MM. Rachel Mazuir, Roland Povinelli et Mlle Sophie Joissains applaudissent)
M. Philippe Dominati . - La liberté que se sont octroyés nos rapporteurs et le président de la commission des lois visait à répondre à l'attente de nos élus locaux. Mais la déception est profonde : une réforme qui n'est pas présentée dans le bon ordre, a dit le rapporteur, un projet faible, ainsi que l'a dénoncé M. Dantec. La France a longtemps eu peur de Paris et de l'Île-de-France. Mais sous la Ve République, tous les présidents de la République s'en sont souciés, et nous attendions le président Hollande, qui a une chance exceptionnelle puisqu'il bénéficie de l'écoute politique du président de région - depuis douze ans - et du maire de Paris - depuis deux mandats, qui ne se représente pas. C'est une chance historique, et vous passez à côté, en recherchant le compromis à tout prix.
Vous voulez un statut d'exception à Paris. Vous échouez à définir une gouvernance, et un périmètre. C'est pourquoi je me rallierai à la proposition de mon collègue Dallier, qui est au moins une tentative de définir un périmètre. Votre texte ne dit rien sur la gouvernance, ni sur les finances, alors qu'on en sait le surcoût.
En Île-de-France, l'organisation des transports est inepte. Et vous ne faites rien, au lieu de profiter de l'occasion pour coupler logement et transports.
Je suis déçu. Le président n'a pas pris la mesure de la nécessité de rendre de l'oxygène à la région. Beaucoup d'élus, de maires, se sont exprimés ici avec une vision. Or, je ne trouve rien, dans ce texte, de ce que serait la vision, l'expression du maire de Paris. Rien dans les 500 pages du rapport ! C'est affligeant.
Ce texte de compromis n'est pas acceptable en l'état. (Applaudissements à droite)
M. Roland Povinelli. - Bravo ! Que chacun respecte son temps de parole !
M. Philippe Kaltenbach . - Élu d'Île-de-France depuis dix-huit ans, je ne suis pas déçu. J'attendais cet acte fondateur de la métropole parisienne. Ce Gouvernement a pris le taureau par les cornes, c'est le premier. Je remercie les ministres de le défendre, en dépit des attaques dont elles ont fait l'objet.
Ce texte doit lancer un nouveau dialogue, initié par la conférence métropolitaine, puis Paris Métropole. Il prend pleinement en compte les difficultés que rencontrent nos concitoyens en matière de logement, de transport, d'inégalités. Pour y répondre, il fallait en venir à l'échelle métropolitaine. Sur le logement, on pourra enfin être efficace, alors que chaque année, avec 35 000 logements construits quand il en faudrait 70 000, le déficit se creuse.
Que de contrastes, d'inégalités dans la région et même à l'intérieur des départements. Dans les Hauts-de-Seine, entre Neuilly et Nanterre ou Gennevilliers, les écarts sont immenses. Il faut corriger les déséquilibres. La politique du logement sera un test. S'il réussit, il faudra aller plus loin. J'adhère au modèle défendu avec brio par Gérard Collomb, et qui trouve aujourd'hui son aboutissement, cinquante ans après la création de la communauté urbaine.
On pourrait aller plus loin mais on ne peut tout faire d'un coup. La question du département sera posée : il faudra certainement aller vers la suppression de ceux de la petite couronne. Dans la France rurale le département demeure légitime mais dans la France urbaine, le fait métropolitain s'impose.
Le projet, largement amendé en commission, doit continuer à évoluer. J'ai présenté un amendement, retenu en commission, sur l'abaissement du seuil en petite couronne. J'en défendrai d'autres, sur le maintien d'un collège des maires ou l'adhésion volontaire des départements limitrophes.
Certains voudraient aller plus vite, d'autres ne pas bouger. Ce texte est une étape significative. À nous de contribuer à sa réussite, en pensant à nos concitoyens et en nous rassemblant sur tous les bancs. (M. Claude Dilain, rapporteur pour avis, applaudit)
M. Philippe Bas . - Ce projet ne traite pas de toutes les grandes questions mais aborde, parfois avec pragmatisme, des enjeux importants. Je me réjouis que l'on s'engage sur la voie de la diversité ; tant l'État a placé les collectivités territoriales sous la même toise.
Hélas ce projet est inabouti. Il ne clarifie pas les compétences entre département et région. En rétablissant la clause de compétence générale, tout en incitant les collectivités territoriales à s'investir dans certains domaines de compétence, vous ne craignez pas la contradiction. Vous tentez de donner plus de consistance à la notion de chef de filat : c'est insuffisant. Notre système de financements croisés n'est pas sans avantages. Il permet de dépasser les clivages en s'engageant sur des projets d'avenir. C'est pourquoi notre commission des lois a voulu assouplir le texte, en évitant toute hiérarchisation, de crainte de créer une tutelle contraire au principe de subsidiarité. Les intercommunalités ne sont pas les succursales des départements ni ceux-ci les filiales des régions.
Il existe certains chevauchements, cependant, qui peuvent être larges. C'est une limite objective. N'allons pas multiplier les pactes et autres schémas, vecteurs de bureaucratisation. Méfions-nous de l'émergence d'un centralisme régional, comme d'une recentralisation rampante.
J'en viens aux métropoles. Lyon recueille un large accord des élus, que l'État reprend à son compte. Mais je crains le précédent d'une insuffisance de solidarité de la métropole avec les terroirs qui l'entourent. Il faut être prudent. Pour Aix-Marseille-Provence, l'absence d'accord est regrettable, mais ne suffit pas à disqualifier le projet de loi du Gouvernement. Se pose la question des charges de centralité assumées par Marseille, qui mettent la ville en difficulté, compte tenu des évolutions démographiques et économiques. Et Marseille assume pour l'État des charges, comme celles des marins-pompiers, qui devraient être mieux partagées. Avec les amendements nécessaires, le projet de loi peut aboutir.
Pour l'Île-de-France, vous mettez en question le travail difficile des élus pour faire progresser l'intercommunalité. C'est déloyal. Et pourquoi faire coexister métropole et région dans un périmètre quasi identique ?
Le projet de loi, si on laisse de côté les généralités sans portée des premiers articles, dont notre commission des lois a ôté le venin, ne manque pas d'intérêt et je serai attentif à la façon dont nos débats le feront évoluer.
M. Bernard Cazeau . - Merci au Gouvernement d'avoir eu le courage de revenir sur la réforme de 2010, qui déstabilisait les collectivités territoriales. Je me centrerai sur les premiers articles du texte. Dans la loi de 2004, la notion de chef de file est définie comme la faculté pour une collectivité territoriale d'organiser une action commune. C'est dire que le chef de filat repose sur la volonté et la capacité des élus à se coordonner. Le texte est équilibré sur l'article 3, qui définit un compromis de responsabilité dans chaque ensemble régional. Le tourisme en sera un exemple : pourquoi la commission des lois, au nom de l'économie à faire, est-elle revenue sur le partage harmonieux de la compétence ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Nous vous avons entendu. Nous avons évolué.
M. Bernard Cazeau. - Avant que le tourisme devienne un moteur économique régional, il faut le construire. Et ce sont les départements qui le font. En Dordogne, premier département touristique de l'intérieur hors Île-de-France, c'est lui qui a pris en main la grotte de Lascaux. Il faut aussi réaffirmer le rôle du département en matière de solidarité et d'infrastructures de télécommunications et de biodiversité.
Il est sage que la commission des lois ait allongé les conditions d'exercice de la conférence territoriale, qui doit être un lieu de coordination et non d'affrontement.
Voilà ce que je voulais dire en défense d'une collectivité territoriale que je connais bien, et qui doit conserver une identité forte sur tous les sujets de proximité. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)
M. Roland Povinelli . - Je serai court, mais incisif. Suis-je en train de vivre un rêve kafkaïen ? Six sénateurs sur huit, 109 maires sur 119, sont contre le projet. Que dit l'article 30 ? La métropole exerce « de plein droit » - je souligne - « en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : » et suivent sept pages ! On laisse aux communes l'état-civil, et c'est à peu près tout...
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Mais non !
M. Roland Povinelli. - Je suis stupéfié de voir que trente ans après la loi Defferre, c'est un gouvernement socialiste qui procède ainsi ! Faut-il vous rappeler les propos de Gaston Defferre en 1982 à l'Assemblée nationale ? « Il faut que les décisions soient prises au plus près du terrain ».Vous faites exactement le contraire de ce qu'il revendiquait !
Les maires ne veulent pas garder la mairie pour garder le pouvoir. Ils ne veulent pas que leur commune disparaisse. C'est toute leur vie. Croyez-vous que Bertrand Delanoë qui gère une ville de 2 millions d'habitants et dirige 45 000 employés municipaux puisse les recevoir personnellement ? Non. Mais nous, oui. C'est cela, la proximité.
Jean-Claude Gaudin est bien gentil mais quand on a été ministre, on s'arrange pour aider sa ville. Madame Lebranchu, vous avez déclaré, jadis, devant la Fédération des élus socialistes et républicains, que la commune conserverait toujours ses compétences. Dois-je encore citer Martine Aubry, Jean-Pierre Raffarin... et Nicolas Sarkozy, au Congrès des maires de 2008, qui n'a pas dit autre chose que François Hollande, lequel déclarait que la démocratie a besoin de la commune.
J'ai souvenir de certains engagements de naguère. Ceux de M. Ayrault, alors président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, ceux de M. Fabius à Solferino. Et voilà le résultat. C'est inadmissible qu'un gouvernement de gauche fasse ce qu'il fait ! (Mlle Sophie Joissains applaudit)
Mme Samia Ghali . - Une parenthèse, tout d'abord. L'incident de tout à l'heure m'a peinée. Un ministre ne peut pas dire à une sénatrice de se taire, lui reprocher d'avoir des idées. J'espère que vos paroles ont dépassé votre pensée.
Je ne suis pas opposée à une coopération métropolitaine. Je sais qu'il faut changer d'échelle pour rivaliser avec les grandes métropoles européennes et mondiales. Nous avons le port de Fos, celui de Marseille, l'un des meilleurs CHU d'Europe, sept pôles de compétitivité, de grandes richesses. Mais ce texte n'est pas à la hauteur. Il ne s'en donne pas les moyens. Deux éléments essentiels manquent : les finances et les règles précises de gouvernance. La métropole, en l'état, n'entraînera que frustrations. Je ne prendrai pas la responsabilité d'un nouveau malentendu. Le Premier ministre en personne est venu à Marseille dire que la ville devait faire l'objet d'une priorité nationale, ce qui doit se traduire par des moyens supplémentaires de l'État pour rattraper notre retard. Le Grand Paris se voit doté de plusieurs milliards d'euros. J'en suis heureuse pour Paris et pour les autres villes.
M. Jean-Noël Guérini. - On n'a rien eu !
Mme Samia Ghali. - Je demande le même traitement pour la construction métropolitaine marseillaise. Avec un engagement fort de l'État, alors, oui, nous atteindrons les objectifs fixés par le comité interministériel. J'évalue à 1,5 milliard d'euros sur douze ans le besoin de financement nécessaire. Douze communes de la communauté urbaine de Marseille ne veulent pas rentrer dans la métropole, madame la ministre ; je vous demande de modifier le projet de loi sur ces deux exigences : des moyens et des règles de gouvernance. (MM. Jean-Noël Guérini et Roland Povinelli applaudissent)