Simplification du droit (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administrative.
Discussion générale
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. - Est-il nécessaire de rappeler l'utilité de la simplification du droit -en sus de la baisse du coût du travail, priorité du Gouvernement depuis quatre ans- pour renforcer la compétitivité ? Je suis satisfait de constater que les chefs d'entreprises saluent l'action du Gouvernement en faveur de la simplification. Aujourd'hui, sur le plan des démarches administratives, nous nous situons encore au 116e rang sur 142.
Je ne comprends toujours pas le refus de la commission des lois de discuter de ce texte si attendu ; je sais qu'elle présentera, comme en première lecture, une motion pour nous empêcher de débattre.
J'ai présenté 80 mesures le 29 avril, soit un milliard d'euros rendus aux acteurs économiques qui se battent contre une crise multiforme depuis plusieurs années -sans que cela coûte un centime au budget de l'État. J'ai du mal à comprendre votre dogmatisme... Sans doute est-il dû à une méconnaissance de la vie économique... Cette attitude est mal perçue sur le terrain.
M. le rapporteur Jean-Pierre Michel avait salué certaines dispositions du texte comme des avancées, j'aimerais qu'il nous dise lesquelles il soutiendrait à titre personnel, même si les échéances électorales conduisent à certaines crispations et prises de position contraintes... L'immobilisme serait en tout cas un mauvais coup porté à l'économie française.
J'avais souhaité une définition plus précise des professions libérales, je l'ai introduite à l'Assemblée nationale ; M. Reichardt avait réalisé avec les artisans un travail considérable, le Sénat a refusé d'examiner ses propositions. Simplification du bulletin de salaire, armoire numérique sécurisée, voilà des avancées concrètes.
Autre dispositif auquel je tiens particulièrement, une modification de la réforme du RSI, avec le rescrit social, pour sortir définitivement des difficultés rencontrées sur le terrain.
Ce texte aurait dû nous rassembler, les uns et les autres. Je regrette cette tendance à créer des polémiques en période électorale, comme en ce moment sur une nomination à la tête de Veolia...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Quel rapport avec ce texte ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Le petit coup médiatique à propos de Veolia, une entreprise privée, est le fruit d'un dogmatisme et d'une technocratie pervertie, qui témoigne d'une profonde méconnaissance de la vie économique.
Avec ce texte, pour une fois, on pouvait libérer les énergies, faciliter la vie des acteurs économiques. Mais il y a, face à ceux qui comprennent et défendent les entreprises, ceux qui, pour des raisons idéologiques, préfèrent entraver leur action.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Aïe, aïe, aïe !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Vous refusez, par idéologie, de voter ce texte. Quel dommage ! J'avais espéré un sursaut... Mais j'y crois peu. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Claude Lenoir. - Hélas !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois. - En première lecture, le Sénat avait voté la question préalable, refusant la méthode, une procédure accélérée sur une proposition de loi. La CMP, qui s'est réunie le 18 janvier dernier, a rapidement constaté le désaccord. Les députés, en nouvelle lecture, ont introduit de nouvelles dispositions ce qui est contraire à la règle de l'entonnoir.
Dans son rapport, le rapporteur de l'Assemblée nationale s'est permis des propos déplaisants à l'encontre du Sénat qui, par frilosité, refuserait des dispositifs novateurs.
Pourtant, le Sénat peut être novateur. Je vous renvoie par exemple au travail de Mme Escoffier sur la protection de la vie privée.
Ce texte, que les acteurs économiques attendraient avec fébrilité...
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - ...impatience !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - ...sera, de toute façon, censuré par le Conseil constitutionnel.
En commission, certains d'entre vous, notamment deux sénateurs de l'opposition et non des moindres, ont jugé la procédure accélérée et la nature du texte contestables. « La simplification du droit est nécessaire mais doit passer par des lois plus ciblées, centrées sur un domaine ou un code. Les propositions de loi Warsmann ont pris des dimensions invraisemblables et multiplient les cavaliers », a observé M. Gélard lui-même en doute.
Je vous invite à confirmer votre position en votant la question préalable ! (Applaudissements à gauche)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Monsieur le ministre, votre intervention à propos du comportement de la majorité sénatoriale m'oblige à vous répondre.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Je le savais !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est en monarchie que le monarque seul -fût-il élu ou candidat..., peut faire de l'idéologie et de la politique.
La commission des lois a pris la sage décision de voter une question préalable. Votre gouvernement, trop occupé à légiférer au rythme des faits divers, a oublié pendant cinq ans de simplifier la vie des PME. M. Warsmann prétend que son texte faisait consensus : c'était loin d'être le cas. Vous avez parlé d'« épisode surréaliste » à propos de notre attitude mais les prétendues simplifications sont des novations et, pour moi, des régressions.
En fait, ce texte fleuve est une suite de cavaliers -jusqu'à 150 articles-, satisfaisant à la pression des lobbies et du Medef, qui les couronne. Au prétexte de la crise, le Gouvernement satisfait une revendication du Medef avec des accords collectifs qui s'imposent à tous les salariés, modifient leurs contrats de travail et modulent leur temps de travail en fonction de périodes basses et hautes. C'est anticiper sur le programme du candidat Sarkozy et, plus exactement, les propositions de l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) sur les accords d'entreprises.
L'Assemblée nationale n'a pas tenu compte des promesses du président Sarkozy sur les deux mois de négociations. Elle a adopté ce texte, les organisations syndicales ayant pourtant indiqué leur opposition car, pour les salariés, c'est la flexibilité ou la porte !
Cette méthode, consistant à instrumentaliser le Parlement pour prendre en catimini des dispositions régressives, témoigne d'un mépris pour le Parlement et le dialogue social. Nous le refusons et nous voterons la question préalable, qui tend avant tout à affirmer la dignité du Parlement.
Certes, certaines dispositions du texte sont utiles, mais complexes.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - C'est la vie des entreprises qui est complexe !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je forme le voeu, pour l'avenir, de travailler sur des textes bien écrits et mieux préparés ! (Applaudissements à gauche)
Mme Anne-Marie Escoffier. - Sans avoir le talent de M. Mézard, je dirai, comme lui en première lecture, que « la loi doit être solennelle, brève et permanente » et qu'il faut en finir avec les lois « bavardes » qui relèvent de la « gesticulation législative ».
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - C'est tout le contraire ici !
Mme Anne-Marie Escoffier. - Je reprends les propos de M. de Saint-Marc, vice-président du Conseil d'État, en 2005.
Nous aurions examiné ce texte avec bienveillance s'il avait été cohérent et présenté d'une façon laissant au Parlement le temps de travailler. Droit des entreprises, immunité des membres de la mission de lutte contre les sectes, accrocs au Grenelle II, transfert des débits de boissons...
Ce texte comporte des dispositions touffues, hétéroclites et abracadabrantesques.
Je suis connue pour défendre les entreprises dans mon département et, au Sénat avec mon groupe, les principes de notre République. Et pour toutes ces raisons, je refuse ce texte. (Applaudissements au gauche et au centre)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Et avec style !
M. André Reichardt. - Je serai bref : pourquoi délégiférer ? Trop de lois, tout le monde en fait le constat ; chacun, ici, voulant plus de sécurité juridique.
De là la nécessité d'un vaste mouvement de simplification du droit engagé depuis le début de la législature. Cela montre, contrairement à ce qu'affirment certains, que ce texte n'est pas pris à la dernière minute.
Chers collègues de gauche, vous refusez la méthode ; mais que proposez-vous d'autre ? Rien. Nous aurions pu examiner ce qu'il convenait de conserver de ce texte plutôt que de voter une question préalable qui revient à donner à l'Assemblée nationale le dernier mot.
Puisque certains ne semblent pas vouloir comprendre l'intérêt de ce texte, permettez-moi, par pédagogie, de rappeler qu'il soutenait la croissance et l'emploi en mettant fin à des pratiques dépassées et désuètes et en créant des mesures attendues, comme le coffre-fort numérique.
Je regrette la position de la commission des lois ; c'est ne pas assumer notre devoir de législateurs, de sénateurs. Les artisans attendaient beaucoup de nous pour modifier la loi du 5 juillet 1996 sur les qualifications.
Aujourd'hui, une qualification de peintre suffit à se lancer dans la charpente. Il était simple comme tout de mettre fin à cette situation en prévoyant un décret par métier. Autre point qui m'était cher, la situation des anciens commerçants au regard de la faillite civile en Alsace-Moselle.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la question préalable. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Vincent Placé. - Simplifier est un bon objectif : des lois datant de 1884 ne sont pas appliquées ; certaines des années 80 sont en attente de suivi réglementaire. La nouvelle commission de contrôle de l'application des lois, présidée par M. Assouline, s'efforcera d'y remédier. Si je partage l'objectif, ce texte ne règle rien. Pire, il comporte des dispositions très politiques qui méritent un vrai débat.
Ce texte est un fourre-tout de plus de 90 articles, dont certains, inspirés par des lobbies, détricotent le Grenelle II.
Autoriser la circulation des 44 tonnes à l'article 72 bis ? Mais quel rapport avec la simplification du droit ? Une telle mesure coûterait 400 à 500 millions d'euros pour la remise en état des chaussées, sans parler de l'impact sur l'environnement. Idem pour le droit du travail à l'article 40, qui nécessite débat et négociations avec les partenaires sociaux.
Les propositions de loi Warsmann sont devenues un marronnier de la vie parlementaire. La dernière, celle du 17 mai 2011, n'est pas totalement appliquée : sept mesures réglementaires sur 43 seulement ont été prises ! Ce qui a fait lourdement chuter le taux d'application des lois, soit dit en passant, pour ce qui relève de la compétence de la commission des lois...
Au nom de la légitimité et de l'efficacité du travail parlementaire, nous soutiendrons la question préalable en espérant d'autres pratiques sous la prochaine législature ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Mon intervention pourrait s'intituler Supplique au futur gouvernement de la République française. Tout texte de loi, au nom de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire, devra comporter un objet. Autorisez-moi un codicille : réserver la procédure accélérée aux cas d'urgence, qui sont exceptionnels.
Nous avons, monsieur le ministre, beaucoup donné. Avec le président Warsmann, le phénomène des projets de loi fourre-tout s'est considérablement accentué. Il faut y mettre fin. Nous avons discuté avec vous, monsieur le ministre, d'un projet de loi sur le droit des consommateurs, à l'Assemblée nationale comme au Sénat ; puis le débat s'est arrêté. La proposition de loi Warsmann lui succède... Il eût été plus cohérent d'utiliser l'ordre du jour pour terminer l'examen du premier texte ! En votre for intérieur, monsieur le ministre, vous êtes d'accord, j'en suis sûr.
La démonstration vaut aussi pour le texte sur le statut pénal du chef de l'État, que les deux assemblées ont examiné.
Contrairement à la promesse du président de la République, il ne sera pas adopté avant la fin de la législature.
La dépénalisation du droit des affaires, la modification du droit du travail ou du Grenelle II ? Ces mesures méritent débat. Un texte bric-à-brac n'est pas une bonne manière de légiférer ; la commission des lois voulait le dire au futur gouvernement de la France, quel qu'il soit -bien que j'aie mon idée. Nous avons voulu donner un coup d'arrêt. Il faut en finir avec la facilité des projets de loi et des propositions de loi sans objet où sont glissées des dispositions sans qu'on s'en rende compte ! La République appelle la clarté ! (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Pour Mme Borvo, les dispositions de l'article 40 auraient été adoptées en catimini. M. Xavier Bertrand a rappelé à M. Thibault qui lui en faisait, comme vous, le reproche, que ces mesures figuraient dans le texte initial. M. Xavier Bertrand a reçu toutes les organisations syndicales -dont la CGT le 23 septembre 2011. Personne n'a trouvé alors à redire à cet article, ne nous faites pas de mauvais procès.
Madame Escoffier, cette proposition de loi n'est pas bavarde, elle supprime les bavardages, qui sont coûteux pour les chefs d'entreprises.
Monsieur Reichardt, comme vous, je regrette que le Sénat n'ait rien fait pour nos compatriotes artisans en refusant le débat.
Monsieur Placé, la légitimité se fonde sur le débat. Je déplore que vous suiviez la commission des lois tout en approuvant le principe de la simplification du droit.
Monsieur Sueur, ce texte fait suite aux assises de la simplification, qui ont duré des semaines et des semaines. Il a un objet, que résume son titre, et au-delà, la compétitivité de la France. Quant au projet de loi sur la défense des consommateurs, qui me tenait beaucoup à coeur et que nous avons discuté ensemble, vous lui reprochiez aussi son caractère fourre-tout.
Éviter la procédure accélérée ? Au contraire, j'aurais dû l'utiliser sur le projet de loi de défense des consommateurs, plutôt que de donner une chance au consensus, après le changement de majorité au Sénat. Ce projet de loi a été pris en otage pour des raisons politiciennes !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Il suffisait de l'inscrire à l'ordre du jour !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Votre position a le mérite d'accélérer le débat. Toutefois, vous avez manqué l'occasion de l'enrichir. (Applaudissement à droite)
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. J.P. Michel, au nom de la commission.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - En première lecture, le Sénat a adopté une motion tendant à opposer la question préalable, présentée par la commission des lois à l'initiative des groupes CRC et RDSE.
Les motifs qui justifiaient, en première lecture, cette motion demeurent, et même s'accentuent compte tenu des ajouts de l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, vous pouviez déclarer la procédure accélérée sur le texte relatif à la défense des consommateurs.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - Je voulais privilégier le consensus !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Peut-être vouliez-vous un vote conforme du Sénat ? Nous, nous avons voulu remplir notre devoir de législateur !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. - L'avis est défavorable. Un seul exemple de ce que nous perdons à refuser ce texte : la représentation des unions familiales.
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
A la demande de la commission, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 172 |
Pour l'adoption | 175 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté.
Mme la présidente. - En conséquence, la proposition de loi est rejetée.