Débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. - Je suis heureux de m'exprimer devant le Sénat, qui a joué un rôle majeur dans la définition de la stratégie européenne de la France : je rends hommage au remarquable travail de M. Bizet. Le traité de Lisbonne va dans le sens d'une meilleure appropriation par les Parlements nationaux des enjeux européens.
Le récent conseil franco-allemand de Freiburg a réaffirmé la force du franco-allemand. Le conseil des 16 et 17 décembre intervient à un moment stratégique. Face à la crise de l'euro, attaqué par des spéculateurs, il doit affirmer la détermination de l'Europe et sa capacité à avancer. Sur le plan politique, il doit permettre à l'Union européenne de repartir à l'offensive.
Le Conseil européen devra améliorer le dispositif de défense de l'euro, mais pas seulement. En moins de dix-huit mois, nous avons beaucoup progressé : l'Europe n'avait pas de dispositif de défense -faiblesse originelle de la zone euro- lors de la crise grecque ; lors de la crise irlandaise, elle était prête.
La mise en place d'un mécanisme pérenne de gestion de crise montre que l'Europe est prête à tirer les leçons de la crise et à se doter collectivement des moyens de se protéger. Quand un pays de l'euro est attaqué, c'est notre monnaie qui est touchée : l'Union européenne ne doit laisser personne au bord du chemin. Je salue le rapport de M. Humbert sur les normes de régulation européenne. Le 28 novembre, à la suite d'intenses consultations entre le Président Sarkozy et la Chancelière Merkel, l'Eurogroupe a trouvé un accord sur le mécanisme de stabilité ; le prochain Conseil examinera la proposition du président Van Rompuy de révision du traité européen, la plus simple, la plus efficace et la plus rapide à transposer. Les travaux de M. Barnier sur la régulation du système bancaire vont dans le bon sens.
Il n'y aura pas d'euro stable sans gouvernance économique. Cette idée, encore taboue il y a quelques mois et que seule la France portait, s'est imposée à la grande majorité des États. Nous attendons que les orientations -toutes les orientations, rien que les orientations- décidées au Conseil européen d'octobre soient suivies et que la gouvernance économique ne se réduise pas à des sanctions.
Le budget de l'Union européenne 2011 doit désormais être adopté dans le cadre de la procédure de Lisbonne. La question est symbolique dans une phase ou certains testent l'Union. Chacun doit faire une partie du chemin. J'ai bon espoir que le Parlement européen l'adoptera le 15 décembre après que le conseil l'a adopté le 8. Ce budget doit montrer que l'Europe peut dépenser mieux sans sacrifier ses ambitions.
Le Conseil entendra un rapport de Lady Ashton sur les relations de l'Union avec ses partenaires stratégiques, Chine, Russie et États-Unis. Nous devons identifier nos intérêts communs et les défendre collectivement.
Le Conseil se penchera enfin sur le statut de candidat du Monténégro. Le processus d'élargissement comme le processus d'adhésion appellent la plus grande rigueur.
Le Conseil européen peut être un point de bascule. Certains ont voulu tester l'Union européenne, d'autres ont sombré dans le scepticisme. Face à des pays continents, face aux exigences du développement durable, face à la pression des marchés, l'Union européenne doit démontrer sa capacité à reprendre l'offensive. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - La situation de la zone euro est présentée comme de plus en plus alarmante. Il faut toutefois prendre un peu de recul. En 2009, la dette publique au sein de la zone euro avait atteint 79,2 % du PIB, et le déficit 6,3 % du PIB en moyenne ; aux États-Unis, au Japon, les dettes publiques atteignent respectivement 84 % et 190 % pour des déficits de 7,3 % et 9 %. Notre situation n'est donc pas pire -et même plutôt meilleure- que celle de zones économiques comparables. L'euro est encore à 13 % au-dessus de son cours d'introduction face au dollar. Mais la zone euro a laissé se développer des stratégies économiques divergentes et parfois dangereuses ; elle paie aujourd'hui le prix de ce manque de cohérence et prête davantage le flanc à la spéculation, avec le risque d'un effet dominos où les plans de sauvetage se succéderaient d'un pays à l'autre. La zone euro est le résultat d'une négociation diplomatique, non la traduction d'une conception d'ensemble. D'où ses faiblesses, l'absence de mécanisme efficace de coordination économique et budgétaire ou la clause de non renflouement qu'on s'évertue aujourd'hui à contourner.
A chaque crise, pourtant, l'Union européenne s'est ressaisie : en 2008, puis lors des crises grecque et irlandaise. Nous allons dans la bonne direction mais il nous faut progresser plus vite. Tout s'accélère mais l'Europe donne le parfois le sentiment de prendre son temps -au moment où elle devient un appât. Le Conseil européen devra montrer que la réforme de la gouvernance économique est en marche : le temps n'est plus aux petites phrases, tout défaut à la cohésion sanctionnera l'ensemble. Ce qui suppose qu'il soit mis fin au mauvais procès fait à l'Allemagne. Nous ne progresserons dans la solidarité européenne que si chacun balaie devant sa porte. La confiance se mérite, aucun mécanisme européen ne dispensera les États de procéder aux réformes nécessaires en termes de compétitivité et d'assainissement des finances publiques ; chacun prenant sa part, la mutualisation sera plus facile. « Ce qui ne me tue pas me renforce » disait Nietzche : je suis convaincu que l'Europe sortira renforcée de la crise. Les Européens doivent comprendre qu'ils ont tous partie liée. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Le Conseil européen des 16 et 17 décembre se consacrera principalement à la mise en place d'un mécanisme permanent de gestion de crise au sein de la zone euro ; il doit montrer le chemin vers la gouvernance économique européenne que la France appelle de ses voeux depuis plusieurs années. Une révision du traité est nécessaire. Quand l'Europe avance, c'est toujours à la suite d'un accord franco-allemand. Il faut dénoncer les discours irresponsables qui annoncent la faillite de la monnaie unique. La solidarité européenne a joué. Il importe que le Conseil engage l'économie européenne sur la voie du redressement des finances publiques.
En matière de sécurité et de défense, l'Union européenne progresse plus lentement -c'est un euphémisme. L'Union européen risque d'être marginalisée dans les décennies à venir face à la Chine et aux États-Unis : il est indispensable que l'Union renforce ses relations avec ses principaux partenaires, diplomatiques, commerciales, d'approvisionnements énergétiques. Nous devons définir nos priorités et nos objectifs, ce qui suppose une réelle unité entre pays européens. L'Union européenne, le 14 septembre, a essuyé un revers à l'ONU : on lui a refusé le droit de s'exprimer en tant que telle, ce qui montre qu'elle n'est pas considérée comme une puissance et n'inspire pas le respect. Monsieur le ministre, quelles sont les raisons de cet échec ? Quelle stratégie pour renforcer la position de l'Union au sein de l'ONU ?
La France est-elle prête à accorder le statut de candidat au Monténégro ? Quelle est sa position sur l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux ?
L'effort de défense fait partie de la stratégie des pays émergents, non encore de celle des pays de l'Union ; celle-ci ne risque-t-elle pas de perdre toute influence sur la scène internationale ? L'accord franco-britannique, cependant, montre la voie d'une coopération renforcée. Avec la commission de la défense de l'Assemblée nationale, la Chambre des communes et celle des Lords, nous avons convenu de constituer un groupe de suivi de cette coopération.
Que penser de la proposition germano-suédoise de recenser les capacités européennes en vue d'une mutualisation ? Elle ne doit pas se traduire par la gestion de la pénurie... Il est indispensable que la disparition de l'assemblée parlementaire à l'UEO soit subordonnée à la création d'une structure associant les parlements nationaux ; s'il n'y a pas d'accord à 27, pourquoi ne pas imaginer une coopération entre les parlements volontaires ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Mézard. - Après la Grèce, l'Irlande sollicite l'Europe pour financer sa dette : à qui le tour demain, de l'Espagne ou du Portugal ? La France risque-t-elle de suivre ? L'Union européenne a apporté son soutien immédiat à l'Irlande, après avoir tardé à le faire pour la Grèce. Les marchés, en attaquant les dettes souveraines des pays les plus fragiles, creusent l'écart entre les économies européennes ; ils révèlent une zone euro à plusieurs vitesses entre les économies à forte intensité technologique et excédents et ceux qui sont plus sensibles à la concurrence et accumulent les déficits, comme la France et les pays méditerranéens. Les marchés reconstituent-ils une zone Mark ? D'aucuns préconisent d'exclure les pays faibles de l'euro. Le constat d'une insuffisante gouvernance économique est récurrent.
Le Conseil européen doit conforter le mécanisme permanent de gestion de crise et faire le point sur les propositions de la Commission. Faut-il durcir le pacte de stabilité en prenant mieux en compte la dette ? Il faudrait, selon nous, distinguer entre le bon et le mauvais déficit, le premier étant lié à l'investissement dans le capital humain. Quelle est la norme de dette acceptable ? Que penser des sanctions et du mécanisme à majorité inversée proposée par le président Van Rompuy ? Des sanctions progressives, qui semblent peu crédibles ? La Commission propose que les États prospères se partagent les amendes : on croit rêver ! Et les sanctions politiques ? Faut-il ouvrir la boîte de Pandore des modifications du traité ?
L'Europe se fera dans les crises, écrivait Jean Monnet : la crise actuelle a réactivé la question de la gouvernance ; mais on a le sentiment que la vision allemande domine, celle de la gestion des seuls déficits. Quid de l'harmonisation fiscale, d'un budget européen à la hauteur des enjeux, d'une capacité de l'Union à emprunter ? Pourtant, le défaut de convergence ne fait que des perdants et risque de conduire au déclin. M. Trichet est dans son rôle de « pape de l'orthodoxie néo-libérale », comme l'a dit M. Chevènement, en appelant tous les pays au même effort. L'Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner mais aussi relancer. La stratégie « Europe 2020 » ressemble fort à un catalogue d'incantations. Nous attendons de grands investissements publics mutualisés dans les transports, la recherche, l'éducation, autant de secteurs indispensables à la relance.
Comment le mécanisme de stabilisation financière sera-t-il pérennisé ? Les banques ont été soutenues sans contrepartie : que propose la France pour les responsabiliser, je n'ose dire les moraliser ?
Il est urgent de dégager l'Union européenne de la tutelle des marchés financiers ; cela suppose de faire jouer un autre rôle à la BCE. Pourquoi ne pas imaginer de mutualiser une partie des dettes souveraines et l'émission de bons européens sur les marchés ? Une véritable gouvernance économique suppose aussi la convergence des marchés du travail, des systèmes de retraites, des politiques fiscales. Le moment est venu de changer les règles du système économique européen, dans le sens d'une politique de relance. (Applaudissements sur les bancs RDSE)
M. Michel Billout. - Devant les crises financières à répétions, notre groupe avait demandé un débat extraordinaire mais la Conférence des Présidents et le Gouvernement l'avaient refusé. Un tel débat aurait pourtant permis de montrer la détermination de la représentation nationale à trouver des solutions conformes à l'intérêt communautaire. Or l'Union a agi en ordre dispersé. Nous avons finalement ce débat à la veille d'un Conseil européen, sur lequel nous ne partageons pas l'optimisme du Gouvernement. Les solutions à l'étude ne permettront pas de prémunir l'Europe de crises à répétition.
La recette proposée est simple, renflouer ceux qui sont responsables de la crise. Or, le marché financier en demande toujours plus. Les prétendus plans de sauvetage n'ont pas empêché la crise de s'étendre. Face à la logique aveugle de soumission, il faut faire prévaloir l'intérêt général. Jacques Delors l'a dit : « ce n'est pas aux banquiers, qui ont reçu 4 500 milliards, de dicter aux gouvernements leur comportement ».
Quand les règles des marchés conduisent les banques à la faillite, ce n'est pas aux peuples de les renflouer ! Les banques irlandaises ont provoqué la bulle immobilière, il a fallu 50 milliards de fonds publics pour les recapitaliser ! On fait payer les pertes par la collectivité, tout en préservant les profits privés, sans que cela ne rassure les marchés. L'Europe a découvert son impuissance à protéger sa monnaie, cela exige de nouvelles solutions : changer les objectifs du pacte de stabilité, encourager les investissements productifs, taxer la spéculation ! Une partie de la gauche au Parlement européen a proposé une telle taxation pour abonder un Fonds européen pour le développement social. Il faudra aussi évidemment modifier les missions de la BCE.
M. Denis Badré. - L'Europe est-elle en crise ? Comme toujours, puisqu'elle a toujours progressé par les crises. En grec, crisis est un moment décisif : nous y sommes encore.
Ceux qui préconisent une sortie de l'euro font le bonheur des spéculateurs ; l'euro nous a protégés. Que se passerait-il si nous devions rembourser notre dette en francs dévalués et avec des taux à la hausse ? Nos politiques budgétaires sont nationales, cadrées par un pacte de stabilité de nature intergouvernementale ; le budget est de nature communautaire mais les recettes sont votées à 85 % par les parlements nationaux... Nous avons une monnaie unique mais la gouvernance économique est en friche.
Une percée a été réalisée, les troupes doivent suivre : Maastricht a 20 ans, nous devons regrouper nos forces vers l'avant. Des euro-obligations, émises par les États ? L'Allemagne préfèrera emprunter seule à moindre taux. Mieux vaudrait une démarche communautaire mais l'Union européenne ne peut pas encore emprunter : levons ce verrou et nous progresserons beaucoup !
Le Fonds européen de stabilité n'est pas la solution miracle : il faut lui adjoindre une surveillance des politiques économiques et budgétaires des États. Il faut donc trouver le bon équilibre entre la situation économique des États et les sanctions. Le choix de ne pas sanctionner la France et l'Allemagne en 2003 a écorné la confiance dans le pacte de stabilité, les interventions pour la Grèce puis l'Irlande ont montré une certaine solidarité. Nous n'avons donc pas d'alternative au progrès, vers un gouvernement économique européen. Il devra démontrer sa volonté de rigueur, ce qui impose d'y associer les parlements nationaux, donc une meilleure pédagogie autour des enjeux européens en direction de nos concitoyens.
Le débat sur le budget européen -sa nature, son financement par des ressources propres- est aussi ouvert ; c'est tant mieux. Si les parlements nationaux doivent désormais accepter un regard communautaire sur les budgets nationaux, le Parlement européen devra accepter un regard sur les questions touchant au budget européen. De leur capacité à nouer un dialogue constructif et équilibré dépendra une bonne prise en compte des intérêts nationaux et de l'intérêt commun. Plus que jamais, l'Europe c'est nous !
M. Simon Sutour. - La Maison Europe tremble quand des intérêts égoïstes des nations viennent à dominer, au point de remettre en cause l'ensemble de l'édifice. Les failles économiques et monétaires sont connues depuis juillet 2010, mais il a fallu attendre le mois de décembre pour mettre en place un mécanisme pérenne de défense. Les gouvernements refusent tout nouveau transfert de compétences, n'entendent pas aller plus loin sur la voie de l'intégration. Dans ces conditions, comment garantir l'efficacité du nouveau mécanisme de surveillance ? L'austérité ne doit pas se transformer en récession, ce serait catastrophique pour la société européenne et pour ses institutions.
Enfin, ce mécanisme doit impérativement s'accompagner d'une réforme globale de la zone euro.
Qu'en est-il d'éventuelles euro-obligations ? Qu'en est-il d'un véritable budget européen, de l'harmonisation fiscale ou la taxation des projets financiers ? Les socialistes refusent un simple rafistolage.
La stratégie de l'Union européenne 2020 comporte des objectifs chiffrés dont je me réjouis, mais les politiques d'austérité compromettent leur réalisation.
Quel crédit donner à cette stratégie quand les droits d'inscription universitaires augmentent, alors que l'impôt sur les sociétés reste inchangé ?
L'une des cinq priorités de la Commission européenne est que l'Union européenne pèse de tout son poids sur la scène internationale. Bravo ! Mais tout dépendra de la propension des États membres à agir de concert.
Or, au lieu d'élaborer une politique énergétique commune, chaque État poursuit son seul intérêt stratégique.
L'Union pour la Méditerranée était un projet phare du Président de la République ; il a tourné au fiasco et tué le processus de Barcelone sans le remplacer, et en affaiblissant l'Union européenne. Beau résultat ! La France satisferait-elle le souhait légitime de Mme Ashton de remettre ce projet dans le giron de l'Union ?
On ne pourra pas réconcilier les citoyens avec un projet européen injuste ou privé de moyens. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-François Humbert. - Je viens d'effectuer en Irlande une mission d'étude, à l'initiative de la commission des affaires européennes. Les limites du modèle irlandais sont récemment apparues au grand jour.
De 1992 à 2006, la croissance du pays résultait d'une politique solitaire, avec une aide européenne égale à cinq fois sa contribution. S'ajoutaient les effets d'une fiscalité très attractive pour les entreprises, drainant ainsi les investissements privés. Une bulle immobilière s'est formée, créant un deuxième moteur de croissance. L'OCDE n'a pas formulé la moindre objection à cette stratégie, comme le FMI, et les stress tests effectués l'an dernier ont conclu à la solvabilité des banques irlandaises.
En fait, la crise subie par ce pays est home made, faite maison, car elle a vu s'enchaîner un défaut de solvabilité des emprunteurs débouchant sur un manque de liquidités bancaires.
Le mécanisme européen intervient dans ce contexte, très différent du cas grec, mais son existence, concomitante avec l'intervention du FMI, a renforcé l'euroscepticisme de la population et sa colère, liée au fait que les banquiers jouissent d'une impunité de fait.
Au demeurant, le plan gouvernemental reporte sur la population l'intégralité du coût de la faillite du système bancaire, excluant toute réévaluation de l'impôt sur les sociétés.
Sans revenir sur le détail de l'aide européenne apportée par Ecofin en novembre, elle a pour but d'accompagner les réformes ambitieuses et courageuses du gouvernement irlandais.
Dans ce pays, la crise est fondamentalement bancaire, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays. Il est impossible de dire aujourd'hui si l'action européenne suffira aux côtés de celle du FMI.
Cette crise n'est pas sans incidences pour la gouvernance économique européenne car elle conforte la position allemande en faveur d'une meilleure gouvernance financière. Elle incite à renforcer la surveillance euro-économique.
Les difficultés annoncées du Portugal devraient constituer, dans les semaines à venir, un test d'une tout autre ampleur. La crise portugaise n'est pas une crise de croissance sur le mode irlandais ; elle pousse à s'interroger sur les conséquences économiques de l'introduction de l'euro et sur la réponse européenne durable et crédible qui doit impérativement être trouvée lors du prochain Conseil européen. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Je remercie M. Bizet pour la pertinence de la comparaison avec des zones économiques comparables. Si cette crise permet de régler les faiblesses de l'euro, elle sera salutaire ; votre citation de Nietzsche est particulièrement bienvenue ! Bien sûr, la solidarité communautaire ne suffit pas. L'euro n'est pas un paratonnerre miracle exonérant les États membres à prendre les décisions courageuses qui s'imposent à eux.
Monsieur de Rohan, vous avez raison de souligner l'importance stratégique du service européen pour l'action extérieure ; tout le monde feint de s'interroger sur l'influence française, mais c'est l'un de nos plus brillants diplomates, M. Pierre Vimont, qui a été nommé secrétaire général exécutif.
A l'ONU, l'échec de la première résolution tient sans doute à l'insuffisance de la négociation en amont. Nous souhaitons que la prochaine tentative soit appuyée par les États membres.
Le Monténégro ? Les pays des Balkans ont vocation à rejoindre l'Union européenne, afin que cette zone de troubles devienne un socle de paix, mais il faut être exigeant lors des négociations.
Bien sûr, les parlements européens doivent jouer un rôle important pour la Pesc. Je salue l'effort germano-suédois.
J'en viens à l'intervention de M. Mézard. Pour la gouvernance économique, il faut resserrer les mailles du filet, renforcer la crédibilité du pacte tout en préservant la place du politique, assurer la convergence fiscale, dépenser mieux et responsabiliser les banques.
Monsieur Billout, merci d'avoir exposé la divergence de nos approches, qui n'empêche pas des points d'accord. En Irlande, toutes les banques ont été nationalisées : les actionnaires ont donc subi une sanction majeure. Vous avez raison pour la politique européenne d'innovation : elle est insuffisante.
Merci, monsieur Badré, pour votre vision stratégique. Les avancées sur la gouvernance économique sont un signe de maturité
Les euro-obligations ? Le temps n'est pas venu de lancer une foire aux bonnes idées. Chaque pays doit assumer les conséquences de ses actes, même dans un contexte communautaire. En 1958, le premier travail du général de Gaulle avait été de rétablir les finances publiques du pays.
Monsieur Sutour, les moyens du fonds mis en place sont suffisants. Le service européen pour l'action extérieure pourra progresser dans le Sahel, face au danger terroriste, dans une logique d'aide aux territoires concernés, et de sécurité pour l'Europe.
L'Union pour la Méditerranée pourra progresser d'abord grâce à une reconnaissance de diplômes.
Monsieur Humbert, l'Irlande satisfaisait aux critères de Maastricht malgré la surexposition des banques à l'immobilier. Nous devons donc revoir le dispositif de suivi économique.
Sur le plan bancaire, M. Barnier a fait des propositions. En outre, la meilleure surveillance des politiques économiques permettra de mieux anticiper les crises. Le Portugal ? Ne jouons pas les Cassandre ! Un soutien européen doit permettre de relancer la croissance. (Applaudissements à droite)
M. le président. - Nous passons au débat interactif et spontané.
M. Pierre Fauchon. - Monsieur le ministre, votre réponse à M. Badré nous laisse sur notre faim. Il a repris l'idée de M. Juncker, parfaitement raisonnable bien qu'elle ait apparemment vexée Mme Merkel et M. Sarkozy qui n'ont pas été consultés. Ce serait mettre la charrue avant les boeufs ? Mieux vaut des mesures préventives contre l'incendie que d'attendre l'intervention des pompiers !
Je comprends la position allemande, qui ne veut pas exonérer les pays membres de leurs responsabilités. Il faut donc un certain nombre de précautions, ainsi qu'une certaine prudence. Mais l'idée me semble tout à fait raisonnable.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - M. Badré a soutenu l'intégration accrue de l'Union européenne. Je lui en rends hommage.
M. Denis Badré. - Merci.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Je maintiens pourtant mon propos : il y a un temps pour l'action et un temps pour la réflexion. Nous sommes dans le temps de l'action.
Les eurobonds ne sont donc pas d'actualité : la question essentielle, c'est d'affronter la crise qui frappe certains Etats membres. Il faut franchir le gué avant d'explorer de nouveaux territoires.
M. Pierre Fauchon. - Rendez-vous dans un an !
M. Robert del Picchia. - Sans être alarmiste, je pense que de nouveaux épisodes de crise seront possibles. Hélas, le traité européen ne permet pas à un État membre de soutenir un autre.
Il semble que la révision du traité de Lisbonne s'impose pour l'après 2013. L'Allemagne s'oppose fermement à l'émission d'euro-obligations. Vous avez évoqué le bon sens, mais réviser le traité de Lisbonne pourrait signifier ouvrir la boîte de Pandore.
Quel serait l'éventuel calendrier des nouveaux mécanismes pérennes de soutien ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - En effet, une révision est indispensable pour certains pays, mais il ne faut surtout pas ouvrir la boîte de Pandore.
La France est donc favorable à une révision la plus simple possible et la plus circonscrite possible : la réécriture doit se résumer à une frappe chirurgicale.
M. Richard Yung. - Je m'exprime avec prudence, pour ne pas trop m'engager dans la « foire aux idées ».
M. Juncker a dit qu'il avait fallu cinq ans pour que son idée soit ratifiée. Vous êtes dans le temps de l'action : le Parlement est aussi dans celui de la réflexion.
La politique industrielle européenne est marquée par l'ampleur des affrontements franco-allemands. Nous sommes loin de créer les champions dont l'Europe a besoin. Ainsi l'Allemagne conduit sa propre politique énergétique.
Tout le monde a compris que la vente du Rafale au Brésil était plus que compromise. Est-ce étonnant, vu la concurrence entre producteurs européens, avec l'Eurofighter, notamment ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Le conseil franco-allemand a mis l'accent sur la politique industrielle. La concurrence est réelle, mais nous devons dégager des intérêts conjoints : nous unir, par exemple, pour lutter contre la concurrence chinoise...
L'Europe de l'avant-crise était le bras armé de la dérégulation et privilégiait la concurrence. L'Europe de l'après-crise devra changer de logiciel !
L'énergie est un enjeu stratégique européen. A Budapest, je me suis entretenu avec ma collègue hongroise : ce thème sera une priorité de la présidence hongroise. A ce propos, je souligne l'avantage apporté à la France par la filière électronucléaire.
M. Michel Billout. - Vous avez dit que les banques avaient été sanctionnées par la nationalisation ; mais nationaliser une banque en faillite revient à socialiser les pertes. Mais quelles ont été les sanctions prises contre les banques européennes ayant encouragé la dérive des établissements irlandais ?
Ne faudrait-il pas créer une autorité européenne de supervision bancaire ? Où en est la création d'une agence européenne publique de notation ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Les actionnaires des banques irlandaises ont tout perdu ! Et les banques nationales des États membres n'ont pas poussé les Irlandais à la faute. Nos banques sont particulièrement solides, même par rapport aux établissements allemands.
Le dispositif, pérenne pour l'après 2013, sur le modèle du FMI, prévoit une clause d'action collective pour éviter qu'un créancier bloque le processus ; il prévoit une participation au cas par cas et une priorité au remboursement des créanciers publics ; autant d'avancées importantes !
M. Simon Sutour. - Je me félicite de ce débat interactif.
Effectivement, le nucléaire est une chance pour la France.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Très bien ! Dites-le à Mme Voynet !
M. Simon Sutour. - Je souhaite aborder la politique de convergence territoriale, inscrite dans le traité de Lisbonne. Les fonds seront-ils maintenus pour la période 2014-2020 ? L'inquiétude des élus est grande car d'autres priorités s'imposent dans le cadre d'un budget européen contraint.
M. Laurent Wauquiez, ministre. - Merci pour votre observation sur la filière nucléaire car le consensus national est nécessaire sur ce sujet. La politique de cohésion territoriale n'est pas à l'ordre du jour du Conseil européen, mais il s'agit là d'un sujet majeur pour les collectivités territoriales et nos concitoyens. Hélas ! Les dossiers sont excessivement difficiles à remplir. Pire : le gouvernement français a parfois compliqué les choses. Simplifier les dispositifs européens sera une de mes priorités. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Je me réjouis que les affaires européennes soient désormais confiées à un ministère de plein exercice. Le président de la Bundesbank a dit avec raison que la crise actuelle n'est pas due à l'euro mais aux déficits publics de certains États membres, tout comme M. Trichet a affirmé que l'euro était notre monnaie et devait rester notre destin. Crise après crise, l'Europe avance ; mais nous devons être très réactifs. Mme Merkel a dit fort justement que les fonds spéculatifs seraient mis à contribution après 2013.
Le Fonds européen de stabilité financière est d'ampleur considérable, avec 750 milliards d'euros. Là encore, c'est un signal clair adressé aux marchés !
Depuis le traité de Rome, la préférence communautaire n'était plus qu'une incantation politique, mais elle a désormais une signification comprise par tous. Ce principe doit animer toutes nos actions.
« L'Europe se dissout quand on la pense claire et rationnelle alors qu'il faut la concevoir dans sa pleine et complexe réalité », a dit une personnalité dont le nom m'échappe, peut-être Edgar Morin ; ces propos m'avaient autrefois séduit ; ce n'est plus mon avis, et encore moins celui des marchés ! Il faut que l'Europe parle d'une seule voix et que très rapidement, nous soyons dotés d'une gouvernance économique. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - J'espère que lors du Conseil européen, les chefs d'État et de gouvernements parleront d'une seule voix pour condamner le coup de force qui s'est produit en Côte-d'Ivoire et demander que M. Ouattara, élu par son peuple, puisse exercer ses fonctions. Si L'Union européenne se tait, elle commettra un grave manquement. (Applaudissements à droite et au centre)