Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture des projets de loi organique et ordinaire, adoptés avec modifications par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. La Conférence des Présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Discussion générale commune
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. - Ces deux projets de loi visent à mettre en oeuvre l'une des innovations les plus marquantes de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : le contrôle par le Parlement des nominations envisagées par le Président de la République aux fonctions les plus éminentes pour la garantie des libertés ou la vie économique et sociale de notre pays. L'audition des personnes proposées par les commissions compétentes, prévue à l'article 13 de la Constitution, établira la transparence et la pertinence des nominations. Je salue le travail effectué par les commissions des lois des deux assemblées en première lecture et l'investissement personnel des rapporteurs, notamment celui du Sénat, M. Gélard.
M. Robert del Picchia. - Très bien !
M. Henri de Raincourt, ministre. - La liste des emplois et fonctions inclus dans le champ de l'article 13, alinéa 5, de la Constitution est arrêtée : aux 41 fonctions retenues par le Gouvernement, le Sénat en a ajouté 3 et l'Assemblée nationale 4. Ces emplois et fonctions ont été également répartis entre les commissions permanentes. En deuxième lecture, les députés ont simplement tiré les conséquences du remplacement, par une ordonnance du 21 janvier 2010, de l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles par une autorité de contrôle prudentiel dont le président, le gouverneur de la Banque de France, figure déjà dans la liste.
Cette deuxième lecture porte donc essentiellement sur la procédure applicable par les commissions permanentes. Les assemblées se sont mises d'accord, dans le projet de loi ordinaire, pour que le scrutin soit dépouillé au même moment dans les deux commissions compétentes. Votre commission vous propose d'adopter le principe de l'audition, inscrit dans la loi par les députés. Je m'en réjouis car les auditions, j'y ai insisté à plusieurs reprises, sont seules à même de garantir la qualité des personnalités proposées. En revanche, votre commission propose de supprimer, une nouvelle fois, l'interdiction des délégations de vote lors du scrutin destiné à recueillir l'avis de la commission compétente à laquelle les députés sont attachés. Puissent les deux assemblées trouver un accord sur les modalités de vote applicables à cette procédure originale afin qu'aboutisse cette réforme dont l'objectif est d'accroître les prérogatives du Parlement ! (Applaudissements à droite)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - Une nouvelle fois, nous nous retrouvons pour examiner les projets de loi organique et ordinaire relatifs à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Tout d'abord, monsieur le ministre, je regrette que ce projet de loi organique n'ait toujours pas abouti quelque dix-huit mois après la révision constitutionnelle, ce qui nous empêche de procéder au vote sur les nominations prévu à l'article 13. Ce cas n'est pas isolé : je pense, entre autres, aux textes sur le Défenseur des droits et le CSM.
Il n'est pas normal d'attendre dix-huit mois pour une loi organique ! Pour les lois ordinaires, le Conseil d'État veille à ce que les décrets soient pris dans un délai raisonnable de six mois, nous en sommes très loin ici !
Puisque nous sommes en désaccord sur la loi organique et qu'il y aura une navette, nous présenterons deux amendements à la loi ordinaire, d'incidence secondaire, et nous n'avons pas de problème avec le dispositif de la loi ordinaire.
Nous sommes donc en désaccord profond avec l'article 3 de la loi organique, introduit par l'Assemblée nationale. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il transforme la loi organique en un texte qui oblige le Sénat à modifier son Règlement. Il viole de ce fait ce principe rappelé par le doyen Vedel : dès lors qu'un texte vise et oblige le Sénat, l'accord des deux assemblées est requis et l'Assemblée nationale ne saurait avoir le dernier mot. Le Conseil constitutionnel aura l'occasion, éventuellement, de statuer sur ce point.
Les motivations mêmes de nos collègues députés ne convainquent pas. M. Verchère a dit sans ambages qu'il lui paraissait anormal qu'une commission permanente du Sénat, en l'occurrence celle de l'économie, ait plus de membres que son équivalent de l'Assemblée nationale : en quoi est-ce anormal ?
L'article 27 de la Constitution dispose que « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote », il ne dit pas qu'elle peut l'interdire ! Le seul cas d'interdiction, prévu par la Constitution, vise la Haute cour : ses membres ne peuvent déléguer leur vote lorsqu'ils se prononcent sur la destitution du Président de la République. Le parallélisme des formes exige qu'on ne puisse interdire la délégation dans d'autres cas !
Le Règlement de l'Assemblée nationale, du reste, prévoit des délégations et c'est une instruction du bureau de l'Assemblée, en contradiction avec la Constitution, la loi organique et le Règlement de l'Assemblée nationale, qui interdit la délégation pour la procédure de nomination. Je rappelle que la nomination d'un député à tel ou tel poste n'a rien à voir avec l'audition d'une personnalité extérieure au Parlement pour la nomination à un poste lui aussi extérieur au Parlement !
En définitive, cet article 3 viole manifestement la Constitution, nous vous proposerons de le supprimer ! (Marques d'approbation à droite)
M. René Garrec. - Très bien !
M. Pierre Fauchon. - L'audition par les commissions des candidats aux emplois de responsabilité politique, économique et sociale dans la République est une innovation majeure que nous avons attendue un peu longuement et à laquelle nous sommes très attachés. L'association du Parlement au choix de ces responsables garantira mieux contre le risque d'arbitraire de tout choix personnel. Aussi, ceux qui ont voté contre la réforme constitutionnelle ont-ils beau jeu aujourd'hui de se réclamer de cette réforme ! (Exclamations à gauche)
M. Bernard Frimat. - Polémique !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous êtes inutilement polémique !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La Constitution s'applique à tout le monde !
M. Pierre Fauchon. - Pour autant, nous ne devons pas ignorer qu'il s'agit là d'un domaine qui relève de l'exécutif au sens où l'entendait Montesquieu et que nous devons nous garder de tout excès dans cette extension des attributions du Parlement.
Je n'ignore pas que les auditions des commissions du Sénat américain sont publiques, pour y avoir moi-même assisté, mais nous ne sommes pas en Amérique ! Je crains que la publicité n'accentue le caractère politique ou personnel de l'audition. (Mme Nicole Borvo Cohen Seat rit) Je ris avec vous, ma chère collègue, c'est bon pour la santé ! Nous acceptons cette ouverture au public mais non sans réserve et, en quelque sorte, dans un esprit d'expérimentation.
Le débat s'est cristallisé sur les délégations de vote lors du scrutin destiné à recueillir l'avis des commissions à la suite d'un article introduit par l'Assemblée nationale. Ce débat n'est donc pas entre la majorité et l'opposition mais entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Comme en première lecture, notre commission des lois réaffirme son attachement à la délégation de vote. Nous sommes parfaitement d'accord avec notre rapporteur, son analyse se fonde sur des arguments constitutionnels. La seule délégation de vote interdite par la Constitution, à son article 68, concerne la destitution du chef de l'État : si le constituant a réservé cette interdiction à un cas très rare, une loi organique ne peut en disposer à sa guise !
Les arguments de nos collègues députés ne sont guère convaincants. On nous dit que la différence dans la procédure contredirait le principe d'un avis unique des deux assemblées, le rapporteur à l'Assemblée va jusqu'à dire qu'elle fausserait le sens de l'avis recueilli et qu'elle entacherait ainsi la procédure d'avis prévue par l'article 13 de la Constitution d'un « vice de forme substantiel ». Or, ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires de 1958 ne permettent de penser qu'une procédure identique soit impérative dans les deux assemblées. Le constituant avait laissé aux Règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat la détermination de ces dispositions, conformément au principe d'autonomie des deux chambres. Pourquoi déroger au principe général pour ces nominations ? Nous adoptons des lois en suivant des procédures différentes, c'est autrement plus important, sans qu'on trouve à y redire !
Les éléments d'appréciation dont disposent les parlementaires ne se réduisent pas à la brève confrontation de l'audition. Ils comprennent des informations préexistantes, que la presse ne manque pas de mettre en lumière, voire de révéler dès que le nom du candidat est connu. Un avis ne doit pas, en fait, se fonder uniquement sur l'audition, où le candidat peut démontrer une habileté propre à masquer des informations dont les parlementaires disposent par ailleurs et dont ils doivent tenir compte ! On se tromperait à vouloir se fonder uniquement sur les auditions, qui tournent parfois, comme hier, en spectacle ! (On s'amuse sur divers bancs)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Oh !
M. Pierre Fauchon. - Il y a d'excellents spectacles...
De plus, les délégations sont soumises à une procédure de contrôle systématique et elles sont possibles seulement dans les hypothèses limitativement énumérées par l'ordonnance organique du 7 novembre 1958.
Pour finir, je salue l'excellent travail de notre rapporteur qui a fermement défendu l'analyse retenue par notre assemblée dès la première lecture. Nous le suivrons ! (Applaudissements à droite)
M. Bernard Frimat. - Nous abordons cette deuxième lecture dans l'intimité du dernier matin avant la suspension de nos travaux. Le suspense est étonnant. Y aura-t-il une troisième, une quatrième lecture ? Une cinquième ? Pouvons-nous espérer une inscription dans le Guinness Book ? L'avenir le dira. En matière de lois organiques, le record de lenteur est en voie d'être établi par le statut du chef de l'État et l'article 68 : « Il ne faut pas aller trop vite », « donnons-nous le temps de la réflexion »... Mais, j'en suis persuadé, la lenteur de la réflexion n'aura d'égale que sa profondeur. (Sourires)
J'en viens au fond. Le ministre estime que nous examinons là une des innovations les plus marquantes de la révision constitutionnelle. Nous pensons, quant à nous, qu'elle marque un progrès -puisque le Parlement est associé- mais que cette association manque de souffle -certains constitutionnalistes ont parlé de faux nez et de leurre.
M. Fauchon est trop attaché à la loi pour ignorer que la révision votée s'impose à tous, que la loi votée s'impose à tous. Lors du débat constitutionnel, nous étions d'accord sur la procédure et nous étions parvenus, au Sénat, à une position qui n'a pas été ratifiée mais qui marquait un progrès -même insuffisant. Un veto des trois-cinquièmes est un leurre. Il revient à une approbation par 40 % de l'assemblée. Or, sur une candidature présentée par le Président de la République ou le président de l'assemblée, recueillir 40 % est une banalité, ou alors on se trouve dans le cadre d'un conflit grave entre la majorité parlementaire et l'exécutif !
La liste comprend des postes importants au regard des droits et libertés ou de la vie économique de la nation. Il s'agit de nominations marquantes mais pas « des » nominations marquantes. Le ministre a fait allusion à une ordonnance qui a modifié la liste. Nous sommes en navette, nous avons pu nous adapter. Mais après ? La modification d'un intitulé, d'ordre réglementaire, aura-t-elle pour conséquences d'extraire le poste visé du champ de l'avis parlementaire ? La question se pose, il faudra y répondre, sans doute par une modification législative.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont un différend sur le vote par délégation. Il est prévu par la Constitution pour l'adoption des lois, je ne vois pas comment on pourrait l'écarter pour un simple avis par des commissions parlementaires. Je note que le problème ne se serait pas posé si nous avions créé une commission ad hoc commune aux deux assemblées et paritaire... La délégation de vote est utile pour traduire le rapport des forces politiques et éviter des majorités de circonstance. Mais il est préférable que les parlementaires soient présents lors de l'audition des candidats ! On pratique trop la délégation de facilité et la force majeure : il n'est pas rare de voir un parlementaire absent pour cas de force majeure pousser la porte de la commission, puis ressortir un quart d'heure après pour un nouveau cas de force majeure, et ainsi de suite. Halte aux cas de force mineure ! Ayons une éthique plus poussée, soyons plus stricts peut-être dans notre Règlement car la délégation systématique dévalorise le vote.
Nous soutiendrons la position du rapporteur, qui se borne à un simple respect de la Constitution. Mais je souhaite que les deux groupes majoritaires des assemblées parlementaires parviennent à un accord et que les membres de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale ne craignent plus une opposition de leurs collègues du Sénat. M. le ministre, en tout cas, a eu l'intelligence de ne pas poser la question dans la loi. Nous sommes favorables au retour au silence du texte initial. (Sourires) Le différend sera tranché tout naturellement par la pratique.
Nous sommes partisans d'auditions publiques. Les auditions sont une idée des députés socialistes ; le caractère public est important pour que les citoyens prennent connaissance des candidatures et des fonctions et fassent connaissance avec les candidats ! Ce lien direct, hors médias, me semble essentiel. Hier, de longues pages étaient consacrées, dans les journaux, aux candidats auditionnés mais chacun d'eux a suscité un volume de commentaires différent, guère proportionnel avec ce que sera leur apport respectif... (Murmures et sourires sur divers bancs) Quel argument, du reste, pourrions-nous opposer à la publicité ? Il est bon de faire prendre conscience à nos concitoyens de ce qu'est le travail parlementaire : c'est une occasion de rompre avec certains clichés.
Hier, le système a fonctionné de façon tronquée puisqu'il n'y a pas eu de vote. Mais il y a tout de même un progrès ! La publicité est aussi une aide à la réflexion et à la décision. On ne pourrait plus, comme jadis Caligula, nommer un cheval à de hautes fonctions...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il avait nommé son cheval sénateur ou consul...
M. Bernard Frimat. - C'est pourquoi je parlais de hautes fonctions. Reste à établir si le cheval accordait une délégation de vote !
Je me réjouis que la commission se rallie à l'idée d'une publicité des auditions. Quant à nous, nous n'avons guère de raisons de nous opposer à la loi ordinaire. Nous nous abstiendrons sur la loi organique car le progrès nous semble très insuffisant. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Fauchon. - J'ai été mis en cause !
Mme la présidente. - On verra cela en fin de séance.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous n'avons pas entendu la moindre mise en cause personnelle.
M. Aymeri de Montesquiou. - Ces deux projets de loi constituent une avancée majeure pour notre État de droit, dans le cadre de l'élan de rénovation de nos institutions qu'a insufflé la révision constitutionnelle de juillet 2008. La nouvelle donne institutionnelle alloue un droit de regard de la représentation nationale sur la nomination à certains des plus hauts postes de la République. Les auditions d'hier ont préfiguré cette nouvelle donne, dans l'attente de la promulgation de ces deux textes.
Les autorités administratives indépendantes ont pris un essor considérable dans notre paysage institutionnel depuis une quinzaine d'années. Ces objets administratifs mal identifiés sont devenus incontournables. Leur champ de compétence s'élargit au fur et à mesure que la loi en crée de nouvelles, au point que leur recensement devient difficile. Elles contribuent à la transformation de l'action publique en s'érigeant, à côté de l'État opérateur, en vigie chargée de préserver l'intérêt général en toute impartialité. C'est ainsi que sont concernés des domaines aussi vitaux que la protection des libertés fondamentales ou la régulation économique.
Dans sa nouvelle rédaction, l'article 13 distingue entre les emplois régaliens, pour lesquels la procédure en vigueur depuis 1958 sera maintenue, et ceux qui ont une « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », pour lesquels la procédure nouvelle rend obligatoire une audition par la commission permanente compétente de chaque assemblée, suivie d'un vote. La publicité de la procédure donnera aux auditions une dimension nationale qui garantira la crédibilité et l'autorité de la personnalité finalement nommée.
Les nominations à la discrétion, qui étaient effectuées sous l'empire de l'ancien article 13, n'ont pas honoré la République. Cette survivance du XIXe siècle a été utilisée à des fins peu en rapport avec le seul intérêt général. Notre pays a refusé l'instauration d'un système des dépouilles à l'américaine mais l'opacité qui a présidé nombre de nominations a fait émerger un État trop souvent partisan. Je me réjouis donc que la nouvelle rédaction de l'article 13 y mette fin.
L'importance des fonctions concernées par le champ de la loi organique justifie cette transparence. L'unification de régimes de nomination disparates par ces deux textes clarifie la procédure. Cela s'imposait dans la mesure où un certain nombre d'autorités visées interviennent dans le champ des libertés fondamentales, dans lequel le Parlement exerce pleinement son rôle de vigie. Notre commission a d'ailleurs pu enrichir cette liste sans que les députés y trouvent à redire. D'aucuns regrettent que certaines autorités n'aient pas été incluses dans le périmètre de la loi organique, comme l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, la Commission consultative du secret de la défense nationale ou la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Mais ces deux dernières autorités disposent déjà d'un mode de nomination spécifique qui se concilie très bien avec la sensibilité particulière de leur champ de compétences.
Je regrette cette deuxième lecture : elle est due à la persistance d'un désaccord sur les délégations de vote lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis d'une commission sur un projet de nomination. Le RDSE approuve notre commission : les députés ont introduit un obiter dictum qui encourt la censure du Conseil constitutionnel. Il est d'interprétation constante, y compris dans la jurisprudence du Conseil, que les dispositions de l'article 27 de la Constitution n'ont pas vocation à être utilisées pour prévoir la délégation par type de scrutin mais simplement pour prévoir les cas d'empêchement pouvant frapper un parlementaire.
Les membres du RDSE confirmeront leur vote de première lecture et voteront à ce texte, une minorité s'abstenant. (Applaudissements sur quelques bancs à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous voici en deuxième lecture, qui ne sera peut-être pas la dernière...
Nous restons opposés au cinquième alinéa de l'article 13, dans lequel nous ne voyons pas un progrès des droits du Parlement. Il faudrait, pour cela, que le pouvoir de nomination soit vraiment partagé, ce qu'il persiste à ne pas être dans ce régime présidentialiste. Sauf cas rarissimes, le droit de veto est quasiment impossible à exercer, ce qui rend illusoire le pouvoir concédé avec l'audition. Il aurait fallu oser la démocratie et accepter un vote d'approbation à la majorité des trois cinquièmes. Vous l'avez refusé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Cela revenait à donner un pouvoir de veto à l'opposition !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Sur la question en suspens : nous sommes favorables à la possibilité de délégation de vote en cas de force majeure. Elle existe pour tous les autres scrutins, même pour les lois constitutionnelles ! J'espère que la sagesse l'emportera.
Il est regrettable que nous soyons amenés à voter ce texte au lendemain des auditions de nos collègues Charasse et Haenel.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Bravo !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il aurait été utile de faire concorder les deux, cela aurait évité un simulacre.
Le Conseil constitutionnel a été renforcé à compter du 1er mars. Il devient une vraie juridiction de droit privé et public, avec tutelle sur la Cour de cassation et le Conseil d'État. Cette instance émanant du pouvoir politique se trouve ainsi érigée en juridiction suprême, ce qui pose le problème de sa légitimité démocratique. Les arguments employés ne sont pas convaincants. Nous répétons que le Conseil constitutionnel doit procéder du Parlement -ce qui ne signifie pas nommer forcément des parlementaires : le Parlement aurait-il osé nommer trois parlementaires de sexe masculin ?
Le peuple fait la loi par ses représentants élus ; l'organe de contrôle de constitutionnalité ne devrait donc pas surreprésenter une certaine tendance politique, ni comprendre des membres de droit.
Nous persistons donc à voter contre ces textes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Pas mal...
M. Laurent Béteille. - Ces deux textes visent à mettre en oeuvre un apport majeur de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Nous y sommes évidemment très favorables.
Se posera vite la question de la publicité des auditions, à propos de quoi je partage, à titre pesonnel, l'opinion de M. Fauchon, après l'examen blanc auquel nous avons eu la chance de participer hier.
Cela s'est passé d'une manière acceptable. Nous aurions pu opter pour un compte rendu intégral des débats, mais la publicité totale et directe n'est pas gênante.
Par ailleurs, le Parlement pourra s'opposer à une nomination du Président de la République lorsque les votes négatifs des commissions représenteront au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Selon certains, la nomination par le chef de l'État pourrait ainsi n'être approuvée que par 40 % des membres des commissions. On ne peut, cependant, imaginer qu'une nomination se fasse dans ces conditions. C'est inconcevable, notamment, pour le médiateur de la République car cela affaiblirait la crédibilité de cette institution. Si le Président de la République dispose d'une marge, la force d'appréciation du Parlement peut être irrésistible. Ce principe s'appliquera aux nominations qui relèvent de la compétence du président de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Cela va dans le bon sens car nous devons nous imposer ce que nous imposons à l'exécutif.
La nouvelle prérogative conférée au législateur poursuit une double ambition : assurer la transparence du choix des personnalités appelées à exercer des fonctions éminentes et garantir l'indépendance des candidats vis-à-vis du pouvoir exécutif. Le constituant a confié au législateur organique le soin d'arrêter une liste des emplois et fonctions soumis à cette procédure, qui a été complétée sur proposition de notre rapporteur. La compétence de la commission des lois pour se prononcer sur la nomination du défenseur des droits et des membres du Conseil supérieur de la magistrature a été précisée à l'initiative d'Hugues Portelli.
Le groupe UMP se réjouit de l'adoption par les députés, en seconde lecture, du texte ainsi complété par notre commission. Celle-ci a retenu le principe, proposé par les députés, de la simultanéité du dépouillement du scrutin mais a, une nouvelle fois, supprimé l'article 3 du projet de loi organique, qui interdit les délégations de vote. Ces modalités relèvent du domaine des Règlements du Sénat et de l'Assemblée nationale et ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu'une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées, comme l'a rappelé Pierre Fauchon. Toutefois, il est souhaitable qu'un accord puisse être trouvé sur ce point.
Nous partageons pleinement les doutes de notre rapporteur quant au caractère constitutionnel de l'article 3 du projet de loi organique car le dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution n'interdit pas les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin. Celles-ci ne sont explicitement proscrites que pour la destitution du chef de l'État : à événement exceptionnel, procédure exceptionnelle. Priver de vote un parlementaire qui a un empêchement légitime ne constituerait pas une avancée démocratique.
Sous réserve de ces observations, le groupe UMP considère que l'adoption de ces deux textes apporte une nouvelle pierre à l'édifice de la « République irréprochable » défendue par le chef de l'État et contribue à la revalorisation du Parlement et au rééquilibrage des institutions de la Ve République. Il votera donc ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Pierre Fauchon. - Je souhaite éviter une équivoque : Bernard Frimat a dit que, pour ce qui est de la publicité des auditions, son avis était contraire au mien. Or je ne suis pas opposé à la publicité mais j'ai émis des réserves : je ne suis pas sûr que celle-ci soit indispensable.
Discussion des articles du projet de loi organique
Mme la présidente. - Nous passons à la discussion du projet de loi organique. Je rappelle qu'aux termes de l'article 48, alinéa 5, du Règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles et des crédits budgétaires est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pas encore adopté un texte ou un montant identique.
L'article premier est adopté.
Les articles 2 et 3 demeurent supprimés.
Article additionnel après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Gélard au nom de la commission.
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat ne peut procéder aux nominations mentionnées aux articles 56 et 65 de la Constitution qui relèvent de sa compétence lorsque les votes négatifs au sein de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée représentent au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Cet amendement vise à combler une lacune de la loi organique et à instaurer un parallélisme des formes avec les nominations effectuées par le Président de la République.
M. Henri de Raincourt, ministre. - J'aurais pu me contenter de dire que le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis de sagesse pour ce qui concerne le fonctionnement des assemblées... Mais je préciserai, pour le Journal officiel, que la Constitution ne prévoit, pour les nominations qui relèvent de la compétence des présidents des assemblées, que la consultation de la commission compétente. Elle habilite la loi organique à dresser la liste des emplois concernés et non les conditions de nomination.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La lecture combinée des articles 56 et 65 de la Constitution nous semblait indiquer que les règles de désignation devaient être les mêmes, pour les désignations de la compétence des présidents des assemblées, que pour celles auxquelles procède le Président de la République. Toutefois, je n'avais pas réfléchi précisément à cette question en tant que rapporteur de la révision constitutionnelle. Il y a là un problème d'interprétation, et un risque de sanction par le Conseil constitutionnel.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Il y a la navette.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - L'interprétation que nous a donnée le Gouvernement me fait douter de la pertinence de notre position. Qu'en pense le rapporteur ?
M. Pierre Fauchon. - C'est un cadeau empoisonné ! (Sourires)
M. Patrice Gélard, rapporteur. - L'interprétation initiale me semble bonne mais elle sera encore soumise à la navette, puis à une CMP. En attendant, votons cet amendement.
L'amendement n°1 est adopté et devient un article additionnel.
Mme la présidente. - Les autres dispositions du projet de loi organique ne faisant pas l'objet d'une deuxième lecture, je vais le mettre aux voix.
Vote sur l'ensemble
M. Bernard Frimat. - Je confirme que le groupe socialiste s'abstiendra. On nous ressert sans cesse le même discours selon lequel l'obligation des trois cinquièmes négatifs n'aurait aucune importance puisque, même avec une majorité simple, la nomination ne se ferait pas. Pourquoi avoir mis un veto aux trois cinquièmes si ce veto n'a pas de sens ? Alors, déposons une proposition de loi de révision constitutionnelle ! Lorsque nous avions proposé la majorité simple, on nous avait opposé que ce n'était pas suffisant ; en réalité, il fallait verrouiller davantage et imposer une proportion pratiquement inaccessible. Ceux qui ont voté cette révision constitutionnelle passent maintenant leur temps à nous dire que ce qu'ils y ont mis n'a aucune importance. C'est incohérent ! C'est l'hommage du vice à la vertu -vous reconnaissez, point par point, les méfaits de votre révision constitutionnelle. Cette reconnaissance progressive de vos erreurs est un spectacle charmant dont nous ne nous lassons pas...
M. Pierre Fauchon. - Je voterai ce texte. Cela dit, je note que M. Frimat est content de ne pas avoir voté la révision constitutionnelle mais qu'il l'est plus encore de voir qu'elle porte ses fruits.
M. Laurent Béteille. - Avec ces trois cinquièmes, nous avons pris la bonne décision. Il est bon de fixer une limite officielle au Président de la République mais aussi de lui donner une zone d'appréciation personnelle. Dès lors que les auditions sont publiques et que la position du Parlement est médiatisée, cela permet au Président de la République de sauver la face dans certains cas et de faire en sorte que la nomination ne se fasse que s'il y a accord entre lui et le Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je confirme notre vote négatif. A quoi sert de médiatiser un Parlement qui n'a pas de pouvoirs ? Quelqu'un a même dit tout à l'heure que les parlementaires avaient tout loisir de s'informer sur les candidats dans la presse ! Vous vous grandiriez en confortant les pouvoirs du Parlement !
Sur le parallélisme des formes, je note que le Parlement a le droit de se prononcer sur les nominations du Président de la République au Conseil constitutionnel mais qu'il ne pourrait pas le faire sur celles des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est tellement paradoxal que nous devrions être unanimes à soutenir le parallélisme des formes !
M. Henri de Raincourt, ministre. - En 2007, lors de sa campagne électorale, le Président de la République avait dit son souhait d'une « démocratie irréprochable où les nominations se font sur la base des compétences et non des connivences ». Avec la majorité simple, on courrait le risque d'une décision partisane. Avec une majorité qualifiée positive, on donnerait un pouvoir de veto à l'opposition. Mais, avec les trois cinquièmes négatifs, on atteint une position d'équilibre qui évite les excès des deux côtés puisqu'elle impose de dépasser les limites partisanes : la compétence sera bien le motif du vote.
Cela illustre bien la volonté de transparence du Gouvernement et son souhait que les nominations ne soient pas décidées sur des critères partisans. Et ce que nous vivons depuis trois jours illustre cette volonté du Président de la République. (« Très bien ! » à droite)
La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 218 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 110 |
Pour l'adoption | 194 |
Contre | 24 |
Le Sénat a adopté.
Discussion des articlesdu projet de loi ordinaire
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle maintenant la deuxième lecture du projet de loi ordinaire, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Article premier
Les commissions permanentes de chaque assemblée parlementaire compétentes pour émettre un avis sur les nominations aux emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution sont celles figurant dans la liste annexée à la présente loi.
L'avis mentionné au premier alinéa est précédé d'une audition par les commissions permanentes compétentes de la personne dont la nomination est envisagée.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L'audition est publique sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale.
M. Bernard Frimat. - Les deux assemblées ont déjà tenu des auditions publiques, hier, comme lors de la nomination des présidents de France Télévisions et de Radio France. Cet amendement, qui a reçu un avis favorable de la commission des lois, est un progrès démocratique. Le temps lèvera sans aucun doute sinon l'hostilité, du moins les réserves M. Fauchon...
M. Patrice Gélard, rapporteur. - J'ai changé d'avis entre la première et la deuxième lecture ; je pensais que les auditions à huis clos permettaient d'aller davantage au fond des choses. Mais, dès lors que certaines auditions sont publiques, il n'y a pas de raison pour que d'autres ne le soient pas ; et dès lors que l'Assemblée nationale procède à des auditions publiques, il n'y a pas de raison que le Sénat ne fasse pas de même. Je me suis donc rangé à l'avis de M. Frimat, et la commission m'a suivi.
M. Henri de Raincourt, ministre. - Le Gouvernement s'inscrit sans réserve dans une démarche de transparence. Il est donc très favorable à cet amendement. Je comprends que des exceptions puissent être prévues mais, pour avoir été parlementaire, je pense que tout ce que fait le Parlement doit être public.
L'amendement n°1 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette audition donne lieu à la publication d'un compte-rendu.
M. Bernard Frimat. - Dès lors que les auditions sont publiques et enregistrées, nous aurons une sorte de compte rendu intégral grâce auquel nous pourrons lire sur les visages l'admiration ou le soupçon, ce que ne traduit pas nécessairement un compte rendu écrit -quel que soit le talent de ceux qui le rédigent. Cet amendement est devenu sans objet.
L'amendement n°2 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Gélard, au nom de la commission.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Cette audition ne peut avoir lieu moins de huit jours après que le nom de la personne dont la nomination est envisagée a été rendu public.
M. Patrice Gélard, rapporteur. - Travailler dans l'urgence n'est pas de bonne méthode. J'avais pensé à un délai de quinze jours, le président Hyest m'a convaincu de m'en tenir à huit. C'est une sage précaution. M. le ministre a évoqué des cas d'urgence, nous verrons comment améliorer le dispositif en cours de navette.
M. Henri de Raincourt, ministre. - Je comprends les préoccupations légitimes de la commission mais les auditions d'hier montrent que les deux chambres peuvent, sans préparation, mener un travail qui leur fait honneur. Le Gouvernement n'a aucune opposition de principe à un délai. Faut-il l'inscrire dans la loi ? La question reste en suspens... Sagesse.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Les pratiques acrobatiques ne sauraient devenir la règle. Lorsque des nominations multiples se présenteront, il faudra bien programmer les auditions dans des délais raisonnables. Les personnalités auditionnées hier étaient connues, ce qui ne sera pas toujours le cas. Vous savez les difficultés que nous éprouvons pour organiser nos travaux, monsieur le ministre. Et en la matière, il n'y a pas de cas d'urgence, pas de délai de forclusion.
M. Henri de Raincourt, ministre. - Si, la date de renouvellement d'un mandat...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - L'autorité de régulation des activités portuaires, par exemple, peut bien attendre huit jours... Il est déjà arrivé qu'on retarde la fin d'un mandat. Un délai est nécessaire pour que les auditions soient organisées dans de bonnes conditions et que les membres des commissions puissent être présents, sauf empêchements prévus par la Constitution.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Si l'on ne prévoit pas de délai, les délégations vont se multiplier. Ce n'est pas souhaitable.
M. Pierre Fauchon. - Il faut à l'évidence un délai. Je ne comprends pas les réserves du Gouvernement. Il n'est pas de décision raisonnable sans un certain temps de réflexion. Pour les auditions d'hier, nous n'avons pas eu le temps de même lire les documents qui avaient été préparés. L'intérêt de la réforme, c'est que les commissions ne puissent être surprises. La presse jouera aussi son rôle. Les exigences de la démocratie seront mieux satisfaites.
L'amendement n°3 est adopté.
L'article premier, modifié, est adopté.
L'article 2 bis A est adopté, ainsi que l?article 2 ter.
L'ensemble du projet de loi, modifié, est adopté.
La séance, suspendue à 11 h 10, reprend à 11 h 25.