Débat sur la politique agricole commune
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur la politique agricole commune.
Je rappelle à tous la nécessité de respecter les temps de parole fixés par la Conférence des Présidents. M. Romani et moi-même veillerons à ce que chaque orateur se conforme à cette règle afin que le Sénat puisse, ensuite, débattre de l'adoption.
M. Henri de Raincourt, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle, j'ai demandé, au nom du groupe UMP, l'inscription d'un débat sur les nouvelles orientations de la politique agricole commune.
Après l'accord du 20 novembre 2008 sur le bilan de santé de la PAC, vous avez annoncé, monsieur le ministre, plusieurs décisions le 23 février dernier visant à rééquilibrer les aides européennes à partir de 2010 afin de préparer l'après 2013.
L'année 2009, avec l'instauration d'un nouveau cadre politique pour l'agriculture européenne conformément à l'objectif fixé par le chef de l'État à la présidence française, restera dans les annales. Dans un contexte mondial où la demande explose, du fait des pays émergents, et l'offre peine, en raison des nouvelles contraintes environnementales et sanitaires, la politique agricole commune doit trouver une nouvelle légitimité. La crise alimentaire mondiale, qui a souligné le rôle décisif de l'agriculture dans l'alimentation des êtres humains et, partant, la nécessité de recourir à des outils de régulation, que d'aucuns avaient négligés trop rapidement, et celle de réhabiliter la souveraineté alimentaire, a montré que la révolution verte, fondée sur la mécanisation, les remembrements, les fortes doses d'engrais et les subventions à la production, est un modèle dépassé. Aujourd'hui, une nouvelle révolution s'impose, à la fois écologique et technologique. L'agriculteur, qui était devenu chef d'entreprise, voire comptable, doit maintenant se faire ingénieur biologiste. Et, face aux exigences sanitaires et environnementales croissantes du consommateur, le Gouvernement a décidé de diminuer de moitié le recours aux pesticides en dix ans et de tripler les surfaces dévolues à l'agriculture biologique d'ici 2012. Après cinquante ans de productivisme, le Gouvernement, pour sauver un système fort critiqué en ce qu'il représente 40 % du budget européen et bénéficie en premier lieu à la France, doit promouvoir un nouveau modèle agricole visant à nourrir la planète tout en préservant l'environnement.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, vous avez annoncé le rééquilibrage des aides européennes en faveur des systèmes de production à l'herbe, soit les éleveurs, notamment ovins, dont les difficultés sont anciennes -le secteur a perdu un tiers de ses brebis en vingt ans (M. Jean-Paul Emorine président de la commission des affaires économiques, le confirme)- ainsi que les exploitations laitières de montagne. En subventionnant les grandes cultures, Bruxelles soutenait indirectement les éleveurs qui pouvaient acheter des céréales à bas prix pour nourrir leurs bêtes. Mais de nouvelles perspectives, comme le développement des biocarburants, ont rompu cet équilibre. D'où la nécessité de poser les jalons d'une nouvelle PAC pour l'après 2013, qui s'est traduite par le compromis technique du 20 novembre 2008, premier accord à vingt-sept à engager l'agriculture européenne sur la voie du développement durable. Suivant l'ambition affichée par le Président de la République le 19 février en Maine-et-Loire, et partagée par tous, pas moins de 18 % des aides directes, soit 1,4 milliard d'euros, seront rééquilibrées en faveur des productions et des territoires les plus fragiles. Chacun connaît les enjeux de l'échéance de 2013 pour les agriculteurs français et sait que ces décisions visent à préserver notre politique agricole en la réorientant vers l'élevage à l'herbe, l'agriculture durable et l'instauration de nouveaux outils de couverture des risques climatiques, sanitaires et économiques (« Très bien ! » à droite), mais aussi le développement de la production de protéines végétales, stratégique pour la France qui importe actuellement 75 % de sa consommation. Parce que la France ne peut être en déphasage complet avec les autres pays de l'Union, il faut davantage d'équité pour ne pas être pris en défaut en 2013. Nous souscrivons donc à ces objectifs courageux, essentiels pour la préservation de notre politique agricole.
M. Alain Vasselle. - Il y a des limites !
M. Henri de Raincourt, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour. - Monsieur Vasselle, j'y viens ! Néanmoins...
M. Gérard César. - Ah !
M. Henri de Raincourt, auteur de la demande d'inscription à l'ordre du jour. - ...l'effort demandé aux céréaliers est particulièrement important. Sur 700 millions réorientés vers la politique de l'herbe, 350 millions seront payés par les exploitations spécialisées en grande culture ; le reste par les exploitations mixtes, soit par des éleveurs laitiers ou bovins spécialisés. Même si ces prélèvements seront accompagnés de retours pour nombre d'exploitations, il ne faut pas sous-estimer l'impact de ces décisions dans les zones intermédiaires, soit celles qui ont des rendements moyens sur des sols relativement médiocres et sur lesquelles sont implantées des exploitations de taille moyenne. Comment adapter ce nouveau système afin d'assurer aux céréaliers, quelle que soit la région, la juste rétribution de leur travail ? Cette question me tient particulièrement à coeur, notamment parce que mon département de l'Yonne fait partie de ces zones intermédiaires. Tenant compte de cette préoccupation, monsieur le ministre, vous avez annoncé une enveloppe supplémentaire de 170 millions pour accompagner les exploitations qui pourraient être fragilisées en 2010 et pris l'engagement, lors du congrès de la FNSEA, le 1er avril dernier, de rester vigilant sur la question. Toutefois, ne pourrait-on pas accorder à tous les agriculteurs des zones intermédiaires l'aide à la diversité des assolements de 25 euros par hectare et prévoir l'attribution de cette aide également en 2011 et en 2012 ? Peut-être pourrait-on également laisser aux agriculteurs le choix de bénéficier de cette aide à la diversité ou de la mesure agro-environnementale rotationnelle ? En tout état de cause, je vous remercie de vous être montré sensible aux inquiétudes des céréaliers.
C'est désormais dans un climat apaisé que la France, viscéralement attachée à la PAC, peut préparer l'avenir de son agriculture.
Monsieur le ministre, vous aurez été un acteur déterminant. (Marques d'approbation à droite) Vous avez su, par votre engagement et votre action déterminée, dessiner un nouveau chemin pour notre agriculture, un nouvel avenir pour nos jeunes agriculteurs, redonner de la légitimité à notre politique agricole et la remettre au coeur des défis de notre société. (Applaudissements et « Bravo » à droite)
M. Gérard Le Cam. - A quelques encablures des élections européennes du 7 juin, ce débat est-il un exercice d'autosatisfaction ou vise-t-il à se donner bonne conscience ? Est-ce un débat à 514 millions, somme à répartir entre les filières d'ici le 1er août ? Prépare-t-il la loi de modernisation agricole, annoncée pour l'automne ? Allons-nous nous inquiéter de notre poids dans les décisions européennes et de l'avenir de l'agriculture européenne au plan mondial ? De l'après 2013 ?
Notre conception de la PAC est à l'opposé de celle de Mme Fischer Boel, des libéraux et des lobbies de Bruxelles. Dressons le réel bilan de la PAC. Instituée en 1962 pour répondre à la pénurie alimentaire, elle repose sur trois principes : la libre circulation des produits agricoles, qui a surtout mis en concurrence, et donc en péril, des productions régionales au profit des spéculateurs et des intermédiaires ; la préférence communautaire, qui n'a jamais fonctionné correctement, l'OMC favorisant le dumping et la concurrence déloyale ; la solidarité financière, entamée par l'exigence du chèque britannique. Aujourd'hui, la renationalisation de la PAC est en route et les aides directes sont en déroute.
La PAC visait à accroître la productivité, assurer un niveau de vie équitable aux producteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables. La productivité a été multipliée par quatre en quarante ans. La sécurité des approvisionnements est satisfaisante, malgré une forte dépendance protéinique et une balance commerciale défavorable. Ce grand marché attise les convoitises de grands pays exportateurs, des États-Unis à la Chine, qui pèsent sur les négociations au sein de l'OMC.
Pour le reste, le bilan est moins flatteur. Le revenu agricole moyen s'échelonne de 12 000 à 40 000 euros selon les secteurs, mais ces moyennes cachent des situations parfois dramatiques. Le système des aides a accentué les disparités au lieu de les gommer. La stabilisation des marchés est un échec : la plupart des filières subissent de grandes crises, qui emportent les exploitations fragiles et renforcent la concentration. Les recettes appliquées depuis des décennies -restitutions à l'exportation, aides au stockage, prêts bonifiés, reports de cotisations, aides exceptionnelles et autres plans d'urgence- sont sans efficacité. Aucun gouvernement n'a pu assurer des prix garantis et rémunérateurs, la teneur libérale des traités interdisant toute réelle régulation... Enfin, s'agissant des prix à la consommation, les textes visant à moraliser les pratiques inqualifiables de la grande distribution ont tous échoué. La PAC est souvent parée de toutes les vertus, mais la réalité est moins glorieuse !
Après le Livre vert de 1985, qui se proposait de rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande, vint le temps des quotas laitiers. La réforme Mac Sharry en 1992 marque un tournant, avec une politique de diminution des prix compensée par des aides. L'agenda 2000 poursuit ce même objectif de compétitivité. S'y ajoutent la promotion d'un niveau de vie équitable -sans succès-, l'élaboration d'une nouvelle politique de développement rural avec le second pilier et l'intégration des notions nouvelles de qualité, de sécurité alimentaire, de bien-être animal et de simplification, sous la pression de l'opinion publique.
Les accords de Luxembourg menés par Frantz Fischler introduisent la nouvelle PAC : découplage des aides et de la production, baisse des restitutions à l'exportation et éco-conditionnalité des aides. Avec le bilan de santé, on prévoit la remise en cause de tout un système, certes injuste, mais le pire est à venir.
Le bilan de santé n'est guère source d'espoir. Parmi les points positifs, les syndicats agricoles relèvent la reconnaissance de l'élevage à l'herbe et un début d'équité en matière de répartition des aides. En 2006, 20 % des bénéficiaires touchaient 56 % des aides. La chute des revenus en 2008 ayant créé une situation explosive, 18 % des aides directes, soit 1,4 milliard, seront réorientées en 2010 et 2 % passeront dès 2009 du premier au deuxième pilier, au titre de la modulation. Votre majorité s'était empressée de supprimer la modulation des aides et les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), piliers de la réforme Glavany, qui auraient pu rendre l'agriculture plus juste et plus durable...
La répartition des 514 millions d'aides ne sera connue qu'au 1er août. Allez-vous donner raison à la bronca des céréaliers ou soutenir les filières en difficulté, notamment porcine et laitière ? En Bretagne, de belles exploitations, apparemment solides, se retrouvent en règlement judiciaire à la suite des crises successives, de la flambée des matières premières et de la chute des cours.
« Plutôt des prix que des primes ! », entend-on. La réduction des aides après 2013 ne sera supportable qu'avec une politique de prix garantis et rémunérateurs. Les aides devront corriger les disparités entre régions et aider les filières les plus fragiles.
Le rééquilibrage des aides, l'élevage à l'herbe, le plan protéine et la gestion des risques vont dans le bon sens, mais cela reste fragile. En 2015, la fin des quotas laitiers et des exploitations laitières traditionnelles ; demain, le découplage total, une aberration ! L'après 2013 laisse présager une baisse sensible des aides et du budget européen. Les règles de partage pour les nouveaux entrants pénaliseront les autres pays. Le jeu de la concurrence et le poids accru de l'OMC accentueront la libéralisation de l'agriculture.
Comment la réduction des aides sera-t-elle compensée ? Allons-nous vers une renationalisation des aides ? Envisagez-vous de plafonner les aides par actif et par exploitation et de supprimer la proportionnalité à la surface et les références historiques ? Quid de la régionalisation des aides ? Allez-vous enfin réguler les prix ? Certains misent sur des cours élevés à la production, qui ne profitent qu'aux spéculateurs. Il faut des prix stables et rémunérateurs. La crise financière et monétaire a révélé des comportements assassins !
Chaque État membre doit conserver, voire développer, sa puissance agricole pour tendre vers la souveraineté alimentaire. Les agriculteurs doivent pourvoir vivre du produit de leur travail. N'oublions pas leur rôle structurant dans le milieu rural, les emplois induits et leur contribution à l'aménagement du territoire ! La préférence communautaire doit être réactivée via la taxation d'importations abusives et l'instauration de calendriers d'importation intra-communautaire. La mission prioritaire de l'agriculture doit être l'alimentation humaine. Il faut dissuader la spéculation sur les produits alimentaires par tous les moyens.
Le projet de loi de modernisation de l'agriculture va-t-il acter la mort de la PAC et de la régulation ? A une agriculture de rendement et de compétitivité, aux mains des banques et des spéculateurs, nous préférons une agriculture de production et d'aménagement du territoire, diversifiée, à dimension humaine.
Nous aurons, dans les semaines à venir, l'occasion de confronter nos conceptions de la PAC -à condition toutefois que les médias s'y intéressent. Il semble pour l'instant urgent de ne pas parler des élections européennes, et encore moins du front de gauche auquel nous appartenons, un mouvement qui se veut un nouveau front populaire en défense de l'Europe des peuples et des solidarités. (Applaudissements à gauche)
présidence de M Roger Romani,vice-président
M. Jean-Paul Emorine - C'est avec plaisir que nous vous accueillons, monsieur le ministre, presque deux ans après votre prise de fonction, pour débattre d'un sujet auquel vous avez consacré passion et énergie. L'issue globalement favorable du bilan de santé de la PAC n'aurait pas été acquise sans votre ténacité. Je tiens à vous en rendre hommage. Certes, l'ambition que vous affichiez au seuil de la présidence française de l'Union a dû composer avec la Commission et les États favorables à un modèle agricole différent de celui auquel nous tenons. Avec les premières propositions de la Commission, la PAC était menacée : suppression des outils d'intervention, généralisation du découplage, évolution des quotas laitiers sans lien avec le marché, renforcement du développement rural au détriment du soutien à la production. Heureusement, l'accord de novembre 2008, obtenu à la quasi unanimité grâce à vos efforts de concertation et de pédagogie, s'éloigne du projet initial ; il est de nature à préparer l'avenir en préservant l'efficacité des mécanismes d'intervention sur les marchés des céréales et du lait, en maintenant les aides couplées, en encadrant la disparition des quotas laitiers et en offrant des outils pour rendre la PAC plus juste et plus durable.
Au-delà du bilan de santé, vous avez su préparer la PAC de l'après 2013 ; 24 États membres se sont ralliés aux conclusions de la présidence française lors du conseil des ministres de l'agriculture du 28 novembre dernier, qui faisait suite à la réunion informelle d'Annecy de septembre. A raison, le débat sur le contenu de la PAC a été lancé avant celui portant sur son périmètre financier pour la période 2013-2020, qui sera abordé l'année prochaine après les élections européennes et le renouvellement de la Commission.
Notre assemblée, et plus particulièrement la commission que je préside, vous ont constamment soutenu. Le groupe de travail sur le bilan de santé de la PAC, composé d'une douzaine de sénateurs de notre commission et présidé par M. Jean Bizet, a élaboré une proposition de résolution que le Sénat a adoptée en octobre 2008. Se prononçant contre les propositions de la Commission et en faveur d'un « modèle d'agriculture équilibré, économiquement viable et écologiquement responsable », elle a contribué, du moins avons-nous la faiblesse de le croire, au succès de votre démarche. Dans le même esprit, la réunion interparlementaire des 3 et 4 novembre au Parlement européen, que j'ai eu l'honneur d'ouvrir et de conclure et à laquelle vous avez bien voulu participer, a permis à plusieurs centaines de parlementaires d'échanger sur l'avenir de la PAC et son rôle dans la sécurité alimentaire. Étaient présents également la commissaire européenne à l'agriculture, le président du Parlement européen et celui de sa commission de l'agriculture, ou encore le directeur général de la FAO. La quasi-totalité des intervenants s'est accordée sur la nécessité d'une agriculture européenne productive, durable et territorialement ancrée, ce qui passe par une politique agricole forte et régulatrice des marchés.
Tous ces efforts n'ont pas été vains, puisque la version finale du bilan de santé préserve les intérêts de la France et de l'Europe agricole. Des questions subsistent cependant. L'accord du 20 novembre donne aux États membres jusqu'au 31 juillet 2009 pour décider des mesures d'application au niveau national, qui ne concerneront, il faut le préciser, que les aides attribuées à l'automne 2010. Vous avez présenté le 23 février celles que la France a retenues. Je soutiens les décisions difficiles et courageuses que vous avez prises en cherchant à rééquilibrer les aides aux filières tout en continuant à orienter notre agriculture vers la durabilité. Les trois groupes de travail mis en place en mars rendront leurs conclusions entre l'été et novembre. Pouvez-vous nous préciser les sujets sur lesquels ils plancheront et les marges de manoeuvre dont ils disposeront ? Traiteront-ils notamment des zones intermédiaires, qui sont fragilisées par les prélèvements prévus sur les aides directes au titre du premier pilier ? Selon une étude récente de l'Inra, ce sont ces territoires qui souffriront le plus de la réforme ; certains producteurs pourraient voir leurs soutiens diminuer de près de 10 000 euros par an.
J'en viens à l'assurance récolte. Dans un contexte de réduction des soutiens publics, la gestion des risques climatiques par des mécanismes assurantiels est une priorité. Le Gouvernement soutient financièrement le développement de l'assurance récolte dans les secteurs les plus exposés ; nous n'avons eu de cesse de vous y encourager depuis plusieurs années. Les accords obtenus dans le cadre du bilan de santé permettent désormais l'utilisation de crédits communautaires pour cofinancer les incitations nationales : à partir de 2010, la prise en charge publique pourra atteindre 65 % de la prime et sera constituée à 75 % de crédits communautaires. Vous avez annoncé une enveloppe de 100 millions d'euros pour l'assurance récolte ; définir les critères selon lesquels les phénomènes climatiques pourront donner lieu à indemnisation sera de première importance et la situation française devra être prise en compte. A quels emplois destinez-vous ces 100 millions ? Comment voyez-vous le basculement progressif entre le Fonds national de garantie des calamités agricoles et le système assurantiel ?
Je terminerai mon propos par des réflexions sur l'après 2013. Vous avez très opportunément lancé le débat au niveau européen, mais nos partenaires ne partagent pas tous notre vision des choses. Souhaitons-nous conserver une véritable politique agricole intégrée ou bien la fondre dans d'autres politiques, territoriale ou environnementale ? Cette dernière option est celle des Britanniques, qui ont depuis longtemps fusionné leurs ministères de l'agriculture et de l'environnement. Selon eux, le libre commerce peut à lui seul pourvoir à l'alimentation de nos concitoyens, les soutiens au monde agricole, en baisse et découplés, ne devant rémunérer que sa contribution à la préservation de l'environnement et à l'entretien des paysages. Comment voyez-vous l'évolution du rapport de force entre cette conception, qui dispose de relais dans les instances communautaires, et celle que vous avez défendu avec constance d'un modèle agricole équilibré, productif et durable ?
Telles sont les réflexions que m'a inspirées ce débat. Le nombre d'orateurs qui y participent prouve, une fois encore, l'importance que nous attachons à ces questions. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Michel Baylet. - Les émeutes de la faim provoquées en 2008 par l'envolée des prix agricoles ont frappé l'opinion et rappelé la fragilité de l'équilibre alimentaire mondial. Même si les prix sont depuis repartis à la baisse, ces événements ont montré l'extrême volatilité des marchés agricoles et remis en question une situation que l'on croyait acquise, celle d'une abondance globale assortie de prix accessibles et stables. C'est dire que l'exigence de régulation ne concerne pas seulement les marchés financiers, n'en déplaise à ceux qui, à Bruxelles et parfois à Paris, prônent la libéralisation des marchés agricoles.
L'agriculture fait vivre, elle a une fonction nourricière mais aussi économique. Elle occupe encore en France près de 800 000 actifs -dont les revenus sont hélas insuffisamment garantis. C'est pourquoi les gouvernements ne doivent pas rester passifs face aux crises qui affectent régulièrement le monde agricole, mais soutenir ceux qui travaillent et encourager l'installation des jeunes. Il faut le savoir : une ferme disparaît toutes les trois minutes en Europe.
Comment réguler ? Comment protéger les agriculteurs des aléas des marchés sans créer de distorsions de concurrence ? Comment soutenir leurs revenus sans effets pervers sur le niveau ou le choix des productions ? En 2003, des erreurs ont été commises, l'accord de Luxembourg organisant le démantèlement progressif des outils d'intervention. Après les négociations de novembre, monsieur le ministre, vous avez pourtant paru satisfait, rappelant que la France défendait les outils de régulation des marchés et plaidait pour une application souple par les États. Si certains de ces outils ont été préservés, trop de concessions ont été faites, notamment le découplage des aides ou la disparition des quotas laitiers : pour l'élevage, il faudra anticiper un soutien avant 2015 ; après, il sera trop tard, d'autant que nous connaissons les intentions de la Commission. Vous avez tenu un discours volontariste, monsieur le ministre ; il semble pourtant que dans les faits, la résignation l'ait emporté.
Certes la pression extérieure est forte ; nous savons d'où elle vient. Alors que l'Europe devrait imposer son propre modèle agricole, elle a trop tendance à se plier aux recommandations de l'OMC où règne pourtant la plus grande hypocrisie : alors que l'Union a considérablement réduit ses subventions depuis vingt ans, beaucoup de pays membres de l'OMC, dont certains comptent parmi les plus critiques vis-à-vis de l'Europe, ont mis en place des soutiens à l'exportation et de nombreux outils d'intervention. Aux États-Unis, le Risk Protection Act de 2000 et le Farm Bill de 2003 n'ont rien à envier à la PAC !
Dans la perspective de 2013, il faudrait donc s'en tenir à quelques principes fondamentaux. Dans toutes les négociations commerciales, l'Europe doit rappeler que son modèle agricole est exigeant en matière sanitaire, environnementale et sociale et que cela justifie une protection tarifaire. Elle doit conserver un budget à la hauteur des missions de son agriculture. Les objectifs de la PAC ont été redéfinis de manière très ambitieuse : on demande désormais aux agriculteurs de préserver les équilibres des territoires ruraux, de participer à la lutte contre le changement climatique et à l'amélioration de l'environnement. Tout cela est bel et bon, mais l'agriculture est d'abord une activité productive à laquelle il faut donner les moyens de subsister.
Le budget de la PAC est de plus en plus contraint. On a demandé aux agriculteurs de produire plus : ils l'ont fait. On leur a ensuite demandé de produire mieux : ils l'ont fait aussi. Aujourd'hui, on leur demande d'équilibrer le territoire : ils le comprennent. En retour, ils espèrent des marques de solidarité qui leur permettent tout simplement de vivre de leur travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, socialiste et CRC-SPG)
Mme Odette Herviaux. - Ce débat aura au moins eu le mérite de montrer que les problèmes agricoles et alimentaires sont de nouveau au coeur des préoccupations de nos concitoyens, du monde politique et même du microcosme gouvernemental, car on dit que votre portefeuille, monsieur le ministre, est l'objet de toutes les convoitises.
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. - Il paraît...
Mme Odette Herviaux. - Je me réjouis de ce regain d'intérêt, mais je souhaite bien du courage à votre successeur étant donné les difficultés auxquelles l'agriculture est aujourd'hui confrontée ; dans le secteur de l'élevage, tous les indicateurs sont au rouge.
Malgré nos désaccords, mes collègues et moi-même avons apprécié votre volonté de rester à l'écoute des élus ; grâce aux informations que vous nous avez communiquées, nous avons pu suivre presque en temps réel les négociations auxquelles vous avez participé.
Quarante-cinq ans après sa création, bien qu'elle soit l'un des succès majeurs de la construction européenne et malgré les réformes successives dont elle a fait l'objet, la PAC doit encore justifier son existence. Cette politique agricole commune -pesons chacun de ces trois mots- a pourtant permis à l'Europe, et plus particulièrement à la France, de devenir une grande puissance agricole et alimentaire. Certains ont cru que son objectif d'origine, l'indépendance et la sécurité alimentaire, était devenu obsolète, ce que démentent les fluctuations des marchés observées l'an dernier et la crise actuelle. Seule l'intervention de la puissance publique peut atténuer les variations à la hausse et à la baisse liées aux crises des marchés et aux aléas environnementaux, climatiques, sanitaires et politiques.
Nous continuons de nous opposer aux objectifs affichés par la commissaire Mme Fischer Boel qui souhaite « permettre avant tout à nos agriculteurs de répondre à une demande croissante et de s'adapter rapidement aux signaux du marché ». Comme elle l'a elle-même reconnu il y a quelques jours, c'est au Danemark que le revenu des agriculteurs a connu la baisse la plus forte, de l'ordre de 25 % : preuve éclatante de l'échec du modèle agricole des pays anglo-saxons et du nord de l'Europe. Le maintien de la diversité des structures et des produits et la régulation des productions agricoles sont plus que jamais nécessaires, car les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres. Les grandes organisations européennes et nationales regrettent que l'accord obtenu dans le cadre du bilan de santé de la PAC détricote méthodiquement tous les outils de régulation, par le découplage quasi total des aides, la suppression programmée des prix d'intervention, ou encore l'abandon des quotas laitiers. Quelles en seront les conséquences sur la rentabilité des petites productions, les volumes produits, les modes de production et l'emploi ?
M. Roland Courteau. - Excellente question !
Mme Odette Herviaux. - Il est paradoxal d'abolir les quotas laitiers alors que le marché du lait s'est effondré et que certains pays, dont la France, n'arrivent même pas à produire autant que les quotas le permettent.
M. René-Pierre Signé. - C'est bien pour cela que nous buvons du vin !
Mme Odette Herviaux. - Dans certaines zones géographiques, notamment en montagne, les effets de cette décision pourraient être très lourds. Les mesures d'accompagnement que vous proposez risquent d'être insuffisantes. A quoi serviront les aides quand ce secteur aura disparu de certaines régions ?
Décidément, la PAC ne peut se borner à accompagner marginalement quelques secteurs et à abandonner les autres aux forces instables du marché.
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Odette Herviaux. - L'Europe a plus que jamais besoin d'une politique publique forte pour son agriculture et sa filière agro-alimentaire : c'était déjà la conclusion du rapport que je vous ai remis au nom de la région Bretagne au début de l'année 2008. Je sais ce que le dynamisme économique de cette région doit au développement de ce secteur. La PAC a permis de nourrir la population européenne et celle d'autres pays, tout en maintenant des hommes sur nos territoires. Mais je reconnais aussi ses effets néfastes : agriculture trop intensive, pollution des sols et des nappes phréatiques, perte de la biodiversité, assèchement des réserves d'eau, lessivage des sols, abus des produits phytosanitaires, disparition d'un très grand nombre de petites et moyennes exploitations et désertification de certaines régions.
Les aides doivent donc être conditionnées au respect des règles environnementales et sanitaires et des normes de production. Mais elles doivent aussi avoir pour objet la rémunération des services non marchands rendus à la société par l'agriculture. Cela permettrait de maintenir en activité autant d'agriculteurs que possible et de favoriser la transmission des exploitations dans les meilleures conditions.
L'autre grand reproche que l'on adresse à la PAC concerne son opacité et l'iniquité des aides versées. Un quart du budget bénéficie à 5 % des exploitations alors que 40 % d'entre elles se partagent 5 % des crédits.
M. René-Pierre Signé. - Eh oui !
Mme Odette Herviaux. - La filière des céréales accapare 50 % des fonds, celle des fruits et légumes en perçoit à peine 3 %. En outre, l'application des dernières réformes dans les différents pays de l'Union est caractérisée par de fortes disparités ; on ne peut pas dire que les décisions politiques françaises aient toujours été pertinentes : le choix de la référence historique de 2000 à 2002 pour le calcul des droits à paiement unique (DPU) a eu des conséquences dramatiques.
M. René-Pierre Signé. - Ce fut une erreur !
Mme Odette Herviaux. - J'ai vu dans mon département certains éleveurs mieux informés ou plus malins que les autres anticiper cette mesure en transformant des prairies en champs de maïs dès 2000 pour gonfler leurs rentes de 2003. C'est difficile à comprendre dans une région qui se bat pour restaurer la qualité de ses eaux de surface ! Le refus systématique d'avoir recours à l'article 69 pour favoriser l'agriculture plus durable, notamment le « bio », nous contraint aujourd'hui à tenter de combler notre retard dans le cadre du Grenelle.
Que penser de la mise en oeuvre nationale du bilan de santé de la PAC ? Le nouvel article 68 permet de prélever jusqu'à 10 % des aides directes pour les orienter vers des territoires et des filières en difficulté ; le Parlement européen avait même proposé de relever ce plafond à 15 %. Vous avez décidé de le limiter à 5 % : est-ce une première étape ou ce taux restera-t-il inchangé jusqu'en 2013 ?
Vous dites, monsieur le ministre, vouloir une PAC « plus légitime, plus transparente, plus juste ». Peut-on parler d'une PAC plus légitime ? Le découplage des aides est-il compatible avec la poursuite des réformes de 2003 ? Comment justifier le versement d'aides sans lien avec l'acte de production et sans obligation de continuer à produire ?
Peut-on parler d'une PAC plus transparente, alors que l'on inclut des mesures de gestion de crise dans le deuxième pilier et des mesures de développement rural et d'aménagement du territoire dans le premier pilier, via l'article 68 ? La structuration de la PAC en deux piliers est-elle toujours pertinente et viable ? Par la réduction du budget de la PAC, on risque de vider de sa substance le premier pilier qui devrait assurer la régulation des filières et des marchés. Le deuxième pilier, toujours très faible, suffira-t-il à lutter contre le changement climatique et à répondre aux enjeux de l'assurance récolte et du développement rural ? Je ne parlerai pas de la production d'énergie issue de produits agricoles alors que le principal défi des prochaines années est celui de l'alimentation. Il vaudrait mieux chercher à valoriser les déchets, notamment dans la filière du bois qui a gravement souffert de la tempête Klaus.
Peut-on parler d'une PAC plus juste, alors que vous n'abordez pas la question du plafonnement des aides dans votre présentation des options nationales ? Les institutions européennes se sont pourtant mises d'accord sur une mesure a minima : l'instauration d'un taux de modulation plus élevé de quatre points pour les montants dépassant 300 000 euros.
Le Parlement européen avait pondéré ce plafonnement en fonction du nombre d'actifs afin de ne pas pénaliser les exploitations des nouveaux pays entrants, qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre. Peut-être cela est-il fondu dans le cadre de l'augmentation globale de la modulation ? Si tel est le cas, quels montants sont concernés ? Les prélèvements pour modulation sur les aides se font au premier euro... Ne pourrait-on pas prévoir aussi un plancher pour les plus petits revenus ou les plus petites surfaces ?
Enfin, que dire de la décision d'enveloppe supplémentaire pour les grandes cultures ? Ce n'était pas votre décision originelle mais quelques centaines de producteurs de céréales sont mieux entendus par le Président de la République que des centaines de milliers de manifestant pour leur emploi et leurs droits sociaux...
M. Didier Guillaume. - Très bien !
Mme Odette Herviaux. - L'application d'un découplage total des aides aux grandes cultures et leur réorientation en partie vers les surfaces en herbe a permis de dégager un reliquat de 460 millions. Les professionnels devaient définir les critères de répartition mais vous aviez annoncé le 23 février que ce solde pouvait servir au rééquilibrage au sein des filières comme dans les zones intermédiaires ayant des rendements moins élevés, ce que le syndicat majoritaire a refusé. Après quelques manifestations de céréaliers et juste avant le congrès de ce syndicat qui s'annonçait explosif, le Gouvernement a annoncé mobiliser 170 millions supplémentaires pour les exploitations spécialisées en grandes cultures. Ces aides seraient d'origine communautaire mais sur quelle enveloppe seront-elles ponctionnées, donc au détriment de quoi ? Et que permettront-elles de financer ? L'ARF est attachée à une réflexion sérieuse sur les avantages et les inconvénients que représenterait une véritable régionalisation des aides.
Avant de conclure, je souhaite évoquer nos craintes quant à l'avenir de la PAC après 2013, et peut-être même avant. Il y a d'abord le problème de son financement : plus on en demande à nos agriculteurs -environnement, qualité, traçabilité, sécurité, abondance, bien-être animal, lutte contre le réchauffement climatique-, plus on rechigne à y mettre le prix. Ce n'est pas en insistant sur un plafonnement du budget de l'Union à 1 % du RNB que l'on pourra sauver une véritable politique agricole commune, bien armée pour affronter d'une seule voix les futures négociations à l'OMC. Car il s'agit bien là du prochain défi de la PAC : faire accepter de nouveaux facteurs légitimes de régulation du commerce international des denrées alimentaires afin de ne pas pénaliser nos producteurs par des concurrences déloyales. Il faudra bien un consensus des Vingt-sept sur des valeurs sociétales. Pour cela, je compte sur la volonté et l'efficacité du futur Parlement européen. (Applaudissements à gauche)
M. Daniel Soulage. - Depuis près de cinquante ans, la PAC est la principale politique européenne. Elle a fait de l'Europe une grande puissance agricole. Depuis le début des années 90, elle a prouvé sa capacité à se réformer pour mieux répondre aux attentes de la société. Désormais, elle n'a plus pour unique objectif d'encourager la production, mais elle vise à garantir une agriculture européenne compétitive, capable de maintenir la vitalité du monde rural et de répondre aux exigences de qualité et de sécurité des denrées alimentaires tout en respectant l'environnement et le bien-être animal. La réforme quasi permanente de la PAC a abouti à un découplage allant de pair avec une modulation de plus en plus marquée. Le bilan de santé en marque l'achèvement : seules quelques rares productions resteront couplées dans les années à venir. Parallèlement, la modulation des aides est accrue, même si vous avez réussi, monsieur le ministre, à minimiser le niveau du transfert du premier vers le second pilier, initialement prévu par la Commission.
Les décisions prises par les ministres de l'agriculture, pour douloureuses qu'elles soient pour tous les agriculteurs, n'en sont pas moins indispensables. Le cadre financier de la PAC, qui a été fixé en 2002 pour les dix années suivantes, sera remis en cause après 2013, les nouveaux pays entrants, avec leur fort secteur agricole, devant bénéficier d'une part beaucoup plus large des aides qui, cependant, restent stables.
La France demeure la première bénéficiaire de cette politique, avec 10,5 milliards par an. Un ajustement de la PAC était indispensable ; c'est l'enjeu du bilan de santé. La commission européenne avait publié, fin novembre 2007, un premier état des lieux assorti de grandes lignes d'orientation. Puis au mois de mai 2008, elle a formulé une série de propositions de modernisation et de simplification. L'adoption de ce bilan de santé était une des priorités de la présidence française. Vous avez réussi, monsieur le ministre, à mener à bien ces négociations et à faire un difficile travail de conciliation malgré la situation que vous avez trouvée. Soyez-en remercié.
L'accord obtenu est loin d'être satisfaisant. Vous avez dû faire avec une proposition initiale de la commission à laquelle la France n'était pas favorable. Le résultat, qui ne fait pas l'unanimité parmi les agriculteurs et leurs représentants, consacre un pas supplémentaire vers une dérégulation de la politique agricole commune européenne. Les outils de régulation voient leur portée réduite, comme c'est le cas pour les dépenses d'intervention, ou menacée à terme, comme les quotas laitiers, tandis que le découplage de la quasi-totalité des aides est décidé. C'est donc bien la fin d'une certaine PAC.
Si je ne remets nullement en cause la nécessité d'adapter cette politique dans la perspective de l'après 2013, je regrette la disparition d'outils de régulation économique, qui ont prouvé leur utilité et leur efficacité. Alors que les cours des matières premières agricoles sont extrêmement volatiles, il est dommage de se priver de ces outils.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 18 % des aides, soit 1,4 milliard d'euros, seront réattribués dès 2010 sur d'autres bases que des références historiques individuelles. Vous avez répété votre conviction que, si nous voulions préserver l'essentiel, il était nécessaire d'accepter ces mesures dont vous n'avez pas nié le caractère douloureux. Je partage votre sentiment. Nous n'avons pas encore mesuré à quel point 2013 risque d'être une fracture profonde à laquelle il est indispensable de se préparer dès à présent. Le plan que vous nous proposez met l'accent sur l'élevage à herbe et les cultures herbagères et sur d'autres activités défavorisées, comme l'élevage caprin et ovin. Cette évolution nécessaire rétablit une plus grande justice dans la distribution des aides de la PAC. En effet, à l'heure actuelle, les grandes cultures représentent près de 69 % de ces aides en montant alors qu'elles ne représentent que 23 % des exploitations. Il est indispensable de garantir une plus grande homogénéité du revenu des agriculteurs, lequel varie énormément selon les secteurs d'activité et les modes de production.
Ce rééquilibrage va également se traduire par une réorganisation géographique. Selon l'Inra, la redistribution induit un transfert des régions localisées au nord d'une ligne Bordeaux-Metz vers celles situées au sud de cette ligne où se trouvent la quasi-totalité des zones défavorisées. La redistribution des aides pénaliserait 159 000 exploitations professionnelles sur les 322 000 recensées en 2007. Dans ces conditions, peut-être aurait-on pu échelonner sur plusieurs années les transferts d'aides ? En effet, l'année 2008 a été marquée par la hausse générale des prix des moyens de production, énergie et engrais, alors que le prix des céréales marquait un net repli après la très forte hausse de 2007. Après deux années de très forte hausse, le revenu net par actif de l'ensemble de la branche agriculture a ainsi baissé de 15 % en 2008.
Le Gouvernement a prévu une aide de 170 millions pour accompagner les exploitations fragilisées par la réorientation des aides. Cette dotation sera-t-elle pérenne jusqu'en 2013 ?
Je souhaite attirer votre attention sur la situation de régions intermédiaires comme le Lot-et-Garonne. Nous y avons à la fois des potentiels agronomiques, des niveaux d'aides et de revenus plus faibles. Or l'Inra estime que les agriculteurs de ces zones intermédiaires pourraient perdre jusqu'à 30 % de leur revenu. La chambre d'agriculture d'Aquitaine confirme ces données : pour mon département du Lot-et-Garonne, ce sont 15 millions sur 83 millions qui vont être supprimés. Heureusement, l'aide à la prune est préservée, ce dont je vous remercie.
Vous avez suggéré la possibilité d'une aide rotationnelle pour limiter le poids des prélèvements programmés dans les zones intermédiaires. Qu'entendez-vous par là ? Cette aide doit être allouée sur des critères simples, correspondant à la réalité des exploitations ; l'irrigation des parcelles ne doit pas être un obstacle et surtout il ne faut pas multiplier les contraintes administratives. Quant aux aides à l'herbe, le détail des mesures est très important : si la subvention était limitée aux 50 premiers hectares, cela ne concernerait que peu d'élevages dans mon département, tandis que l'application des critères de spécialisation en matière d'élevage exclurait tout mon département.
Enfin, vous connaissez mon engagement de longue date pour la mise en place d'une véritable assurance agricole. Je me félicite donc que la couverture des risques climatiques et sanitaires fasse partie des quatre objectifs du bilan de santé. Vous avez annoncé que 100 millions seront destinés à la généralisation de l'assurance récolte et 40 à la création d'un fonds pour indemniser les conséquences des incidents sanitaires sur les productions animales et végétales. La mise en place d'une assurance récolte à grande échelle, même si elle n'est pas obligatoire, aura un impact financier très important pour l'État : l'Espagne dépense 280 millions à ce titre alors que 50 % des exploitations seulement sont assurées. A-t-on prévu la prise en compte par I'État de la garantie de réassurance ? C'est une condition indispensable à un engagement massif des assureurs et donc à la généralisation de l'assurance récolte à une majorité d'exploitations. II en est de même pour le fonds sanitaire. Si l'on compare les 40 millions de dotation à ce qu'a coûté la seule FCO, on peut douter de l'efficacité de cet outil. Depuis 2008, ont été mobilisés plus de 82 millions pour les aides à la vaccination, 130 pour les aides économiques en soutien aux filières d'élevage et 19 pour les autres mesures vétérinaires. On peut discuter du montant des crédits proposés ; je tiens à dire qu'il s'agit de sommes importantes qui permettront la mise en place d'outils indispensables à notre agriculture.
Je me réjouis de l'orientation choisie par le Gouvernement, qui marque une rupture dans la gestion des crises agricoles. II me reste à vous féliciter, monsieur le ministre, pour ces deux ans passés à la tête de ce beau ministère, que vous avez su réformer et moderniser. De la FCO aux OGM, en passant par les blocages de ports ces dernières semaines, vous avez dû faire face à de nombreuses difficultés.
Je vous remercie d'avoir su sauvegarder les intérêts de l'agriculture et des agriculteurs. Enfin, je veux rendre hommage à votre disponibilité et à votre sens de l'écoute. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Gérard César. - Je souhaite vous rendre un hommage sincère et appuyé, monsieur le ministre, alors que vous allez nous quitter d'ici peu pour d'autres fonctions. Deux ans durant, vous avez mis à profit votre grande expérience des hautes instances européennes pour sauvegarder le modèle agricole auquel nous sommes attachés. Le bilan de santé dont nous discutons aujourd'hui n'aurait sans doute pas eu le même contenu si vous n'aviez eu de cesse de préserver nos intérêts agricoles.
S'agissant de l'OCM vitivinicole, nous avons adopté, il y a un an et demi, deux résolutions pour vous soutenir alors que se profilait une réforme européenne à laquelle nous étions opposés. Votre détermination face à la commissaire européenne et à vos homologues de l'Union a permis d'aboutir à une réforme de l'OCM satisfaisante sur les points les plus importants, comme l'arrachage, la distillation, la chaptalisation et les pratiques vitivinicoles. Le règlement portant cette nouvelle OCM est rentré en vigueur le 1er août 2008. Quelles en sont les modalités de mise en oeuvre alors que notre filière vitivinicole connaît à nouveau des difficultés ? Pensez-vous que les instances européennes voudront faire rentrer cette OCM dans l'OCM unique, alors que nous avions combattu cette orientation à l'époque ?
J'en viens au dossier du vin rosé : j'ai été chargé par mes collègues de la commission des affaires économiques de rapporter la proposition de résolution que j'ai déposée avec mon collègue Sutour et qui s'oppose au règlement européen levant l'interdiction du coupage des vins blancs et rouges. Hélas, la France est isolée mais il n'est pas question que l'Europe adopte une mesure qui induira une concurrence faussée, nuira à la qualité et à l'image des AOC et trompera le consommateur.
Grâce à vous, l'examen de ce texte a été repoussé par la Commission européenne au 19 juin prochain, pour laisser le temps à l'OMC de se prononcer à son égard. De quelle manière ce dossier va-t-il évoluer ? Je présenterai un rapport en commission des affaires économiques la semaine prochaine. Pensez-vous qu'une proposition de résolution vous permettrait de débloquer la situation ?
J'en viens à l'assurance récolte. La tempête Klaus a fait des dégâts considérables dans la forêt du sud-ouest, sans doute supérieurs à ceux de 1999 : 300 000 hectares ont été touchés, dont certaines zones à 90 %. 38 millions de mètres cubes de bois sont au sol et l'industrie ne peut les traiter d'un seul coup, d'où le stockage sous aspersion pour protéger le bois des insectes et du bleuissement. L'Office national des forêts a évoqué une perte équivalente à quatre ans de récolte. Face à cette situation catastrophique pour les sylviculteurs de la région, vous avez mobilisé une enveloppe de 415 millions pour l'aide au nettoyage et au reboisement entre 2009 et 2017. Cela ne sera sans doute pas suffisant car l'on évoque le chiffre de 630 millions pour répondre aux besoins. Il nous faut aujourd'hui aller plus loin en mettant en place des dispositifs de prévention des risques économiques liés à ce type de catastrophe, qui est la deuxième que nous subissons en une décennie. Or, il y a peu d'assurances en matière forestière. Les sylviculteurs sont exclus du régime de catastrophe naturelle et ne bénéficient pas des mêmes indemnisations que les particuliers. Ne serait-il pas possible de profiter des aides accordées par Bruxelles dans le cadre du bilan de santé de la PAC pour développer des produits assurantiels dans le secteur forestier ?
Les professionnels demandent la création d'un fonds spécifique d'indemnisation et d'aide au reboisement pour satisfaire à l'obligation légale de reboiser.
Je tiens à nouveau à vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir si bien défendu notre modèle agricole. Je vous souhaite également bonne chance pour vos futures fonctions où, à n'en pas douter, vous continuerez à porter un regard bienveillant sur le monde agricole et la politique européenne le concernant. (Applaudissements à droite)
M. Aymeri de Montesquiou. - Depuis plus de quarante ans, la politique agricole commune façonne l'environnement quotidien de millions d'agriculteurs et de consommateurs européens. En dépit des crises et des critiques, elle a permis à l'agriculture européenne de se maintenir dans des régions difficiles, de se développer, de produire des produits de qualité. Au fil des ans, la PAC s'est profondément réformée pour s'adapter aux marchés, au contexte international et aux attentes des consommateurs. On a assisté à un alignement progressif des prix de soutien sur les prix mondiaux, compensé par des aides directes de la production finalement découplées.
La réforme de 2003 a sans doute apporté les inflexions les plus marquantes, en contrepartie d'une stabilité budgétaire assurée jusqu'en 2013. Elle avait prévu un bilan de santé à mi-parcours, qui s'est conclu par un accord en novembre dernier sous présidence française. Nous savons, monsieur le ministre, que vous vouliez préserver les fondamentaux de la PAC et parvenir à un accord. Celui-ci est moins libéral que l'option initialement proposée par la Commission. Bien que deux rendez-vous soient prévus en 2010 et 2012 pour ajuster les quotas laitiers à l'évolution des marchés, leur suppression programmée suscite des inquiétudes. Le découplage quasi total des aides aura également des conséquences destructrices dans certaines régions où les possibilités de diversification sont rares.
Toutefois, le bilan de santé comporte beaucoup d'éléments positifs : il préserve les mécanismes d'intervention pour les céréales et les produits laitiers. Il permet de participer au financement par la PAC des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires, ce qui permet de garantir les revenus : les agriculteurs du Gers en savent quelque chose après la fièvre catarrhale et la tempête de janvier dernier qui les ont durement touchés. Enfin, il permet d'intervenir si des secteurs rencontrent des problèmes spécifiques. La France pourra ainsi réorienter 1,4 milliard et vous nous avez annoncé le rééquilibrage des aides au profit de la filière ovine et, plus généralement, de l'élevage à l'herbe, auparavant délaissés. Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des zones intermédiaires. Ainsi, dans le Gers, certaines exploitations devraient bénéficier de la réorientation des aides, d'autant qu'elles pourraient se trouver confrontées à des transformations auxquelles elles ne sauraient faire face. Quelles mesures d'accompagnement entendez-vous mettre en place pour ces zones intermédiaires ?
Au-delà de ce bilan de santé, la PAC de l'après 2013 nous préoccupe. Les réformes successives n'ont été trop souvent que le fruit d'arbitrages budgétaires ou bien elles ont été guidées par les seules contraintes internationales. De quelle PAC voulons-nous ? Comment préserver une agriculture compétitive sur tout le territoire européen ? Comment répondre à l'impératif alimentaire européen et international ? Il ne serait pas cohérent d'entamer les discussions sur les perspectives budgétaires de l'Union avant de parler du fond. L'ambition politique doit orienter le débat budgétaire, et non l'inverse ! Vous avez d'ailleurs tenté d'ouvrir ce débat politique sur l'avenir de la PAC en septembre à Annecy, mais il n'a pas abouti du fait des réticences de certains de nos partenaires. La France doit continuer de porter ce débat, d'autant qu'elle ne peut plus être accusée d'être intéressée : en 2013, elle sera contributrice nette.
La nouvelle légitimité de la PAC doit reposer sur des objectifs cohérents et des moyens d'action renouvelés. Les égoïsmes nationaux doivent passer après les grands projets européens. L'agriculture est un projet majeur, structurel, social et économique. L'impératif de sécurité alimentaire est stratégique : la demande mondiale doublera d'ici vingt ans et l'ONU estime que plus d'un milliard d'êtres humains auront chroniquement faim d'ici 2025. L'agriculture peut aussi répondre au défi de la performance énergétique, avec les biocarburants. Elle assume enfin une fonction de vitalisation rurale et d'entretien de l'espace. Certains pays plaident pour une renationalisation partielle de la PAC : l'Europe ne doit pas tourner le dos à son agriculture quand les États-Unis soutiennent massivement leurs producteurs. Il n'est pas concevable non plus, alors que l'Europe a déjà fait de nombreuses concessions, que l'OMC continue à prôner un dumping général en matière agricole. La seule loi du marché ne peut gouverner l'agriculture. Il faut maintenir des outils de régulation et de gestion de l'offre, seuls à même de répondre à la volatilité des prix. Ces outils peuvent s'avérer plus efficaces et surtout moins coûteux que les compensations en cas de crise.
Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour continuer à défendre au Parlement européen les principes fondateurs de la PAC que sont la solidarité financière et la préférence communautaire, qui n'est autre que l'exigence de réciprocité sur le plan international. La PAC a joué un rôle fondamental dans la construction européenne. Aujourd'hui, elle doit non seulement renouer avec l'Europe des projets partagés mais elle s'est découvert de nouvelles ambitions. (M. Joël Bourdin applaudit)
Mme Bernadette Bourzai. - L'opinion publique est peu indulgente à l'égard de la PAC : elle la perçoit comme illisible et coûteuse alors que l'agriculture est devenue une activité méconnue pour une grande majorité de nos concitoyens et qu'ils se méfient de l'Europe.
Lorsque la France a pris la présidence de l'Union européenne, vous vouliez changer cette perception et replacer l'agriculture et la PAC dans le contexte mondial de la crise alimentaire. La conférence « Qui va nourrir le monde ? » était particulièrement bienvenue et augurait d'une prise de conscience au niveau européen en préalable au débat sur le bilan de santé. Malheureusement, les Vingt-sept n'ont pas partagé votre enthousiasme, d'où l'accord a minima qui a été signé le 20 novembre. Parallèlement, l'annonce du Président de la République le 19 février et les récents arbitrages du Gouvernement comportent des ambiguïtés. Certes, la répartition des aides en faveur des éleveurs a été modifiée. Les inégalités étaient en effet très fortes et l'élevage ovin connaissait une situation critique. Mais ce rééquilibrage a été en partie atténué dans un deuxième temps au profit des céréaliers lorsqu'une rallonge de 170 millions leur a été accordée.
Les réactions, dans le monde agricole, ont été mitigées. Est-ce parce que ces décisions expriment un compromis ? N'est-ce pas plutôt parce qu'elles sont de court terme, prises dans un cadre national, et ne rassurent pas sur l'avenir de la PAC après 2013 ? Les questions essentielles de ce que peut et veut faire l'Europe sur la question centrale des équilibres de l'offre et de la demande ont été laissées de côté. On leur a substitué une liste d'objectifs larges auxquels personne ne peut ne pas souscrire : notamment rendre la PAC plus légitime et aborder 2013 dans de meilleures conditions.
Mais si l'élue de Corrèze que je suis a quelques raisons d'être satisfaite des rééquilibrages effectués, l'élue nationale et l'ancienne députée européenne s'inquiète de constater qu'ils ne s'inscrivent pas dans un courant plus puissant en faveur de la régulation indispensable de l'économie agricole européenne et mondiale.
Les ambiguïtés de votre politique issue des ajustements du bilan de santé doivent être soulignées. Les souplesses introduites par la dernière réforme de la PAC, pour la répartition des aides au niveau national, ont été utilisées dans le bon sens : 18 % des aides vers l'élevage ovin et bovin, les zones à handicaps naturels et les secteurs en difficulté. L'augmentation moyenne sera de 30 % pour les élevages ovins s'ils sont sur des systèmes herbagers et en montagne : c'était indispensable. Les exploitations de grande culture seront contributrices, mais les éleveurs aussi puisqu'ils acceptent le découplage à 25 % de la PMTVA. Un retour vers ce secteur est possible grâce aux aides aux légumes et aux fourrages ainsi qu'au dispositif d'assurance récolte.
Le soutien à l'agriculture biologique, qui mérite d'être développée, pour des raisons sanitaires, et protégée contre les importations lointaines, donc polluantes, et incertaines, est également bienvenu. Il y a un réel intérêt à développer les circuits courts qui rassurent les consommateurs et recréent des liens avec les producteurs locaux.
J'assistais vendredi dernier à l'assemblée générale de l'Association des éleveurs de Corrèze (Adeco) : les producteurs de viande bovine ont perdu 50 % de revenus en 2008, du fait de l'augmentation des charges et des conséquences de la fièvre catarrhale. Les éleveurs ont souligné les pertes financières considérables subies du fait des errements relatifs à la vaccination et de la fermeture du marché italien, forçant au maintien de broutards sur les exploitations pendant des mois. Le « plan Barnier », comme ils l'appellent, se révèle très insuffisant à compenser ces pertes.
Si la fièvre catarrhale ovine n'a pas causé une surmortalité notable, ses effets sur l'avortement ou l'infécondité sont importants : déficit de 22 % des vêlages au plan national, soit 260 000 veaux en moins. Ces pertes ne seront pas sans conséquence sur les productions de broutards en 2009, et donc sur l'économie des départements naisseurs du bassin allaitant tout entier. S'y ajoutent un afflux de vaches laitières de réforme et une baisse de la consommation de viande bovine qui, saturant le marché, suscitent une baisse des prix à la production, dont le consommateur ne bénéficie pas.
L'inquiétude est forte chez les éleveurs, à l'orée de la saison estivale, face à la reprise possible de la fièvre, d'autant que les simulations des aides européennes à l'horizon 2012 ne sont guère enthousiasmantes.
Le rééquilibrage prévu ne permet, selon l'Adeco, que « de limiter la casse sans certitude pour l'avenir ». Seuls les éleveurs de veaux de lait élevés sous la mère peuvent espérer une hausse modeste des aides à l'horizon 2012, du fait de la prime au veau labellisable. Mais les éleveurs de broutards verront leurs aides stagner et les naisseurs-engraisseurs perdraient même une partie de leur montant du fait de la suppression des primes à l'abattage et aux céréales. Il faudra donc être très volontariste sur la répartition des aides vers les zones intermédiaires si l'on veut y conserver une polyculture diversifiée, sans oublier le renforcement spécifique des compensations des handicaps naturels, notamment en montagne.
Or votre politique manque de cohérence, en particulier sur la question du lait. En montagne, les éleveurs vont bénéficier d'une meilleure répartition des aides. Mais s'ils continuent à produire du lait, les revenus qu'ils vont en tirer risquent de diminuer puisque les quotas laitiers sont progressivement relevés avant d'être définitivement supprimés après 2015. A l'occasion du dernier conseil des ministres, vous avez soutenu vos collègues hollandais et allemand sur les réponses à apporter à la dégradation des marchés laitiers et appelé à une « mobilisation résolue et accrue des outils destinés à soutenir les cours ». Vous avez raison. Mais quelles réponses a-t-on apportées en ce sens ?
La question du lait illustre parfaitement l'ambiguïté de la politique conduite par la Commission, favorable à la libéralisation dans le domaine de l'économie agricole. Et le bilan de santé de la PAC se situe dans la continuité des réformes poursuivies depuis 1992, qui démantèlent les uns après les autres les outils de gestion publique et de régulation de l'agriculture : la disparition des quotas en fait partie, de même que le gel des outils d'intervention, la politique de découplage et la disparition des jachères.
Cela ne rassure pas sur 2013. Malgré les efforts que vous avez déployés, aucun accord n'est intervenu. J'ajoute que les déclarations du secrétaire d'État tchèque, en juillet dernier, sur une PAC qu'il veut « plus libérale, plus ouverte, plus flexible et moins coûteuse » augurent mal des négociations futures. A la lumière des réalités, le gouvernement tchèque a-t-il modifié ses positions ?
Il faut inscrire l'avenir de la PAC dans le contexte de la mondialisation et de la sécurité alimentaire. On ne le fera pas par la libéralisation des marchés. Je me réjouis, en ce sens, de l'adoption par le Parlement européen du rapport Mac Guinesse. Songeons aux émeutes de la faim de l'hiver 2007-2008. La FAO s'alarme de l'augmentation du nombre des mal nourris.
Le contexte, marqué par la crise alimentaire et les changements climatiques, impose de revenir aux fondamentaux, pour prévenir la spéculation et développer des moyens de stockage. Le renforcement de l'Union européenne passe par la construction de nouvelles politiques intégrées, et certainement pas par la destruction de celles qui existent, comme la PAC. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Antoine Lefèvre. - Les décisions retenues pour la mise en oeuvre de l'accord du 20 novembre 2008 sur le bilan de santé de la politique agricole commune ont été annoncées lors du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire du 23 février 2009. Il a été décidé de réorienter les aides vers les productions les plus fragiles.
L'avenir de la PAC ne se réduit pas à la seule question de la répartition des aides en agriculture et ce bilan de santé devrait permettre d'en poser les bases autour de la gestion des risques, par la mise en place de vraies alternatives, pour une véritable organisation des marchés, et afin de maintenir les filières et les hommes sur tous les territoires.
Les agriculteurs de l'Aisne, et plus largement ceux de la région Nord, et parmi ceux-ci les jeunes agriculteurs, sont très inquiets. La contribution de la région nord-parisienne à la valeur de la production agricole française est de 13 milliards d'euros. Un actif sur quinze travaille dans le secteur agricole. Si les nouvelles mesures annoncées sont maintenues en l'état, elles représenteraient un prélèvement d'environ 30 millions sur le seul département de l'Aisne.
Le mythe des grandes cultures associé à un revenu confortable a depuis beau temps vécu ; les soutiens directs constituent une large part du revenu brut des exploitations, compte tenu de la volatilité des prix de marchés. Les prix, après leur chute du deuxième semestre 2008, continuent de baisser. Les informations que nous pouvons avoir sur le déroulement de la campagne 2009-2010 ne permettent pas d'envisager un retournement de tendance. L'impact d'un tel prélèvement serait extrêmement brutal et fragiliserait l'économie de toutes nos régions.
Monsieur le ministre, vous avez fondé ces décisions sur le fait que les prix allaient être durablement élevés. Ce n'est pas le cas. Pouvez-vous nous dire comment l'application française du bilan de santé prépare l'avenir ? Les professionnels demandent que le prélèvement soit au moins progressif et le retour du solde de l'aide couplée Scop (surface céréales, oléagineux et protéagineux) aux producteurs historiques, et enfin une plus grande lisibilité des politiques en place au-delà de 2013. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jacques Muller. - Le débat que nous menons aujourd'hui sur la PAC est bien dans l'air du temps : en ces temps de crise économique et sociale, qui pourrait bien faire oublier la crise écologique, il est bon de rappeler que la PAC elle aussi est en crise... et depuis de nombreuses années. Quel paradoxe que de voir les agriculteurs, qui exercent l'un des plus beaux métiers du monde car leur fonction première est de nourrir les autres, regardés avec suspicion. La crise de confiance est là, l'image stéréotypée de l'agriculteur-pollueur a fini par s'imposer.
Deux convictions devraient nous réunir. D'abord, que les agriculteurs sont des acteurs économiques comme les autres, qui exercent leur activité dans le cadre économique qui leur a été tracé. Ne stigmatisons pas une profession dont les pratiques ne font que s'inscrire dans les orientations de la politique agricole. Ensuite, que l'agriculture est une activité particulière. Produire de la nourriture revêt une dimension stratégique indiscutable, historiquement vérifiée. Si, comme l'a théorisé Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens », le concept d'arme alimentaire relève de la même logique détestable. La production agricole et les revenus des agriculteurs ne peuvent rester soumis aux seules lois du marché : la formation des prix en agriculture est soumise à de multiples aléas, notamment climatiques ; il en résulte une fluctuation des prix agricoles considérables, souvent erratiques, qui perturbent la production et les revenus des agriculteurs.
Une régulation est donc indispensable : l'agriculture ne saurait être abandonnée à la seule « main invisible » du marché.
Mais c'est une réflexion sur les enjeux qui doit guider le choix des outils. Ces enjeux ne sont plus aujourd'hui ceux de la PAC des années 60, où la priorité était de produire plus pour résorber le déficit alimentaire structurel de l'Europe. Il en résultait logiquement la mise en place d'un système de soutien des prix, faisant baisser le prix relatif des intrants par rapport à ceux des produits agricoles.
Les rendements étaient ainsi poussés au maximum et l'objectif dépassé dès le milieu des années 80.
En 2009, le monde a changé en profondeur. Le premier enjeu stratégique auquel nous devons faire face est l'inscription de la nouvelle PAC dans la problématique agricole et alimentaire mondiale, comme le soulignait Edgard Pisani lors du colloque sur l'agriculture tenu au Sénat le 9 avril. Pour l'ancien ministre de l'agriculture et père de la PAC, la question alimentaire sera primordiale durant les prochaines décennies du fait de la hausse de la population mondiale, de la diminution des surfaces cultivées, de la concurrence des agro-carburants, de l'accumulation des excédents agricoles des pays industrialisés qui ruinent les agricultures du tiers-monde...
L'Europe doit cesser d'accroître sa production agricole au mauvais prétexte de nourrir le monde. La souveraineté alimentaire reste un principe intangible et le concept d'arme alimentaire n'entre pas dans la culture européenne. En outre, l'agriculture vivrière reste la base du développement des pays sous-développés comme autrefois pour celui des pays industrialisés. L'Europe ne peut plus être complice du désastre actuel, qui voit les villes nourrir les campagnes par les importations et autres excédents agricoles bradés : il n'y a pas pire pour bloquer le développement de l'agriculture vivrière et paysanne. L'Europe doit également cesser de fonctionner comme un aspirateur mondial à protéines : la reconquête de notre souveraineté alimentaire passe par la valorisation de la production à l'herbe et le développement des cultures d'oléo-protéagineux.
Le deuxième enjeu stratégique consiste à réduire massivement la pression de l'agriculture sur l'environnement : pollution en nitrates et pesticides et épuisement des nappes phréatiques ; atteintes à la biodiversité à travers l'artificialisation des milieux ; dégradation et pollution de l'air ; bilan énergétique global toujours plus négatif en raison de la substitution capital-travail... La PAC nouvelle doit engager le basculement vers une agriculture nouvelle, dont 30 % serait biologique d'ici 2020 et le reste en haute valeur environnementale (HVE). Il ne s'agit d'ailleurs pas de créer un nouveau label mais d'évaluer la durabilité des exploitations agricoles sur la base d'outils validés scientifiquement comme l'indicateur de durabilité des exploitations agricoles (Idea). Le versement d'argent public au titre de la PAC devra intégrer des critères de durabilité car la récompense contractuelle de la vertu s'avère le seul moyen de faire évoluer en profondeur les systèmes de production et les pratiques agricoles.
Le troisième enjeu concerne la qualité des produits. La liste des crises alimentaires relevant de la santé publique ne cesse de s'allonger : veaux aux hormones, poulets à la dioxine, bovins affectés par l'ESB, aujourd'hui menace d'une pandémie de grippe porcine... L'érosion de la confiance des consommateurs dans la qualité des produits ne peut qu'être renforcée par les teneurs en pesticides mesurées dans certains vins, et dans les fruits et les légumes. Pour rétablir cette confiance, il ne suffit pas de réglementer, il faut favoriser la désintensification des systèmes de production au profit de la qualité.
L'emploi et l'aménagement du territoire constituent le quatrième enjeu. La concentration des exploitations a vidé nos campagnes et l'agriculture conventionnelle n'est plus porteuse d'emplois ni d'activités artisanales et de services. Les déséquilibres naturels entre régions agricoles n'ont cessé de se creuser. La nouvelle PAC doit mieux valoriser les externalités positives d'une agriculture génératrice d'emplois non délocalisables et productrice de paysages.
Au regard de ces enjeux, la PAC actuelle est hors sujet. Les subventions versées sont devenues globalement illégitimes ; en témoigne le premier pilier, qui mobilise l'essentiel des aides publiques. Sa déclinaison à la française à travers les DPU est emblématique d'une situation ubuesque : des rentes de situation ont remplacé la politique...
La non-dégressivité et le non-plafonnement des aides par exploitation accentuent encore la concentration : l'agriculture est le seul secteur économique où les pouvoirs publics subventionnent le capital au détriment du travail...
Selon Edgard Pisani, la reforme de la PAC a été une affaire de boutiquiers car elle n'a pas conduit à repenser l'agriculture et sa place dans la société. Il nous a rappelé que nous ne progresserons pas en ayant de petites idées : « Vous avez à mobiliser des rêves, des espoirs, en vue de dessiner un schéma qui a un sens ». Le moment est venu de proposer aux agriculteurs un contrat profondément renouvelé avec la société, c'est-à-dire de stopper la fuite en avant dans une agriculture industrielle, chimisée et déterritorialisée, et de promouvoir une agriculture paysanne, basée sur l'agronomie et l'agro-écologie, valorisant nos terroirs. Il nous faut refuser le leurre de la compétitivité mondiale pour choisir l'autonomie alimentaire, l'emploi, l'environnement et la qualité des produits.
Au plan national, nous devons avoir le courage politique de nous affranchir des lobbies. Au niveau européen, osons aller au conflit au sein des instances mondiales pour sortir enfin l'agriculture de l'OMC. Il s'agit non seulement de réorienter notre agriculture en fonction de nos priorités sociétales mais aussi de permettre aux peuples du tiers-monde de reconquérir leur souveraineté alimentaire. Comme le soulignait Guy Paillotin lors du colloque sur l'agriculture, « le nombre de personnes qui meurent de faim augmente. Or on nous avait dit que le libre échange des marchandises ferait que ce nombre diminuerait : ce n'est pas vrai... ». (Applaudissements à gauche)
M. Hubert Haenel. - Je commencerai par un souvenir personnel. L'année dernière, nous avons rencontré Jacques Barrot, alors commissaire européen aux transports. Au sujet de la PAC, il eut cette formule mémorable : « Ou bien la France initie la reforme de la PAC ou elle lui sera imposée ». Il ne s'agit donc pas de savoir s'il y aura une nouvelle réforme -les derniers instruments d'intervention sont éliminés peu à peu- ni quand cette réforme aura lieu -la préparation du prochain cadre financier 2014-2020 sera le grand rendez-vous de la PAC. La seule question posée est : la France en sera-t-elle copilote ou la subira-t-elle ?
L'analyse européenne s'est enrichie du nouveau concept de « valeur ajoutée européenne » pour juger de la légitimité d'une action ou d'un financement. Quelques commentateurs considèrent que la PAC n'a pas de valeur ajoutée européenne. La contestation ne porte donc plus seulement sur son budget, ses modalités, sa répartition ou son principe. Cette analyse me navre : on peut contester le budget de la PAC, la part de la France ou ses modalités, mais nier son intérêt revient à nier l'essence même du processus communautaire.
La PAC est la seule politique commune pleine et entière, le seul domaine où il y ait à la fois une stratégie, une politique, une réglementation et des moyens. Il peut y avoir des affichages politiques sans moyens, des réglementations sans budget, des crédits sans vraie politique, mais aucune autre politique n'est aussi complète. Ensuite, l'agriculture est l'un des rares domaines où les États ont abandonné leur souveraineté au profit d'un échelon supranational. Il s'agit d'une expérience historique et politique sans précédent. Critiquer l'absence de valeur ajoutée est un contresens, et même une injure pour les partisans de la construction européenne.
Bien conscient de cette dérive, vous avez riposté en demandant combien coûterait l'absence de PAC. J'étais un peu réservé sur la méthode, car la seule analyse financière me semble un peu partielle pour apprécier une politique ou une action, mais la critique de la PAC s'amplifie et il faut y répondre. Cette analyse prend alors tout son intérêt. Où en est ce projet ? Pensez-vous rendre public un document avant le lancement de la grande négociation budgétaire ?
Ma deuxième question porte sur les objectifs de la PAC, et en particulier la sécurité alimentaire. Le traité dispose seulement que la PAC a pour but « de garantir la sécurité des approvisionnements ». Certains considèrent que l'Europe ne risque pas la pénurie et peut garantir ses approvisionnements autrement qu'en développant sa propre production, mais la France ne se résigne pas à faire reposer l'alimentation des Européens sur des importations. Nous ne sommes pas les seuls à raisonner ainsi. Pour un de nos invités roumains, la sécurité alimentaire est de toute évidence un besoin vital, avant même la religion. Le Président de la République en a fait une priorité de la présidence de l'Union.
La France n'a pas été suivie : ce concept ne figure pas dans les conclusions du Conseil européen de fin de présidence, qui ne font que « souligner l'importance de l'accord sur le bilan de santé ». Pensez-vous que ce combat est perdu ou peut-on encore rallier une majorité d'États ? Faudra-t-il attendre la crise alimentaire en Europe pour s'apercevoir que la PAC avait tout de même un sens ?
S'agissant des alliances, il faut s'engager dans cette nouvelle négociation avec une véritable stratégie : la France ne réussira pas contre les autres mais avec les autres.
Une initiative solitaire serait condamnée à l'échec. Face au camp clairement identifié des anti-PAC, la France doit rassembler les pro-PAC. Quelle est la position de l'Allemagne ? Les points de convergence ne masquent-ils pas un désaccord de fond ? De même qu'il existe une « banane bleue » qui regroupe, contrairement à ce que son nom indique, les pays industriels européens du Royaume-Uni à l'Italie du Nord, pourquoi ne pas imaginer un « oeillet vert » qui réunirait les nations agricoles de l'Irlande, en passant par la France et les pays méditerranéens jusqu'à la Pologne et la Roumanie ? Il ne s'agit aucunement d'exclure, mais de fédérer.
Monsieur le ministre, peut-être n'imaginiez-vous pas, en acceptant ce grand ministère de l'agriculture, la difficulté de cette tâche qui exige de grands talents de conciliateur. Vous achevez ces années, durant lesquelles vous n'avez pas ménagé vos efforts, en vous rendant systématiquement sur le terrain...
M. Gérard César. - Très bien !
M. Hubert Haenel. - ...par l'appel à une PAC plus « juste ». Si ce message n'est pas exempt de sous-entendus, c'est le plus beau que l'on puisse entendre. Bravo et merci ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Marc Pastor. - Mon intervention se limitera à la question de la ruralité, dont j'ai constaté, au cours d'une mission qui m'avait été confiée par le précédent ministre de l'agriculture en 2006, combien elle est appréciée diversement en Europe. Quand certains pays promeuvent une vraie politique du rural, d'autres ne tiennent compte que du seul retour sur investissement et considèrent que s'installer dans des zones rurales dépourvues d'écoles, de services ou de couverture téléphonique, relève d'un choix de vie. En Finlande, l'agriculture est conçue comme un outil d'aménagement du territoire plus que comme une activité purement productrice, dont l'objectif est de maintenir les populations. L'Espagne privilégie, quant à elle, une politique de la ruralité dans son ensemble -de fait, on ne peut parler d'agriculture sans parler de ruralité- où l'État, les communautés autonomes et l'Europe sont liés par un fort partenariat. L'Écosse n'a pas de politique particulière en faveur du rural isolé et n'intervient pas sur le rural accessible, et pas moins de 80 % des crédits de son programme de développement rural sont centrés sur l'environnement. L'Autriche, comme l'Espagne, considère la politique de développement rural prioritaire. Pour preuve, elle lui consacre autant de financements qu'au premier pilier de la PAC. Enfin, bien que la ruralité compte en France, nous faisons office de mauvais élève européen en matière de financement du deuxième pilier de la PAC. Rien d'étonnant donc, devant la diversité de ces approches du rural, que vous ayez peiné, monsieur, à aboutir au compromis du 20 novembre 2008 ; négociation, je tiens à le souligner, auquel vous nous avez associés durant la présidence française.
La PAC, l'une des premières dépenses de l'Union, est presque devenue un sujet tabou en ce qu'elle cristallise l'opposition entre ceux qui la jugent obsolète et les autres nécessaire. Après quinze ans de réforme, elle est toujours critiquée. En 1992, le découplage des paiements, la réduction des interventions sur les marchés et les programmes agro-environnementaux ont favorisé une agriculture productive plus vertueuse. La réforme de 2003 a découplé les paiements des marchés, mais les droits à paiement unique continuent de poser problème. Monsieur le ministre, est-il envisagé de revoir leurs règles inégalitaires de répartition ? Avec les réformes, les paiements directs aux exploitants ont été privilégiés. Pour autant, les revenus agricoles ne sont pas bons. Mais si ces soutiens étaient supprimés, la situation, notamment celle des éleveurs, serait bien pire. En France, du chemin reste à parcourir pour éviter les fuites dans le versement des aides du deuxième pilier. Ensuite, l'Europe n'est pas parvenue à un consensus concernant l'attribution des aides : quelles sont les exploitations prioritaires ? Les plus importantes ou celles situées dans les zones à handicap ? Enfin, le bilan de la PAC est nuancé. Avant la réforme de 1992, le système de soutien aux prix a favorisé le recours aux pesticides et aux engrais et entraîné une réduction de la surface des prairies au profit des terres arables en dix ans. Quant aux incitations à de meilleures pratiques, leur traduction concrète n'est pas évidente. Les critères d'éco-conditionnalité seront-ils suffisants ?
Promouvons l'éco-agriculture, effaçons le clivage entre agricultures intensive et extensive ! De toute façon, les pratiques changeront car pourquoi consommer des produits plus chers provenant de l'autre côté de la planète quand ils peuvent être produits localement ?
M. Marcel Rainaud. - Très bien !
M. Jean-Marc Pastor. - L'expression de bilan de santé de la PAC nous a surpris. (M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, approuve) Nous y avons vu la volonté de la Commission européenne d'éviter d'appeler révision cet exercice de modernisation de la PAC. Quel est son avenir après 2013 ? Le deuxième pilier, indispensable pour maintenir des communautés viables dans les régions rurales, continuera-t-il de servir de variable d'ajustement ? L'élevage extensif suppose d'augmenter la taille des exploitations. Mais cet objectif ne va pas de pair avec la volonté d'augmenter la densité de population. Et l'élevage en montagne reste une activité fragile dont la difficulté a été aggravée par la fièvre catarrhale.
Monsieur le ministre, votre bilan personnel est intéressant et votre action adroite, et non « à droite ». (Rires sur les bancs socialistes) Reste que l'augmentation de la prime à l'herbe ne parviendra pas à dissiper les zones d'ombres concernant le plan d'urgence de la fièvre catarrhale et une sortie éventuelle des quotas laitiers et n'apaisera pas les inquiétudes du monde rural devant l'absence de perspectives sur le sort de la politique agricole. En tant que député européen, quel projet défendrez-vous pour la PAC et son deuxième pilier ? (Applaudissements à gauche)
M. Alain Chatillon. - Lors du dernier budget, le 3 décembre, j'avais déjà exprimé mes inquiétudes sur l'avenir de la PAC, seule politique véritablement européenne, qui représente 40 % du budget de l'Union. Comment soutiendra-t-on après 2013 les éleveurs durement touchés par la fièvre catarrhale et les prix de marché ? S'approvisionnera-t-on en bétail auprès des pays du Commonwealth ? La compensation obtenue par le Royaume-Uni il y a quelques années ne subventionne-t-elle pas pour partie les cheptels australiens et néo-zélandais ? N'aura-t-elle pas pour effet, à terme, de casser les prix de notre production ? Faudra-t-il dans quelques années recourir à des jardiniers de l'espace pour entretenir nos zones d'élevage et à quel prix ? Que deviendront ces éleveurs qui méritent notre respect et notre appui ?
Ce débat est l'occasion d'évoquer les décisions du 23 février dernier, conséquences de l'accord intervenu le 20 novembre dernier. En Midi-Pyrénées, l'agriculture représente 110 000 emplois, soit près du double des emplois offerts par le tourisme et l'aéronautique. C'est dire toute l'importance pour ma région de la modification des règles de répartition de 18 % des aides directes de la PAC pour mieux soutenir l'élevage à l'herbe, les exploitations les plus fragiles, l'agriculture biologique et les protéines végétales. A ce propos, la culture du soja, protéine noble et respectueuse de l'environnement dont la pratique est bien ancrée dans le Sud-Ouest, avec la production de 3 500 tonnes de soja non OGM dans mon seul Lauragais, doit être encouragée.
En Haute-Garonne, la perte de 20 millions d'aides qui découlerait du nouveau traitement des exploitations en grande culture et des exploitations mixtes de polyculture suscite toutefois de fortes inquiétudes.
En raison des conditions climatiques, le rendement moyen en grande culture n'y est que de 5,2 tonnes par hectare, contre une moyenne nationale de 6. Jusqu'à présent, les aides assuraient un minimum de revenu aux exploitants. Il faudrait classer notre département défavorisé en zone intermédiaire, redistribuer le solde des aides aux grandes cultures aux zones intermédiaires, prendre des mesures agro-environnementales spécifiques, souples et simples, étendre le supplément de 20 euros par tonne de lait à l'intégralité du massif pyrénéen.
La politique de flux tendu a conduit à l'effacement des stocks agricoles, pourtant indispensables pour réguler les prix. L'Europe doit de nouveau assurer le financement de ces stocks.
Chaque année, 58 000 hectares de terres agricoles disparaissent. Ne faudrait-il pas une loi, sur le modèle allemand, pour modérer l'impact des grandes métropoles ? L'agglomération toulousaine consomme à elle seule 1 300 hectares de terres agricoles chaque année !
Je salue l'engagement du ministre en faveur du développement des pôles de compétitivité. Ses dix orientations donneront un nouveau dynamisme à nos entreprises agro-alimentaires et favoriseront le travail en filière entre production, transformation et distribution. Enfin, je rends hommage, monsieur le ministre, à votre action déterminante au sein du conseil des ministres européens. Continuez à défendre ainsi les intérêts de la France ! (Applaudissements à droite)
M. Roland Courteau. - Depuis plusieurs années, la viticulture européenne est en crise, et je doute que les propositions de réforme de l'OCM vin de la Commission européenne, validées par les États membres, nous permette d'en sortir rapidement... MM. Rainaud, Guillaume, Pastor, Piras, Tropeano, Daunis ou Raoul, tous élus de régions viticoles, ne me démentiront pas !
M. Jacques Blanc. - Nous non plus !
M. Roland Courteau. - Vous êtes témoin vous-même des difficultés languedociennes !
Dans certaines régions, les vignerons perdent jusqu'à 1 000 euros par hectare. Ce n'est pas tenable ! Des pans entiers de notre économie sont en voie de disparition, des secteurs entiers sont en train de mourir, de « crever » dans l'indifférence générale, diraient les viticulteurs ! En 1982, un hectolitre de vin de pays rapportait, une fois déduits les frais de vinification, 208 francs, soit 31,70 euros. En 2007, cette recette est de 30 euros. En 2008, elle devrait se situer autour de 27 euros. Tout est dit. La majorité des viticulteurs est dans le rouge, je veux dire en déficit. La seule issue est parfois le RMI, souvent l'arrachage, voire l'abandon définitif. Pour pouvoir simplement vivre, ils sacrifient leur potentiel de production. La crise est en train de rayer des secteurs entiers de la carte viticole !
La désespérance est telle que la profession vous demande, monsieur le ministre, de tout faire pour obtenir de Bruxelles une rallonge financière afin de satisfaire les demandes d'arrachage, ainsi que le prolongement de la mesure pour un an. C'est un crève-coeur, mais une nécessité : les vignerons n'ont plus d'autre choix que d'arracher des parcelles pour obtenir un peu de trésorerie. Quelle suite comptez-vous donner à cette demande ?
La décision de supprimer les restrictions de plantation, contre laquelle nous nous étions élevés lors de notre rencontre avec Mme Fischer Bohl, risque de favoriser la concentration des exploitations au détriment des petits producteurs indépendants et des coopératives.
M. Michel Barnier, ministre. - Absolument.
M. Roland Courteau. - La France n'a pas souhaité généraliser les droits à paiement unique, qui sont pourtant un indispensable complément de revenu. Impossible, avez-vous déclaré, monsieur le ministre, ajoutant que la filière n'avait pas, alors, retenu cette option. Depuis, la crise s'est aggravée. La question aurait pu être à nouveau posée lors du bilan de santé -comme vos collaborateurs l'avaient laissé entendre à une délégation syndicale de vignerons du Midi- mais il n'en a rien été. Pour des régions qui ont déjà beaucoup arraché, comme le Languedoc-Roussillon, une telle mesure aurait pourtant assuré un revenu minimum à des viticulteurs qui risquent, sinon, d'avoir disparu avant 2013 ! Il faudrait inscrire ces DPU dans le plan national et étudier dès maintenant les moyens de soutien franco-français à cette viticulture. L'avenir de la ruralité est en jeu.
En 2006, tous les dégrèvements de l'impôt sur le foncier non bâti ont été acceptés ; en 2007, l'enveloppe est passée de 6 à 2,5 millions, excluant les bailleurs, pourtant eux aussi contraints d'arracher. Il faut augmenter l'enveloppe et assouplir les critères : la décision est franco-française.
Autre problème, l'affaire du vin rosé. (« Ah ! » sur plusieurs bancs à gauche) Le 27 janvier 2009, le comité de réglementation du vin, présidé par la Commission européenne mais composé des représentants des États membres, a procédé à un vote indicatif sur la possibilité d'autoriser la production de rosé en couplant du vin rouge et du vin blanc. (M. Piras lève les yeux au ciel) Le vote a été positif. (Exclamations sur les bancs socialistes) Le représentant de la France s'est prononcé pour !
M. Daniel Raoul. - Eh oui ! On ne nous dit pas tout !
M. Roland Courteau. - Plus qu'une erreur, ce fut une faute. Devant la colère des producteurs, vous avez dénoncé cette pratique, monsieur le ministre, mais il est bien tard... La France tiendrait-elle un langage à Paris, un autre à Bruxelles ? Cette mesure va non seulement brouiller l'image des rosés de qualité, mais entraîner un nivellement par le bas !
Le rosé ne peut se réduire à une variable d'ajustement des stocks. Ce libéralisme effréné en matière d'élaboration des vins pénalisera les viticulteurs français qui, grâce à des efforts constants, ont fait du rosé une valeur en hausse depuis quinze ans. Les propositions d'étiquetage « rosé traditionnel » et « rosé par coupage » ne résolvent rien : les consommateurs choisiront les plus bas prix, c'est-à-dire les mixtures médiocres.
Certaines erreurs ont des conséquences désastreuses. Celle-ci fait suite à l'autorisation pour des vins sans indication géographique, donc sans origine, de revendiquer le cépage, sans être soumis au même cahier des charges ! La viticulture n'avait pas besoin de ces handicaps supplémentaires. On se serait également bien passé des récentes attaques, aussi injustes qu'infondées, dont le vin vient une fois de plus d'être la cible sur le plan sanitaire...
La profession souhaite voir prorogées les mesures de soutien, y compris sur les conditions d'utilisation du fonds européen agricole de garantie (Feaga), et reportées d'un an les dotations financières pour les investissements matériels. Il serait gravissime que nous laissions repartir une partie des financements européens !
Malgré une situation difficile et la concurrence des vins du Nouveau Monde, l'Union européenne possède beaucoup d'atouts. Les vins européens s'imposeront d'autant plus si l'Europe favorise les investissements commerciaux et la promotion de ses produits, au lieu d'aligner ses pratiques oenologiques sur celles des autres continents ! La Commission européenne a bien trop de pouvoirs en la matière. L'Union européenne doit valoriser sa tradition vitivinicole, la qualité et l'authenticité de ses vins et leur lien avec le terroir. (Applaudissements nourris à gauche ; M. César applaudit également)
M. Bernard Piras. - Bravo !
M. Alain Vasselle. - Six minutes, c'est bien court : j'irai donc droit au but. Je partage les objectifs du Gouvernement, qu'a rappelés M. de Raincourt. Qui pourrait s'opposer à la limitation de l'usage des pesticides ? Mais il faut aussi pouvoir nourrir la planète... Excellentes idées aussi de développer les biocarburants, d'aider la filière ovine ou les exploitations de montagne, d'adapter la PAC aux marchés mondiaux, de soutenir le développement durable ou encore de soutenir les zones intermédiaires.
Je sais que vous avez su défendre à Bruxelles les intérêts de la France, monsieur le ministre, je sais aussi que vos possibilités d'intervention au niveau national sont limitées. Permettez au représentant d'un département de grandes cultures de dire cependant son émoi devant certaines des mesures que vous avez prises. La réorientation du 1,4 milliard, c'est déshabiller Pierre pour habiller Paul, ou plutôt Michel... Faire appel dans cette affaire au premier pilier n'est pas la bonne solution. J'aurais compris, tout le monde aurait compris un tel redéploiement au profit des éleveurs au moment de la flambée des cours des céréales et des oléagineux, au moment où la tonne de blé atteignait les 300 euros ; la prendre aujourd'hui, alors que les cours retrouvent leur niveau de 2006, c'est agir à contretemps. J'avais cru comprendre pourtant que le Président de la République souhaitait que la réorientation des aides dépende de l'évolution des marchés -il l'a dit clairement lorsqu'il a reçu les représentants de la profession. Je sais bien qu'il y a les 160 millions et les fameux 25 euros de compensation, mais le compte n'y est pas. Il serait juste, alors que les cours des céréales retombent, qu'au moins une partie des aides soit rétablie pour aider les professionnels à passer un cap difficile pour leur pouvoir d'achat et leur trésorerie -quitte à ce que le balancier reparte dans l'autre sens quand les cours remonteront.
Deux questions pour conclure. Envisagez-vous un assouplissement du seuil des 45 % pour l'attribution des 25 euros ? Et de celui des 90 % pour les trois cultures représentatives ? Une réponse positive apaiserait bien des inquiétudes. Mon propos n'est pas tant une critique de l'action du Gouvernement qu'une contribution à une politique plus équilibrée... (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jacques Blanc. - Je remercie M. de Raincourt d'avoir provoqué ce débat, et je remercie le ministre pour la méthode qu'il a suivie et l'accord qu'il a obtenu de nos partenaires, qui prépare l'avenir : mise en place d'outils efficaces de gestion des marchés, réorientation des aides, sortie progressive des quotas laitiers, renforcement des mesures de développement rural, création d'outils de gestion des risques climatiques et sanitaires.
Je soutiens M. Courteau lorsqu'il défend la viticulture, mais il est inexact de dire, comme il l'a fait, que le représentant de la France a voté cette folle idée d'autoriser la production de vin rosé à partir de vin rouge et de vin blanc. Nous devrons tous nous mobiliser pour obtenir la minorité de blocage qui permettra de n'en plus parler...
Je préside le groupe « Montagne » du Sénat ; à ce titre, je vous remercie, monsieur le ministre, pour les mesures courageuses de redéploiement des aides que vous avez prises. Sans doute les céréaliers souffrent-ils un peu, mais un effort était nécessaire pour soutenir l'élevage et préserver l'agriculture des zones les plus fragiles. Un rééquilibrage était indispensable, qui donne toute sa légitimité à notre demande d'une politique agricole commune forte. N'ayons aucun complexe, la PAC est la seule véritable politique commune en Europe !
M. Henri de Raincourt. - C'est vrai !
M. Jacques Blanc. - C'est elle qui a permis à l'Europe d'assurer sa sécurité alimentaire et d'exporter. Certains critiquent le développement des biocarburants au nom de cette même sécurité alimentaire. La PAC est une chance pour l'Europe, elle doit être préservée ; lorsque le traité de Lisbonne sera ratifié, qui met en avant la cohésion territoriale, elle sera même un atout supplémentaire !
J'ai réuni en Lozère, le 2 décembre dernier, la commission du développement durable du comité des régions d'Europe : tous les participants ont plaidé pour une politique de la montagne et l'élaboration d'un Livre vert spécifique.
Je conclurai par un appel : si vous maintenez le seuil de 0,5 UGB à l'hectare pour le bénéfice de la prime à l'herbe, ce serait une catastrophe pour les espaces ruraux comme les nôtres et les exploitations qui les font vivre. Il faudrait soit partir du nombre d'UGB, soit amputer la superficie de référence des hectares de pâture ou de parcours. Il ya dans les régions méditerranéennes et de montagne une grande inquiétude qu'il vous faut lever. (Applaudissements au centre et à droite)
Mlle Sophie Joissains. - Mon département des Bouches-du-Rhône est malheureusement concerné, consterné même, par la menace qui pèse sur le vin rosé. Contrairement à certaines idées reçues, la production de vin rosé, fleuron de notre Provence, est de tradition ancienne. Les Grecs faisaient du vin rouge, qu'ils appelaient vin noir, et du vin rosé, appelé vin de saignée ou vin rouge, jus de première pression soumis à une fermentation plus courte.
Aujourd'hui, le vin rosé répond à des normes précises, spécifiques ; des vignobles entiers y sont consacrés ; sa vinification est très particulière.
Précieux, son raisin est parfois vendangé la nuit. Ses cépages sont ceux du vin rouge et non du vin blanc. Est-il besoin de rappeler que le vin de coupage qui prétend usurper le titre de vin rosé est constitué à 90 % de vin blanc ?
M. Roland Courteau. - Ce n'est même pas du vin !
Mlle Sophie Joissains. - Les élus vignerons de mon département ont décidé d'ester en justice contre ce qu'ils qualifient de contrefaçon.
M. Alain Vasselle. - Ils ont raison !
Mlle Sophie Joissains. - Ce vin est emblématique de la Provence et il est inconcevable que son appellation puisse être utilisée pour qualifier une boisson frelatée dont l'utilité est avant tout d'écouler les stocks d'invendus. (Marques d'approbation sur divers bancs)
Je ne répéterai pas ce qui a été dit par mon collègue, avec qui je siège au sein du groupe d'études sur le vin ; j'insisterai seulement sur le fait que les efforts de qualité de nos vignerons sont couronnés de succès : la consommation de rosé a doublé en dix ans. Ces efforts ont dépassé les attentes de la Commission européenne au moment de la réforme de l'OCM du vin. Pourquoi ce revirement ? Si l'on permet au coupage de vin rouge et de vin blanc de porter l'appellation de « vin rosé », le véritable rosé n'existera plus. Cette nouvelle boisson doit trouver une appellation spécifique, qui ne trompe pas le consommateur.
L'Europe doit être protectrice et garantir notre diversité : voilà les bases de l'Europe politique que nous voulons construire. Nos électeurs ne manqueront d'être sensibles à cet argument lors des prochaines élections. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jean Milhau applaudit également)
M. Gérard Bailly. - Je souhaite d'abord remercier M. le ministre pour sa détermination sans faille au service de notre agriculture dans le monde mouvant et difficile où nous vivons, et pour la large concertation qu'il a toujours poursuivie avec les acteurs concernés.
Je suis moi-même un ancien éleveur, et je préside actuellement le groupe d'études sur l'élevage du Sénat : vous comprendrez donc que mon intervention porte sur ce domaine. Je félicite M. le ministre du geste fort qu'il a accompli et que tous ses prédécesseurs avaient voulu accomplir avant lui sans le faire : la réduction des écarts entre les montants attribués aux exploitants agricoles au terme d'une large concertation.
Les quatre objectifs que vous avez assignés au redéploiement de cette somme de 1,4 milliard d'euros répondent à une nécessité, orienter notre agriculture vers un nouveau modèle agricole durable. Il est bienvenu d'améliorer la couverture des risques climatiques ou sanitaires par le biais de l'assurance récolte, d'encourager l'agriculture biologique, de réorganiser les filières par la création de nouveaux débouchés et de mieux prendre en compte les risques économiques.
J'approuve surtout les mesures de soutien à l'élevage à l'herbe, qui représenteront près d'un milliard d'euros dès 2010 : 700 millions pour les prairies consacrées à l'élevage et 240 millions pour préserver la prime herbagère agro-environnementale. Les surfaces herbagères représentent plus de 45 % de la surface agricole nationale et l'élevage permet de maintenir de l'activité et des emplois dans des zones où aucun autre type d'agriculture n'est possible, surtout en montagne. Il contribue à la qualité des paysages et à la biodiversité. Après l'effondrement du revenu des éleveurs ces dernières années, le secteur méritait bien ce coup de pouce.
Certaines productions sont particulièrement fragiles, comme l'élevage ovin ou caprin et la production laitière en montagne. M. Fortassin et moi-même, alors que nous préparions un rapport sur l'élevage ovin, avons parcouru plusieurs régions où l'on pratique ce type d'élevage et pu mesurer la détresse de ces éleveurs. Nous sommes heureux d'avoir été entendus : 95 millions d'euros seront consacrés à la production ovine. Merci pour les éleveurs ! Leurs difficultés ne vont pas disparaître du jour au lendemain, car la fièvre catarrhale ovine et les prédateurs continuent de sévir, mais leur horizon s'éclaircit ; ils sont décidés à lancer un plan de reconquête.
Hélas ! ce ne sera pas vous, monsieur le ministre, qui mènerez les discussions sur les perspectives financières qui s'entameront à la fin de l'année. Nous souhaitons à votre successeur bonne chance et nous lui donnons rendez-vous pour la loi de modernisation annoncée pour fin 2009. Je vous redis toute ma satisfaction d'avoir pu travailler avec vous sur ce bilan de santé de la PAC et suis heureux que cet accord ait pu être conclu pendant la présidence française de l'Union.
Il nous faudra être très vigilants à l'égard des instances de Bruxelles. Dans le domaine de l'agriculture, les systèmes de régulation et de stockage mis en place par les interprofessions sont indispensables. La hausse du prix des céréales et de la poudre de lait en 2007, suivie douze mois plus tard d'une baisse encore plus importante, est inacceptable. Vous savez quelles en sont les conséquences pour les pays pauvres. En outre, l'agriculture dépend des aléas climatiques : il y a deux ans, il y avait trop de comté ; aujourd'hui, on en manque cruellement, et pourquoi ? Parce que les vaches ont décidé de produire deux litres de lait de moins à cause de la mauvaise qualité du foin. Cela a entraîné la perte de parts de marché et une forte hausse des prix. Une ferme ne fonctionne pas comme une usine de plastique ! Ce ne sont pas les éleveurs qui décident si une vache produira 19 ou 21 kilos de lait ! (Marques d'approbation à droite) Pour faire face aux aléas climatiques, il est impératif de maintenir des mécanismes de stockage, de conserver la possibilité d'achats par adjudication de beurre et de poudre de lait et de poursuivre les restitutions à l'exportation.
Je suis certain, monsieur le ministre, que vous êtes appelé à avoir d'importantes responsabilités dans les instances européennes au cours des prochaines années. Je souhaite que vous soyez attentifs au problème du rosé. Il faut aussi s'opposer fermement aux propositions qui tendent à fixer les seuils de nutriments à un niveau inadapté pour certaines denrées et favoriseraient la consommation des produits standardisés de l'industrie agro-alimentaire. Nous devons suivre les propositions de notre commission des affaires économiques qui tendent à préserver le modèle alimentaire français pour des raisons sanitaires, culturelles, mais aussi gastronomiques. (M. Gérard César marque son approbation)
Nous souhaitons tous qu'un compromis acceptable soit trouvé pour la PAC de l'après 2013, afin que cette politique qui a fait ses preuves réponde aux défis de la sécurité alimentaire, de la protection sanitaire, de l'équilibre territorial, du développement rural et de la protection de l'environnement. Les citoyens et consommateurs européens espèrent que le budget agricole européen après 2013 sera à la hauteur de leurs espérances. (Applaudissements à droite)
M. Jean Bizet. - L'année 2009 est une année blanche entre deux grands rendez-vous : le bilan de santé de la PAC en 2008 et le début de la grande négociation budgétaire du prochain cadre financier pluriannuel en 2010. Ni au plan politique, ni au plan budgétaire, les perspectives ne sont bien encourageantes.
Au plan politique, quelle est la vision de la PAC qui prévaut à Bruxelles ? Ce qui se dessine, c'est une PAC à deux vitesses avec, d'un côté, un secteur compétitif au niveau mondial quasiment privé de subventions, de l'autre, un secteur agricole fragile qui subsisterait grâce aux aides européennes : une agriculture sous perfusion que l'on garderait pour l'ambiance et les paysages ! Est-ce vraiment cela que nous voulons ?
On envisage également de développer le cofinancement. Une politique communautaire est-elle possible dans ces conditions ? Sans doute. Mais il faut alors s'attendre à ce que les États membres pratiquent des aides différenciées. Cette évolution probable nous oblige à réviser radicalement notre conception de la PAC.
Au plan budgétaire, la négociation ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Lors de la négociation précédente, le budget de la PAC se trouvait sanctuarisé par l'accord d'octobre 2002. Ce ne sera pas le cas cette fois-ci et le budget agricole risque fort d'être l'objet central des discussions. On peut penser que les crédits seront maintenus mais répartis différemment : plus d'argent devrait être alloué au deuxième pilier et moins au premier, plus aux nouveaux États membres et moins aux anciens.
La France risque de faire les frais de cette évolution, déjà amorcée dans l'actuel cadre financier. Notre pays qui reçoit encore près de 20 % des dépenses agricoles européennes en recevra moins de 15 % en 2013. Nous savons d'ores et déjà qu'aux alentours de 2011, notre taux de retour sur les dépenses agricoles sera inférieur à notre taux de contribution au budget. Certains pourraient être tentés de se désintéresser de cette politique devenue moins rentable ; ce serait irresponsable.
Le premier pilier est menacé dans son principe même et dans ses modalités. La France est favorable au maintien des mécanismes de régulation qui subsistent, mais quelles sont nos chances et qui sont nos alliés ? S'agissant des DPU, la France est soumise à de fortes pressions externes et internes pour réduire le recouplage, voire y renoncer, abandonner les références historiques, répartir les paiements de façon plus équitable et les lier à des considérations environnementales. Le système actuel n'est pas tenable. Plusieurs États se sont engagés dans la voie de la redistribution et de la simplification. Pensez-vous que ce modèle de DPU unifié, mais modulé, soit transposable en France ? Le statu quo serait la pire des solutions : nos partenaires n'accepteront pas de payer le prix de notre incapacité à nous réformer.
La question du deuxième pilier se pose en des termes radicalement différents : il s'agit dans ce cas de mieux profiter d'un système qui a la faveur de nos partenaires, notamment britanniques. Pour des raisons historiques et économiques, la France a toujours privilégié le premier pilier, héritier de la PAC à l'ancienne ; elle n'a vu dans le deuxième pilier qu'une concession aux idées nouvelles et aux pressions environnementales. Il est pourtant devenu incontournable.
La France, qui reçoit encore 20 % du premier pilier, ne reçoit qu'à peine 7 à 8 % du deuxième. L'oeil fixé sur l'héritage de la PAC à l'ancienne, elle n'a pas voulu voir l'émergence d'une nouvelle PAC. Elle doit mieux se positionner.
Les préoccupations environnementales seront déterminantes dans la PAC à venir, et il faut reconnaître que le monde agricole est entré à reculons dans cette voie, ce qui a dégradé son image et cause un tort considérable à l'agriculture et à la PAC.
L'Europe ne peut à la fois réclamer l'alignement sur la concurrence mondiale et se plaindre de l'agriculture productiviste ; elle ne peut en même temps prôner le soutien au monde rural et supprimer les quotas laitiers, ou clamer les vertus du modèle bio et chercher à nourrir la terre entière. A chaque fois, il faut choisir l'un ou l'autre. La future PAC devra sortir de ces contradictions et proposer un modèle crédible et durable.
Une autre question qui me paraît cruciale est l'organisation du secteur. Beaucoup d'agriculteurs n'arrivent pas à vivre parce que les prix de vente sont trop bas. C'est la logique du marché, dévastatrice lorsque le marché est en situation d'oligopole renversé. La concurrence mondiale n'est pas toujours en cause : il y a simplement un abus de position dominante de la part des distributeurs. La question des prix payés aux producteurs ne se règlera pas sans remise en ordre afin que la négociation soit tout simplement décente. Car il y a de l'indécence à humilier ainsi nos producteurs. Les pouvoirs publics doivent s'impliquer davantage. La PAC ne sera sauvée que si elle est utile aux yeux de nos concitoyens, et elle ne le sera que si elle prend mieux en compte les aspects nutritionnels.
Je souhaite une PAC solide, assise sur ses deux piliers, mais une PAC recomposée, qui fera face aux défis du futur. Et puisque je parle du futur, je ne puis passer sous silence les biotechnologies que nous n'avons jamais su aborder sous l'angle de l'évolution normale de la sélection variétale du XXIe siècle. La France et l'Europe ne pourront rester à l'écart de progrès scientifiques qui s'imposent dans le reste du monde et qui ne sont nullement en opposition avec la biodiversité.
Tel est le message que je voulais vous transmettre avant vos nouvelles responsabilités qui seront une chance pour la France. Les élus se souviennent de votre poids décisif dans la négociation des fonds structurels en France alors qu'ils se sentaient condamnés. Le monde agricole aura encore besoin de votre soutien et je crois pouvoir dire qu'il l'aura. (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - Je remercie tous les orateurs qui ont respecté leur temps de parole : nous avons même gagné un quart d'heure...
M. Paul Blanc. - On aurait pu faire une séance prolongée...
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. - Je remercie tous ceux qui se sont exprimés. J'ai été très sensible à vos témoignages de sympathie et à vos encouragements. Je ne l'oublierai pas dans mes fonctions futures, mais, pour l'instant, je me mobilise à 100 % dans ma tâche passionnante de ministre de l'agriculture et de la pêche. Je m'exprimerai comme toujours, sans autosatisfaction, avec lucidité, pour regarder ce qui est devant nous : des temps difficiles.
Le bilan de santé a donné le cap à la PAC dans la perspective de 2013, qui sera plus difficile qu'on ne le croit. C'est le premier accord conclu à 27, et il était urgent. Nous avons ainsi un nouveau modèle de développement agricole : économiquement productif -je ne dis pas « productiviste » !- et écologiquement responsable. C'est la responsabilité et l'honneur d'un ministre de s'abstenir de toute esbroufe et d'inscrire son action dans la durée. Pour certains, il aurait fallu ne rien faire et attendre tranquillement la grande réforme de 2013. Ce n'est pas ma conception de l'action politique. Je crois, comme Pierre Mendès France, qu'il ne faut « jamais sacrifier l'avenir au présent », et l'avenir, en l'occurrence, n'est pas très lointain.
A l'occasion du bilan de santé, mis en oeuvre sous présidence française, nous avons mis sur la table les questions de fond : régulation des marchés, sens du soutien, gestion des risques. Certains, comme l'Allemagne, nous ont rejoints -M. Haenel l'a dit- pour préserver la dimension économique de cette activité, sur tout le territoire, sans tomber dans le modèle de l'industrie agricole.
Ce n'est pas par hasard que ce secteur tient le coup durant cette crise, c'est que les gens y travaillent dur pour gagner assez mal leur vie et qui ont su s'adapter, c'est aussi une politique publique, avec des règles et un budget public. On dit que la PAC coûte cher mais s'est-on demandé ce que coûterait l'absence de PAC, en termes de désertification du territoire, d'importations ?
La pierre angulaire de cette politique, c'est la régulation des marchés agricoles. Le débat fut difficile. Les 27 ministres -je le rappelle- n'ont pas suivi la Commission européenne qui proposait une fois encore un démantèlement des outils d'intervention. Nous avons sauvegardé l'outil de gestion des marchés pour les céréales et pour les produits laitiers, ce qui n'était pas gagné d'avance. La décision a été prise à la majorité qualifiée du Conseil en 1993 et en 2007 de supprimer les quotas laitiers en 2014 ; on en est toujours là. Nous avons obtenu deux rendez-vous de pilotage, en 2010 et en 2012, pour poser toutes les questions.
Je continuerai à dire ce que je pense, et ce que je pense, c'est que l'agriculture destinée à l'alimentation ne peut être gérée par la seule loi du marché. La loi du marché, c'est le moins-disant sanitaire, le moins-disant écologique, le moins-disant économique !
Nous avons obtenu les moyens de faire évoluer les aides à l'agriculture, avec la PHAE dont le financement n'était pas assuré ; nous avons consolidé la PAC en lançant le débat sur 2013 car j'ai appris à Bruxelles que le débat politique doit précéder le débat budgétaire ! Or, pour qu'elle soit acceptée, il faut qu'une politique soit équitable et légitime, tant parmi les agriculteurs que parmi les citoyens et par rapport à nos partenaires.
Pouvions-nous défendre la PAC de 1992 ? J'ai voulu redonner, avec vous, du sens à notre PAC, reconstruire cette triple légitimité. Ce sens retrouvé est la meilleure défense, dans l'intérêt même de ceux qui critiquent ces mesures. Tous les agriculteurs, y compris ceux qui pratiquent la grande culture, auraient eu beaucoup à perdre si la PAC ne montrait pas un visage plus juste.
Nous avons étudié toutes les propositions sans tabou et les divers scénarios possibles et nous avons pris nos décisions dans l'intérêt des agriculteurs. Quatre objectifs ont été définis : consolider l'économie agricole et l'emploi sur l'ensemble du territoire, instaurer un nouveau mode de soutien économique à l'élevage à l'herbe : on m'a reproché le découplage mais ce soutien à l'herbe est bien couplé aux productions ! C'est une nouvelle formule qui va monter en puissance. Troisième orientation : accompagner un mode de développement durable de l'agriculture. Le document qui vous a été présenté après le Grenelle de l'environnement n'a rien d'un coup médiatique, il représente deux ans de boulot ! Nous avons travaillé avec les experts, les consommateurs, les dirigeants agricoles et les associations de protection de l'environnement pour tracer la feuille de route du nouveau modèle. Dernière orientation, les outils de couverture des risques climatiques et sanitaires qui figurent, madame Herviaux, dans le premier pilier et non dans le second.
Pour atteindre ces objectifs, nous n'avons pas choisi un système d'aide unique à l'hectare : je n'ai pas voulu encourager la concentration des exploitations agricoles car nous voulons encourager le modèle familial de petites et moyennes exploitations modernes et compétitives.
Enfin, nous allons accompagner la réorientation des exploitations céréalières : le Président de la République a annoncé que 170 millions y seraient consacrés, afin que la marche, en 2010, ne soit pas trop élevée.
M. Jacques Blanc a évoqué l'impact de l'application du seuil de 0,5 unité de gros bétail (UGB) par hectare dans certains de nos territoires. Nous veillerons à ce que ce seuil ne se transforme pas en couperet. Les groupes de travail n'ont pas achevé leur réflexion. En outre, ce nouveau soutien à l'herbe est complémentaire de ceux existants, comme la prime herbagère agri-environnementale (PHAE) ou l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), que nous allons revaloriser.
M. Bizet a évoqué le couplage entre l'agriculture et l'environnement. La réorientation des aides du premier pilier se fait au profit des systèmes de production durable : l'herbe, les protéines végétales, l'agriculture biologique, la biodiversité. Dans la perspective de 2013, nous devrons faire des propositions : l'avenir de la PAC ne passe pas exclusivement par le renforcement du second pilier.
M. Emorine a évoqué le basculement du fonds de garantie des calamités sur un dispositif assurantiel. Nous avons sorti les grandes cultures de ce fonds. Grâce aux moyens que nous avons dégagés lors du bilan de santé, nous allons inciter à la souscription de contrats d'assurance dans la viticulture ou dans le secteur des fruits et légumes qui sont particulièrement exposés.
Concernant l'assurance récolte forêt, le travail de réflexion est engagé avec mes collègues Woerth et Lagarde. Ce sujet est complexe et pourrait devenir coûteux. Ma visite dans le Sud-Ouest, après la nouvelle catastrophe écologique, m'a convaincu qu'il fallait y travailler. Mais la forêt n'est pas éligible à la couverture des risques prévue dans le bilan de santé.
Monsieur César, le décret relatif aux prêts bonifiés en faveur des sylviculteurs sera signé dès demain, après accord des instances communautaires, et le taux sera de 1,5 %.
M. Gérard César. - Très bien !
M. Michel Barnier, ministre. - Plusieurs d'entre vous ont souligné la fragilité des zones intermédiaires : dès le 23 février, nous avons travaillé avec la profession agricole sur un plan d'accompagnement en leur faveur et nous réfléchissons au cahier des charges des mesures sur l'assolement et les rotations.
M. de Raincourt a souhaité maintenir en 2011 et en 2012 l'aide à la diversité des assolements. En annonçant cette mesure pour 2010, le Président de la République avait également voulu la création d'un comité de suivi.
Pour les exploitations céréalières, la progressivité sera possible grâce aux 170 millions que nous avons mobilisés. Quant au solde des aides aux grandes cultures, je confirme qu'il sera distribué en fonction de références historiques. Mme Herviaux a demandé quel était le décompte de ces 170 millions : 120 millions proviennent de crédits communautaires non utilisés et le solde proviendra de nouveaux crédits.
MM. César et Courteau ont évoqué la réforme de l'OCM viticole : les mesures d'arrachage et d'aide à la filière ont été adoptées fin 2008. Ainsi, 10 400 hectares ont été acceptés au titre de l'arrachage sur les 22 000 demandés. Les arrachages provenant de viticulteurs de plus de 55 ans ont été honorés et j'espère que les autres demandes seront prises en compte lors des prochaines campagnes. Le programme national pour 2009, doté de 172 millions, a été approuvé par la Commission en décembre. Un important volet sera mis en place dès le 1er août avec la nouvelle segmentation en trois niveaux : AOP, IGP, vins sans indication géographique. Enfin l'OCM-vin sera intégrée dans l'OCM unique le 1er août mais ses spécificités seront préservées.
Les règles d'étiquetage et les pratiques oenologiques sont toujours en cours de discussion. Elles comportent de nombreuses mesures, comme la question des copeaux. Et puis, bien sûr, il y a cette fameuse mesure concernant le coupage des vins souhaité par la Commission mais aussi par une grande majorité des États membres pour s'aligner sur des pratiques, que je trouve insensées, de pays lointains comme l'Australie. Nous n'avons jamais accepté cette mesure. Dans le paquet global des mesures oenologiques, nous avons laissé passer ce point car si nous l'avions bloqué, tout le reste l'était. Nous avons obtenu l'assurance de pouvoir continuer à discuter de la mesure relative au vin coupé, car beaucoup d'autres mesures nous intéressaient. Je n'ai pas attendu, monsieur Courteau, qu'on proteste ici ou là pour dire à la Commission mon désaccord : je lui ai écrit par deux fois, le 11 février et le 13 mars. La Commission m'a répondu qu'elle continuerait à discuter avec nous et je viens d'obtenir le report d'un vote le 19 juin.
M. Roland Courteau. - Après les européennes !
M. Michel Barnier, ministre. - J'essaye de convaincre nos partenaires qu'il s'agit d'une mesure qui met en cause une certaine idée de notre modèle alimentaire, attaché aux goûts et aux couleurs. Je ne suis pas décidé à laisser compromettre le travail de qualité qui a été réalisé par de nombreux vignobles français. Je recevrai d'ailleurs les professionnels concernés le 15 mai.
Toutes ces mesures ont pour objectif de dessiner une PAC plus juste, avec notamment des aides plus équilibrées pour l'élevage. Elles doivent conduire à une convergence des niveaux d'aides entre les exploitations. Cette réduction des écarts était indispensable. Pourtant, les soutiens doivent rester différenciés pour répondre à la diversité de nos agricultures. Mme Bourzai a évoqué la situation des éleveurs : la mise en place d'un fonds sanitaire contribue à l'améliorer. Je ne sous-estime pas les conséquences de la fièvre catarrhale ovine, pour laquelle nous avons mobilisé plus de 130 millions, sans compter le plan d'urgence qui permet d'alléger les charges financières et sociales des éleveurs.
Pour préparer l'avenir, trois groupes de travail ont été créés.
M. Roland Courteau. - Et la crise viticole ?
M. Michel Barnier, ministre. - Nous y répondrons, comme pour les autres crises, avec tous les outils du plan de soutien à l'agriculture.
Nous devons être vigilants : le Président de la République a raison de vous inviter à préparer la position française pour l'après 2013. N'attendons pas que le budget commande ! Dès 2010, nous parlerons des perspectives budgétaires. Je préfèrerais que nous commencions par les perspectives politiques. Il faudra plus de justice et sortir progressivement des références historiques. Nous devrons aussi travailler sur des notions qu'on peut évoquer sans qu'elles passent pour des gros mots, comme la préférence communautaire ou la gestion des marchés.
Vous avez été nombreux à évoquer la crise alimentaire mondiale : nous ne pouvons pas vivre sans regarder ce qui se passe hors des frontières communautaires. Lors du dernier sommet du G8, à Trévise, nous sommes enfin sortis de la question rituelle de l'OMC ! On ne peut parler de l'agriculture et de l'alimentation sous le seul angle commercial. Si le commerce suffisait à nourrir l'Afrique, cela se saurait.
Dans certaines régions du monde, il faut aussi construire une économie agricole permettant de s'approcher de la souveraineté alimentaire.
Nous allons également devoir travailler à l'organisation économique des filières dans le cadre de la préparation de la loi de modernisation de l'agriculture française que le Président de la République nous a demandé de présenter au plus tard début 2010.
Je vous remercie de votre attention et de vos nombreux témoignages de soutien dans ce moment de transition. Vous pouvez compter sur moi pour assurer totalement mes fonctions durant cette période. A la charnière de ce débat, qui concerne à la fois l'agriculture et l'Europe puisqu'il porte sur la première politique économique européenne, je tiens à vous faire part de ma conviction que la question de l'agriculture est également un débat sur la société, l'alimentation, l'emploi, les territoires, la recherche, le développement durable.
De même, la politique agricole commune porte une idée de l'Europe, laquelle n'est pas seulement une zone de libre-échange et un supermarché : c'est également une politique de solidarité et de régulation pour que la loi du marché et du profit ne s'impose pas contre le travail. J'espère, par ailleurs, que l'Europe aura aussi l'ambition d'être une puissance politique. La politique agricole, qui doit encore évoluer, est symbolique d'une certaine idée de l'Europe, celle des pères fondateurs, qui est également la mienne. (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - Monsieur le ministre, au nom de mes collègues, le Rhône-Alpin que je suis souhaite remercier le Rhône-Alpin que vous êtes pour votre participation à ce débat et pour la clarté de vos réponses aux vingt-et-un orateurs. Ce sujet est essentiel, compte tenu des prochaines échéances européennes, et tous les agriculteurs, tous les paysans -comme beaucoup, dont moi-même, se plaisent à le dire- y seront confrontés. Merci, monsieur le ministre ; merci, Michel Barnier.
La séance est suspendue à 19 h 5.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.