Présidence française de l'Union européenne (Question orale européenne avec débat)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat de M. Hubert Haenel à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes sur les enseignements de la présidence française de l'Union européenne.
Orateurs inscrits
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - Cette séance pourrait préfigurer celles qui auront lieu dans la semaine qui sera bientôt consacrée chaque mois aux activités de contrôle.
M. le président. - Absolument. Mais peut-être nos travaux se dérouleront-ils en un lieu plus adapté.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - En effet : la Conférence des Présidents devrait décider à votre instigation que nous siégerons à l'étage inférieur. Je tiens d'ailleurs à souligner le fait que c'est la première fois que le Président du Sénat préside en personne une séance de nuit consacrée à une question orale européenne.
Je ne m'attarderai pas sur le bilan de la présidence française de l'Union européenne : vous nous avez fait parvenir, monsieur le ministre, un document très complet sur la question, de même que les autres membres du Gouvernement dans leurs domaines respectifs. Chacun peut avoir son avis sur ce bilan : on peut toujours estimer que de meilleurs résultats eussent été possibles sur tel ou tel point. Mais il ne faut pas envisager les réalités européennes avec nos lunettes françaises : la présidence de l'Union dure peu et constitue le maillon d'une chaîne. Le pays concerné ne préside que deux institutions : le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement ainsi que le président de la Commission, et le Conseil de l'Union où se rencontrent les ministres compétents en fonction des sujets abordés. Le rôle de la présidence est de faire en sorte que ces deux institutions, en coopération avec les autres, travaillent en bonne intelligence pour parvenir à des résultats conformes aux attentes des citoyens.
Or, selon un avis largement partagé, la présidence française a particulièrement bien rempli cette fonction. Chaque fois que j'ai rencontré des parlementaires nationaux ou européens au cours de cette période, notamment lors de la réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l'Union européenne, la Cosac, au début du mois de novembre, ils m'ont fait part de leur satisfaction, quelle que fût leur appartenance politique.
Quels enseignements retenir de ces six mois de présidence ? La France n'a pas agi en fonction de théories ou d'intérêts nationaux : c'est bien normal. Mais elle n'a pas non plus cherché à faire figure de bon élève. Bien des habitudes ont été bousculées ; des réunions de formats différents, très restreintes ou très larges, ont été tenues. Cette intense activité s'est poursuivie en plein mois d'août : selon M. Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union, que nous avons auditionné la semaine dernière, il eût été inimaginable il y a quelques années de réunir des fonctionnaires européens les 13 et 14 août !
Grâce à une présidence volontariste, les différentes institutions de l'Union ont pleinement coopéré au lieu de défendre leur pré carré. Certes il y eut des circonstances favorables : les multiples crises survenues au cours de ces six mois ont convaincu les institutions et les États qu'il était impossible de faire cavalier seul. Mais la France a fait preuve d'une capacité d'entraînement remarquable.
La raison en est que la présidence française a cherché à affirmer la place de l'Europe, lors de la guerre en Géorgie, de la crise financière ou de la négociation du paquet « énergie-climat » qui doit permettre à l'Europe de rester en tête du progrès environnemental. Cela montre une chose : rien, sauf ses propres inhibitions, n'empêche l'Europe de s'affirmer davantage dans le monde, et avec plus d'autonomie. Or nous vivons dans un monde marqué par le recul de la puissance américaine, qui n'est plus l'hyper puissance dont parlait M. Védrine dans les années 1990. Qu'elle le veuille ou non, l'Europe est condamnée à ne plus vivre dans l'ombre des États-Unis et à assumer des responsabilités toujours plus grandes. Elle a montré, sous la présidence française, qu'elle en était capable.
L'Europe ne pourra s'affirmer que si la place du politique dans son fonctionnement est accrue ; M. Sarkozy s'y était engagé. Cela devrait réjouir M. le président du Sénat, qui a fait du renforcement du politique dans la vie du Sénat l'un de ses leitmotive. Le Conseil européen, que l'on avait tendance à considérer comme le déversoir des questions non résolues par le conseil des ministres de l'Union, a cette fois pleinement rempli la fonction qui lui est assignée par les traités, à savoir donner à l'Union des impulsions politiques. Alors que les conclusions du Conseil occupaient habituellement vingt ou trente pages, elles tenaient la dernière fois en cinq pages : enfin un document lisible !
Chacun a pu constater que, lorsque les institutions les plus politiques de l'Union, le Conseil européen et le Parlement, occupent le devant de la scène, le prétendu fossé entre les opinions publiques et l'Union se résorbe. En voyant les responsables européens agir résolument contre la crise ou pour obtenir un cessez-le-feu en Géorgie, personne n'a estimé que l'Europe restait lointaine, étrangère aux préoccupations des citoyens ou qu'elle en faisait trop !
Une autre leçon de cette présidence, c'est que les controverses institutionnelles qui ont tant occupé l'Union au cours des dix ou quinze dernières années présentent un bien faible intérêt. La présidence française s'est placée en dehors de ces débats, pour privilégier les résultats concrets. Une vérité fort simple est apparue : l'Europe est efficace lorsque ses institutions et ses États membres coopèrent pleinement. Pour cela, il faut une présidence active, volontaire, qui sache écouter mais aussi, quand c'est nécessaire, enlever la décision : bref, une présidence douée d'une capacité d'entraînement.
Serons-nous capables de continuer dans cette voie ? C'est tout le sens de ma question. Si, comme nous sommes nombreux ici à l'espérer, le traité de Lisbonne entre en vigueur d'ici un an...
M. Jacques Blanc. - C'est certain !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - ...le Conseil européen sera doté d'un président élu pour deux ans et demi renouvelables. Le choix de la personnalité appelée à remplir cette fonction est capital car l'Europe a besoin d'une vraie présidence. Il serait facile de choisir un « monsieur bons offices », habile et prudent, auxquels tous les chefs d'États et de gouvernement pourraient se comparer sans que leur vanité en souffrît.
La tentation sera d'autant plus grande que seront nommés au cours du second semestre 2009, du fait du report de l'entrée en vigueur de Lisbonne, le nouveau président de la Commission, le nouveau président du Conseil européen et le Haut représentant, nominations qui donnent habituellement lieu à d'interminables marchandages. Comment se doter d'une présidence capable d'entraîner s'il faut trouver un équilibre entre institutions, entre grands courants politiques, entre petits et grands États, entre anciens et nouveaux membres ? La France, même si elle n'assure plus la présidence de l'Union, s'emploiera-t-elle à défendre les acquis des six mois derniers ? Je regrette que l'on n'ait pas retenu l'idée de M. Giscard d'Estaing, durant la Convention, d'un Président du Conseil élu par un « Congrès des peuples » -sans doute n'était-elle pas assez mûre-, ce qui aurait donné l'autorité nécessaire au Président du Conseil pour exercer son mandat.
M. Jacques Blanc. - Une grande idée !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - Sous la présidence française, l'Union a fonctionné de manière plus active, plus pragmatique, plus différenciée. M. Fauchon, au sein de notre commission, travaille d'ailleurs sur le profit à tirer des coopérations renforcées entre États membres pour approfondir la construction européenne. Bref, monsieur le ministre, allons-nous revenir aux anciennes habitudes ou tout faire pour que l'expérience des six derniers mois ne reste pas sans lendemain ? Puisse la deuxième solution être privilégiée ! C'est le voeu que je forme pour l'Europe en ce début d'année ! (Applaudissements à droite)
M. André Dulait, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - La présidence française de l'Union européenne a été unanimement saluée comme une grande réussite. Pour notre pays tout d'abord, parce qu'il a fait ainsi avancer ses priorités : l'Union pour la Méditerranée, le pacte européen sur l'immigration et l'asile, le bilan de santé de la politique agricole commune et l'Europe de la défense. Pour l'Europe, ensuite, en ce que l'Union s'est davantage affirmée sur la scène internationale. A preuve, le conflit russo-géorgien d'août dernier. Pour la première fois, l'Union, parce qu'elle parlait d'une seule voix, est parvenue à mettre un terme à un conflit armé : elle a obtenu, face à un partenaire aussi difficile que la Russie, un cessez-le-feu, l'envoi d'une mission d'observation et l'adoption d'un accord en six points. On peut également citer l'adoption du paquet « énergie-climat », qui confirme le rôle moteur de l'Union dans la lutte contre le réchauffement climatique, et surtout la gestion de la crise économique et financière internationale dans laquelle la France a su, en privilégiant une approche coordonnée, obtenir des autorités américaines la réunion du G 20 à Washington pour jeter les bases d'une régulation du système financier international. Enfin, la présidence française, qui a débuté quelques jours seulement après le « non » irlandais, a réagi face à la menace d'une nouvelle paralysie institutionnelle. La feuille de route, adoptée lors du Conseil européen des 11 et 12 décembre dernier, devrait permettre une entrée en vigueur du traité de Lisbonne fin 2009. Il y va de la responsabilité de la présidence tchèque. Espérons que le courant eurosceptique, représenté en République tchèque au plus haut niveau, n'y mettra pas trop d'obstacles.
A l'aune de ce bilan très positif, quels enseignements peut-on tirer de la présidence française ? Tout d'abord, que l'Europe s'est affirmée sur la scène internationale grâce au volontarisme du Président de la République ; volontarisme, a-t-il affirmé lors de ses voeux au corps diplomatique, alimenté par la conviction que « le temps joue contre nous ». Les succès de ces six derniers mois ont démontré que l'Europe a besoin d'un véritable leadership. Que le Conseil européen, avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, dispose d'un président stable pour deux ans et demi, renouvelable une fois, et non tournant tous les six mois, représente un progrès considérable pour peu que ce président ne se contente pas de jouer le rôle d'un honnête courtier, d'un facilitateur de compromis mais prenne toute sa place aux côtés du Haut représentant et du Président de la Commission. Le choix de la personnalité qui occupera cette fonction sera donc déterminant.
Ensuite, qu'il s'agisse de l'Union pour la Méditerranée, du paquet « énergie-climat » ou encore du traité de Lisbonne, la présidence française a privilégié la coopération et le dialogue entre les institutions et les États membres ; elle a « joué collectif », ce qu'ont unanimement apprécié les États membres. Ainsi, s'agissant du paquet « énergie-climat », fallait-il prendre en compte les préoccupations des pays d'Europe centrale et orientale -personne ne peut reprocher à la Pologne d'être dépendante du charbon !- avec lesquels, je m'en réjouis, les relations ont été renforcées ces six derniers mois. La présidence a également entretenu un dialogue permanent avec la Commission européenne et le Parlement européen dont elle avait, par le passé, mésestimé l'importance. Puissent perdurer les relations de confiance nouées avec ces deux institutions, dont témoigne l'hommage appuyé rendu par le Parlement européen au Président de la République lors de son discours de clôture.
Enfin, dernier enseignement : la démarche pragmatique se révèle plus efficace que les belles déclarations. Pour exemple, les progrès en matière de politique européenne de sécurité et de défense, l'une des priorités de la présidence française. En matière de gestion des conflits, les mois écoulés ont été particulièrement actifs avec le déploiement de l'Eufor au Tchad, l'installation de la mission Eulex au Kosovo, l'envoi d'une mission civile d'observation en Géorgie et l'organisation, pour la première fois, d'une opération maritime pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie. Dans le même temps, la présidence française, pour consolider la politique européenne de sécurité et de défense, a cherché à obtenir un consensus des États membres sur les orientations à court et moyen termes en adoptant la méthode des « petits pas », chère à Jean Monnet, plutôt qu'en privilégiant les annonces spectaculaires. Concernant la définition des opérations civiles et militaires, l'Union, avec la déclaration sur les capacités, s'est dotée d'un contrat opérationnel, qui constitue une déclinaison intelligente des objectifs fixés il y a dix ans, lors du Conseil européen d'Helsinki. De fait, l'objectif est aujourd'hui de déployer rapidement des forces adaptées sur plusieurs théâtres d'opération et non d'engager, sur le modèle de la lourde opération du Kosovo, 60 000 hommes en 60 jours.
On peut également se féliciter de l'accord intervenu en novembre 2008 entre les ministres de la défense, portant sur des projets concrets comme les hélicoptères, les capacités aéronavales ou le lancement commun de satellites d'observation de nouvelle génération.
En revanche, il faut regretter le blocage persistant sur les capacités autonomes de planification et de conduite d'opérations. Un centre d'opérations sensiblement plus étoffé qu'aujourd'hui constituerait un réel progrès dont même l'administration américaine a reconnu l'intérêt, faisant ainsi tomber l'argument peu convaincant de la concurrence avec le Shape.
Je me félicite néanmoins de l'accord intervenu sur la création d'une structure unique de planification stratégique civile et militaire, car la réunion sous une seule main de tous les moyens de gestion de crise est un atout de l'Union européenne, vu la complexité des crises actuelles. J'espère que ce dossier progressera encore, tout comme celui des relations entre l'Union européenne et l'Otan, avec nos partenaires britanniques et la nouvelle administration américaine.
Pour conclure, je voudrais évoquer les relations franco-allemandes. La réussite de la présidence française prouve que le moteur franco-allemand continue à fonctionner. Le président Giscard d'Estaing a souligné récemment que les relations entre la France et l'Allemagne avaient toujours connu certaines tensions, mais les deux pays semblent s'être éloignés ces dernières années.
Monsieur le ministre, sachant combien vous connaissez bien ce pays dans lequel vous vous êtes rendu dès votre prise de fonction, pourriez-vous nous dire quels enseignements vous tirez de ce déplacement ?
La relation franco-allemande ne doit certes pas être exclusive, mais elle reste le principal moteur de la construction européenne. Il est donc indispensable de dissiper les malentendus car le renforcement de nos relations est la seule manière de faire progresser l'Europe politique. (Applaudissements à droite)
M. Yvon Collin. - Le bilan de la présidence française de l'Union européenne est globalement positif... du moins en apparence.
M. Jacques Blanc. - Et en réalité !
M. Simon Sutour. - L'apparence est parfois trompeuse.
M. Yvon Collin. - Le Président de la République n'a ménagé ni ses efforts, ni ses déplacements ni ses rencontres.
M. Jacques Blanc. - Très bien !
M. Yvon Collin. - C'est un fait, mais qui ne suffit pas à justifier un satisfecit pour cette mission de six mois.
M. Simon Sutour. - Il ne suffit pas d'être hyperactif.
M. Yvon Collin. - En effet, les dossiers ont-ils en majorité fait autre chose que suivre leur cours ? Au final, peu de chantiers ont été ouverts. Certains, très urgents, n'ont presque pas bougé. Je pense à la politique de santé, plus encore à la PAC.
M. Jacques Blanc. - La santé n'est pas une compétence communautaire.
M. Yvon Collin. - Seul le paquet « climat-énergie » sort du lot, son accélération remarquable ayant porté l'Europe à l'avant-garde de la lutte contre le changement climatique et pour la sécurité énergétique. Malgré les concessions substantielles aux Allemands et aux Polonais, ce plan contraignant représente un progrès considérable dans un domaine où il fallait intervenir vigoureusement.
Pour le reste, le relief de la présidence française tient à des événements exceptionnels : ce sont des crises qui ont mis l'action de la France en vedette pendant six mois. Au demeurant, la conjoncture internationale était des plus favorables, puisque la transition traversée par l'administration américaine laissait le champ libre à un intérim européen.
Comme très souvent, notre Président de la République a su s'emparer en expert de ces opportunités politiques. La crise géorgienne et la crise financière, deux accidents majeurs mais prévisibles, ont bousculé l'Union européenne et permis aux autorités françaises d'affirmer un style axé sur la cohésion dans la réactivité face à l'urgence.
Sur le plan diplomatique, l'activisme du chef de l'État a été déterminant pour préserver l'unité de vues des États membres et obtenir rapidement un cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie, face au risque réel de voir les troupes russes s'enfoncer dans ce pays. Le pire a été évité, du moins jusqu'à présent. Sans donner d'assentiment aux initiatives hésitantes du Président de la République -illustrées par ses errements avec la Chine sur le Tibet-, il est normal de saluer chaque geste porteur de paix.
Face à la crise économique et financière, des efforts méritoires ont été fournis par la présidence française pour rétablir la confiance et obtenir un fonctionnement régulé du secteur financier. De la réunion de Nice en septembre au sommet international de Washington en novembre, les initiatives ont été nombreuses et ambitieuses. Consciente de la gravité de cette crise, l'Europe est apparue déterminée.
Cependant, nous devons aujourd'hui, comme souvent avec ce Gouvernement, faire la part de l'affichage et de la réalité. Si l'Europe a souvent parlé d'une même voix, sa stratégie économique a surtout consisté à valider nombre de plans nationaux. Hélas ! Nous sommes encore très loin d'une Europe unie, aux politiques économiques et budgétaires coordonnées. Le discours sur les vertus de l'action concertée peine à se concrétiser. Pourtant, la coordination des politiques économiques devrait être un engagement politique majeur de la construction européenne, comme l'indique le rapport La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ? que j'ai écrit avec M. Bourdin.
Le traité fondateur dispose : « Les États membres considèrent leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et les coordonnent au sein du Conseil. » Malheureusement, cette disposition est restée formelle. Même le Pacte de stabilité n'est qu'un corps de règles plus ou moins contraignantes fixant des objectifs sans outils pour les atteindre. Il est d'ailleurs intenable en cas de récession grave, c'est pourquoi notre pays prévoit de laisser les déficits publics dépasser 4 % du PIB en 2009.
L'Europe reste donc caractérisée par une diversité d'options nationales qui s'opposent et par la survivance d'intérêts nationaux qui s'affrontent. Pourtant, une relance par la demande dans un pays isolé est deux fois moins efficace que lorsqu'elle est conduite à l'unisson des autres, l'incidence étant réduite des trois quarts si les autorités monétaires prennent de surcroît des mesures en sens contraire.
L'interdépendance des économies européennes transforme la régulation conjoncturelle en question d'intérêt commun. Or, les politiques budgétaires ou salariales restent nationales, ce qui favorise les stratégies individuelles des États membres. Ainsi la France et l'Allemagne conduisent-elles souvent des politiques budgétaires divergentes aboutissant à une compétition entre ces deux pays, dont je regrette qu'elle soit le plus souvent favorable à l'Allemagne grâce à sa politique de désinflation compétitive. Aujourd'hui, l'ensemble de la zone euro entre en récession avec un recul du PIB estimé à 1,9 % cette année. La grande crise économique actuelle doit être une opportunité pour instaurer une réelle coordination des politiques économiques à l'échelle de l'Union.
Durant la présidence française, il aurait fallu réguler le système financier mondial. Ce fut certes l'objet de quatre directives dont le Président de la République a souhaité l'adoption rapide, mais des plans de croissance auraient dû relancer l'activité. Nous y reviendrons demain. Au-delà de ces impératifs, il faudra renforcer la coordination économique afin de rendre l'Europe davantage maîtresse de son destin. Les institutions aussi sont fragiles, avec les incertitudes pesant sur la ratification du traité de Lisbonne.
Indéniablement, la présidence française a marqué les esprits par son volontarisme, mais que restera-t-il de cette période caractérisée par l'urgence et les crises, sans approfondissement concret de la coordination économique ?
L'Europe est née dans la crise. Je ne désespère pas qu'elle tire les leçons de celle que nous vivons. Au bout du compte, une confrontation ne fait que des perdants. Elle compromet ainsi les ambitions inscrites dans le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE ainsi que sur certains bancs CRC-SPG)
M. Simon Sutour. - Nous sommes heureux que le débat européen fasse son retour dans l'hémicycle. Il n'y a pas de grand et de petit hémicycle, il n'y a que celui dans lequel nous discutons.
« L'Europe, quel numéro de téléphone ? » Telle est l'interrogation d'Henri Kissinger en 1974, pointant du doigt le manque de visibilité de l'Europe. En 1975, le rapport Tindemans a proposé d'étendre la présidence du Conseil à douze mois, ce que les États membres avaient alors refusé pour ne pas laisser un État prendre la communauté en otage. L'interrogation institutionnelle sur la présidence tournante n'est donc pas nouvelle mais elle est devenue de plus en plus pertinente avec l'élargissement.
Le bilan de la présidence française s'inscrit donc dans un débat institutionnel qu'elle a alimenté à défaut de l'avoir créé. Je me réjouis que l'énergie déployée par le Président de la République ait permis des avancées, notamment lors de la crise géorgienne de cet été. Mais ce dynamisme a parfois tourné au coup de poker, éloigné du jeu collectif.
C'est ainsi que, lors du sommet Union européenne-Russie de novembre dernier, le Président de la République s'est prononcé contre le bouclier anti-missile américain, sans mandat européen et, à la suite des protestations tchèques et polonaises, il a dû faire machine arrière, affaiblissant la position de la France en matière de défense européenne.
De même, les débuts du projet d'Union pour la Méditerranée ont été marqués par la vision unilatérale de la France, laissant de côté non seulement l'Allemagne, mais l'ensemble du processus existant et des institutions communautaires déjà impliquées dans ce domaine.
M. Jacques Blanc. - Heureusement qu'il l'a imposé !
M. Simon Sutour. - Mais la construction européenne est par définition un travail collectif que la présidence du Conseil a pour responsabilité d'encourager.
En quoi le changement de présidence pourrait-il retarder le progrès des dossiers ? Je suis étonné que la question de M. Haenel soit présentée en ces termes. Il n'est pas difficile de constater que, pour le plus grand nombre des dossiers européens, chaque présidence fait évoluer les dossiers qui n'ont pu être conclus par la précédente ou qui ne lui ont pas paru prioritaires.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - C'est vrai.
M. Simon Sutour. - J'imagine que ce sera le cas pour l'attribution des moyens que réclame le lancement de projets européens de grandes infrastructures en matière d'interconnexion énergétique. Il faudra bien compter sur la présidence tchèque pour trouver une solution qui permette à l'Union européenne en tant que telle de contribuer à la relance économique.
La présidence française ne s'est pas toujours montrée exemplaire en matière de continuité des travaux. Dès le début, elle avait été accusée de préempter la Troïka, en ralentissant le travail de la présidence slovène et en discréditant à l'avance la présidence tchèque. L'Europe, c'est aussi une question de confiance dans ses partenaires. Il est frappant de voir avec quelle méfiance, quelle arrogance, on nous présente la présidence tchèque. Rien ne prédispose un grand pays à faire une présidence plus réussie qu'un petit. Les sénateurs savent que, dans leur département, il n'y a pas de grandes et de petites communes mais des communes, tout simplement. (Assentiment)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - C'est vrai.
M. Simon Sutour. - Avec le traité de Lisbonne, la présidence du Conseil de l'Union européenne sera également temporaire et fortement encadrée, et ne remplacera pas la présidence tournante des conseils des ministres, qui est maintenue.
Nous aurions aimé que la présidence française réfléchisse à une application anticipée du traité de Lisbonne sur des sujets essentiels pour les citoyens, je veux parler de la clause sociale transversale qui oblige les acteurs européens à intégrer une dimension sociale dans l'élaboration des politiques européennes. Je veux parler également du calendrier pour l'élaboration d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général.
Les crises ont toujours constitué un moteur de la construction européenne. La présidence française s'est inscrite dans un contexte difficile. Je regrette qu'à part la crise géorgienne, aucune n'ait accouché d'une solution européenne et que certaines n'ont trouvé aucune réponse.
Le Président de la République n'a cessé de le répéter, « on ne peut agir seul », « on ne s'en sortira pas tout seul ». Mais qu'a-t-il fait pour mettre en place une véritable contribution communautaire et réfléchir à un dispositif européen de long terme ? Le lancement d'un grand emprunt européen aurait fait d'une pierre deux coups en contribuant à la relance de l'économie européenne et à la lutte contre le changement climatique. Sa faisabilité a été étudiée de près par la Commission et le Parlement européen à l'automne. Nous attendions de la présidence française qu'elle propose un fonds européen de financement des mesures de lutte contre le changement climatique alimenté par les enchères des émissions de quotas ; nous attendions également qu'elle prépare une révision des perspectives financières et assure une réflexion commune sur le financement des politiques de l'Union. La réponse commune aura été en trompe-l'oeil : un habillage communautaire de plans de relance nationaux, dont la plupart des mesures étaient déjà prévues par les États membres.
Comment traiter de la crise économique sans traiter de la crise sociale ? Le taux de chômage est passé de 6,5 % à 7,4 % dans la zone euro et de 6,3 % à 7 % dans toute l'Union européenne, soit un total de 17,5 millions de chômeurs en Europe. Quelle a été la réponse de la présidence française ? L'allongement de la durée légale du temps de travail ! Une réforme a minima de la directive sur les comités d'entreprise européens !
La volatilité des prix mondiaux des denrées alimentaires a provoqué une crise alimentaire mondiale. Croyez-vous que la réforme de la PAC, qui renonce à la plupart des outils de régulation du marché, garantira un revenu décent aux agriculteurs et la sécurité alimentaire à l'Union européenne ?
L'équilibre institutionnel s'est modifié ? C'est que les méthodes de la présidence française ont esquissé un retour de l'Europe intergouvernementale. Faut-il considérer le retour de la diplomatie classique comme une mise en oeuvre de l'Europe politique ? La présidence française a privilégié une Europe de la coopération au détriment d'une Europe de l'intégration, elle a affaibli délibérément l'esprit et l'intérêt communautaires. En réintroduisant l'unanimité au Conseil pour le paquet « énergie-climat », elle a mis à mal une vision intégrée de la construction européenne et la prééminence d'un intérêt européen commun. Cette valorisation de l'unanimité est une régression puisqu'elle autorise une minorité à ne pas reconnaître la majorité et à considérer qu'il n'y a pas d'entité politique unique. Dans cette vision, chaque État membre redevient le garant de son seul intérêt. Le pacte sur l'immigration et l'asile a illustré ce nouveau virage.
Les déclarations d'amitié à l'égard du Président de la Commission ne trompent personne, tant le chef de l'État s'est attaché à affaiblir l'exécutif communautaire, à le réduire au rôle de bureau d'enregistrement des décisions du Conseil. Les plans de relance des États membres en sont un bel exemple. La multiplication des sommets informels entre chefs d'État, dont la Commission ne serait plus qu'une invitée de la présidence en exercice, priverait, à terme, la Commission européenne de son pouvoir d'initiative et de son rôle moteur dans une construction européenne intégrée.
Le Parlement européen a su s'affirmer sur de grands sujets politiques comme le temps de travail, mais il a subi une très forte pression de la part de la présidence en vue d'accélérer le rythme de ses travaux. Je comprends l'importance des négociations entre les trois institutions pour boucler le programme législatif avant les élections européennes. Pour autant, il ne faudrait pas que cette pratique court-circuite le débat démocratique. Le débat dans l'hémicycle sur le paquet « énergie-climat » n'a duré que vingt minutes... Alors que la présidence française avait promis d'appliquer d'avance le traité de Lisbonne et la co-décision en matière agricole, c'est de justesse que l'avis du Parlement européen a été connu avant la décision du conseil des ministres !
Le 16 décembre, le Président de la République a déclaré que le Parlement européen était plus conciliant sur certaines politiques comme l'immigration alors que, sur le plan national, il ne donnerait pas toujours « l'exemple du respect des personnes, du calme, de la pondération et de l'esprit de responsabilité ». Cela veut-il dire que, lorsque le débat démocratique ne se plie pas à la volonté de l'exécutif, il n'est plus légitime ? En outre, si le Parlement européen est plus « compréhensif » que le Parlement national, pourquoi le court-circuiter ? Cette approche, qui se veut pragmatique, pourrait être dommageable à la veille d'élections européennes, dont les citoyens discernent mal les enjeux.
Il est normal que le Président en exercice fasse tout pour rendre le plus positif possible son bilan, et que sa majorité l'y aide. On l'a vu devant le Parlement européen, sur tous les sujets, y compris ceux qui n'ont pas été traités. L'Europe sociale en est l'exemple le plus flagrant : les services sociaux d'intérêt général, très menacés, n'ont été traités que dans le cadre d'un « forum ». Le thème de la sécurité privée a également eu droit à son colloque, c'est dire l'importance donnée à l'avenir des services sociaux et des millions de personnes qui en bénéficient en France ! De même, le droit de grève et à l'action collective, menacé par un arrêt récent de la Cour de Justice, n'a fait l'objet que d'un échange de vues entre ministres.
La relance de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) était une des priorités de la présidence française ; l'abondante rhétorique présidentielle avait promis monts et merveilles. Or, sur un point clé, la création d'une cellule de planification et de commandement, l'échec est patent. Le retour dans l'Otan a donné le signal d'un recul de la France sur le dossier PESD : certains pays membres se demandent pourquoi, maintenant que la France devient un pays de l'Otan comme les autres, proposer un organisme qui donnerait autonomie et marges de manoeuvre propres à l'Union européenne.
M. le président. - Veuillez conclure : vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Simon Sutour. - Les présidents des commissions l'ont fait bien davantage !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question. - Onze minutes, pas plus !
M. le président. - Je suis l'arbitre !
M. Simon Sutour. - Je conclus rapidement. Nous regrettons les dérives de l'Europe protection, dont la France avait fait un slogan. L'Europe doit-elle protéger ou se protéger ? La présidence française a défendu la vision d'une Europe qui se replie sur elle-même, plutôt que de présenter l'immigration comme un atout pour nos sociétés vieillissantes ou moins dynamiques et comme une chance à saisir. La technicité toujours plus poussée des procédures et du fichage remplace toute approche constructive et évolutive.
La défense d'une vision sécuritaire rejoint celle d'une Europe dérégulatrice ; l'adoption de la directive Retour en est l'amère illustration puisqu'elle ouvre la voie à une révision de notre législation nationale pourtant plus protectrice que les minimas européens.
Ces six mois couronnent les orientations et les tentations d'années de domination des forces conservatrices en Europe : application de mesures néolibérales et sécuritaires, réticence à financer les projets décidés en commun et volonté de replacer les politiques menées et les institutions sous le contrôle des États membres. L'Europe financière, l'Europe de la sélection des migrants économiques utiles, l'Europe du seul marché semble avoir été privilégiée alors que la grande ambition d'une Europe plus protectrice des citoyens s'est perdue en route.
Les socialistes européens ont un autre projet à proposer, comme en témoigne leur programme politique commun baptisé « manifeste » : celui d'une Europe plus juste avec une vraie relance de l'économie européenne, garante des libertés et des droits, leader en matière de protection de l'environnement et qui place les citoyens au centre du débat politique. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Fauchon. - Je n'aurai pas le temps, surtout après les précieuses minutes volées par M. Sutour (sourires), de dresser un bilan de la présidence française de l'Union européenne tel qu'il le mérite. C'est dommage à tous les égards, car ce semestre a été remarquable par l'ampleur et la fécondité de ses résultats aussi bien que par la qualité des méthodes d'action mises en oeuvre, qui sont parvenues à des consensus inédits et inespérés.
M. Simon Sutour. - C'est trop pour être crédible ! (Sourires)
M. Pierre Fauchon. - Rarement politiques auront été aussi bons diplomates et rarement diplomates auront été aussi bons politiques. On aimerait affirmer que l'Europe est sortie de sa léthargie, qu'elle a pris conscience de la vraie dimension de ses intérêts, de ses responsabilités et de ses pouvoirs. Grâce au chef de l'État, la furia francese transmuée en savoir-faire français a fait merveille. (M. Jacques Blanc applaudit)
Tout d'abord, plutôt que d'opposer la supposée paralysie des États à la supposée créativité européenne communautaire, opposition qu'il faut dépasser en affirmant la capacité des Européens de retrouver la voie du progrès dans un processus nouveau, reconnaissons que nous sommes désormais en présence d'un exécutif de type bicéphale ; les Français y sont habitués ! D'un côté, la Commission, privée du privilège monopolistique aussi bien que des bénéfices d'une concentration en réalité très handicapante, conserve sa spécificité et son caractère de conscience communautaire ainsi que les immenses moyens de son appareil technique. De l'autre, le Conseil, détenteur de la légitimité la plus enracinée, se sait désormais capable d'engager et de conduire les affaires communes. Le traité de Lisbonne, soi-disant simplificateur, ne fera que conforter cette situation par la consolidation de la présidence.
A l'avenir, la situation évoluera au gré des événements et de la personnalité des dirigeants. Ce schéma imprévu, différent de celui dont certains -dont je suis- avaient rêvé, ne saurait être récusé pour des raisons de principe. La question est donc de savoir si l'Europe avance. Et comment peut-elle avancer ? Cette réflexion, dans la perspective des interrogations du président Haenel, s'appuie sur le constat selon lequel l'Europe des 27, en attendant celle des 28 et davantage, a beaucoup de mal à imposer des politiques communes réellement communes et opérationnelles. Ainsi, l'extension des missions de l'Union à l'ensemble des domaines de la vie publique opérée par le traité de Maastricht n'a donné lieu qu'à des démarches méritoires mais plus symboliques qu'opérationnelles. A défaut de prendre des décisions réellement communes et efficaces, on réalise des livres verts qui ne sont souvent que des catalogues de difficultés. Les impulsions de ces derniers mois ont sans doute ravivé les ardeurs, mais rien ne permet d'affirmer pour autant que les mises en oeuvre authentiquement unanimes seront beaucoup plus aisées demain qu'elles ne l'étaient hier.
Dès lors qu'on ne peut agir tous ensemble, il faut agir à quelques-uns : c'est la voie des coopérations renforcées qu'il convient dont d'emprunter... (MM. Jacques Blanc et Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, auteur de la question, approuvent), sinon dans leur procédure particulière, du moins dans leur principe. Ni l'euro ni le système Schengen ne réunissent la totalité des États. Les exemples de moindre envergure abondent, qui montrent que l'exemple de quelques-uns emporte peu à peu l'adhésion des autres. Ainsi, le casier judiciaire européen, qui procède d'un accord particulier entre la France, l'Allemagne et une partie du Benelux, s'est étendu en quelques années à dix-sept participants auxquels se joindront quasi inévitablement les plus particularistes, tel le Royaume-Uni. Notre pays doit reporter son dynamisme, son imagination et son savoir-faire sur ces coopérations avancées -sujet qui nous tient à coeur et sur lequel la commission prépare un rapport-, le plus sûr moyen pour l'Europe de poursuivre sa marche en avant. (Applaudissements à droite et au centre)
M. le président. - Merci pour votre dynamisme, monsieur Fauchon !
Mme Annie David. - L'Europe reste trop souvent absente de nos discussions, alors que les enjeux de sa construction concernent directement nos concitoyens et que la plupart de nos lois sont des transpositions de directives. Pour cette raison, comme Simon Sutour, je me réjouis que ce débat, auquel nous invite Hubert Haenel, se tienne dans notre hémicycle.
Le monde médiatique, les personnalités politiques, les experts, les administrations européennes ont loué un bilan jugé exceptionnel. Pendant la présidence de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy aurait fait preuve de détermination, de dynamisme et de charisme, à l'image de son mandat national. Balayant tous les obstacles, permettant des consensus sur des sujets difficiles, il aurait maîtrisé les crises survenues lors de ces six derniers mois.
Au-delà de l'agitation médiatique, certains mérites peuvent être reconnus à cette présidence. Tout d'abord, comme le souligne Hubert Haenel, les événements ont permis de restituer au Conseil européen son rôle de moteur des choix et des politiques menées. Toutefois, cela ne suffit pas à rendre à l'Union européenne sa véritable légitimité politique : il faut également pour cela renforcer les pouvoirs de son Parlement. Et comment ne pas reconnaître que cette institution a été malmenée sous cette présidence ? Comment expliquer notamment que le conseil des ministres ait entériné le rehaussement des relations avec Israël le 8 décembre dernier alors que le Parlement européen s'était prononcé cinq jours plus tôt pour un report de ce projet ?
Ensuite, si le rôle politique de l'Union a été renforcé, il s'est accompagné d'un retour important au travail intergouvernemental, comme l'ont exposé Yvon Collin et Simon Sutour. Ainsi, le plan de relance européen s'est réduit à l'addition de plans nationaux et s'est finalement limité à 170 milliards d'euros au lieu des 200 annoncés. Cette méthode écarte la recherche d'un intérêt général communautaire alors que c'est de ce dernier que découle la définition des protections minimales nécessaires pour garantir les droits des citoyens et des services publics... En outre, le Président français estime que le leadership de l'Union doit revenir non seulement au Conseil européen, mais également à un petit groupe de pays : Allemagne, France, Royaume-Uni et Espagne. En pleine contradiction avec l'esprit de la construction européenne, il affirme que « c'est aux grands pays de prendre des initiatives. Ils n'ont pas plus de droits, mais plus de responsabilités ».
Enfin, les difficultés liées à la présidence semestrielle évoquées par Hubert Haenel sont réelles, mais pourquoi un tel regain d'intérêt aujourd'hui pour cette question ? Tout simplement parce que chacun espérait que la présidence française serait la dernière avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui permet de passer à une présidence de deux ans et demi. J'attire une nouvelle fois votre attention sur les risques qu'il y a à préjuger du vote des peuples, ou surtout de leur absence de vote. La question de l'adoption du traité de Lisbonne illustre le déficit démocratique profond de la construction européenne : la priorité de la présidence française dans ce domaine aura été de contourner le vote des Irlandais. Le Conseil européen a cédé aux revendications nationalistes du gouvernement irlandais, qui ne vont pas dans le sens d'une Europe de progrès.
Il est désormais acquis que la Charte des droits fondamentaux ne s'appliquera pas à l'Irlande dans certains domaines, par exemple la famille. Nous regrettions déjà l'absence de portée contraignante de ce document ; si on le vide de son contenu...
Sur le plan économique et social, le groupe CRC-SPG ne peut approuver le bilan de la présidence française. La gestion de la crise aura été de circonstance et n'aura permis ni d'en interroger les causes ni de réorienter la politique de l'Union. Les racines de la crise, ce sont la libéralisation et la marchandisation de l'ensemble des activités humaines, la déconnection entre l'économie réelle et les marchés financiers. Alors que la Commission annonce un recul du PIB communautaire de 1,9 % et la suppression de 3,5 millions d'emplois, rien n'est fait pour protéger les citoyens européens ; la dérèglementation, l'indépendance de la BCE, le Pacte de stabilité ou l'interdiction des aides d'État sont plus que jamais à l'ordre du jour.
La politique agricole, le bilan de santé de la PAC vont encore renforcer les grands exploitants et entérinent la suppression des quotas laitiers à l'horizon 2014. Le bilan du plan climat est décevant aux dires des associations, des dérogations nombreuses ayant été accordées aux industries les plus polluantes sous la pression de l'Allemagne, de l'Italie et des pays de l'Est. Le système des quotas d'émission, au coeur du système, laisse en suspens la question essentielle qui est celle des modes de production de l'énergie. La libéralisation des marchés de l'énergie n'est pas conciliable avec une meilleure prise en compte du facteur environnemental : le secteur, comme le souligne le rapport de la mission d'information sur la sécurité d'approvisionnement en électricité, ne peut être laissé à la main invisible du marché. Il faut une politique énergétique commune reposant sur la diversification du bouquet énergétique vers les modes les moins polluants.
En politique extérieure, l'Union, loin d'offrir l'image d'une Europe accueillante, se pose en forteresse défensive avec le fameux pacte sur l'asile et l'immigration du 7 juillet, premier acte fort de la présidence française ; ce texte permet la détention provisoire pendant dix-huit mois et le renvoi des enfants. Le concept d'immigration choisie ne respecte ni les droits des migrants, ni la dignité humaine. Tous ces murs seront inutiles tant qu'un déséquilibre important existera entre le Nord et le Sud.
Le rehaussement des relations avec Israël, État occupant, est scandaleux. Loin de subir les foudres de l'Union, Israël se voit offrir comme une récompense une participation aux programmes communautaires. Nous demandons la suspension immédiate de cet accord. Le projet d'Union pour la Méditerranée ne saurait dispenser l'Union européenne de prendre ses responsabilités au Proche-Orient et de peser plus encore pour une paix juste et durable et la reconnaissance d'un État palestinien dans les frontières de 1967, à côté de celui d'Israël.
Je conclurai par la politique sociale. Ce devait être une priorité de la présidence française, si l'on en croit à la fois le discours du Premier ministre du 18 juin dernier et ces mots du Président de la République : « je veux une Europe à l'intérieur de laquelle aucun État ne puisse pratiquer le dumping social ». M. Bertrand avait, lui, listé quelques priorités telles que la santé et la sécurité au travail, l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ou la responsabilité sociale des entreprises. Ces priorités devaient même se concrétiser par des directives. Hélas ! On ne peut que déplorer l'immobilisme de la Commission et du Conseil européen sur ces questions. Le rapport de Mme Zimmer, adopté à l'unanimité, proposait l'instauration d'un salaire minimum au niveau européen : il n'a trouvé aucune traduction législative.
Le droit à la santé n'a pas avancé d'un pouce ; il est au contraire sans cesse remis en cause par l'abandon de l'hôpital public au profit de l'initiative privée. La seule proposition concrète, heureusement repoussée par le Parlement européen, aura été la fameuse directive sur le temps de travail proposée par M. Bertrand ; symbole du moins disant social, elle proposait notamment la semaine des 65 heures, ce qui faisait craindre une « régression sociale jamais vue », selon l'expression de la Confédération européenne des syndicats. Nous sommes donc très loin de l'Europe sociale qui protège que nous a décrit en audition notre ambassadeur permanent auprès de l'Union. Au total, cette présidence aura suivi le chemin des politiques libérales qui ont conduit l'Europe dans le mur...
Les élections européennes de juin prochain seront, je l'espère, l'occasion pour les peuples de peser pour une Europe dont les maîtres mots ne seraient plus « libre concurrence » et « marché roi » mais « justice économique, sociale et environnementale », pour le développement de tous et le progrès social pour chacun. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Bernard-Reymond. - La présidence française de l'Union apparaît comme la plus dense, la plus dynamique et la plus réussie de toutes celles que l'Europe a connue. Ce constat n'est pas frappé du sceau de l'arrogance ; il est partagé par la plupart de nos partenaires. L'excellente préparation des dossiers, le grand professionnalisme de nos hauts fonctionnaires, mais surtout la clairvoyance, la volonté et l'habileté du Président de la République ont permis de faire avancer l'Europe et de la faire apparaître comme un acteur majeur de la vie internationale.
La crise russo-géorgienne, si elle n'avait pas été maîtrisée, aurait pu ressusciter pour longtemps la guerre froide. Tout n'est pas réglé mais l'Europe a adressé les messages qui convenaient à la Russie : l'Europe ne peut transiger avec la liberté des peuples mais elle offre à ce grand pays les perspectives d'un partenariat de paix et de prospérité. Le chemin sera long pour l'amener à comprendre que plus de liberté et plus de démocratie chez elle lui apporteront plus de poids et de considération dans le monde. Il nous faudra aussi du temps pour aider les anciennes républiques soviétiques à dépasser les craintes et les réflexes acquis sous le joug de l'Union Soviétique et ouvrir une ère nouvelle de coopération sur le continent. La façon énergique et équilibrée avec laquelle le Président de la République a traité cette crise autorise tous les espoirs.
Le passage brutal de la crise financière à la crise économique réclamait une action rapide et de grande ampleur. Ce fut le cas. Il fallait des mesures immédiates et des résolutions à long terme. On peut certes regretter que la réponse n'ait pas pu être essentiellement communautaire, mais l'Union, les 11 et 12 décembre dernier, pressée par la présidence, a apporté des éléments de relance qui sont venus s'ajouter aux plans nationaux. Les perspectives à long terme sont plus lourdes de sens encore : mieux réguler et moraliser davantage, associer les grandes nations émergentes aux décisions importantes ; souhaitons que le G 20 convoqué à Londres le 2 avril soit à la hauteur des enjeux et de sa nouvelle représentativité. La face de la mondialisation doit changer. Les solutions pour y parvenir sont connues mais il y faudra énergie, courage et solidarité.
Autre action porteuse d'avenir, la relance du processus de Lisbonne, mis à l'arrêt par le référendum irlandais. Nous eussions préféré avoir à mettre en oeuvre le traité mais les Français sont mal placés pour critiquer les résultats d'un référendum... Le compromis proposé par la présidence française et adopté par le Conseil laisse entrevoir une issue, pour peu que nous laissions un peu de temps au temps.
Au terme de cette présidence, on pourrait être tenté de considérer que les hommes comptent plus que les institutions, mais les dispositions du traité de Lisbonne sont néanmoins indispensables pour les inévitables périodes de croisière ou de doute que connaîtra encore l'Europe.
Enfin, l'Union pour la Méditerranée est lancée, qui a heureusement gardé son caractère communautaire. L'objectif est ambitieux, mais si le succès est au rendez-vous, le processus sera porteur de paix, de prospérité et de justice ; il aura un caractère exemplaire pour le dialogue Nord-Sud et pourra contribuer, espérons-le, à trouver une solution au Moyen-Orient.
Tous ces dossiers vont déterminer une grande partie du destin de l'Europe. Les germes du progrès sont là, espérons que la conjoncture internationale, l'action des futures présidences et surtout la sagesse des hommes permettront leur réussite. Si l'Europe a pu parvenir à de tels résultats, on le doit à l'énergie du Président de la République. On le doit aussi au fait qu'une question institutionnelle lancinante est désormais tranchée : c'est à partir du Conseil européen et non de la Commission que se construit le pouvoir exécutif européen. Il ne pouvait en être autrement. Le Président a bien compris le rôle de la Commission et permis ainsi aux institutions de donner leur pleine efficacité. La guérilla institutionnelle appartient au passé ; cela aussi est à mettre au crédit de la présidence française.
Cette atmosphère positive a permis de faire avancer des dossiers préparés de longue date, qui ont été concrétisés sous l'impulsion de la France. M. Barnier a conduit avec expertise et finesse les négociations sur le bilan de la PAC et mené de même les réflexions sur son évolution. L'accord du 20 novembre préserve les intérêts français. Le maintien de l'intervention, la sortie encadrée des quotas laitiers, le maintien du couplage pour certaines productions, l'amélioration des dispositifs de couverture risques climatiques et sanitaires, une plus grande souplesse dans la réorientation des aides ou la limitation du transfert sur le second pilier rassureront nos agriculteurs, tout en prenant en compte la nécessaire évolution de la PAC au-delà de 2013.
La Présidence française présente également un bilan très solide en matière d'immigration. Avant cette présidence, beaucoup de Français avaient le sentiment que notre politique d'immigration était isolée en Europe. Le ministre Hortefeux a démontré le contraire : les fondamentaux de cette politique sont désormais partagés par nos 26 partenaires. Le pacte européen sur l'immigration, préparé à Cannes et à Bruxelles, la politique d'intégration entérinée à Vichy, l'établissement d'une politique contractualisée avec les pays d'origine, réalisé à Paris et d'ores et déjà concrétisé par la signature de sept accords, constituent désormais les fondements de la politique européenne d'immigration, d'intégration et de coopération pour la prochaine décennie.
En matière de lutte contre le changement climatique, cinq directives et un règlement constituant le paquet « énergie-climat » proposé au début de l'année dernière par la Commission ont pu être adoptés en décembre dernier par le Conseil européen et approuvés par le Parlement. Moins d'une année pour parvenir à un tel résultat relève de la performance. Les situations très différentes qui prévalent dans les 27 États membres pouvaient laisser craindre l'échec. La solidarité entre ces membres a permis de transcender les difficultés et un plan d'action opérationnel sera mis en place tendant à l'horizon 2020 à diminuer d'au moins 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer de 20 % l'efficacité énergétique et à atteindre une proportion de 20 % d'énergies renouvelables. L'Europe se place ainsi en tête du mouvement pour la transition écologique et énergétique.
La France avait annoncé qu'elle entendait dynamiser la politique de défense européenne. Plusieurs initiatives ont été lancées ou accélérées pendant sa présidence et la défense européenne prend corps et acquiert une réelle crédibilité.
Nous pouvons être fiers de la façon dont le Président de la République a conduit cette présidence et des résultats qu'il a obtenus. A cette occasion, nous mesurons les formidables opportunités que l'Europe offre à un pays comme le nôtre pour son rayonnement dans le monde. Les Eurosceptiques devraient y réfléchir. En retour, une Europe bien conduite mesure la place qu'elle est capable d'occuper dans la vie internationale pour peu qu'elle soit unie. Cette présidence a démontré s'il en était besoin que l'Europe ne peut être que politique. Que les partisans d'une Europe qui ne serait qu'un simple espace économique y réfléchissent ! Que serions-nous aujourd'hui face à la crise sans l'euro ? Que ceux qui n'ont pas voulu adopter la monnaie unique s'interrogent ! Les pays européens ont élaboré un consensus, une politique commune de l'immigration : qui s'en plaindra ? Avec le « paquet-énergie », l'Europe sera au premier rang pour la lutte contre le changement climatique : qui pourra le regretter ? Finalement, la plus grande réussite de cette présidence, c'est d'avoir démontré que l'Europe n'a jamais été aussi indispensable à notre avenir. Une Europe plus proche de ses citoyens. Une Europe qui compte sur la scène internationale et qui oeuvre pour un monde plus libre, plus démocratique, plus pacifique, plus solidaire, plus moral. Oui, c'est possible ! (Applaudissements à droite)
M. le Président. - C'est avec plaisir que j'accueille pour la première fois M. Le Maire.
M. Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - C'est un très grand honneur pour moi, en même temps qu'un plaisir, de participer à cette première question orale et je suis sensible au fait qu'elle soit présidée par le Président du Sénat en personne. Diplomate d'origine, je m'efforcerai d'être politique et si d'aventure j'étais trop politique, demandez moi de parler davantage en diplomate.
La présidence française a été qualifiée de succès, unanimement, par chacune des institutions européennes. Quels enseignements peut-on en tirer ? D'abord la nécessité du sens du compromis qui permet de tenir compte des préoccupations de 27 États différents et qui garantit d'inscrire dans la durée les décisions d'une présidence de six mois. Si nous forçons les décisions, elles seront tôt ou tard remises en cause. La négociation du plan Climat en est un exemple : nous ne sommes parvenus à un résultat que parce que nous avons pris en compte les intérêts, contradictoires, des différents membres et parce que nous avons pris en compte leur histoire. Par exemple, on ne peut imposer à la Pologne, ni à aucun des pays ayant été sous domination communiste et qui n'ont pas choisi leur politique énergétique, de la modifier du jour au lendemain ! Il faut tenir compte des intérêts, de l'histoire et de la mémoire des peuples européens. Une vérité technocratique ne peut prendre le dessus sur la mémoire des peuples... (Applaudissements à droite)
Autre exemple de compromis : les institutions et la négociation du traité de Lisbonne. Oui, monsieur Sutour, il aurait été agréable d'appliquer ce traité de manière anticipée car il marque un progrès pour nos institutions communes. Mais l'Irlande ne s'est pas encore décidée et, céder à la tentation, c'était tuer définitivement ce traité. Nous l'aurions donc regretté et un des mérites de la Présidence française, c'est d'avoir obtenu un succès pour le long terme.
Le dernier exemple de compromis concerne les institutions. Le rapport fait sur les relations entre le Conseil et la Commission est quelque peu fallacieux. Une Europe qui marche est une Europe qui fait sa place à chacune de ses institutions. Il faut un Conseil fort, il faut une Commission forte, il faut un Haut représentant fort. C'est vrai, monsieur Sutour, le Parlement a un rôle essentiel : il nous a aidés sur tous les sujets, y compris sur la directive Retour -d'ailleurs votée par la majorité du groupe socialiste... Les nombreux déplacements du Président et des ministres auprès de ce Parlement témoignent de la déférence qu'on lui a portée.
Autre enseignement de cette présidence : il est indispensable de réintroduire dans l'action européenne le sens de la décision et de l'initiative. Vous l'avez dit, monsieur le ministre Bernard-Reymond, vous qui avez été le premier secrétaire d'État aux affaires européennes de la Ve République : nous avons besoin de décisions autant, sinon plus, que de délibérations ! Ce sens de la décision, nous l'avons manifesté sur la Géorgie, sur Gaza. Prendre des décisions, c'est comprendre que nos concitoyens ne peuvent pas attendre et que l'Europe doit enfin prendre des risques. Mieux vaut le risque que l'impuissance et le déshonneur qui lui est généralement associé ! (Applaudissements à droite)
La présidence française a renforcé le Conseil européen qui, d'après le traité d'Amsterdam, définit la politique communautaire.
De ce point de vue, la France n'a fait que répondre à l'esprit des institutions. La présidence française s'est exercée dans un temps de crise financière, économique et géostratégique qui appelait une présidence forte mais aussi un Conseil, un Parlement et une Commission forts : la présidence française n'a pas porté atteinte à l'autorité des autres institutions dont le rôle aura été déterminant.
M. Collin y a consacré l'essentiel de son propos et je partage son point de vue ; Mme David en a également parlé : il est impératif de coordonner davantage les politiques économiques. Je le dis car c'est ma conviction profonde et que je la mets en pratique depuis que j'occupe mes fonctions. Je pense d'abord, parce que j'y ai consacré toute ma journée avec le Premier ministre, Christine Lagarde et Luc Chatel, à l'industrie automobile.Des plans nationaux sont nécessaires parce qu'ils peuvent être décidés rapidement et qu' il est bon que la France soutienne son industrie automobile : Mme David comprendra mon attachement pour le site de Renault à Sandouville. Mais ce serait encore mieux si nous pouvions coordonner nos plans nationaux - c'est l'objet des démarches qui ont abouti à la déclaration commune de Mme Merkel et du Président Sarkozy et à la réunion d'aujourd'hui ; ce serait encore mieux si nous pouvions avoir une prime à la casse non de 2 500 euros en Allemagne, de 1 000 euros en France et de 850 euros en Italie mais une seule prime qui permettrait d'éviter les distorsions de concurrence ; ce serait encore mieux si la Banque européenne d'investissement pouvait réagir plus rapidement et décider en constatant que l'Europe a apporté 4 milliards à l'industrie automobile quand les États-Unis apportaient 25 à General Motors, de se réunir pour débloquer des crédits. (Applaudissements à droite)
Vous m'avez demandé si le rythme semestriel de la présidence ne risquait pas de compromettre les progrès de l'Union européenne. Je vous répondrai que des avancées ont été réalisées pour assurer la continuité du Conseil, la présidence en exercice associant la présidence précédente et la prochaine. Je travaille avec mes homologues suédois et tchèque. Je me suis rendu deux fois à Prague ; j'ai eu des entretiens très approfondis avec M. Vondra, qui est la véritable cheville ouvrière de cette présidence et nous nous entretenons par téléphone deux fois par semaine. J'ai également eu des contacts avec M. Topolanek et un entretien très sympathique avec M. Klaus... mais nous n'avons pas parlé d'Europe, ceci expliquant peut-être cela. (Sourires) Je n'ai aucun doute sur la volonté de la République tchèque de faire de sa présidence un succès. Elle en a les moyens et les doutes qui ont été exprimés sont mal venus. MM. Topolanek et Vondra ont géré la crise du gaz en Ukraine d'une manière qui peut rassurer MM. Dulait et Sutour. Nous travaillons main dans la main avec les Tchèques et les aidons quand ils nous le demandent. Bien sûr, il faut plus de continuité ; c'est l'ambition du traité de Lisbonne qui crée la présidence stable du Conseil européen ; c'est bien pourquoi sa ratification par tous les États européens est un enjeu majeur car c'est la condition de l'Europe politique que nous appelons de nos voeux.
La première conviction personnelle que je voudrais exprimer en conclusion est que cette présidence aura marqué le retour à la responsabilité du politique. Nos concitoyens ont en effet besoin de savoir qui fait quoi et avec quelle légitimité.
M. M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Voilà !
M. Le Maire, secrétaire d'État. - L'Europe a pâti pendant des années que certains responsables politiques disent à Paris : « ce n'est pas ma faute, c'est celle de Bruxelles » avant d'aller dire à Bruxelles : « faites ce que vous voulez, mais discrètement... ». Les citoyens ne s'y retrouvaient plus et ce retour du politique est impératif. La crise économique renforce le besoin de savoir qui fixe les règles aux banques, qui arrête les contrats, qui définit la position au G 20, qui détermine une politique globale ; si nous ne sommes pas en mesure de le savoir, les citoyens nous diront que ni l'Europe ni les hommes politiques ne prennent leurs responsabilités. Les prochaines élections européennes n'en sont que plus importantes. Il est essentiel de considérer qu'être député au Palais-Bourbon, ce que j'ai vécu comme un honneur, siéger ici, au Sénat, ou au Parlement européen, a la même valeur, est d'égale importance.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Très bien.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Je rencontre souvent les parlementaires européens et je vois bien que certains pays sont mieux organisés que d'autres, qu'ils défendent mieux leurs intérêts...
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Les Allemands !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Quand on étend la co-décision, quand on renforce la capacité du Parlement à infléchir les normes qui vont s'appliquer aux citoyens, il est normal d'envoyer siéger au Parlement européen nos meilleurs responsables, les plus compétents, les plus doués, comme le font tous les autres grands pays. (Applaudissements à droite)
J'ai également la conviction qu'il faut organiser une double coopération, et d'abord une coopération entre toutes les institutions, qui doivent être fortes, y compris le Parlement européen qui doit jouer pleinement son rôle. Je souhaite que le prochain Président et les commissaires soient forts, de même que le Haut représentant qui sera le visage de l'Europe. M. Haenel a parlé de faire émerger des personnalités fortes : il faut en effet qu'elles s'emploient à l'échelle européenne et pas seulement à celle des États nationaux.
Praticien des affaires étrangères, je crois qu'il ne fait pas être naïf et que nous aurons aussi besoin d'une coopération des Nations. Nous ne pouvons nous passer d'une coopération des États membres, comme l'a suggéré M. Fauchon, d'où l'importance que j'attache au renforcement du lien entre la France et l'Allemagne, parce que la frontière rhénane est au coeur de l'histoire européenne et parce que c'est notre intérêt économique, politique et culturel. Nous avons également besoin d'élargir nos relations avec l'Italie, l'Espagne et la Grande-Bretagne tout en prenant en compte l'identité d'États que nous négligeons trop souvent : les États de l'Europe centrale, que le Président de la République a su prendre en considération. Pour les connaître, je puis dire qu'ils ont une identité propre, une mémoire propre, une cohésion propre et que si nous les laissons de côté, tout ce que nous faisons avec les Allemands ou les Britanniques restera lettre morte car ils diront : « ce n'est pas l'Europe que nous voulons ! ».
Cette coopération est essentielle, notamment face à la nouvelle administration américaine qui a ouvert un espoir extraordinaire. Face à elle, il faut avoir des institutions fortes, en ordre de marche, qui coopèrent, sans quoi nous ne pèserons pas face aux États-Unis, et nous ne les intéresserons même pas.
L'heure tardive m'empêche d'approfondir sur la défense européenne. Nous avons enregistré d'importants progrès en ce domaine ; un éventuel retour dans le commandement militaire de l'OTAN, envisagé par le Président de la République, suppose en premier lieu la poursuite et le renforcement de la défense européenne.
Des progrès significatifs ont été accomplis sur le terrain, au Kosovo, en Afrique, en Afghanistan. Mais il reste à trouver un accord sur le centre de commandement stratégique et le centre de planification.
Commençons cependant par balayer devant notre porte : lorsque je suis entré au Quai d'Orsay, il y a une dizaine d'années, le principal obstacle au développement d'une défense européenne était l'opposition des Américains à l'idée d'un centre de planification stratégique et d'un centre de conduite d'opérations. Ils y sont aujourd'hui favorables : la balle est donc dans notre camp. Mais pour avancer sur le chemin d'une défense européenne, il faut en avoir la volonté politique et s'en donner les moyens budgétaires. Les Européens doivent se convaincre qu'ils ont des intérêts stratégiques propres, qui ne se confondent pas avec ceux des Américains, et qu'ils seraient bien avisés de les défendre seuls.
Il est également urgent de repenser le rôle historique de notre continent. La force de l'Europe, c'est sa mémoire, le souvenir du totalitarisme, de la Shoah, de la guerre froide, la volonté de préserver la paix et de régler les différends par le droit. Tout cela est au coeur de la construction européenne. Mais cela ne doit pas nous empêcher de voir que l'histoire, aujourd'hui, se joue aussi ailleurs. Ne voyons pas tous les problèmes d'aujourd'hui à travers le prisme de la guerre froide et d'idéologies dépassées. Je veux convaincre nos partenaires d'Europe centrale, notamment nos amis tchèques, que le meilleur moyen d'assurer leur sécurité n'est pas d'aligner des chars américains sur leur territoire mais de contribuer au développement d'une défense européenne.
La mémoire de l'Europe ne doit pas la condamner à l'immobilisme : l'histoire du monde, aujourd'hui, est liée à celle de l'immigration : or les problèmes migratoires ne pourront être résolus que grâce au développement de l'Afrique, qui est une priorité absolue comme l'a rappelé Mme David. Le poids des pays musulmans dans les équilibres géopolitiques constitue également une donnée historique nouvelle, qu'il nous faut prendre en compte. L'arrivée du Brésil, de l'Inde, de la Chine sur la scène diplomatique et économique importe plus que des problèmes révolus. Il ne faut pas voir la Russie comme l'ex-empire soviétique mais comme une puissance encore fragile, dont l'économie repose essentiellement sur des ressources minières et gazières et doit encore se développer. C'est pourquoi il est indispensable de renforcer nos liens économiques et stratégiques avec ce pays. Voilà l'histoire dans laquelle l'Europe doit entrer aujourd'hui pour peser de tout son poids.
L'Europe n'est pas seulement une affaire d'institutions mais aussi une affaire de conscience et de vision. Si elle a l'audace de voir le monde tel qu'il est, elle retrouvera sa place dans l'histoire au moment où les États-Unis s'apprêtent à le faire. C'est cela qui se joue en 2009, et c'est ce que je lui souhaite. (Applaudissements nourris à droite et au banc des commissions)
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 21 janvier 2009 à 15 heures.
La séance est levée à minuit cinq.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 21 janvier 2009
Séance publique
A QUINZE HEURES ET LE SOIR
1. Projet de loi (n° 154, 2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2009.
Rapport (n° 162, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.
2. Projet de loi (n° 157, 2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés.
Rapport (n° 167, 2008-2009) de Mme Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission des affaires économiques.
Avis (n° 163, 2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.
Avis (n° 164, 2008-2009) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.
_____________________________
DÉPÔT
La Présidence a reçu de MM. Didier Boulaud et André Trillard un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur l'évolution de la présence internationale au Kosovo après l'indépendance.