Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par l’ancien ministre chargé des comptes publics Thomas Cazenave s’attaque à un sujet important : la fraude aux aides publiques. Celle-ci se manifeste sous différentes formes : falsification de pièces justificatives, présentation de fausses informations, surfacturation de travaux ou prestations fictives, recours abusif à la sous-traitance, notamment dans le cadre de la rénovation énergétique.
Le secteur de la rénovation énergétique est particulièrement touché. Les dispositifs comme MaPrimeRénov’ ou les certificats d’économies d’énergie sont devenus des cibles privilégiées pour les fraudeurs. En 2023, la fraude aux C2E a représenté un manque à gagner de 480 millions d’euros pour l’État, tandis que les mouvements suspects liés à MaPrimeRénov’ s’élevaient à 400 millions d’euros.
Le texte comporte plusieurs avancées que je tiens à saluer.
Tout d’abord, il prévoit le partage d’informations entre administrations en levant l’obstacle que les dispositions relatives au secret professionnel pourraient représenter pour de telles communications.
Ensuite, il étend la liste des acteurs auxquels Tracfin est autorisé à communiquer des éléments.
Par ailleurs, il autorise les agents de l’Anah, de l’Ademe et de l’ASP à accéder au fichier national des comptes bancaires afin de mieux contrôler l’authenticité des informations bancaires fournies par les demandeurs d’aides publiques. Il accroît les pouvoirs de l’inspection générale des finances en lui donnant accès aux informations actuellement couvertes par le secret statistique et par le secret fiscal.
Enfin, la proposition de loi prévoit de limiter le recours à la sous-traitance pour la réalisation de travaux d’accessibilité des logements.
Je m’attarderai à présent sur l’article 3 ter, réécrit en commission par le rapporteur, qui affaiblit le dispositif voté par l’Assemblée nationale concernant la sous-traitance dans le secteur de la rénovation énergétique.
En l’état, cet article garantit l’effectivité du dispositif encadrant la sous-traitance en cascade pour bénéficier de MaPrimeRénov’ et de l’éco-PTZ. Il reporte également à 2027 l’obligation pour l’entreprise facturant les travaux de disposer du label Reconnu garant de l’environnement. Un tel report ne me semble pas opportun.
Cet article passe en revanche sous silence le problème majeur des fraudes aux C2E. Celles-ci sont souvent le fait d’entreprises commerciales opportunistes, qui utilisent des montages opaques de sous-traitance pour capter les aides publiques sans garantir la qualité des travaux.
Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’activité des enseignes de bricolage, mais il est légitime de s’assurer que les aides bénéficient en priorité aux entreprises qualifiées et compétentes et non à des structures commerciales, dont l’unique objectif est de capter les aides publiques.
Lorsqu’il s’agit de fonds publics, nous devons être intransigeants : seuls les professionnels certifiés doivent pouvoir bénéficier des aides.
Par ailleurs, si la lutte contre la fraude sociale et la fraude aux aides publiques est nécessaire, je déplore que la fraude fiscale soit trop souvent laissée dans l’ombre. Le manque à gagner lié à la fraude fiscale oscille pourtant entre 80 milliards et 100 milliards d’euros par an. En comparaison, le montant des fraudes sociales et des fraudes aux aides publiques est estimé à environ 20 milliards d’euros. Ce montant n’est certes pas neutre, mais l’écart entre ces deux sommes est tout de même important.
Pourtant, c’est bien sur la fraude sociale que les efforts politiques se concentrent. L’asymétrie entre le traitement politique de la fraude sociale et celui de la fraude fiscale est difficilement justifiable sur le plan moral et économique.
Il est légitime de sanctionner les abus liés aux aides publiques, mais cette rigueur doit s’appliquer également aux fraudes massives dans le domaine fiscal.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra la proposition de loi, qui comporte des avancées indéniables, tout en regrettant cette approche encore trop déséquilibrée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la rénovation énergétique est un levier essentiel pour améliorer la performance de nos logements et atteindre nos objectifs climatiques, elle ne doit certainement pas devenir une opportunité pour les fraudeurs.
C’est tout l’enjeu de cette proposition de loi, qui tend à renforcer les contrôles et les sanctions pour garantir que les fonds publics bénéficient bien à ceux qui en ont réellement besoin.
Chaque année, les fraudes aux aides à la rénovation coûtent des centaines de millions d’euros à l’État. Ce détournement d’argent public mine la confiance des Français, pénalise les citoyens honnêtes et prive les ménages les plus modestes d’un soutien financier indispensable.
Ce texte, très attendu par les professionnels du secteur, est d’autant plus nécessaire que la fraude prend plusieurs formes : entreprises malveillantes facturant des travaux inutiles, bâclés ou inexistants, sociétés frauduleuses montant des dossiers au nom de particuliers à leur insu, ou encore facturations bien supérieures aux coûts réels des travaux.
Les chiffres sont révélateurs : 280 millions d’euros de fraudes aux C2E ont été constatés en 2023 ; près de 400 millions d’euros de mouvements suspects ont été détectés par Tracfin sur MaPrimeRénov’. En outre, des anomalies ont été relevées dans 51 % des entreprises contrôlées.
Ce phénomène, dont l’ampleur exacte reste difficile à mesurer, doit être combattu avec des outils à la hauteur des enjeux. Madame la ministre, nous rencontrons fréquemment sur le terrain des entrepreneurs, des artisans et des maîtres d’œuvre qui nous interpellent à ce sujet.
Je salue les avancées significatives permises par ce texte, notamment grâce aux travaux menés en commission.
La suspension temporaire du versement des aides publiques en cas de suspicion de fraude, initialement fixée à trois mois, pourra désormais être renouvelée et portée à six mois – c’est indispensable –, afin de laisser aux administrations le temps nécessaire de mener des enquêtes approfondies et de garantir que les fonds publics ne soient pas détournés.
Garantir la limitation de la sous-traitance en cascade à deux rangs permet d’assurer l’implication directe des entreprises responsables des travaux et d’améliorer la qualité et la transparence des projets.
Le renforcement des pouvoirs de la DGCCRF améliorera l’effectivité des sanctions et accroîtra leur caractère dissuasif. Les fraudeurs pourront ainsi se voir retirer l’agrément MaPrimeRénov’ ou leur label RGE.
Le texte prévoit également d’améliorer le partage d’informations entre les services de lutte contre la fraude et les organismes verseurs.
Ces mesures, proportionnées et ciblées, vont dans le bon sens, même si certaines d’entre elles pourraient être renforcées. Nous pourrions notamment réserver le financement des travaux par les C2E aux seules entreprises titulaires du label RGE, tout en limitant à deux rangs le niveau de sous-traitance.
Un tel encadrement garantirait la qualité des travaux, limiterait les fraudes et assurerait que les aides publiques profitent réellement aux ménages et aux professionnels qualifiés. Nous reviendrons sur ce sujet au cours de l’examen des articles.
Si cette proposition de loi vise à répondre à un grand nombre de problématiques, il est également essentiel de s’attaquer à un autre frein majeur : la complexité administrative des aides à la rénovation énergétique.
Critères d’éligibilité flous, dossiers rejetés à cause d’erreurs mineures, délais de versement trop longs : ces obstacles transforment l’accès aux aides en un véritable parcours du combattant pour de nombreux ménages, notamment pour les plus modestes d’entre eux.
Les réformes que nous prévoyons doivent s’accompagner d’une simplification des démarches et d’une meilleure lisibilité des dispositifs, pour garantir leur pleine efficacité.
Notre groupe soutiendra donc cette proposition de loi et les avancées qu’elle comporte, tout en restant attentif aux améliorations qui restent nécessaires pour garantir la sécurité des dispositifs et leur efficience, efficience que le Sénat recherche sans cesse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, manifestement, ce texte ne sera pas le grand soir de la lutte contre la fraude, mais il va dans le bon sens.
Dans le même esprit, on ne voit pas bien pourquoi l’on y a fait figurer une réforme des règles du démarchage commercial, mais, là aussi, cette nouvelle réglementation va globalement dans le bon sens.
Je veux m’exprimer brièvement sur chacun des deux volets de ce texte.
En premier lieu, fraus omnia corrumpit : les latinistes l’auront compris, la fraude corrompt tout ; plus précisément, la fraude corrompt avant tout la confiance des citoyens envers leurs institutions.
Chaque année, des milliards d’euros d’aides publiques sont mobilisés pour soutenir notre économie, accompagner nos entreprises, protéger les plus fragiles et préparer l’avenir. Ce sont nos impôts, notre argent, notre confiance collective qui sont investis dans ces dispositifs. Malheureusement, une part de ces aides est détournée par des fraudeurs organisés.
À n’en pas douter, certaines de ces fraudes pourraient, demain, être prévenues par une plus grande célérité de l’administration dans sa réaction lorsqu’elle suspecte une fraude. Actuellement, les administrations disposent de moyens limités pour agir face à des soupçons de fraude lors de l’instruction d’une demande d’aide publique.
Grâce aux dispositions de l’article 1er, les agents habilités pourront suspendre, pour une durée initiale de trois mois, l’octroi ou le versement d’une aide publique quand ils sont en présence d’indices sérieux de manœuvres frauduleuses ou de manquements délibérés. Cette suspension, renouvelable une fois, leur offrira le temps nécessaire pour mener des investigations approfondies, tout en préservant les droits des demandeurs de bonne foi.
En revanche, s’il est légitime de doter l’administration d’un pouvoir de suspension, il convient aussi d’être attentif aux inquiétudes que peut faire naître un tel dispositif auprès des entreprises. Il faut éviter, madame la ministre, l’éventuelle tentation que l’administration pourrait avoir d’user trop largement de son pouvoir de suspension, le cas échéant comme moyen de procéder, en fin d’exercice surtout, à des réductions budgétaires. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) On l’a vu par le passé !
Les ministres devront donc, au moyen de circulaires, préciser et harmoniser les critères de suspension, mais aussi rappeler que les décisions de suspension, outre qu’elles devront toujours être suffisamment motivées, pourront dans tous les cas faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.
En second lieu, concernant le démarchage, le texte transmis par l’Assemblée nationale et repris par notre commission des affaires économiques s’inspire largement de la proposition de loi déposée sur ce sujet par notre collègue Pierre-Jean Verzelen, texte qui a été adopté à l’unanimité dans cet hémicycle.
Je salue volontiers M. Verzelen pour cette initiative, qui induit un changement fondamental et attendu dans la réglementation du démarchage téléphonique. Le système, en vigueur depuis 2016, de la liste d’opposition dite Bloctel va disparaître au profit d’un régime généralisé de consentement préalable du consommateur à recevoir des appels, régime bien plus protecteur de sa vie privée et de son bien-être.
Ce nouveau cadre légal, couplé à la possibilité d’infliger des sanctions sévères, doit nous inciter à produire un texte équilibré, c’est-à-dire à la fois protecteur des intérêts des consommateurs et attentif au maintien et au développement d’une prospection commerciale respectueuse des lois et des bonnes pratiques.
Il ne faut en aucun cas pénaliser des secteurs économiques entiers du fait de quelques acteurs délinquants ; la tranquillité de nos concitoyens, mais aussi la préservation des entreprises et des emplois concernés doivent être notre boussole.
Certaines dispositions introduites dans le code de la consommation du fait de l’adoption de la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, dite loi Naegelen, ainsi que certaines des propositions figurant dans le présent texte ou dans des amendements, ne me paraissent pas totalement en phase avec l’objectif d’un texte équilibré. J’y reviendrai lors de la discussion des articles.
En conclusion, mes chers collègues, si je partage les motifs, louables, de cette proposition de loi, il faut cependant veiller à préserver un certain équilibre afin de ne pas préjudicier aux entreprises, que ce soit par un usage éventuellement intempestif de l’article 1er ou par une restriction trop importante du démarchage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je veux apporter quelques éléments de réponse aux différents orateurs de cette discussion qui ne manque pas de matière.
Mme Goulet l’a bien dit, nous devons passer d’une logique où l’on verse d’abord les aides, avant de contrôler et d’essayer de récupérer les sommes indûment perçues, à une logique où, dès le départ, on conçoit des dispositifs bien ficelés, en y intégrant à la source les éléments susceptibles d’empêcher les détournements.
Selon M. Gay, l’ambition que nous affichons serait, au fond, plus grande que la réalité du texte, et d’autres orateurs encore m’appelaient à la sobriété dans le choix des mots. Eh bien, l’article 1er a justement peu de mots, mais il n’en est pas moins redoutablement efficace, car il s’agit de ce qu’on appelle une mesure balai.
Cet article va permettre la suspension, quelle que soit la fraude soupçonnée, de toutes les aides publiques qui, disséminées entre tous les ministères, ne sont pas aujourd’hui agrémentées de dispositifs spécifiques de contrôle ou de suspension ; je précise d’emblée que beaucoup des prestations sociales que vous avez évoquées, monsieur le sénateur, comportent de tels dispositifs.
Dès lors, même si l’intitulé de la proposition de loi peut paraître un peu large vis-à-vis de l’effectivité des mesures, il n’en reste pas moins que l’article 1er, par sa rédaction économe, couvre bien toutes les fraudes à toutes les aides plus efficacement que si l’on avait listé une à une les aides de tous les ministères, sur des pages et des pages, auquel cas nous en aurions probablement oublié.
Un autre point me fait réagir : beaucoup d’orateurs ont regretté que, quoique ce texte traite de nombreuses fraudes, la fraude fiscale n’y figure pas. À ce propos, il me semble dangereux de laisser accroire qu’il serait moins grave, dans notre pays, de frauder les cotisations ou les aides publiques que de frauder le fisc. Non, cette proposition de loi n’est pas un texte fiscal, mais elle nous permet précisément de rééquilibrer les moyens dont nous disposons, nos outils juridiques, de manière à combler des trous, à remédier à des angles morts et à quelques impasses.
Certes, les fraudes visées sont moins connues, moins médiatiques que la fraude fiscale, mais les montants à récupérer sont énormes, surtout en proportion des budgets des aides en question. Ainsi des 400 millions d’euros versés frauduleusement au titre de MaPrimeRénov’, dont le budget annuel est de quelque 2,5 milliards d’euros.
M. Fabien Gay. C’est énorme !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En proportion, c’est beaucoup plus que toute fraude fiscale que l’on pourrait vouloir détecter ! (M. Fabien Gay se montre dubitatif.) De fait, en termes relatifs, assez peu d’impôts sont fraudés dans de telles proportions, bien heureusement…
M. Fabien Gay. Et l’impôt sur les sociétés ?
M. Grégory Blanc. Et la TVA ?
M. Fabien Gay. Et les Gafam ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il me semble en tout cas que les fraudes visées ne sont pas de petites fraudes au regard des dispositifs annoncés.
M. Grégory Blanc a fait beaucoup de remarques sur lesquelles nous reviendrons.
Nous aurons un débat sur la date ; je crois que, grâce aux travaux des rapporteurs, on pourra avancer certaines choses. Pour ce qui est des fraudes aux cotisations sociales, j’aimerais voir tous les dispositifs efficaces qui sont à notre disposition aujourd’hui dans la sphère fiscale mis au service du recouvrement de ces sommes par les Urssaf. Il convient que la partition entre enjeux fiscaux et sociaux soit un peu moins nette, parce qu’il n’est pas moins grave de frauder les Urssaf que le fisc.
Concernant la sous-traitance, je vous accorde, monsieur le sénateur, que nous en tenir à deux niveaux serait bien. Nous aurons toutefois un débat sur les grands projets collectifs et les très grandes copropriétés, où permettre trois niveaux pourrait être utile.
M. Hochart m’interrogeait sur la fraude à la TVA. Pour la combattre, on construit actuellement un très bon outil, la facturation électronique. Nous savons grâce aux études d’impact que, dans un horizon relativement proche, cet outil permettra d’avoir pour les entreprises l’équivalent du prélèvement à la source, grâce au préremplissage de la déclaration de TVA. Cela nous offrira des gains.
Il existe une autre manière de lutter contre la fraude à la TVA : c’est de nous attaquer, comme nous le faisons avec les douanes, à la sous-valorisation des paquets qui arrivent par centaines de millions à nos frontières. Je pense notamment aux articles vendus par des plateformes de fast fashion. Les vendeurs en sous-déclarent la valeur afin de ne pas payer de droits de douane et, par ailleurs, ces pratiques génèrent de la fraude à la TVA une fois ces produits mis en vente sur les plateformes de commerce destinées aux particuliers.
Je voudrais remercier le sénateur Verzelen pour son récit à la fois précis et fidèle du feuilleton parlementaire des dispositions relatives au démarchage téléphonique ; je ne suis responsable que des derniers mètres de ce marathon !
Je ne peux en outre que répondre favorablement à votre appel, monsieur le sénateur, à nous montrer efficaces et rapides, car je crois que les mesures que vous défendez font l’objet d’un très large consensus. Pendant votre discours, j’ai justement reçu un appel d’un numéro inconnu ; sans doute voulait-on me proposer une énième rénovation de toiture, alors que je n’ai aucun besoin d’isolation… Nous sommes tous victimes de ces démarchages intempestifs !
Certains orateurs ont affirmé que le meilleur moyen de lutter contre la fraude, au fond, ce sont les effectifs. Il est évident que, lorsque l’on emploie 780 personnes expertes en la matière, au sein de la DGFiP, à lutter contre la fraude, ce que nous avons fait, on obtient des résultats. Mais je veux vous exposer un problème crucial qui se pose aujourd’hui, et que ce texte va permettre de résoudre.
Aujourd’hui, les échanges d’informations sont compliqués, que ce soit entre services ou, en l’occurrence, entre l’administration et les banques. Ainsi, actuellement, au sein de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), l’une des directions de la DGFiP, dix personnes sont employées, très utilement, à écrire aux banques pour leur demander l’état effectif des comptes d’un certain nombre de personnes que nous voulons contrôler. Elles envoient des courriels de manière répétée, elles engagent des procédures qui durent parfois douze à dix-huit mois. Eh bien, avec ce texte, grâce à un échange automatique de données appuyé sur le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba), les réponses seront reçues automatiquement en vingt-quatre ou quarante-huit heures, immédiatement exploitables, et ces dix personnes pourront faire autre chose. Ainsi, par l’emploi de nouveaux outils, juridiques et techniques, performants, nous libérerons des effectifs et nous serons mieux à même d’atteindre nos objectifs.
Enfin, je voudrais rassurer M. Reichardt, qui me demandait, en ma qualité de ministre des comptes publics, si l’article 1er ne constituait pas un outil déguisé de régulation budgétaire. Je tiens, monsieur le sénateur, à vous dire très solennellement dans cet hémicycle, afin que cela figure au compte rendu, que cette proposition de loi n’est pas un outil déguisé de régulation budgétaire.
Aucune aide publique ne sera suspendue parce qu’il manquerait un peu d’argent en fin de gestion. On suspendra ces aides quand on fera face, par exemple, à une société éphémère dont le relevé d’identité bancaire (RIB) est, par le plus grand des hasards, le même que celui d’une autre société qui vient d’être dissoute. On les suspendra quand on aura affaire à des gens qui, pour toucher les aides de MaPrimeRénov’, font faire des devis par centaines et envoient à l’Anah un devis différent de celui qu’ils donnent au client ; cet écart est un indice suffisant de fraude, on pourra donc suspendre ce type de versements.
Cette proposition de loi n’est donc pas, je le redis, un outil déguisé de régulation budgétaire.
M. André Reichardt. Dont acte.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous devons être efficaces, ne pas confondre les objectifs, et rassurer les Français : il n’y a pas d’autre agenda que celui, très explicite, qui consiste à s’assurer que les budgets que vous votez, mesdames, messieurs les sénateurs, servent bien les objectifs énoncés dans la loi et non pas ceux des fraudeurs.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques
Article 1er
Le chapitre V du titre Ier du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration est complété par un article L. 115-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 115-3. – I. – En l’absence de dispositions spécifiques, en cas d’indices sérieux de manquement délibéré ou de manœuvre frauduleuse en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir indûment l’octroi ou le versement d’une aide publique, les agents désignés et habilités d’une administration ou d’un établissement public industriel et commercial chargés de l’instruction, de l’attribution, de la gestion, du contrôle ou du versement d’aides publiques peuvent procéder à la suspension de l’octroi ou du versement d’une aide publique. La durée de la mesure de suspension ne peut excéder trois mois à compter de sa notification et peut être renouvelée une fois.
« II. – En cas de manquement délibéré ou de manœuvre frauduleuse, les autorités mentionnées au I peuvent rejeter la demande d’une aide publique. Elles peuvent également rejeter le versement d’une aide publique, sous réserve, le cas échéant, du retrait de la décision d’octroi de l’aide dans les conditions prévues aux articles L. 241-2 et L. 242-2.
« III. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »
Mme la présidente. L’amendement n° 67, présenté par MM. Gay et Lahellec, Mme Margaté et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après la première occurrence du mot :
publique
insérer les mots :
, à l’exception des prestations sociales,
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Avec cet amendement, nous revenons sur un point de débat que j’ai déjà évoqué dans la discussion générale. Je le redis : nous ne voulons pas de confusionnisme !
Les 2 200 aides publiques existantes n’ont rien à voir avec les prestations sociales, qui sont un droit ouvert par le versement de cotisations et non un dispositif d’aide. D’ailleurs, il existe déjà des mécanismes pour suspendre le versement des prestations sociales s’il y a fraude.
Je veux réaffirmer notre soutien à la lutte contre toutes les fraudes ; personne n’a dit le contraire, madame la ministre ! Mais le présent texte vise les dispositifs d’aide publique ; il faut sérier les problèmes.
Cela étant dit, nous avons discuté de ce point avec le rapporteur ce matin ; selon lui, le dispositif de l’article 1er vise bien uniquement les aides publiques et non les prestations sociales qui disposent déjà de tels mécanismes de suspension. J’aimerais que Mme la ministre nous confirme cette interprétation. Si sa réponse est positive, nous retirerons cet amendement, ainsi que l’amendement n° 68 qui suit.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Rietmann, rapporteur. Mon cher collègue, comme vous l’avez rappelé, nous avons eu un échange en commission sur ce point. Il n’y a pas lieu d’exclure, comme vous le proposez, les prestations sociales du champ de l’article 1er, et ce pour une simple et bonne raison : le dispositif dudit article s’appliquera uniquement « en l’absence de dispositions spécifiques ».
Or les prestations sociales sont justement déjà régies par des dispositions spécifiques qui permettent de les suspendre en cas de fraude. Ainsi, le code de la sécurité sociale dispose que la non-présentation de pièces justificatives, ou encore la présentation de faux documents ou de fausses informations justifient la suspension du délai d’instruction de la demande de prestation sociale ou la suspension du versement de la prestation. Voilà un exemple des dispositions spécifiques qui empêchent l’article 1er de s’appliquer à ce type de prestations.
Je vous invite donc à retirer cet amendement, même si je comprends bien que vous attendez que Mme la ministre se prononce sur ce point ; à défaut de retrait, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il est identique à celui de la commission, parce que le droit est bien fait. En effet, comme votre rapporteur l’a rappelé, le code de la sécurité sociale comprend déjà des modalités spécifiques de suspension des prestations. Des dispositions similaires sont en vigueur pour les aides au logement ; je tiens à votre disposition, monsieur le sénateur Gay, les références juridiques.
Je le confirme, l’article 1er, de par sa nature de mesure balai, ne s’appliquera qu’en l’absence de telles dispositions. Or, pour l’immense majorité des aides sociales – 99 %, sinon la totalité d’entre elles –, ces dispositions spécifiques existent déjà. Le champ de cet article, c’est précisément toutes les aides dépourvues de mécanismes spécifiques de suspension, ce que les fraudeurs savent d’ailleurs pertinemment : ils ont bien compris que, dans de tels cas, leurs agissements pouvaient prospérer avant que nous ne les détections.
Vous pouvez donc sans crainte retirer votre amendement, monsieur le sénateur, puisque je vous donne la garantie que nous n’avons aucune intention cachée à l’égard des prestations sociales déjà dotées de tels mécanismes de suspension.
Mme la présidente. Monsieur Gay, l’amendement n° 67 est-il maintenu ?
M. Fabien Gay. Je vais le retirer, de même que le suivant, puisqu’ils vont de concert, mais je veux vous répondre sur un point, madame la ministre. Votre intervention dans la discussion générale, celles que vous avez faites à l’Assemblée nationale, ou encore celles de l’auteur de la proposition de loi, n’ont fait qu’entretenir – je le redis – un certain confusionnisme. Aides publiques, prestations sociales et évasion fiscale, tout était mis sur le même plan, ce qui pouvait laisser penser bien des choses…
Nous avons donc déposé ces amendements pour clarifier le débat, car la confiance n’exclut pas le contrôle. Nous voulions être sûrs que les prestations sociales, conquises de haute lutte, ne seraient pas menacées. Je le redis, ces prestations, droit issu du labeur des travailleurs et des travailleuses, ne doivent pas être volées ; il faut donc bien sûr lutter contre cette fraude. Mais vous nous avez rassurés. Par conséquent, je retire l’amendement, madame la présidente.