M. Philippe Folliot. C’est scandaleux !
M. Philippe Tabarot, ministre. Face à cette situation, bien sûr que l’État fera appel ! Nous demanderons rapidement un sursis à exécution. Notre détermination est intacte : les travaux doivent reprendre au plus vite.
Mais cette situation révèle, vous l’avez dit également, un mal profond, l’empilement des procédures, qui paralyse notre action publique. Ce qui arrive à l’A69 aujourd’hui menace tous nos projets de demain, qu’il s’agisse de sécuriser vos routes ou de moderniser vos réseaux ferroviaires.
Le droit environnemental est essentiel, sauf quand il devient un instrument d’obstruction systématique. (Protestations sur les travées du groupe GEST. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP.)
C’est pourquoi nous allons travailler à des réformes avec le Parlement, pour simplifier nos procédures sans renoncer à nos exigences environnementales.
M. Yannick Jadot. Alors, supprimez le droit !
M. Philippe Tabarot, ministre. L’État de droit doit être le garant de la sécurité juridique des projets d’intérêt général et non pas leur fossoyeur ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau, pour la réplique.
Mme Marie-Lise Housseau. Merci de votre réponse, monsieur le ministre, mais il est impératif de mieux définir ce qu’est la raison impérative d’intérêt public majeur. Cela ne doit pas rester une notion subjective laissée à l’appréciation des seuls juges. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Sinon, il faudra écrire dans la loi que l’A69 est d’intérêt public majeur ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
respect de la réglementation dans le cadre de la fermeture des usines michelin de cholet et vannes
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Grégory Blanc. Madame la ministre, l’inspection du travail reconnaît dans ses rapports l’état de détresse psychologique des salariés des usines Michelin de Cholet et de Vannes. Certains d’entre eux évoquent même le suicide.
Après l’annonce de fermeture, d’une brutalité inouïe, la seule chose que l’entreprise dit à ses salariés, aujourd’hui, c’est : « Continuez de produire à cadences soutenues ! Mais vous aurez à peine plus qu’à La Roche-sur-Yon, il y a six ans, avant les bénéfices records, avant le choc d’inflation. »
Michelin vient de réaliser, en 2024, un résultat opérationnel de 3,4 milliards d’euros. Et ce groupe refuse de lâcher quelques millions d’euros pour reconnaître le travail d’une vie, assurer, malgré le licenciement, que la maison sera bien payée. En français, cela porte un nom : bien plus que du mépris, c’est de la maltraitance !
Madame la ministre, il y aurait bien des questions à vous poser sur l’échec des politiques industrielles du Gouvernement. Les syndicats de Michelin alertent déjà sur la situation à Montceau-les-Mines et à Troyes.
En ce moment même, le cinquième et dernier round de négociation se conclut à Clermont-Ferrand. L’urgence est donc pour nous de connaître la position du Gouvernement.
J’ai donc deux questions simples. D’abord, en droit, licencier pour raisons économiques quand l’entreprise réalise des bénéfices records est illégal. Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la loi soit appliquée ?
Ensuite, j’ai en main le procès-verbal d’une réunion tenue en janvier chez Michelin ; l’entreprise y évoque le démantèlement des machines qui vont être délocalisées. Michelin ne respecte donc pas la loi de 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange. Comment comptez-vous sanctionner ce comportement, et récupérer les aides versées à cette entreprise ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Monsieur le sénateur Grégory Blanc, l’annonce du départ de Michelin de Cholet, dans votre département, a été un choc, comme à Vannes. Ce fut un choc pour les salariés, pour leurs familles et pour ces villes tout entières.
La priorité du Gouvernement est bien celle de la loi : la continuité professionnelle et salariale pour les salariés, la continuité économique pour les territoires. Ce n’est pas l’État qui décide d’un plan social. En revanche, il joue un rôle crucial pour s’assurer que tout soit fait pour la sauvegarde de l’emploi, par un repreneur ou au travers de la revitalisation des territoires, et il prend toute sa part dans cette démarche. La loi Florange, notamment, que vous avez citée, impose de chercher un repreneur pendant la durée de négociation du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Dans le cas précis de Michelin, tous les moyens sont mis en œuvre pour cette sauvegarde de l’emploi. Je rappelle tout de même que l’entreprise a prévu 300 millions d’euros pour la reconversion des salariés. (M. Fabien Gay s’exclame.) On aimerait que toutes les entreprises qui déposent des plans sociaux fassent le même effort. C’est absolument impossible, hélas, pour les sous-traitants. L’entreprise Michelin s’est engagée à créer un emploi dans le territoire pour chaque emploi supprimé. Elle participe à la recherche d’un repreneur, comme elle l’a fait par le passé.
Le Gouvernement s’active aussi pour aider à la recherche d’un repreneur : c’est le rôle du réseau des commissaires aux restructurations économiques. Nous travaillons avec le cabinet qui a été mandaté par Michelin et les administrations centrales pour faciliter l’identification de ces repreneurs.
Plus largement, France Travail se tient aux côtés des salariés pour élargir l’offre qui leur est proposée. Mais nous devons travailler avec les partenaires sociaux à la simplification drastique des dispositifs de reconversion qui, entre l’individuel, le collectif, l’interne, l’externe, sont aujourd’hui beaucoup trop compliqués. C’est pour nous une priorité.
Enfin, nous devons préserver la compétitivité de nos entreprises. L’audition au Sénat du directeur général de Michelin a eu beaucoup de retentissement.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Elle a montré les structures de coût qui pèsent plus en France que dans des pays comme le Canada ou l’Allemagne. Si nous voulons préserver notre patrimoine industriel, nous devons traiter ce problème. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour la réplique.
M. Grégory Blanc. Madame la ministre, quand Michelin délocalise les machines, c’est illégal. Comment comptez-vous faire respecter la loi ?
En 2024 encore, c’est-à-dire il y a quelques semaines, Michelin faisait alterner dans ses usines temps de travail à plein régime et chômage partiel. C’est nous tous qui payons le chômage partiel… En 2024, Michelin touchait encore des aides à l’emploi. Je demande que le Gouvernement agisse. Les 1 200 familles de Cholet et de Vannes vous regardent. Pour qu’un gouvernement dure, il faut aussi poser des actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)
situation internationale
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, permettez-moi d’abord, au nom du groupe Les Républicains, mais aussi au nom de tout le Sénat, de réaffirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)
Ma question, monsieur le ministre, est d’un autre ordre. N’avez-vous pas le sentiment que ce qui se passe en Ukraine est le révélateur de la fin d’un système international fondé en 1945 sur deux valeurs, la démocratie et la liberté ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Vous avez quatre heures ! (Sourires.)
M. Pascal Savoldelli. Il n’a rien dit sur Poutine…
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Roger Karoutchi, merci pour votre excellente question, à laquelle je tâcherai de répondre en quelques minutes…
M. le président. Deux ! (Sourires.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous ne savons pas très bien ce que l’avenir nous réserve. Vous avez raison – et le Premier ministre l’a rappelé à la tribune du Sénat comme il l’avait fait à la tribune de l’Assemblée nationale –, nous assistons au réveil des logiques d’empires qui, ne reconnaissant pas les frontières, foulent aux pieds l’ordre international fondé sur le droit que nous avons contribué à bâtir sur les ruines de la Deuxième Guerre mondiale.
Le Premier ministre rappelait lundi, devant l’Assemblée nationale, les premiers mots de la Charte des Nations unies. Ceux-ci proclament que l’ONU a été fondée pour écarter le risque de la guerre, sur le principe simple du respect de l’intangibilité des frontières.
Nous voyons ces logiques d’empires se déployer sous différentes formes ici et là, et nous retrouvons dans les déclarations de la nouvelle administration américaine les germes de cet impérialisme que l’ONU avait réussi à contenir.
Mme Cécile Cukierman. Ils ne peuvent pas nous sauver, alors ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre. Soyons clairs : dans un moment comme celui-ci, nous pouvons nous détourner de cet héritage, de cette construction dont nous sommes les dépositaires, considérant que, à notre tour, nous devons entrer dans ces logiques d’empire. Mais nous ne le ferons pas, car nous considérons que seuls le droit et la justice peuvent garantir à la communauté internationale une paix durable. Les logiques d’empires, dans lesquels certains voudraient nous entraîner, nous mèneraient un jour ou l’autre dans des guerres que nous n’aurons pas choisies.
Mais pour défendre nos intérêts, les intérêts de la France et notre vision du monde qui repose sur le droit international et la justice, nous n’aurons pas d’autre choix que d’être beaucoup plus forts et beaucoup plus indépendants. Si nous restons dans la situation de vassalisation et d’asservissement dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer, nous laisserons inévitablement les empires dicter la loi à l’échelle internationale, et nous n’aurons plus voix au chapitre.
C’est pourquoi le moment que nous vivons est si important. En renforçant l’Europe et en renforçant la France, nous avons l’occasion, le choix – et quand il y a un choix, il y a encore de l’espoir, comme disait le Premier ministre. Nous pourrons alors infléchir le cours des choses et faire entendre notre voix. Nous allons à présent entendre la vôtre, monsieur Karoutchi… (Applaudissements sur des travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE.)
Mme Cécile Cukierman. Lunaire !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je n’avais pas l’intention de vous entraîner dans une logique d’empire…
En revanche, je m’interroge sur le fonctionnement de l’ONU, vous savez, cette organisation qui est censée assurer la paix dans le monde. Où était-elle lors de la crise entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? Où est-elle pour les Kurdes ? Pour les chrétiens d’Orient ? Quel jeu ambigu a-t-elle joué au Proche-Orient depuis des années ?
L’ONU a changé de nature. Elle a été fondée essentiellement par des États démocratiques. Or, comme je le rappelais hier avec Cédric Perrin devant la commission des affaires étrangères, les États démocratiques ne sont plus majoritaires dans le monde. Ce qui revient à dire qu’il n’y a plus une majorité d’États démocratiques à l’ONU. Nous sommes dans un système fou, qui dérape, déraille.
Si nous ne voulons pas que se reproduisent des situations à l’ukrainienne, nous devons donc réformer profondément le fonctionnement de l’ONU. Sinon, cela ira de mal en pis. Puis, très clairement, l’Europe et l’Occident doivent se réarmer moralement, militairement, pour être en état de faire face. La France, notamment, a un rôle éminent à jouer. Ne nous laissons pas engluer dans des organisations internationales qui ne jouent plus le leur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, INDEP et RDSE.)
crise de l’eau en guadeloupe
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (M. François Patriat applaudit.)
Mme Solanges Nadille. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer. Permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée pour nos amis de la Réunion, après le passage du cyclone Garance, qui a fait cinq morts, de nombreux blessés et d’importants dégâts.
Monsieur le ministre d’État, vous le savez, des coupures d’eau régulières perturbent considérablement la vie des Guadeloupéens. Il y a trois semaines, les agents du syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe ont entamé une grève, qui s’est poursuivie par un conflit autour du paiement des jours de grève.
Ces actions ont touché l’ensemble des communes de la Guadeloupe et privé d’eau la moitié de la population au plus fort de la crise. En plus des conséquences humaines et sanitaires, l’effet est dramatique pour l’économie locale. L’eau est indispensable à de nombreux secteurs d’activité tels que l’agroalimentaire, le tourisme, l’éducation ou encore le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP). Chaque jour de restrictions menace directement l’activité des entreprises et l’emploi de milliers de Guadeloupéens.
Si l’exercice du droit de grève est légitime, il est inacceptable de prendre en otage les habitants en les privant d’accès à l’eau. Je salue le travail des collectivités territoriales de Guadeloupe, qui poursuivent les investissements destinés à fiabiliser et moderniser les infrastructures de production et de distribution d’eau potable.
Au-delà du seul cas de la Guadeloupe, d’autres territoires ultramarins font également face à des difficultés de gouvernance, des manques en capacités techniques et des fragilités financières, qui impactent la qualité et la continuité du service public de l’eau.
Le comité interministériel des outre-mer (Ciom) tenu en juillet 2023 avait acté le renforcement du plan Eau DOM. Monsieur le ministre d’État, où en sommes-nous, et quelle est votre feuille de route sur le sujet ? Le dossier de l’accès à l’eau est prioritaire et devra être central lors du prochain Ciom. Il n’est plus possible que, en 2025, sur le territoire de la République, nos concitoyens n’aient pas un accès continu à l’eau potable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice Solanges Nadille, vous avez raison, les questions d’eau doivent nous préoccuper, nous mobiliser, dans les territoires ultramarins en général, et notamment en Guadeloupe. Elles sont au cœur des mesures nouvelles du plan que vous avez évoqué, et devront figurer parmi les priorités du prochain Ciom.
Vous évoquez la situation du syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de Guadeloupe. J’ai suivi de près le mouvement de grève survenu il y a trois semaines. Il a effectivement donné lieu à des dégradations volontaires, qui ont privé d’eau jusqu’à 112 000 habitants, soit 30 % de la population. Je condamne fermement ces méthodes irresponsables. Les auteurs de ces actes de malveillance doivent être identifiés et poursuivis par la justice. Je salue les agents non grévistes qui ont relancé les sites de production grâce à la sécurisation assurée par les forces de l’ordre.
Ce syndicat mixte fait l’objet d’un contrat d’accompagnement renforcé depuis 2023. L’État se tient à ses côtés en apportant un soutien financier et technique. Les élus ont décidé d’exercer pleinement leur responsabilité et j’attends que chacun joue pleinement son rôle. C’est vital pour les Guadeloupéens.
Attentat de mulhouse et sécurité des français
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre, il y a une semaine environ, un homme mourrait à Mulhouse, poignardé. Un autre homme était interpellé. C’est un étranger en situation irrégulière, qui faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Vous nous avez dit vous-même que vos services avaient essayé à plusieurs reprises de procéder à son expulsion, mais que l’Algérie, son pays d’origine, avait refusé de le reprendre sur son sol.
C’est un fait divers, peut-être, mais c’est un fait divers qui se reproduit si souvent que cela devient un phénomène qui attente à la sécurité des Français – notamment, je veux le dire, dans le cadre de nos relations avec l’Algérie. (Murmures sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.) Dans ces conditions, monsieur le ministre, qu’entendez-vous faire pour assurer la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Muriel Jourda, une évidence, d’abord : à Mulhouse, si l’Algérie avait respecté le droit, nos accords, ses obligations, il n’y aurait pas eu d’attentat islamiste ni de victimes.
Une certitude, ensuite : on peut avoir des approches différentes, il peut exister des nuances dans la vision de la relation spéciale entre nos deux pays, mais s’il y a bien un point, un élément sur lequel nous pouvons nous retrouver et sur lequel nous devons être intransigeants, c’est la sécurité de nos compatriotes. Je suis ministre de l’intérieur et la sécurité est ma priorité.
Les centres de rétention administrative (CRA) regroupent les individus que nous souhaitons éloigner et dont les profils sont les plus dangereux. Eh bien, 43 % de ceux qui sont retenus dans les CRA sont de nationalité algérienne. Ils sont libérés au bout de 90 jours. Que faire si nous n’obtenons pas de laissez-passer consulaires de l’Algérie ?
Le Premier ministre a présidé il y a quelques jours un comité interministériel de contrôle de l’immigration. Ce fut l’occasion de prévoir une réponse graduée vis-à-vis des autorités algériennes. Il ne faut rien écarter. Je crois, pour ma part, que nous devons discuter de l’accord de 1968. En effet, celui-ci procure des avantages qui ne sont plus justifiés aujourd’hui, notamment lorsque l’Algérie ne respecte pas elle-même, de son propre fait, l’accord de 1994.
Il faut protéger les Français, tous les Français, y compris Boualem Sansal. Il lui est reproché d’avoir choisi un avocat français juif ! C’est ce que lui ont dit ses geôliers. Que lui reproche-t-on ? D’être amoureux de la langue française ? De trop aimer la France ? On veut le faire taire ? Eh bien, je vous le dis, nous, nous ne nous tairons pas ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.
Mme Muriel Jourda. Merci, monsieur le ministre. La sécurité, c’est ce que l’État nous doit, c’est ce qu’il doit à chaque citoyen français. Je crois que chacun en est convaincu ici.
Vous démontrez aussi que vous en êtes convaincu et que vous savez comment renforcer la sécurité des Français. Puissiez-vous en convaincre le Président de la République comme vous en avez convaincu le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
situation en ukraine et capacités militaires
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Georges Berthoin, à qui l’histoire offrit un destin européen aux côtés de Jean Monnet, et que je voulais évoquer en ces heures sombres, fut associé à la rédaction du traité créant la Communauté européenne de défense (CED), une sorte de plan Schuman élargi. Il reconnut ultérieurement qu’il était heureux que ce projet n’ait pas abouti en l’état, car, si le volet militaire était prêt – et l’on parlait tout de même d’une armée intégrée de plus de 500 000 hommes –, il n’en allait pas de même du volet politique.
Je crains, monsieur le ministre, que ce ne soit aujourd’hui l’inverse. Les conclusions du sommet de Londres et celles du Conseil européen qui se tiendra demain à Bruxelles devraient acter l’existence d’une volonté politique servie par des organes – ceux de l’Union européenne et de l’Otan – susceptibles de donner corps au projet d’une défense européenne.
Reste néanmoins le volet militaire. Plus de 80 % des budgets militaires des États membres de l’Union sont consacrés à l’acquisition d’équipements extra-européens. Alors que les États-Unis fournissent 63 % des commandes de l’Union européenne, l’industrie européenne de défense souffre de faiblesses structurelles majeures, comme nous le savons. Parmi les entreprises les plus importantes en Europe, une seule figure parmi les dix premières mondiales – encore est-elle britannique, et donc hors de l’Union européenne.
Quant aux coûts de production, il est de notoriété publique qu’un char coréen K2 Black Panther coûte trois fois moins cher qu’un Leopard 2A allemand.
La présidente de la Commission européenne évoque des investissements de 800 milliards d’euros sur quatre ans. À qui ces sommes vont-elles bénéficier ? Il y a urgence à apporter le soutien promis à l’Ukraine dans le contexte d’un possible retrait américain d’Europe, à la fois humain et matériel.
Faute de disposer des chaînes de montage et des personnels nécessaires – car doubler le budget des armées sans augmenter leurs ressources humaines n’aurait aucun sens – auprès de qui l’Union européenne va-t-elle acheter les matériels nécessaires dans les mois à venir ? À Israël, à la Turquie ou à la Corée du Sud ? (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Madame la sénatrice, pour entrer dans la mêlée de cette réponse, dans la continuité du débat que nous avons eu hier, je rappellerai que, en quatre ou cinq ans seulement, la part des ventes d’armes françaises effectuées en Europe a largement augmenté. Il y a dix ans, elle était de moins de 10 %. En 2024, son volume a dépassé 10 milliards d’euros, sur un total de 18 milliards d’euros d’exportations. Certes, les sous-marins, les Rafales représentent une large part de cette somme. Mais la situation politique en Corée du Sud, par exemple, n’a pas spécialement rassuré plusieurs capitales européennes. Et les lignes de production américaines ne sont pas complètement passées en économie de guerre. D’ailleurs, les choses sont désormais claires, le réarmement américain bénéficiera avant tout à l’armée américaine, qui se prépare à d’autres schémas de tension, notamment dans le Pacifique Nord.
Ce n’est même plus une affaire de choix, d’ailleurs. Si les capitales européennes veulent vraiment se réarmer, elles vont bien être obligées, sauf à mentir à leur population, de faire des achats au sein de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).
En ce qui nous concerne, je ne serai pas aussi catégorique que vous lorsque vous dites que l’accroissement du format va forcément de pair avec une augmentation des ressources humaines. Nous avons tellement diminué le capacitaire tout en préservant – heureusement – les ressources humaines que nous avons avant tout un effort important à faire sur ce dernier.
L’exemple des munitions, à mon avis, est parlant. Pour les munitions simples, l’aide à l’Ukraine nous a appris à reprendre du muscle, notamment sur les obus de 155 millimètres. Le vrai segment critique sera constitué par les munitions complexes : missiles de défense sol-air, missiles de frappe dans la profondeur, comme le missile Aster 30 B1NT. Nous allons continuer à remonter en puissance.
Un chiffre montre que l’économie de guerre fonctionne : entre 2026 et 2030, l’industrie française pourra absorber 7 milliards d’euros de commandes nouvelles passées en matière de munitions, soit pour nous-mêmes, soit pour de l’export. Les effets de l’économie de guerre se font sentir. Il faut que les commandes suivent. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Merci pour ces précisions, monsieur le ministre. Les chiffres que vous dévoilez sont très importants. Ils sont rassurants, à défaut d’être suffisants. Nos amis ukrainiens n’ont pas le temps d’attendre – et nous non plus. (M. Rachid Temal applaudit.)
zéro artificialisation nette
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Guislain Cambier applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et portera, monsieur le ministre, sur le zéro artificialisation nette (ZAN) : quatre ans d’incompréhension et parfois de discorde, quatre ans que les maires entendent parler de ce sujet, quatre ans que le Sénat se bat. À mes côtés dans ce combat, je citerai Guislain Cambier, Amel Gacquerre, Jean-Marc Boyer, Hervé Maurey… et il y en a tant d’autres, sur toutes les travées ! Le Sénat se bat pour contrecarrer une logique planificatrice et dirigiste imposée par les gouvernements successifs. Voilà quatre ans que nous essayons de concilier la sobriété foncière avec un vrai accompagnement des élus.
Aujourd’hui, nous ressentons une forme de lassitude. Nous avons en effet eu connaissance la semaine dernière d’une note provenant de Matignon et laissant à penser que l’État reviendrait une fois de plus sur sa parole…
M. Jean-François Husson. Impossible ! (Sourires.)
M. Jean-Baptiste Blanc. Il veut maintenir des industries dans les territoires, mais il refuse de prendre à son compte la consommation foncière qui en résulte. L’État se dit aux côtés des maires, mais ne fait rien pour que les préfets tiennent compte de la loi votée au Parlement. Les exemples sont nombreux… L’État prétend territorialiser, mais il entend maintenir une date couperet en 2034 pour l’application du ZAN à toutes les communes. L’État veut davantage de logements sociaux, mais il continue à priver les communes de leur pouvoir foncier.
Ma question est simple, monsieur le ministre : pouvons-nous enfin vous faire confiance, à la veille d’une discussion sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace) ? On trace, ou on ne trace pas ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je vous remercie de votre question. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger et nous allons continuer à tracer notre chemin ensemble, si vous en êtes d’accord.
Dès la semaine prochaine d’ailleurs, nous aurons l’occasion d’échanger lors de l’examen de cette proposition de loi, déposée par vous-même et le sénateur Cambier. Dès le début – c’est une habitude dans notre pays –, le choix a été fait d’une procédure descendante, sans s’interroger sur ce qui se passait au niveau des territoires. Pour ma part, je considère qu’il faut partir des territoires pour arriver à une proposition ascendante, dans le bon sens. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
C’est ce que nous faisons en essayant d’assouplir ce dispositif, comme vous le savez, afin de tenir compte des remarques des uns et des autres. Pour autant, l’objectif de sobriété foncière est au cœur de tous les élus de chaque territoire.
Cela fait d’ailleurs longtemps que nos élus de terrain, en particulier les maires, ont ce souci écologique : préserver leur territoire d’une trop grande artificialisation.
Je regarde les amendements qui ont été déposés. J’ai moi-même proposé d’alléger le dispositif et de décaler l’échéance, en prenant l’année 2024, et non plus 2021, comme point de départ de la période de référence.
Entre 2021 et 2024, il y a eu beaucoup de confusion. Certaines régions ont mis en place des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), tandis que d’autres – vous le savez – ne l’ont pas fait. La situation est donc assez complexe.
Je propose de maintenir une mesure de vérification à l’issue d’une période de dix ans – je sais que vous n’y êtes pas favorables (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) –, mais celle-ci n’interviendrait qu’en 2034, la période de référence débutant en 2024.
Je sais que vous et tous les maires de France partagez le même objectif : lutter pour la sobriété foncière ! (M. François Patriat applaudit.)