M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous votons aujourd’hui un projet de loi important, aboutissement de plusieurs mois de discussions pour l’avenir de notre agriculture.
Ce texte s’inscrit dans un contexte où les attentes des agriculteurs sont plus que pressantes, à quelques jours du salon de l’agriculture, qui débutera à la fin de cette semaine. Il est essentiel de se rappeler que, derrière chaque chiffre et chaque mesure dont nous avons débattu dans cet hémicycle, il y a des femmes et des hommes qui consacrent leur vie à nourrir notre pays. Ces travailleurs de la terre sont autant d’individualités avec leurs aspirations, leurs frustrations et leurs espoirs.
Un des slogans les plus entendus en 2024 a, à lui seul, illustré le profond malaise des agriculteurs : « On marche sur la tête. » Ce cri de désespoir, accompagné d’une opération de retournement de panneaux de communes, a perduré cet hiver sur fond de négociations commerciales avec le Mercosur.
Ce slogan suffit à résumer et à dénoncer les injonctions contradictoires adressées à l’agriculture. Les agriculteurs expriment ainsi une quête unanime de reconnaissance, qui se traduit sur le terrain des politiques publiques par une demande de cohérence. Car de telles contradictions sont insupportables pour eux.
Il leur est souvent demandé de respecter des normes strictes. Mais une telle exigence se heurte à une paradoxale tolérance appliquée aux produits importés. Comment demander à nos agriculteurs de produire de manière exemplaire tout en laissant d’autres producteurs étrangers les concurrencer dans des conditions moins contraignantes ? Nous donnons les moyens à d’autres de produire, mais non pas à nos propres agriculteurs, et ce sans garantir une homogénéisation des normes de production à l’intérieur du marché unique ou au sein des accords commerciaux.
Les agriculteurs souffrent ainsi d’une suradministration toujours plus importante et passent en moyenne neuf heures par semaine à effectuer des tâches administratives. Par ailleurs, ils aspirent à une concurrence « à armes égales ». Face à un marché mondial ouvert, ils demandent une harmonisation des normes entre les États européens et une « exception agricole européenne » vis-à-vis des pays tiers qui ne respectent pas nos standards afin de rester compétitifs.
À leur niveau, les réglementations françaises aggravent parfois ces inégalités de concurrence. Ainsi, 37 % des agriculteurs évoquent un « abandon » et un « système à bout ». Cela témoigne du désespoir face à un échelon national qui semble se retourner contre eux au lieu de les soutenir.
Ce texte ne doit rien au hasard. Il s’inscrit dans un contexte particulier : celui d’une agriculture en difficulté, dont les maux ont été identifiés bien en un amont par les nombreux travaux menés par le Sénat ces dernières années. En effet, dès 2022, la commission des affaires économiques alertait sur le décrochage de la ferme France. Cette situation, pourtant déjà préoccupante, s’est alors aggravée. En témoigne la diminution de l’excédent commercial agroalimentaire de la France, qui est passé de 12 milliards d’euros à 4,9 milliards d’euros entre 2011 et 2024.
Ce qui manque particulièrement dans ce texte, c’est un véritable volet économique adapté aux enjeux de compétitivité du secteur. Bien que l’aspect environnemental soit primordial, il ne faut pas oublier que le développement durable de l’agriculture repose sur un triptyque équilibré entre l’humain, l’économique et l’environnement. C’est là la différence des visions qui se sont confrontées dans cet hémicycle. Or, aujourd’hui, ce texte semble accorder une place prépondérante au pilier environnemental en négligeant les autres aspects. (Mme Raymonde Poncet Monge ironise.)
Si l’agriculture durable doit intégrer des normes écologiques, elle doit également offrir aux agriculteurs les moyens de vivre dignement de leur métier, avec des revenus stables et des perspectives économiques claires pour les générations futures.
Néanmoins, ce projet de loi, mes chers collègues, n’est pas sans avancées. Il contient plusieurs éléments qui vont dans la bonne direction pour soutenir les agriculteurs.
Je retiens notamment une philosophie d’expérimentation intéressante, avec, par exemple, l’article 10 bis, qui instaure un droit à l’essai et permet aux agriculteurs d’expérimenter de nouvelles pratiques sans crainte des sanctions en cas d’échec.
Je pense également à l’article 13 bis, qui introduit un droit à l’erreur permettant de prendre en compte les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de nouvelles normes sans pénaliser les agriculteurs de bonne foi cherchant simplement à s’y conformer.
Faisons confiance à nos agriculteurs et laissons-les innover dans leurs pratiques !
Par ailleurs, ce texte contient également des mesures de bon sens, ce bon sens auquel nous n’avions de cesse de nous référer pendant nos débats.
Je pense par exemple à l’article 10 bis A, facilitant les interactions entre Vivea et le compte personnel de formation (CPF), permettant aux agriculteurs d’accéder plus facilement à des formations adaptées à leurs besoins, notamment dans leurs projets d’installation.
Je pense également à l’article 3 ter, favorisant les collaborations entre centres d’apprentissage et centres de formation continue, ou à l’article 11, qui soutient la création de groupements d’employeurs. Ces mesures pragmatiques permettent d’alléger les charges administratives des exploitations et d’en améliorer la gestion des ressources humaines.
Enfin, les articles 1er, 2 et 8 encouragent l’installation des femmes dans l’agriculture. Loin d’être anecdotiques, ce sont de réelles avancées pour féminiser notre agriculture quand on sait que les agricultrices sont 100 000 aujourd’hui contre un million à la fin des années 1960.
Pour autant, à la suite de l’examen sénatorial du projet de loi, on constate un effet de rattrapage. En effet, ce texte gouvernemental est utilisé comme véhicule législatif balai pour y intégrer diverses propositions de loi, qu’il s’agisse d’eau et d’assainissement, de gestion de haies, de santé des sols, etc.
Ce n’est pas une pratique nouvelle, mais cela reflète le fait que, dans un contexte politique incertain, un gouvernement légifère a minima par propositions de loi et que des parlementaires cherchent à tordre le bras de l’article 45 de la Constitution pour faire avancer au plus vite leurs initiatives législatives. Cela a pour conséquences d’alourdir les textes et de rendre leurs lignes directrices moins lisibles, donc moins intelligibles.
Cependant, certains points de ce texte nécessitent des ajustements.
D’une part, ce projet de loi est censé donner une impulsion pour l’installation et la transmission des exploitations agricoles pour les dix prochaines années. Or l’on voit déjà poindre des débats complémentaires sur le foncier et les revenus agricoles. Ces débats sont pourtant au fondement de l’équilibre des agriculteurs et de leurs exploitations.
D’autre part, l’examen s’est parfois concentré sur des points sémantiques ou très indirectement liés à la souveraineté alimentaire, qu’il s’agisse de l’article 10, relatif au nom du futur guichet unique, ou de l’article 14, à propos du cadre législatif portant sur les haies. Cela interroge à la fois sur les irritants parfois absurdes, mais également sur l’inflation normative.
Mes chers collègues, malgré des points d’amélioration, ce projet de loi représente un pas en avant pour l’agriculture française. Il permet de lever des obstacles bien identifiés et d’offrir de nouvelles marges de manœuvre aux agriculteurs, afin que ces derniers puissent rivaliser sur un pied d’égalité avec leurs voisins européens et mondiaux. La version sénatoriale de cette loi repose sur de nombreux travaux législatifs de notre chambre et s’inscrit en complémentarité avec les propositions de loi de nos collègues Franck Menonville et Laurent Duplomb. (Marques d’impatience sur les travées du groupe GEST. – M. Yannick Jadot fait signe que le temps de parole de l’orateur est écoulé.)
Le groupe Union Centriste votera donc pour ce texte et souhaite que la commission mixte paritaire puisse être conclusive. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les hasards du calendrier ont voulu que nos débats au Sénat se rapportant à l’agriculture coïncident avec les élections aux chambres d’agriculture.
Dans le strict respect d’un scrutin qui appartient en propre aux agriculteurs et aux salariés agricoles eux-mêmes, et sans faire dire au scrutin autre chose que ce qu’il signifie, on peut noter que la colère continue à s’exprimer dans le monde paysan. Et c’est normal, car, en l’occurrence, le revenu n’est jamais garanti d’avance, en raison de l’incertitude permanente qui plane sur l’avenir des filières et sur la fixation des prix agricoles. Ces derniers ont été anormalement bas depuis deux ans dans presque toutes les filières de production.
Au demeurant, il ne faut pas s’étonner que le fait que des exploitations céréalières de plusieurs centaines d’hectares perçoivent à ce titre beaucoup d’aides à l’hectare du budget de la politique agricole commune accentue la colère de beaucoup de paysans vivant sur des exploitations de moindre superficie que la moyenne nationale. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
La loi d’orientation agricole aurait pu constituer la bonne occasion pour fixer un certain nombre d’objectifs, infléchir un certain nombre d’orientations et se donner ainsi les moyens d’œuvrer dans le sens du développement durable de notre agriculture. Il n’en est rien ; bien au contraire !
Les principales dispositions retenues dans ce texte consistent à considérer que la planche de salut de notre agriculture résiderait dans une recherche de compétitivité à tout prix, permettant une intensification de la productivité en s’affranchissant d’un certain nombre de contraintes réglementaires et même de préconisations scientifiques. Cela a pour effet d’alimenter une dualité entre la société et les agriculteurs.
Certes, les excès de paperasserie et les lourdeurs administratives exaspèrent les agriculteurs, et l’on peut comprendre leur agacement. Il convient donc de lever de telles lourdeurs. Mais cela ne doit en aucun cas servir de prétexte pour en rabattre sur un certain nombre de prescriptions. Sachons toujours nous rappeler que les labellisations et autres appellations d’origine protégée (AOP) obéissent aussi à des normes.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Gérard Lahellec. Et celles-ci nous sont bien utiles pour valoriser les productions de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Nous avons également relevé que, pour répondre à ces objectifs d’intensification des productivités, les options retenues tendent à mettre à mal les potentialités que recèdent l’agroécologie, l’agriculture biologique et l’enseignement de ces disciplines.
M. Bruno Sido. Pipeau !
M. Gérard Lahellec. En outre, ces orientations créent un clivage tendant à opposer agriculture et écologie. Certes, l’agriculture de production est une activité humaine indispensable à la survie de l’humanité. Mais, pour continuer à assurer cette mission, il est indispensable de se remettre en question. Le modèle de développement à promouvoir ne peut, par exemple, pas être celui de l’industrialisation de l’engraissement des bovins, comme on le pratique par exemple au Texas, avec des unités de 75 000 têtes auxquelles on fait gagner un kilo par jour !
Et il y a tous les sujets dont le présent projet de loi ne parle pas.
Nos débats ont mis en lumière un accord assez large autour de l’idée que la mondialisation des prix pour les tirer toujours vers le niveau le plus bas est une aberration. Et à défaut de pouvoir remettre en cause d’emblée l’intégration de l’agriculture dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il eût été pertinent de commencer à travailler sur de nouveaux mécanismes de régulation.
Nous convergeons aussi sur le constat des limites des lois pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim), qui ne suffisent pas pour assurer un meilleur retour de la valeur ajoutée à la ferme. La mère des lois en matière de commercialisation reste la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
En matière d’installation et de renouvellement des générations, l’accès au foncier et sa gestion représentent une question essentielle. Or cette dimension n’est même pas abordée dans le texte.
Je terminerai en exprimant deux regrets.
Premièrement, la thématique de la pêche n’est que très peu évoquée. Et nous sommes ici de nombreux parlementaires bretons à avoir pointé l’impérieuse nécessité de soutenir cette activité.
M. Max Brisson. Pas seulement bretons !
M. Gérard Lahellec. Les collectivités de Bretagne y sont disposées. Il ne fallait pas nous opposer l’article 40 de la Constitution, comme cela a été le cas.
Deuxièmement, la place consacrée à l’élevage est trop faible. Un proverbe breton, dont je vous ferai part en français,…
M. Guillaume Chevrollier. Merci !
M. Gérard Lahellec. … dit ceci : « La terre est faite pour être entre les pattes des animaux ! » Nous sommes en effet dans des régions d’élevage.
Si la société a perdu un peu confiance dans l’industrie agroalimentaire, nos concitoyens croient encore à la sincérité des éleveurs, qui travaillent au contact de la nature. C’est là aussi un élément de motivation pour façonner nos paysages, nos haies, nos talus, nos bocages.
En bref, les insuffisances rappelées sommairement à l’instant nous conduisent à nous opposer à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, de déplorer le calendrier du travail parlementaire, soudainement accéléré, qui ne permet pas l’examen final de ce texte dans de bonnes conditions. (Mme la présidente de la commission s’exclame.) Cela constitue un véritable passage en force, uniquement destiné à ce que le Président de la République puisse tirer avantage de quelques effets d’annonce au salon de l’agriculture. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) C’est regrettable !
Pourtant, les attentes sont fortes et le constat est clair : population agricole et biodiversité s’effondrent en même temps. La crise agricole est structurelle, elle révèle les limites d’un modèle insoutenable. C’est votre bilan !
Ce projet de loi aurait dû être le texte d’une refonte de notre modèle vers la transition agroécologique, une transition indispensable pour assurer un accompagnement des agriculteurs face aux défis immenses qu’entraînent le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et la chute sans fin du nombre d’agriculteurs.
Mais ce texte s’emploie à détourner la colère des agriculteurs des véritables responsables. Il aboutira sans nul doute à un échec, car il ne répond pas aux vrais problèmes de la filière.
Il ne répond aucunement à la question centrale des prix, qui devraient être rémunérateurs, alors que dans cette profession on peut travailler soixante-dix heures par semaine pour gagner moins d’un Smic.
Il ne relève ni le défi de l’accès au foncier et de l’accaparement des terres ni celui, pourtant majeur, de l’élevage, qui est fragilisé. Il renvoie ces sujets fondamentaux à de futures lois.
Il ne répond pas non plus à l’aggravation des inégalités entre les mondes agricoles, où il n’y a pas grand-chose de commun entre les grands céréaliers exportateurs, qui captent la majorité des aides publiques de la PAC, et les petites exploitations en polyculture, élevage ou maraîchage, qui nourrissent nos territoires, entretiennent les paysages et se partagent ce qu’il reste des aides.
En refusant de donner un cap vers la transition, en refusant le pluralisme, vous renforcez en vérité l’évolution vers l’agro-industrie et vous nous menez à une impasse.
En effectuant une lecture fallacieuse des données agricoles, en niant les faits scientifiques, vous prenez une lourde responsabilité.
Concernant l’examen du texte en séance publique, nous déplorons l’absence manifeste de volonté de compromis pendant ces six jours de débats. Aucun apport réellement structurant venant de la gauche n’a été adopté. C’est assez rare que les propositions des groupes d’opposition soient aussi peu considérées et nous le regrettons.
Quasiment tous nos amendements ont été rejetés, qu’il s’agisse de mieux réguler le foncier – sujet mis à la trappe par le couperet arbitraire de l’article 45 de la Constitution –, de mieux former les agriculteurs de demain, notamment sur les enjeux de transition agroécologique, d’assurer un vrai soutien à la bio, de garantir au secteur une gouvernance pluraliste et plus démocratique, d’améliorer les revenus ou de relocaliser l’alimentation.
Une seule éclaircie : l’intégration de la proposition de loi en faveur de la gestion durable et de la reconquête de la haie, adoptée à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Concernant l’article 1er, votre définition de la souveraineté alimentaire ne se fait que sous le prisme de la compétitivité.
Une souveraineté biaisée qui, en renforçant une volonté exportatrice, ne respecte pas la souveraineté des autres pays.
Une souveraineté en trompe-l’œil, car sous dépendance aux importations, que ce soit pour les engrais – azote, phosphate, potasse –, le soja ou, demain, les technologies.
Toutes les références et tous les objectifs relatifs à l’agroécologie et à la bio ont été supprimés, tant dans les orientations des politiques publiques que dans les objectifs de la formation et de l’enseignement professionnel agricoles.
Ce texte ignore donc les grands défis du XXIe siècle.
L’agriculture doit faire sa mue pour s’inscrire dans la stratégie nationale bas-carbone. Elle émet 19 % des gaz à effet de serre et doit prendre sa part dans les impératifs de réduction. Rien dans ce texte ne traduit cette ambition.
Plutôt que d’agir, vous propagez la défiance envers les agences de l’État, dont l’expertise scientifique et l’indépendance sont fondamentales en ces temps troublés. Je pense bien sûr à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dont le rôle et l’expertise sont méprisés dans ce texte.
Inscrire le principe « pas d’interdiction sans solution » pour les pesticides est une attaque délibérée contre la biodiversité et la santé humaine. Ce dispositif ne devrait d’ailleurs pas tenir devant le Conseil constitutionnel.
Concernant l’enseignement, enjeu central pour assurer le renouvellement, le cap n’est pas le bon et les moyens ne sont pas au rendez-vous. Le bachelor agro que vous souhaitez axer sur les compétences managériales et entrepreneuriales pour formater de futurs agriculteurs à une vision concurrentielle et productiviste est un entonnoir vers l’endettement et l’agrandissement.
La création et la reprise d’activités agricoles sont pourtant de formidables opportunités pour engager la transition du secteur, mais le texte ne fait l’objet d’aucune mesure concrète pour soutenir la dynamique actuelle des installations, d’abord agroécologiques, car en cohérence avec les attentes d’une majorité de futurs agriculteurs.
La priorité aurait dû être d’établir un véritable pluralisme au sein du futur réseau France installations-transmissions et dans la composition des instances associées à sa gouvernance. Mais vous êtes restés sourds à cette nécessité.
Il en est de même pour le diagnostic modulaire, un outil initialement consacré à la transition : vous l’avez dévoyé, puisqu’il est désormais centré sur le modèle économique des exploitations, mettant de côté les aspects sociaux et environnementaux.
Sur l’article 13, nous sommes toujours sidérés par ce qui constitue l’une des pires régressions en matière de droit de l’environnement de ces dernières années. En allant vers une véritable dépénalisation de la destruction d’espèces protégées – qui plus est, la rédaction choisie ne concerne pas seulement le secteur agricole ! –, le texte issu du Sénat est contraire à la directive européenne sur la protection de l’environnement. Les plus hautes instances juridiques censureront vraisemblablement ce dispositif. Comptez sur notre vigilance et notre mobilisation !
À l’article 15, c’est la concertation et le débat qui sont amputés pour mieux industrialiser le monde agricole.
Avec ce texte, nous sommes à contresens de l’Histoire et de l’urgence écologique, mais en phase avec le plan social en cours. C’est pourquoi le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera résolument contre.
Non, les décisions politiques ne peuvent pas être influencées par les voix les plus bruyantes ou les intérêts d’une minorité au mépris du pluralisme et de la démocratie.
Face aux réalités climatiques, sanitaires et environnementales, nous continuerons de défendre l’intérêt général et des réponses structurelles pour la rémunération des paysans et la préservation de notre capacité à produire demain sur des sols vivants. (Bravo ! sur des travées du groupe GEST. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au bout, ou presque, du parcours législatif tumultueux du projet de loi d’orientation agricole. Après de longs mois d’attente, six jours de séance, trente-cinq heures de débats et environ huit cents amendements examinés, quel est le résultat ?
Nous avions reçu de l’Assemblée nationale un projet bavard et imparfait, n’apportant guère de réponses concrètes au malaise agricole. (Mme la ministre fait la moue.)
Si, madame la ministre !
Comme nous pouvions le prévoir, et dans une connivence permanente avec le Gouvernement (M. Laurent Duplomb, rapporteur, s’exclame.), les rapporteurs ont donné une connotation encore plus économique et libérale au projet de loi.
Nous allons donc sortir du Sénat avec une loi-fleuve, floue, dangereuse pour l’environnement et qui met en avant une certaine idée de l’agriculture, dépassée depuis longtemps.
D’ailleurs, ne devrait-on pas parler plutôt de « loi d’orientation pour une agriculture productiviste » ou encore de « loi d’orientation pour une agriculture passéiste » ?
Vous avez, messieurs les rapporteurs, madame la ministre, modelé un texte parfaitement comme vous le souhaitiez à coups de dogmes pro-industrie agroalimentaire et anti-environnement.
Monsieur le rapporteur Laurent Duplomb, vous avez indiqué que ce texte ne serait pas le Grand Soir de l’agriculture. Nous voilà d’accord ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
À travers ce texte, vous perpétuez la trajectoire agro-industrielle de l’agriculture, tournée vers le gigantisme, l’accaparement des terres, le productivisme à tout va.
Nous soutenons deux modèles qui s’opposent frontalement et je ne vois même pas où nos positions pourraient se rapprocher !
M. Laurent Duplomb, rapporteur de la commission des affaires économiques. Ça, c’est vrai !
M. Jean-Claude Tissot. Finalement, au terme de débats à sens unique, ni la crise sanitaire, ni la crise environnementale, ni la crise économique, ni – surtout ! – la crise du renouvellement des générations ne se voient proposer de réponses à la hauteur. Et au bout du compte, ce seront les paysans qui paieront la note – comme toujours !
Après le moment agricole que nous avons traversé et à quelques jours de l’ouverture du salon de l’agriculture, je le confesse, je suis très inquiet.
Je suis inquiet pour l’avenir de notre agriculture de manière générale. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie réclame que l’on écoute l’orateur en silence.) Qui peut croire que le modèle hyperproductiviste, avec la crise perpétuelle dont il est la source, est attractif pour de jeunes actifs agricoles ?
Le modèle consacre un entre-soi d’exploitations gigantesques et intransmissibles. On peut nous accuser de grossir le trait, mais regardez où nous en sommes aujourd’hui. C’est ce modèle, votre modèle, qui nous a conduits ici ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe SER.) Le prolonger, c’est à la fois ne rien résoudre pour aujourd’hui et aggraver la crise pour demain.
À commencer par la question de la transmission. Bien sûr, votre projet de guichet France installations-transmissions n’est pas une mauvaise idée en soi, madame la ministre, mais ce n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Il ne sera pleinement utile que lorsque nous nous engagerons sur la voie d’exploitations à taille humaine.
Je suis aussi inquiet pour les agriculteurs et pour leur santé. Dans la continuité des débats tenus ici ces dernières semaines, le texte revient sur l’interdiction des produits phytosanitaires, en la conditionnant à des « solutions économiquement viables et techniquement efficaces ».
On notera d’abord le flou juridique de ces notions. Surtout, nous sommes en présence d’un cas d’école, car dans le même temps, vous refusez les alternatives !
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Pendant dix ans !
M. Jean-Claude Tissot. Le schéma est le suivant : on interdit seulement si on a des alternatives, mais comme vous ne voulez pas ces alternatives, on autorise !
Encore une fois, sous couvert d’arguments économiques et productivistes, la santé des paysans est reléguée au second plan. C’est particulièrement déplorable.
Il y a quelques jours, une tribune signée par plus de mille cinq cents professionnels de divers horizons nous appelait, en faisant un parallèle avec les pesticides, à ne pas refaire la même erreur que sur l’amiante.
Le sens de l’Histoire n’est pas à l’assouplissement des règles encadrant les pesticides.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Le sens de la gauche, c’est d’interdire à tout va !
M. Jean-Claude Tissot. L’objectif est de se débarrasser des pesticides, certes progressivement, mais définitivement.
Et ce n’est pas seulement la santé des paysans que nous devons protéger. Que direz-vous à vos petits-enfants lorsqu’ils développeront des cancers ou qu’ils apprendront leur infertilité ? Voilà les questions que nous devons nous poser ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Et s’ils crèvent de faim ?
M. Jean-Claude Tissot. Je suis évidemment inquiet pour notre environnement.
La tendance, que l’on observe depuis quelques semaines, visant à simplifier ou alléger le droit de l’environnement, voire à y déroger, est alarmante. Ce texte s’inscrit pleinement dans ce mouvement d’ensemble.
Les offensives contre l’agroécologie relèvent d’une bataille idéologique des rapporteurs : aucune mention du terme dans l’article 1er – pourtant bavard… – et trois mentions seulement dans l’ensemble du texte.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. On a tout enlevé ! (Rires au banc des commissions.)