compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Nicole Bonnefoy,
M. Fabien Genet.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Financement de la sécurité sociale pour 2025
Adoption définitive en nouvelle lecture d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (projet n° 341, rapport n° 344).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à saluer les membres de la commission des affaires sociales du Sénat, au premier rang desquels son président, Philippe Mouiller, sa rapporteure générale, Élisabeth Doineau, ainsi que les différents rapporteurs, pour la qualité du travail que nous avons pu conduire.
Chacun de vous le sait dans cet hémicycle : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a suivi un parcours pour le moins inédit. Pour autant, cette situation a finalement contribué à développer une nouvelle capacité à échanger et à construire.
Il vous appartient désormais de vous prononcer sur le texte adopté la semaine dernière par l’Assemblée nationale, dans les conditions que nous connaissons.
Après la censure du précédent gouvernement, au mois de décembre dernier, l’Assemblée nationale a repris ses travaux à partir du texte que vous aviez initialement voté et qui – ce cas est suffisamment rare pour être souligné – avait fait l’objet d’une commission mixte paritaire conclusive.
Vous aviez considérablement amélioré le texte initial. À cet égard, je tiens d’ailleurs à saluer celui qui était à l’époque rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Devenu depuis ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, il a su travailler de concert avec vous, madame la rapporteure générale ; nous avons eu à cœur de conserver une part très substantielle des changements apportés par le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la majorité des nouvelles dispositions que vous avez adoptées en première lecture figurent toujours, sinon dans la lettre, du moins dans l’esprit du présent texte.
Ainsi, pour protéger la santé des Français, vous avez renforcé les taxes sur les sodas et les édulcorants.
Pour améliorer la prise en charge des patients, vous avez souhaité que les professionnels et les établissements de santé soient fortement incités à utiliser le dossier médical partagé (DMP). À cet égard, nous conservons en particulier les dispositions que vous avez introduites par voie d’amendement sur l’initiative de Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales pour l’assurance maladie.
Pour assurer la bonne organisation du système de santé, vous avez inscrit le principe de la responsabilisation des patients en cas de rendez-vous médical non honoré. Je souhaite que nous aboutissions rapidement sur ce dossier.
Pour accompagner la perte d’autonomie, vous avez défendu un certain nombre de réformes clés. Je pense au maintien du taux de compensation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Je pense aussi à l’expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance en Ehpad, mesure essentielle pour l’adaptation de notre offre au virage démographique.
Pour lutter contre la fraude, vous voulez renforcer la sécurisation de la carte Vitale en accélérant le déploiement de l’application électronique carte Vitale sécurisée. Je fais mienne cette volonté et je veillerai à sa mise en œuvre.
Vous avez renforcé le contrôle du versement des pensions de retraite à l’étranger. Vous avez également interdit la délivrance d’arrêts de maladie par des plateformes numériques afin de limiter les arrêts de complaisance : en la matière, nous serons également vigilants.
Pour accompagner les hôpitaux, Ehpad et collectivités territoriales, vous avez souhaité rendre plus progressive l’augmentation des cotisations employeur à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). (Mme Cathy Apourceau-Poly s’exclame.) C’est désormais acté.
Pour protéger notre agriculture, vous avez renforcé et pérennisé le dispositif d’exonération de cotisations patronales lié à l’emploi des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE), tout en l’étendant aux coopératives agricoles de fruits et légumes.
Au titre des allégements généraux, vous avez proposé une réforme d’un rendement de 3 milliards d’euros. La commission mixte paritaire a quant à elle abouti à un compromis assurant un rendement de 1,6 milliard d’euros. Dans la situation économique actuelle, je suis évidemment, comme beaucoup d’entre vous, vigilante quant à l’évolution du coût du travail pour les entreprises. Dans cet esprit, nous proposons de conserver ce compromis.
Pour financer la branche autonomie, vous vouliez instaurer sept heures de travail supplémentaires par an. Je comprends l’esprit de cette mesure : je l’ai d’ailleurs dit publiquement. Néanmoins, nous savons que le débat n’est pas encore mûr.
À ce stade, nous ne reprendrons donc pas cette disposition, mais le financement pérenne de notre politique de l’autonomie reste un sujet majeur. Dans les meilleurs délais, et quoi qu’il en soit dès 2025, nous aurons incontestablement à travailler pour faire face aux conséquences du virage démographique.
À l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, le déficit des comptes sociaux pouvait être estimé à 18,3 milliards d’euros. C’était déjà trop.
La censure a rendu matériellement impossible l’application de certaines mesures d’économie que vous aviez votées.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Dites plutôt le 49.3 !
Mme Catherine Vautrin, ministre. Les retraites ont ainsi été revalorisées au 1er janvier dernier à hauteur de 2,2 %. En résulte un coût supplémentaire de 2,5 milliards d’euros.
En outre, à la veille de la censure, l’abandon du ticket modérateur sur les médicaments a été acté, pour un coût de 500 millions d’euros.
De même, d’autres mesures d’économie ou de freinage de la dépense, qui devaient entrer en vigueur au 1er janvier 2025, ont été décalées.
Cette série d’impossibilités et de décalages a fatalement contribué à la dégradation du déficit des comptes sociaux. J’en prends à témoin Mme la ministre chargée des comptes publics.
Depuis la formation du gouvernement de François Bayrou, dans un contexte politique particulier marqué par des divergences profondes, nous avons pourtant pu acter plusieurs « bougés ».
Je remercie sincèrement les dix groupes politiques, Assemblée nationale et Sénat confondus, qui ont accepté de nous rencontrer pour bâtir ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mme Catherine Vautrin, ministre. Nous avons pris en compte les priorités exprimées pour proposer un texte probablement imparfait – j’en ai conscience –, mais qui n’en a pas moins pour but de nous rassembler.
Nous avons décidé d’augmenter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour donner davantage de moyens aux hôpitaux et aux Ehpad.
L’Ondam pour 2025 sera en hausse de 3,4 %, soit 9 milliards d’euros supplémentaires par rapport à 2024.
L’Ondam hospitalier augmentera plus précisément de 3,8 %. Ainsi, 1 milliard d’euros seront mobilisés pour améliorer la situation financière des hôpitaux et, surtout, leur capacité à offrir les soins de qualité que nos concitoyens attendent.
Cette hausse de l’Ondam permettra également de soutenir les Ehpad. Au total, 66 % de ces établissements étaient en déficit en 2023, contre 27 % en 2020. C’est un véritable signal d’alarme. La situation nous impose des réponses structurelles fortes, que nous devons chercher ensemble, dans une démarche transpartisane.
À court terme, le fonds d’urgence voté par le Sénat sur l’initiative de Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, a été multiplié par trois, pour atteindre 300 millions d’euros. (M. le président de la commission le confirme.)
Le déficit de la sécurité sociale s’est élevé à 18 milliards d’euros en 2024. Avec le présent texte, compte tenu des effets de la censure, des choix et des compromis que nous avons collectivement faits, il sera, cette année, de 22,1 milliards d’euros.
En 2025, nous engagerons une marge supplémentaire de recrutement de 6 500 professionnels pour renforcer la prise en charge des personnes âgées.
Nous devons mettre en œuvre une véritable mobilisation, tant avec France Travail qu’avec les régions, acteurs incontournables de la formation.
C’est aussi un enjeu d’attractivité de ces métiers, attractivité que nous devons renforcer. Cette année, les dépenses de la branche autonomie atteindront 43 milliards d’euros, en hausse de plus de 2 milliards d’euros. Elles permettront d’accélérer le déploiement de 50 000 nouvelles solutions d’accompagnement pour la transformation des parcours de vie des personnes en situation de handicap.
Le Président de la République l’a confirmé il y a maintenant deux semaines : l’année 2025 sera également celle du remboursement intégral des fauteuils roulants. Cette réforme était attendue par nos concitoyens. Nous sommes enfin en mesure de la concrétiser, au terme de concertations de qualité réunissant l’ensemble des partenaires. Je tiens à les en remercier.
Enfin, rien ne serait possible sans l’engagement des aidants. Ces derniers bénéficieront de nouvelles places de répit : ils pourront ainsi accompagner leurs proches dans de meilleures conditions.
De plus en plus de personnes âgées souhaitent rester à leur domicile ou vivre dans des résidences adaptées : nous devons répondre à ce souhait.
En application de la loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie, dite loi Bien Vieillir, le présent texte réserve une enveloppe financière de 100 millions d’euros au soutien à la mobilité de nos aides à domicile, qui consacrent une trop grande part de leurs revenus à leurs déplacements professionnels.
Lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, nous avons pu mesurer le potentiel immense des nouvelles technologies pour transformer la santé. C’est incontestablement un atout majeur.
Grâce aux données collectées et utilisées, nous pouvons désormais mieux anticiper les besoins, adapter l’offre de soins et fluidifier les parcours. Toutefois, il faut être clair : l’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’engagement et le dévouement des soignants comme des proches. C’est un outil formidable, mais l’accompagnement humain, l’écoute et l’empathie, qui font la richesse des métiers du soin, restent bien sûr absolument prépondérants.
À la veille des quatre-vingts ans de la sécurité sociale, nous devons plus que jamais adapter notre système pour qu’il reste un pilier de la justice et de la solidarité.
Ses fondateurs, issus du Conseil national de la Résistance (CNR), avaient pris pour base le magnifique principe de la solidarité intergénérationnelle, financée par le travail.
Ce trésor national, qui incarne l’ambition d’un modèle fondé sur la solidarité, fait face aujourd’hui à un défi inédit.
Le virage démographique actuel met à l’épreuve la soutenabilité de notre système, alors même que nous devons le préserver et l’adapter aux enjeux de notre temps.
Jacques Chirac disait : « Une société qui n’assure pas l’avenir de sa protection sociale en faisant à temps les réformes nécessaires se condamne à accepter l’injustice. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est un texte de protection et de responsabilité. Il engage l’avenir de notre système de santé et de solidarité. Il traduit une ambition forte pour notre pays : assurer à chaque Français, du premier cri de la naissance aux derniers instants de la vie, l’accès à des soins de qualité, à des conditions de vie décentes, à une existence dans la dignité et le respect, tout en garantissant la soutenabilité de notre modèle social.
Nous avons le devoir de relever ensemble ce défi, avec sérieux et engagement, pour les générations futures. Nous avons, en ce sens, une obligation morale : nous retrouver au plus vite dans une approche transpartisane. Nous le devons à ces visionnaires que furent les membres du CNR, dans leur combat pour la libération de la France. Soyons fidèles à leur souvenir.
Notre responsabilité est de définir les conditions de la pérennité de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes le 17 février et nous n’avons toujours pas de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Chaque jour qui passe renforce l’incertitude pour les différents acteurs de notre système de santé et, plus largement, pour nos concitoyens. Tous cherchent, avec nous, à sortir le plus vite possible de cette période d’attente et d’instabilité. C’est pourquoi je forme le souhait que nos débats soient efficaces – je tâcherai moi-même d’y contribuer – et que le présent texte soit adopté au Sénat dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale.
La loi de finances pour 2025 a été promulguée vendredi dernier. À présent, il nous faut disposer au plus vite d’une loi de financement de la sécurité sociale ; notre vie collective en dépend au quotidien.
Un jour sans budget pour la sécurité sociale, ce sont, concrètement, des investissements hospitaliers qui ne peuvent pas être lancés, ce sont des places en établissements qui ne peuvent pas être créées,…
Mme Cathy Apourceau-Poly. La faute à qui ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … ce sont de nouvelles recettes qui n’entrent pas dans les caisses, ce sont de nouveaux droits qui ne sont pas effectifs.
Je citerai un exemple parmi beaucoup d’autres : l’ouverture d’un parcours de bilan et d’intervention précoce aux enfants dans leur septième année quand ils présentent un handicap, en particulier un trouble du neurodéveloppement – il s’agit notamment de l’autisme. Pour obtenir ce changement, nous attendons l’adoption du présent texte. Plus nous tardons, moins nous pouvons aider les enfants concernés.
Le budget de la sécurité sociale, vous le savez, ce sont 666 milliards d’euros de dépenses pour le seul champ des régimes obligatoires de base – ce montant est en hausse de 3,7 % par rapport à 2024, ce qui représente 23 milliards d’euros supplémentaires – et près de 800 milliards d’euros de dépenses pour tout le champ des administrations de sécurité sociale.
Cet effort en faveur de notre protection sociale est loin d’être anodin dans le contexte de nos finances publiques. Il l’est d’autant moins que le financement de notre sécurité sociale ne repose plus désormais sur les seules cotisations sociales, reflétant, dans notre nation, les solidarités intra et intergénérationnelles. Une part croissante du financement de la sécurité sociale vient en effet de sources fiscales telles que la contribution sociale généralisée (CSG) et de taxes affectées.
Dans un rapport qu’elle doit remettre mercredi prochain, la Cour des comptes doit revenir sur le financement de nos retraites, qui – vous le savez également – ne repose plus qu’aux deux tiers sur des cotisations. Pour la branche maladie, la part des cotisations est désormais d’à peine un tiers.
Entendons-nous bien : il était parfaitement légitime d’élargir l’assiette des ressources de notre protection sociale pour mieux répartir la charge et faire face aux nouveaux besoins.
Les conditions sur lesquelles a été bâtie la sécurité sociale de 1945, il y a tout juste quatre-vingts ans – le système était alors financé par une population nombreuse, jeune et largement salariée –, ne sont plus celles dans lesquelles la protection sociale doit se déployer aujourd’hui et demain.
Beaucoup de choses ont changé, que ce soit la structure démographique de notre société, le dynamisme de notre économie – la croissance est désormais moins forte – ou la structure du marché du travail, devenu plus fragmenté. C’est tout le sens des observations que Catherine Vautrin vient de formuler quant au virage démographique.
Face à ce défi, vous pouvez compter sur notre plein engagement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si je dresse ces constats, que certains pourront considérer comme des évidences, c’est parce que je souhaite vous faire part de ma préoccupation face à l’accroissement du déficit de la sécurité sociale. Celui-ci atteint des niveaux inédits depuis des décennies, exception faite des périodes de crise, sans qu’une trajectoire claire de retour à l’équilibre fasse pour le moment consensus.
En outre, je tiens à souligner devant vous que le débat sur le financement de notre modèle social n’a rien de honteux.
Je souhaite que nous nous posions collectivement quatre questions dans les prochains mois, pour dessiner ensemble une trajectoire de redressement crédible pour nos finances sociales.
Premièrement, nos dépenses sont-elles suffisamment efficientes ? Nous avons le devoir d’examiner chaque euro déboursé, que ce soit pour les médicaments, les transports sanitaires ou encore la prise en charge des arrêts de travail. Des mesures en ce sens figurent déjà dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Deuxièmement, sommes-nous toujours collectivement d’accord pour consentir un tel niveau de dépenses de protection sociale ? N’y a-t-il pas des choix à opérer…
Mme Cathy Apourceau-Poly. En effet !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … parmi l’ensemble des prestations sociales que nous finançons ?
Troisièmement, que pouvons-nous faire au sujet des recettes ? Certains choix passés, certainement justifiés par ailleurs, ont eu pour effet de réduire nos ressources. Il faut les identifier et, le cas échéant, les corriger. En ce sens, il me paraît nécessaire de passer en revue les niches sociales. À ce titre, nous avons déjà commencé à supprimer un certain nombre de dispositions cette année – je pense par exemple aux avantages en nature relatifs aux véhicules de fonction.
Quatrièmement, devons-nous penser à de nouvelles recettes ? Devons-nous revoir la répartition entre impôts et cotisations ? Devons-nous envisager d’autres transferts, alors que ces derniers sont déjà massifs entre les différents sous-secteurs ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et les exonérations de cotisations ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce débat est légitime et il est d’ores et déjà engagé. Plusieurs parlementaires, sur toutes les travées du Sénat et tous les bancs de l’Assemblée nationale, ont appelé ces dernières semaines à en faire un grand chantier.
Nous devons en effet mettre à jour ce contrat social que la Nation conclut avec elle-même. C’est un travail que nous devons mener ensemble, avec le Gouvernement tout entier. Je le répète : pour ma part, j’y suis prête.
Nous avons un devoir de lucidité collective. D’ici à la fin de l’année, l’Acoss, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale devenue depuis Urssaf Caisse nationale, devra gérer une dette roulante croissante de près de 65 milliards d’euros, dont 40 milliards d’euros correspondront aux déficits accumulés sur les seuls exercices 2024 et 2025. (Mme la rapporteure générale le confirme.)
Je ne veux verser ni dans la défiance ni dans le fatalisme. Nous avons déjà su rétablir l’équilibre des comptes, avec rigueur et responsabilité, à la suite de la crise financière de 2010. C’est à une nouvelle trajectoire de rétablissement qu’il nous faut réfléchir désormais.
En attendant, nous avons besoin d’une loi de financement de la sécurité sociale.
Je tiens à remercier M. le président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller, Mme la rapporteure générale Élisabeth Doineau, les rapporteurs de branche et le rapporteur pour avis, ainsi que vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité des travaux menés au cours des derniers mois. J’espère qu’ils permettront d’aboutir aujourd’hui à un vote conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous voilà réunis, en cette mi-février, pour examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. L’année est déjà bien entamée : ce seul constat montre la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
En réalité, la discussion était d’emblée mal engagée, avec un texte déposé neuf jours après l’expiration du délai prévu par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, du fait de la constitution tardive du Gouvernement, puis avec le non-respect par l’Assemblée nationale de son délai constitutionnel de vingt jours.
Je ne reviendrai ni sur la censure du gouvernement Barnier, qui nous a privés d’une loi de financement de la sécurité sociale au 1er janvier dernier, ni sur l’adoption de la loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, notamment pour autoriser la sécurité sociale à emprunter.
Nous nous retrouvons à présent pour une nouvelle lecture, sans pouvoir véritablement modifier le présent texte. En effet, ses grands équilibres ne bougeront plus. D’ailleurs, à ce stade, seuls sont recevables les amendements ayant un lien direct avec une disposition en discussion.
Depuis l’automne 2023, les perspectives des finances sociales n’ont cessé de se dégrader, le déficit prévisionnel atteignant des niveaux jusqu’alors inenvisageables hors période de crise. Force est de constater, comme je le suggère depuis un certain temps, que nous avons perdu le contrôle…
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 était la première loi de financement de la sécurité sociale ne fixant pas, à moyen terme, d’objectif de réduction du déficit : ce dernier était censé augmenter encore et encore, pour atteindre 17,2 milliards d’euros en 2027. À l’époque, ce choix avait été très critiqué par la commission des affaires sociales du Sénat. Aujourd’hui, pourtant, nous serions presque heureux d’aboutir à un déficit de ce niveau en 2027 !
M. Alain Milon. Oh oui !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Dans sa version initiale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 conduisait, de même, à un déficit de 17,2 milliards d’euros en 2027 ; ensuite, il faut le dire, le déficit augmentait fortement, pour atteindre 19,9 milliards d’euros en 2028.
Le texte adopté par le Sénat en première lecture améliorait la situation. Pour 2025, le déficit prévu était un peu moins élevé – il était de 15 milliards d’euros, au lieu de 16 milliards d’euros en vertu du texte présenté par le gouvernement Barnier. Surtout, jusqu’en 2028, il était à peu près stabilisé à son niveau de 2025.
Le texte de la commission mixte paritaire, c’est-à-dire celui sur lequel le gouvernement Barnier a été censuré, impliquait un déficit nettement supérieur, non seulement à celui qui avait été prévu par le Sénat, mais aussi à celui auquel aurait conduit le texte initial.
Si l’on en était resté là, le déficit aurait dû atteindre 18,3 milliards d’euros en 2025 et 21,5 milliards d’euros en 2028. La nouvelle lecture à l’Assemblée nationale a conduit à une nouvelle dégradation du solde : la prévision de déficit est maintenant passée à 22,1 milliards d’euros en 2025 et à 24,1 milliards d’euros en 2028.
Si, au fil des discussions, les perspectives de déficit de la sécurité sociale n’ont cessé de se dégrader, c’est parce que les mesures initiales visant à améliorer le solde ont progressivement été réduites ou supprimées sans être compensées.
Au départ, le Gouvernement prévoyait un effort de 15 milliards d’euros, à peu près également répartis entre mesures réglementaires et législatives, d’une part, et entre mesures sur les recettes et mesures sur les dépenses, de l’autre. À l’arrivée, le montant a été réduit à 9 milliards d’euros, via des dispositions pour les deux tiers de nature réglementaire.
Le rendement de la mesure sur les allégements généraux a été ramené de 4 milliards d’euros à 1,6 milliard d’euros – vous l’avez souligné, madame la ministre. Par ailleurs, la mesure relative à la revalorisation des retraites a été abandonnée.
Dans le cas de la contribution de solidarité par le travail, j’espère que nous ne parlons pas d’abandon définitif. Toutefois, cette ressource ne figure pas dans le texte final.
Le Sénat a tenu à compenser partiellement les réductions ou suppressions décidées. Sa principale mesure d’amélioration du solde est l’augmentation de la contribution patronale sur les attributions gratuites d’actions (AGA), qui devrait rapporter 500 millions d’euros.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Heureusement que nous sommes là !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Cette hausse a été votée sur l’initiative de nos collègues Cathy Apourceau-Poly et Raymonde Poncet Monge. Je rappelle qu’il s’agit là d’un simple retour au droit applicable il y a quelques années et d’un alignement sur la fiscalité des stock-options par ailleurs préconisé par la Cour des comptes.
En parallèle, le Sénat a renforcé la fiscalité comportementale. Nos collègues députés l’avaient fait pour les boissons sucrées. Ce faisant, ils avaient suivi une recommandation figurant notamment dans le rapport d’information que Cathy Apourceau-Poly et moi-même avions rendu sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé, au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).
Le Sénat y a ajouté une réforme de la fiscalité des jeux et une augmentation de la fiscalité du tabac, cette dernière mesure faisant partie des préconisations figurant dans le rapport d’information auquel je viens de faire référence.
Chacune de ces trois dispositions devait rapporter 200 millions d’euros. La mesure sur le tabac n’a pas survécu à la commission mixte paritaire. Seules demeurent donc les deux autres, qui rapportent 400 millions d’euros au total.
Parmi les mesures d’amélioration du solde adoptées par le Sénat, on peut aussi mentionner plusieurs dispositions défendues essentiellement par Corinne Imbert en tant que rapporteure de la branche maladie : la mesure relative aux médicaments biosimilaires, la consultation obligatoire du dossier médical partagé et diverses mesures de lutte contre la fraude.
De même, grâce au Sénat, les acteurs de la sécurité sociale et les collectivités territoriales bénéficieront de plusieurs mesures de soutien.
Tout d’abord, notre assemblée a obtenu la prorogation du fonds d’urgence pour les Ehpad, dont le montant, initialement fixé à 100 millions d’euros, a été triplé. Merci, madame la ministre, de l’avoir rappelé !
Ensuite, le Sénat a obtenu une réforme des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux départements, laquelle permet de garantir un niveau de compensation des dépenses liées à la PCH et à l’APA au moins égal à celui qui a été consenti en 2024, pour un coût estimé à 200 millions d’euros.
Enfin, dans le domaine réglementaire, le Sénat a obtenu l’étalement de trois à quatre ans de l’augmentation de douze points du taux de cotisation à la CNRACL, pour un coût de 500 millions d’euros en 2025.
Mes chers collègues, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale a été déposé le 10 octobre dernier, soit il y a plus de quatre mois. En prenant pour base un déficit de 22,1 milliards d’euros en 2025 et de 24,1 milliards d’euros en 2028, voire plus, si l’on considère que certaines hypothèses sont excessivement optimistes, il n’est à l’évidence pas à la hauteur des enjeux.
La Cour des comptes a publié jeudi dernier un rapport public thématique intitulé La Situation des finances publiques début 2025. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne nous félicite pas de nos récents travaux sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale… L’essentiel reste à faire ; vous l’avez d’ailleurs dit, mesdames les ministres.
À titre personnel, je considère que nous devrions creuser la piste d’un recours accru au travail, donc d’une augmentation du PIB, ébauchée par le Sénat avec la contribution de solidarité par le travail.
Selon une note du Trésor publiée au mois de septembre dernier sur le site du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), l’alignement du taux d’emploi français sur le taux d’emploi allemand augmenterait ainsi nos recettes de protection sociale d’environ 15 milliards d’euros, notamment via les cotisations sociales et la CSG. Dans le même temps, il réduirait les dépenses de protection sociale d’environ 5 milliards d’euros.
Quoi qu’il en soit, les positions des uns et des autres sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale sont connues. Sur ce texte, nous n’avons de facto plus de marges d’évolution significatives, que ce soit juridiquement ou politiquement.
Par ailleurs, il est grand temps que la France se dote d’une loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Il faut évidemment agir davantage pour réduire le déficit : dans le cas contraire, nous laisserons aux générations futures une véritable bombe à retardement. Reste que ce travail ne pourra être mené qu’au titre des textes à venir.
Mes chers collègues, pour ces raisons, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable sur l’ensemble des amendements en discussion et vous propose d’adopter conforme le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Xavier Iacovelli applaudit également.)